Revue Romane, Bind 13 (1978) 2

François Villon, Œuvres d'après le manuscrit Coislin I: 173 pages, II: 710 pages, par Rika van Deyck (texte, variantes et concordances) et Romana Zwaenepoel (traitement auto- matique). Collection Textes et Traitement Automatique, (TTrA) publiée sous la direction de Guy de Poerck et Hélène Nais. 27120 Saint-Aquilinde-Pacy (Eure), Librairie-éditions Mallier 1974.

Suzanne Hanon

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Pour Villon, qui, selon l'expression de Knud Togeby, est une espèce de «provo» disparu sans laisser de trace, l'année 1974 aura été une année faste: en effet, cette année-là, paraissent, coup sur coup, deux éditions critiques, l'une du Testamentpar Rychner et Henry (1), l'autre portant sur ses œuvres complètes (celle qui nous occupe); en outre, une nouvelle édition du Lexique de la Langue de Villon par André Burger (2) et une série de concordances et index divers, dépouillementsqui feront aussi l'objet de notre compte rendu. Il est vrai que nous n'étions déjà pas si mal nantis et ceci, mises à part les éditions «classiques» de Longnon-Foulet (Classiques français du moyen âge) (3): et celle combien précieusede Louis Thuasne (4): je pense notamment aux nombreuses éditions en fac-similé, aux éditions diplomatiques ou phototypiques, aux travaux sur le fond et la forme publiés ces dernières années, pour ne rien dire de l'étude très détaillée de Jean Fournet : Recherches sur le Testamentde François Villon (5), qui fait une large place à l'étude du texte en se servant du ms. C (Coislin). Pourtant, il nous manquait une édition vraiment critique: Togeby avait déjà déploré cette absence dans notre revue («Pour une nouvelle édition de Villon» (6)). L'autorité du ms. Coislin (m. fr. 20041 de la Bibliothèque Nationale) étant incontestée, il était donc logique de donner une édition de Villon d'après ce manuscrit. Ce vide est comblé dès à présent par les travaux qui viennent de paraître avec rien moins que deux éditions. Il n'est pas de notre propos de

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faire ici une étude comparative de cellesci,mais qu'il nous soit permis de déplorer le manque de communication parmi les chercheurs, qui ont fait un travail double, même si l'édition de MM. Rychner- Henry ne recouvre pas tout à fait celle de Mmes van Deyck-Zwaenepoel, puisque la première n'envisage que le Testament proprement dit. D'autre part, il faut constater que la collection Textes et Traitement Automatique a pour but de présenter non seulement un apparat de concordances et index, mais aussi le texte de base ayant servi de point de départà ces dépouillements automatisés. De cette prise de position de la maison d'édition Mallier, les auteurs tirent l'avantage non négligeable d'être complètementindépendants, pour leurs référencesnumériques, du renvoi aux éditions courantes, qui sont parfois sujettes à des remaniements et à des changements dans la pagination et dans le système de référence.

Le premier volume des Œuvres de François Villon comprend, outre une notice codicologique et une bibliographie détaillée de l'état présent des études sur Villon jusqu'à 1973 environ, le texte des œuvres de Villon que donne le manuscrit C avec les variantes du manuscrit B (Paris B.N. fr. 1661) pour le Lais et celles de I, editio princeps de Pierre Levet, de 1489. Ce sont dans l'ordre:

L'épitaphe dudit Villon (ou Ballade
des Pendus)
Le petit Testament Villon (Lais)
S'ensuit l'appel dudit Villon (Ballade
de l'appel)
Le grand Testament Villon (Testament)
Epistre (Epistre a ses amis)
Problème (Ballade au nom de la
Fortune)

Cet ordre est aussi l'ordre «chronologique»
adopté dans les concordances qui
suivent le texte. Ce volume comprend en
appendice une concordance des noms
propres et un rimaire qui ont été établis
de façon artisanale.

Le deuxième volume comporte d'autres dépouillements quantitatifs: une concordance dite morphologique, qui rassemble toutes les occurrences des noms communs, ainsi qu'une série d'index: 1) index alphabétique des entrées, 2) index alphabétique des bases, 3) index de fréquence des bases, 4) index des bases classées d'après leurs codes morphologiques, 5) index inverse des bases, 6) index de fréquence des codes morphologiques. Il n'est peut-être pas inutile de rappeler ce que les auteurs entendent par entrées, bases, formes, codes morphologiques.

Uentrée fonctionne comme entrée de dictionnaire; elle est synonyme de lemme; c'est le dénominateur commun choisi arbitrairement (mais selon une longue tradition grammaticale) pour regrouper toute une série de formes conjuguées ou déclinées. La forme de base est, à son tour, une espèce de dénominateur commun ou de forme canonique des variantes graphiques trouvées dans le texte ou formes. Les formes de base sont pourvues d'un code morphologique servant à repérer les classes de mots, à séparer les homographes,

Un coup d'œil à l'entrée voloir permet de comprendre plus facilement cette structurationdela concordance: sous voloir, nous trouvons une série de formes de base comme vorrà fut. 3, vorrez fut. 5, vorroie cond. 1, etc., et sous chacune d'elles, on trouve les instances réelles de texte. Sous vorrà, un exemple de voultra, un autre de vouldra, etc. avec les contextes où ces mots ont été trouvés, c'est-à-dire que ces mots sont des occurrences mêmes du texte ou des tokens alors que l'entrée et la (ou les) forme(s) de base sont plutôt des types. Je renvoie ici à mon article sur les concordancesdanscette même revue (7). Les auteursontchoisi d'emprunter leurs entrées

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au dictionnaire de Tobler-Lommatzsch. (Cf. leur introduction dans le volume II p. 10, mais on ne nous dit pas ce qu'on a fait des mots qui suivent tympanistes, où s'arrête le dernier volume du Tobler- Lommatzsch, 87. Lieferung, 1976). En structurant de cette façon leurs matériaux,Mmesvan Deyck et Zwaenepoel ont donc opté pour une concordance lemmatisée et, en quelque sorte, normalisée,puisqu'ellesintroduisent dans leurs matériaux des données étrangères au texte et empruntées parfois à une époque plus ancienne. Citons ici l'exemple de pooir qui ne figure nulle part dans le texte de Villon alors que pouoir est attesté dans d'autres textes du même auteur (en tout cas comme substantif, cf. Burger, op. cit. p. 91). Mmes van Deyck et Zwaenepoelfontfigurer les occurrences pourray,puis,etc. sous pooir puisque le dictionnairedeTobler-Lommatzsch a choisi cette forme comme entrée. Il me semble que cette option est fort discutable, commeseraittout aussi discutable, bien sûr, le fait de mentionner les formes trouvées sous des formes empruntées au français moderne. Il faut cependant mentionner, à leur décharge, que Mmes van Deyck et Zwaenepoel et l'équipe de Gand ont pour but de constituer, par l'établissement de leurs concordances, une espèce de banque de données qui s'enrichit au fur et à mesure qu'y sont introduites les informationssurles textes médiévaux: une grille morphologique a été constituée à partir du répertoire morphologique et sémantique de la concordance sur le Charroi de Nîmes, ouvrage publié par la même équipe et par la même maison d'édition (8). Cette grille a servi de comparaisonlorsde l'établissement de la concordance sur Villon et il peut être pratique d'étudier toutes ces occurrences diverses sous une forme graphique canonique.L'équipede Gand a donné des explications plus approfondies sur la méthodesuiviedans

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en, es (es cieulx), ou, an (an champt). Ici il aurait été souhaitable d'introduire une subdivision pratique pour aider le lecteur à «décrypter» les différentes formes: je ne vois d'ailleurs pas pour quelle raison les formes du texte lui-même n'émergent pas à la surface; de même, on cherche en vain m' (m'ame, m!amour, etc.) et on ne le trouve qu'à force de chercher, mais non sous mon, ni sous ma, mais sous une troisième rubrique mon adj. f. sg.! Il me semble que çà et là des subdivisions plus nuancées auraient aidé le lecteur, alors que celui-ci se passerait parfois bien des dimensions nouvelles introduites dans le texte par les auteurs. Pour toutes ces raisons pratiques, cet ouvrage est difficileàmanier et c'est bien regrettable. Comme les auteurs ont repensé la structurationdeleurs matériaux, on ne peut pas comparer les dépouillements du Charroi et ceux de Villon. De plus, au point de vue théorique, les auteurs ont pris une position on ne peut plus catégoriquedansl'établissement des indices morphologiques, pour des cas où l'exégèsevilloniennefait pourtant montre de beaucoup de réserves: ex. Testament v. 43 : «obstant qu'a chascun ne le crye». Dans la concordance, le verbe crye est affecté de l'indication «subj. près. 3». Je rappellequejustement ce vers a été discuté à l'envi par MM. Foulet, Frappier, Henry, Burger, et plus récemment, par Rychner et Henry, et que ces savants sont loin d'être d'accord sur la valeur de cette forme verbale. Je m'étonne aussi de voir considérer comme un adverbe la forme en quand elle est suivie du participe présent:elleserait certainement plus à sa place sous la rubrique préposition. A l'entrée que (sous laquelle sont aussi rangés les mots qui et quoi), on a séparé que pronom, que adverbe et que conjonction.Aprèsexamen de quelques-uns des exemples, je me demande comment les auteurs de la concordance sont arrivés à conclure que que est adverbial dans «autre que moy est en queloigne» (Lai, 52) alors que que serait conjonction dans «vivre autant que Mathieusalé» (Test., 64). De plus, le contexte donné dans tous ces exemples de que n'est presque jamais suffisant pour permettre au lecteur de se rendre compte par lui-même du mot régissantque.Il faut donc recourir au texte original dans la plupart des cas. On aurait aimé un contexte un peu plus long dans les cas cités. Je fais remarquer en passant que les exemples suivants n'ont pas de code morphologique: queurre p. 397 et p. 664. Je conseille donc à ceux qui emploieront la concordance de Villon d'être à la fois vigilants et prudents, puisque les matériaux ont fait l'objet de manipulations nombreuses. Les divers index qui suivent la concordance proprementditeont leur raison d'être surtout au point de vue statistique, pour ce texte d'environ 15.000 occurrences, mais aussi au point de vue de la morphologie et des rimes du texte. Tout compte fait, il me semble qu'un index alphabétique des occurrencesdutexte avec renvois à leurs bases et entrées respectives n'aurait pas été inutile.

Odense