Revue Romane, Bind 13 (1978) 2

L'ordre SV + SN en segment tétrasyllabique Etude sur une «formule séquentielle» en ancien français

par

Helge Nordahl

Dans son livre «The Singer of Tales», A. Lord a magistralement contribué à l'étude de la notion linguistique difficilement accessible qu'est «la formule». L'ayant définie, sur le plan général, comme «a group of words which is regularly employed under thè same metrical conditions to express a given essential idea» (p. 30), il avance (p. 202) le point de vue suivant que nous trouvons particulièrement intéressant : «It seems clear from the chart that the Chanson (de Roland) is formulaic beyond any question. The first part of thè line is obviously more hospitable to formulas than the second part. This is undoubtedly because of the assonance at thè end of each line. »

Nul doute que le point de vue exprimé par Lord ne soit en accord avec les réalités explicitées de ce grand texte. Son analyse d'une construction invertie particulière est convaincante, et nous nous en sommes inspiré pour étudier, à notre tour, la formule d'inversion communément appelée «l'inversion absolue», c'est-à-dire la formule séquentiellement caractérisée par l'ordre SV -f SN, et où la mise en vedette du syntagme verbal est absolue, c'est-àdire non-provoquée par un terme invertissant, adverbial, conjonctionnel ou autre. Pour ce faire, nous avons étudié sept chansons de geste écrites en vers décasyllabiques (Ami et Amile, La chanson d'Aspremont, Le charroi de Nîmes, Le couronnement de Louis, La chanson de Guillaume, Raoul de Cambrai et La chanson de Roland). La lecture de ces quelque 35.000 vers nous a permis de réunir un corpus de 680 exemples, que nous tâcherons d'analyser dans les pages que l'on va lire. Notre étude, bien entendu, porte uniquement sur ce que Lord a appelé «the first part of thè line» et que nous qualifierons de segment tétrasyllabique.

Quatre groupes de verbes semblent former le paradigme complet des
syntagmes verbaux susceptibles d'occuper la première place dans un segment

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Etant donné, d'une part, le nombre fort limité des syntagmes verbaux susceptibles de figurer en antéposition absolue, et, de l'autre, le volume syllabique fort réduit du segment tétrasyllabique, l'on serait intuitivement enclin à concevoir le répertoire des constructions inverties comme rigoureusement limité et nécessairement stéréotypé. Qu'une telle conception soit erronnée et sans fondement dans les réalités explicitées des textes, c'est ce que nous tâcherons de montrer dans les pages.

Les verbes déclaratifs

Dans le riche répertoire des verbes déclaratifs, c'est tout d'abord les lexèmes respondre et dire qui semblent susceptibles de figurer en antéposition absolue en segment tétrasyllabique. Ensemble, ils représentent, en effet, 425 des 432 exemples. Les 7 exemples qui restent se répartissent sur les verbes (V) escrier (2 ex.) et faire (5 ex.). Les autres verbes déclaratifs semblent se construire, obligatoirement, en progression.

1. respondre

Les deux SV respont (respunt) et respondent (respundent) sont apparemment
les seuls qui puissent être mis en vedette dans les formules d'inversion
absolue en segment tétrasyllabique.

Le SV respont est combinable avec un sujet animé de deux, éventuellement de trois syllabes, comportant soit un nom propre (N. prop.) comme Roland, un nom commun (N. com.) précédé d'un déterminant (article défini) comme // cuens, ou d'un syntagme nominal (N. com. + N. prop.), comme dux Naimes.

Le SV respondent est combinable avec un nom commun sans déterminant
au pluriel, comme Franc (Francs).

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1.1. Respont (Respunt) + N. prop,


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Exemples :

Respont Alelmes: «Vostre talent ferons. (Cour. 1796)
Respont Corsolz: «Morz est et confonduz; (Ibid. 628)
Respont Galindres: «Bels sire, entendes moi. (Aspr. 7889)
Respunt Girard: «Or avez vus veir dit. (Guill. 975)
Respunt Guiburc: «Dune te larrai aler.» (Ibid. 1540)
Respunt Marsilie: «Or diet, nus l'orrum!» (Roi. 424)
Respont Otrans: «Bien vos est, marcheanz.» (Charroi, 1144)
Respunt Rollant: «Jo fereie que fols!» (Roi. 1053)
Respunt Willame: «Sagement foi parler! (Guill. 1658)
Respont Y(bers): «De folie parlez: (Raoul, 2014)

1.2. Respont (Respunt) + Dét. + N. com.


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Respont li cuens: «C'est bêle començaille. (Cour. 419)
Respont li quens: «Deus le me doinst venger!» (Roi. 1548)
Respont li dus: «Bels sire, je l'otroi. (Aspr. 7199)
Respont li dux: «Sire, jo vos en crei. (Rol. 3458)
Respont li enfes: «Veir dites, par mon chief.» (Cour. 214)
Respont li rois: «A Deu beneïçon.» (Aspr. 9365)
Respont li rois: «Esperrant, que dis tu? (Ibid. 6191)

1.3. Respunt + N. corn, + N. prop.


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Respunt dux Neimes: «Jo irai, par vostre dun!» (Roi. 246)
Respont dux Neimes: «Baron i fait la peine!» (Ibid. 1790)

1.4. Respondent (Respundent) + N. com.


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Respondent Franc: «Sire, vos dites veir.» (Roi. 3414)
Respundent Francs: «Marie demandereiz. (Ibid. 3558)
Respundent Franc: «Ore en tendrum cunseill.» (Ibid. 3761)

L'on a vite fait de constater la stéréotypie rigoureuse des formules inverties introduites par une forme du verbe respondre en segment tétrasyllabique. Dans la totalité des cas relevés il s'agit d'une «construction incisielle antéposée» sans variantes expansionnelles. Un seul SV au singulier, respont, peut précéder son SN, comportant soit un N. prop. soit un N. com. précédé d'un seul déterminant, l'article défini, soit un syntagme N. com. + N. prop. Au pluriel, seule la forme respondent peut précéder un SN comportant un N. com. sans prédéterminant.

2. dire

Quatre formes du verbe dire: dit, dist, aient et diront peuvent être mises en vedette dans les formules d'inversion absolue en segment tétrasyllabique. Les formes dit et dist sont combinables avec un sujet animé de trois, éventuellement quatre syllabes, comportant soit un N. prop. comme Karlemagnes, soit un N. com. précédé d'un déterminant (article défini), comme la piicele, Vemperere, soit un syntagme nominal (N. com. -f- N. prop.) comme rois Achars. La forme dist permet aussi «une construction expansionnelle», une formule figée comportant un sujet nominalisé + un complément d'attribution (Dist Vun a Valtre) et une «construction adjonctionnelle» où un élément apostrophe, premier élément du segment suivant en discours direct, complète le fragment tétrasyllabique: (Dist Fagons: «Sire/...).

La forme dient est combinable avec un N. com. sans déterminant, comme
Franceis, ou avec N. com. précédé d'un déterminant (article défini, adjectif
possessif) comme // conte, si home.

2.1. Dist (Dit) + N. prop.


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Exemples :

Dist Acelins: «A Deu beneiçon! (Cour. 1832)
Dit Agoulanz: «Bien soies vos venant!» (Aspr. 6179)
Dist Blancandrins: «Merveilus hom est Charles, (Roi. 370)
Dist H(erchenbaus): «Pèlerin, or entens: (Raoul, 7284)
Dist Karlemagnes: «Mal est a otroier. (Aspr. 5828)
Dist Looys: «Ge l'otroi bonement. (Charroi, 591)
Dist Lubias: «Sire evesques gentiz, (Ami, 2119)
Dist Oliver: «Dehet ait li plus lenz!» (Roi. 1938)
Dist Ulïens: «Trop estes prinsautier. (Aspr. 8194)
Dist Vivien: «Malvéis conseil ad ci; (Guill. 202)

2.2. Dist + Dét. + N. com.


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Exemples :

Dist l'algalifes: «Mal nos avez baillit, (Roi. 453)
Dist l'arcevesques: «A Deu beneïçon. (Aspr. 1065)
Dist l'emperere: «A Deu beneïçon.» (Ibid. 1070)
Dist H messages: «Ja nus i combatuns.» (Guill. 47)
Dist li paiens: «Molt avez fet que ber. (Charroi, 1245)
Dist li portiers: «Deus en seit aorez! (Cour. 1571)
Dist la pucele: «Merci, biax sire rois. (Raoul, 6165)
Dist la roïne: «Vasai, a moi entent. (Aspr. 10871)
Dist li traîtres: «Or le faitez mander. » (Ami, 738)
Dit li vilains: «De ce ne sai ge mie, (Charroi, 916)

2.3. Dist + N. com. + N. prop.


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Dist rois Achars: «Ulïen, que dis tu? (Aspr. 8167)

2.4. Une formule expansionnelle figée: Dist l'uns a l'altre

Dist l'uns a l'altre: «Dex, quel segnor ci a. (Aspr. 7421) Dist l'uns a l'altre: «Bien fait a otreier.» (Cour. 2636) Dist li uns a l'altre: «Or est il vif malfez!» (Guill. 2290) Dist l'uns a l'autre: «Cis est molt bel armez; (Raoul, 591) Dist l'un a l'altre: «L'empereor ad tort.» (Roi. 1942)

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2.5. Une formule adjonctionnelle: SV + SN + Apostrophe:

2.5.1. Dist + N. prop.


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Dist B(ernier): «Bêle, por amor Dieu, merci. (Raoul, 5703)
Dist Fagons: «Sire, honor m'avés doñee; (Aspr. 4027)
Dist Gaut(ier): «Sire, certes ce fu pichiés. (Raoul, 8600)
Dist G(erars): «Sire, aine n'i vos mal penser.» (Ibid. 2160)
Dist G(éri): «Dame, a celer nel vos qier, (Ibid. 3784)
Dist Joifrois: «Sire, ceste raisons m'agrée.» (Ibid. 4191)
Dist Y(bers): «Sire, ne fait a otroier: (Ibid. 5399)

2.5.2. Dist. + Dét. + N. com.


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Dist l'abbés: «Dame, vos parlés en pardon. (Raoul, 7324)
Dist H cuens: «Damme, ne soiéz esperdue, » (Ami, 1983)

2.6. Dient + N. com.


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Dient Franceis: «Mar i alames, certes, (Guill. 3450)
Dïent François: «Or as que bris parlé (Charroi, 895)
Dïent paien: «Noble baron ad ci!» (Roi. 467)

2.7. Dient + Dét. -f N. com.


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Dient H conte: «Noz le savons assez. » (Ami, 329) Dïent si home : « Est nos sire dervés ? (Aspr. 5040) Dient si home: «Com voz plaira, si iert,» (Ami, 956) Dïent si home: «Girars se va dervant (Aspr. 5051)

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2.8. Diront + N. com.

Diront Normant en nom de reprovier: (Cour. 198)

Quatre SV du verbe dire peuvent donc précéder le SN en segment tétrasyllabique: deux SV au singulier, répartis sur les deux temps: présent et passé simple, dit et dist, et deux SV au pluriel, répartis sur les deux temps, présent et futur simple: dient et diront. En construction non-expansionnelle, le SN comporte un nom animé (N. prop. ou N. com.) seul ou précédé d'un déterminant, article déterminant, article défini ou adjectif possessif. Le verbe dire admet aussi certaines constructions expansionnelles et une construction adjonctionnelle.

3. Autres verbes déclaratifs

L'inversion absolue en segment tétrasyllabique, extrêmement fréquente après les deux verbes déclaratifs dire et respondre, est très rare après les autres verbes déclaratifs. Nous n'avons relevé, en effet, que 7 exemples de cette organisation séquentielle, dont 2 avec le verbe (s')escrier et 5 avec faire, pris comme verbe déclaratif.

3.1. Fait, (fist) + N. prop.


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Fist Agolans: «Vasal, gari m'avés. (Aspr. 9180) Fait Mandaquins: «Bien poés ce lascier. (Ibid. 8107) Fait Mandaquins: «Or tome a l'enpirier.» (Ibid. 8118) Fait Ulïens: «Dans rois, laies me dire. (Ibid. 7898)

3.2. Escrient + N. com.


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Escrient Franc: «Deus i ad fait vertuti (Rol. 3931)

3.3. Fait + N. prop. + Apostrophe

Fait Girars: «Sire, vos dites vérité. (Aspr. 4252)

3.4. S'escrie + SN + Expansion (relative)

S'escrie Eaumons, qui le cor ot iré: (Aspr. 3550)

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Les verbes de perception

Les deux verbes de perception oir et veoir se construisent obligatoirement avec un élément expansionnel (pronominal, objet direct). Par ce trait caractéristique, ils se distinguent des verbes déclaratifs et des verbes transitifs ou biactantiels.

L'expansion pronominale après le verbe veoir peut être impersonnelle ou personnelle. L'expansion pronominale après le verbe oir, dans la totalité de nos exemples (41 ex.) est impersonnelle. Etant donné l'exiguïté du corpus, nous nous contenterons de souligner ce petit détail comme une tendance intéressante plutôt que de le considérer comme une règle absolue.

1. veoir

Les trois SV voit le (voi, veit), vit le et veti Va sont les seuls qui puissent figurer en antéposition absolue en segment tétrasyllabique. Cette formule invertie est obligatoirement expansionnelle, comportant, une expansion pronominale, impersonnelle (le) ou personnelle (les) dans la totalité des exemples. Les formes antéposées de veoir sont combinables avec un sujet animé, comportant soit un N. prop. de deux (éventuellement trois syllabes comme Tedhalt, soit un N. com. précédé d'un déterminant (article défini ou adjectif possessif) comme H rois, sa mere, soit d'un syntagme nominal (N. com. + N. prop.) comme dus Nanties.

1.1. voit (voi, veit), vit + le (les) + N. prop.


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Voi l'Agolans; le sens cuide cangier. (Aspr. 10269)
Voit le B(ernier), s'a la coulor muée: (Raoul, 3276)
Voit le Bertrans, a pou n'est forsené. (Charroi, 1006)
Veit le Guiburc, comencé aplurer: (Guill. 2267)
Veit le Guillelmes, molt l'en prist grant pitié: (Cour. 2091)
Vit le Tedbald, sin out doel e vergoigne; (Guill. 345)
Voi l'Ulïens; a poi d'ire nefent. (Aspr. 9208)

1.2. Voit (veit) + le (les) + dét. + N. com.


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Voit les li cuens, a poi dire n'enraige. (Ami, 780) Voit le la damme, moult en est esjoïe. (Ibid. 1343) Voit le li enfes, n'a talent q'il en rie; (Raoul, 2361) Voit le sa mere, si le chose et menace, (Ami, 2235) Veit le li pere, de son enfant fu liez: (Cour. 147) Voit le li rois, encontre s'est levez, (Charroi, 58)

1.3. Voit + le + N. com. + N. prop.

Voit le dus Namles; Dameldeu apiela, (Aspr. 2064)

Exceptionnellement, un temps composé du verbe peut être mis en vedette :

Veii l'a Claires; si geta un sospir. (Aspr. 8727)

La construction progressive est aussi possible :

L'enfes le voit, a poi n'enraige vis: (Raoul, 2530)
Li rois les voit, si fu liés et joios; (Aspr. 8243)
Aumes le voit; n'a talent que il rie. (Ibid. 5911)

2. oïr

Les deux formes ot et oit sont les seules qui puissent être mises en vedette dans les formules de l'inversion absolue en segment tétrasyllabique. Cette formule invertie est obligatoirement expansionnelle, une expansion pronominale, un le impersonnel faisant partie intégrante de la formule. Le syntagme verbal antéposé ot (oit) le est combinable soit avec un N. prop. de deux (éventuellement trois) syllabes, comme Bernart, avec un N. com. précédé d'un déterminant (article défini) comme // cuens ou la dame, ou avec un syntagme nominal, N. com. + N. prop. comme dus Namles.

2.1. Ot (oit, od) + le + N. prop.


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Od le Balans, sel prist a esgarder: (Aspr. 392) Ot le Bernart, son père de Brebant, (Charroi, 612) Ot le Bertran, a pou n'est forsenez. (Ibid. 1015) Oït le G(éri), maintenant le desfie: (Raoul, 5468) Oit le Guéris, Dieu prist a mercier: (Ibid. 2169) Ot le Guillelmes, s'en a un ris gîte: (Charroi, 459) Oit le Raous, si a le front haucié: (Raoul, 1712)

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2.2. Ot (oit) + le - art. déf. + N. com.


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Ot le li cuens, le sen cuide desver, (Cour. 2665) Oit le la dame, souspirant respondí: (Raoul, 985) Ot le li enfes, ne mist avant le pié. (Cour. 87) Oit le li peres, molt en fu coreciés: (Raoul, 2222) Ot le li rois, s'en a un ris gité. (Charroi, 489)

2.3. Ot + le + N. com. + N. prop.

Ot le dus Namles, si se prist a irier, (Aspr. 1789)

La progression est aussi possible :

Li cuens l'oït, moult grans pitié l'en prent (Ami, 3013)
La damme l'oit, ses mains vers Deu en tant, (Ibid. 3148)
Gautiers l'oï qi molt fu aïrez: (Raoul, 5168)
Guillelmes l'ot, s'en a jeté un ris: (Cour. 1700)

Le synonyme entendre se construit en progression :
Li rois l'entent qui la cartre a oïe. (Aspr. 945)
Amis l'entent, s'en a gieté un ris, (Ami, 1955 et 1962)
G(éri) l'entent, le sens quide changier: (Raoul, 6133)

Les verbes de mouvement

1. s'en aler

Les deux formes vait s'en (va s'en, vet s'en) et vont s'en sont les seules qui puissent être mises en vedette dans les formules d'inversion absolue en segment tétrasyllabique. La forme vait s'en est combinable avec un sujet animé, comportant soit un N. prop. de deux (éventuellement trois) syllabes, comme Amis ou Guillelmes, soit un N. com. d'une syllabe précédé d'un déterminant (article défini) comme // reis, soit d'un syntagme nominal (N. com. + N. prop.) comme dus Namles ou quens Wédes.

La forme vont s'en est combinable, soit avec un N. com. de deux syllabes
sans déterminant, comme Franceis, paien, soit avec un N. com. d'une syllabe
précédé d'un déterminant (article défini) comme // os.

1.1. Vait s'en (va s'en, vet s'en) + N. prop.


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Exemples :

Va s'en Amis li gentiz et li bers, (Ami, 1862)
Vait s'ent Aumons, coreços et dolant. (Aspr. 5620)
Va s'en Gautier(s) droit a Cambrai la riche, (Raoul 5556)
Vet s'en Guillelmes, le marchis au vis fier, (Charroi, 676)
Va s'en Rouans, s'est issuz de Loon (Aspr. 1316)
Vait s'ent Turpins, il et sa conpagnie; (Ibid. 1214)
Vait s'en Willame, Guiburc remisi plorant. (Guill. 2454)

Exceptionnellement on trouve la séquence: s'en vait + NP.
S'en vait G(eri) et avuec lui Gautier. (Raoul, 8614)

1.2. vait s'en + art. déf. + N. com.


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Vait s'en li cuens, de neient ne se targe, (Cour. 253 et 268)
Vait s'en la gaite, qe plus n'i atendi, (Raoul, 1977)
Vait s'en li reis a Paris la cité, (Cour. 2655)

1.3. Vait s'ent (va s'en) + N. com. + N. prop.


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Vait s'ent dus Namles, qui tant ot de valor. (Aspr. 2750)
Va s'en quens W(édes); ç'avala les degrez; (Raoul 1996)

1.4. Vont s'eut + N. com.


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Vont s'ent François qui vaincu ont l'estor, (Aspr. 3379)
Vont s'ent paien, li cuvert solduiant, (Ibid. 8611)

1.5. Vont s'ent + art. déf. + N. com.

Vont s'ent Ii mes a esperón brocant (Aspr. 8224)
Vont s'ent les os, que de rien n'i atendent; (Ibid. 1239)

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2. Autres verbes de mouvement

Toute une série de verbes de mouvement sont également susceptibles de figurer en antéposition absolue en segment tétrasyllabique : aler, tresaler, cheoir, fuir, s'en fuir, enchalchier, lever, munter, passer, salter {en), venir, venir (i). Le syntagme verbal (SV) en antéposition peut être combinable soit avec sujet animé, soit avec un sujet inanimé.

2.1. Verbe de mouvement + sujet animé

2.1.1. SV + N. prop.

Fuit s'en E(rnaus), n'i ot qe esmaier, (Raoul 2935)

2.1.2. SV + N. com.

S'iront paiens la tiere calengier. (Aspr. 913)
Encalcent Franc e Temperare avoec. (Rol. 3626)
Fuient paiens, Reneward ne fine de oscire; (Guill. 3340)

2.1.3. SV + art. déf. + N. com.

Cheent li rei, a tere se turnerent, (Roi. 3574) Chiéent li mort e versent li sanglant. (Raoul, 5965) Monte li rois, s'amaint s'ost après soi. (Aspr. 3967) Muntet li reis e si hume trestuz (Roi. 3679)

2.1.4. SV + adv. + art. déf. + N. com.

Fui s'en li sire ques ot a justicier. (Cour. 2341)
Vint i li abbes, cui Deus gart d'anconbrier, (Raoul, 7399)

2.2. Verbes de mouvement + sujet inanimé

2.2.1. SV + N. com.

Ira yvers, si revenra estez: (Charroi, 75)

2.2.2. SV + art. déf. + N. com.

Lieve la noise, si frémirent li rent. (Aspr. 4448) Passet Ii jurz, la nuit est aserie. (Rol. 3991) Tresvait le jur, la noit est aserie. (Ibid. 717) Vendrai li jurz, si passerai li termes, (Ibid. 54)

2.2.3. SV + adv. + art. déf. + N. com.

Sait en H fous, que l'erbe en fait espendre. (Rol. 3917)

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Quatre des verbes cités, combinés avec un SNan, peuvent aussi adapter la
séquence progressive: cheoir, s'enfuir, monter, salter (sus).

Namles chaï, puis remonte en l'arçon; (Aspr. 1995)
Paien s'en fuient, cum Damnesdeus le volt. (Roi. 3625)
Li rois monta, et il li tint l'estrier, (Charroi, 360)
Aumes saut sus, si a trait Durendal (Aspr. 5871)

Autres verbes

Un certain nombre d'autres verbes sont susceptibles d'être mis en vedette
en segment tétrasyllabique : ardoir, béer, cruistre, falloir, ferir, feuillir,
froissier, harper, mangier, morir, plurer, quidier, rester, rumpre, sonner.

1. SV + N. prop.

Fiert Charlemagne un ruiste cop pesant (Aspr. 5889)
Mangat Willame le pain a tamis, (Guill. 1412)
Plorad Willame, Guiburc l'ad conforté: (Ibid. 1350)


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Exceptionnellement, on trouve une forme passive mise en vedette:

Pris fu Y(bers) et Gautiers autresi, (Raoul, 6102)

2. SV + N. com.

Cruissent osbercs e cez helmes d'acer; (Roi. 2540) Fueillissent gaut, reverdissent li pré, (Charroi, 15) Harpent Bretons et viellent jougler. (Raoul, 8228) Moerent paien e alquanz en i pasment. (Rol. 1348) Plurent Franceis pur pitet de Rollant. (Ibid. 3120)

3. SV + Dét. + SN

3.1. Dét.: art. déf.

Baie la guie, car il le quidad transglutre, (Guill. 3195)
Béent les goles; cascuns sanble malfés. (Aspr. 2983)
Cruist li acers, ne briset ne s'esgrunie. (Roi. 2313)
Plorent les gens les grans et les menues (Ami, 1533)
Quidet H reis que el se seit pasmee; (Rol. 3724)
Sunent li munt e respondent li vai: (Ibid. 2112)

3.2. Dét. : adjectif possessif

Plorent si home qui le vont regardant. (Aspr. 5142)

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3.3. Dét. : le démonstratif épique

Ardent ces sales et fonde(n)t cil planchier. (Raoul, 1468) Fruissent cez hanstes et cil espiez furbit. (Roi. 3482) Rumpent cez cengles e cez seles versèrent, (Ibid. 3573) Sonnent cil saint et cil clerc vont chantant (Ami, 3151)

Particulièrement fréquente est la formule : Sortent cil {cez) graisîe

Sonent cil graisle plus de mil et set cent. (Aspr. 4433)
Sonent cil graisle, cil cor et cil tabor. (Ibid. 5468)
Sunent cil greisle e derere e devant; (Roi. 3118)
Sunent cez greisles, les voiz en sunt mult cleres; (Ibid. 3309)
Sonnent cil graisle par ice grant escrois, (Raoul, 2474)

3.4. Dét. : tant

Sonent tant graisle, tant cor, tant buisine, (Aspr. 6930)

4. SV + Exp. + DN

4.1. Exp. = complément d'attribution, avec les verbes falloir; morir, rester

Fait li le coer, le helme Ii embrunchet, (Roi. 2019)
Fait mei le quor, par fei le vus plevis, (Guill. 1764)
Faillent mei les braz, ne me puis prof aider, (Ibid. 1753)
Moert mei le quor, fait mei mun vasselage, (Ibid. 1748)
Rest Ii la jambe desci a l'esperon. (Aspr. 5296)

4.2. Exp. = adverbe.

Art i Marsens qui fu mere B(ernier). (Raoul, 1492)

Helge Nordahl

Oslo

Résumé

I. Verbes déclaratifs

1. Respondre: Les deux SV: respont et respondent (avec leurs variantes graphiques)
précèdent un SN animé en construction obligatoirement non-expansionnelle.
2. Dire: Les quatre SV: dit, dist, dient et diront précèdent un SN animé en construction
non-expansionnelle, expansionnelle ou adjonctionnelle.
3. Faire, (s')escrier: Les SV: fait, fist, escrient, s'escrie précèdent exceptionnellement
un SN animé en construction non-expansionnelle ou adjonctionnelle.

II. Verbes de perception

1. Veoir: Les trois SV voit le, vit le et veti Va (avec leurs variantes graphiques) précèdent
un SN animé en construction obligatoirement expansionnelle (les ou le
personnel ou impersonnel).

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2. Dire: Les deux SV ot (od) et oit peuvent précéder un SN animé en construction
obligatoirement expansionnelle (à expansion impersonnelle).

III. Verbes de mouvement

1. s'en aler: Les deux SV vait s'en et vont s'en (avec leurs variantes graphiques)
peuvent précéder un SN animé. La séquence s'en vait est aussi possible.

2. Autres verbes de mouvement: Toute une série de SV représentant d'autres verbes de
mouvement que s'en aler peuvent précéder un SN animé, en construction nonexpansionnelle
ou expansionnelle (Vint / li abbés).

IV. Autres verbes

Une série d'autres SV qui sont malaisément définissables peuvent précéder un SN
animé ou inanimé, en construction non-expansionnelle ou expansionnelle (complément
d'attribution: fait // le coer, - (expansion adverbiale: Art i Marsens, ...).