Revue Romane, Bind 13 (1978) 1

Lars Palm: La construction li filz le rei et les constructions concurrentes avec a et de étudiées dans des œuvres littéraires de la seconde moitié du XIIe siècle et du premier quart du XIIIe siècle. Acta Universitatis Upsaliensis, Studia Romanica Upsaliensia no. 17, Uppsala, 1977. 133 p.

Lene Schøsler

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Depuis les études de Westholm, de Bajee et de Foulet, vieilles de quarante ans ou davantage, la construction li filz le rei n'a été l'objet d'aucun examen spécifique. Les manuels modernes de l'ancien français la présentent d'une manière qui laisse supposer qu'elle a été examinée à fond. Dans son introduction (pp. 7-15), LP confronte bon nombre d'études antérieures rieureset en relève les divergences, surtout en ce qui concerne, d'une part, la forme et la nature du complément (SN 2) et, de l'autre, la fonction de la relation établie: «génitif objectif» ou «subjectif». Ces divergences l'ont incité à reprendre la question. L'étude, strictement synchronique, se fonde sur les éditions de textes littéraires d'une période assez courte, ce qui permet à l'auteur de confronter ses résultats avec ceux de Foulet. Les manuscrits ne sont pas consultés, mais l'auteur a dans une certaine mesure utilisé les variantes.

LP considère la construction dans le cadre du fonctionnement général du système casuel de l'ancien français. En effet, il avance une théorie tout à fait originale du système casuel, théorie qui mérite qu'on s'y attarde. Selon lui (p. 22 ss.), les déterminants sont les seules marques casuelles: // (cist, mes, tes, ses) indique que le syntagme dont il fait partie assume la fonction de sujet, le {cest, mon, ton, son) que le syntagme assume celle de non-sujet («-r sujet»). La présence de Vs (murs : mur) est, par contre, une marquede nombre, qui ne peut s'interpréter qu'en relation avec le prédéterminant: li + s: singulier, li ~ s: pluriel. LP insiste avec raison sur le fait qu'une forme telle que hiaume, prise isolément, n'est pas univoque. Elle présuppose l'existence d'une autre marque formelle pour qu'on puisse l'interpréter comme une forme du casus obliquus (co), singulier, ou bien du casus rectus (cr), pluriel. Nous croyons cependant que LP a tort de penser que cette marque casuelle soit nécessairement un prédéterminant. Une telle conception s'applique à un état de langue dans lequel les prédéterminants sont à peu près indispensables,comme c'est le cas en français moderne, mais on sait que ce n'est pas le cas en ancien français. Considérons une phrase comme luisent hiaume. Là, c'est le verbe (intransitif et au pluriel) qui indique

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que le substantif suivant assume le rôle de sujet et qu'il faut, par conséquent, l'interprétercomme une forme du cr. pi. (Il y a d'ailleurs bien d'autres facteurs qui assurentl'interprétation des relations casuelles.)LP reconnaît la nécessité d'opérer avec des marques supplémentaires, mais il se limite au seul prédéterminant, qui, sans doute, est la seule marque dans le cadre du syntagme nominal, et dans cette étude, l'auteur ne dépasse pas le niveau du syntagme. Pour aboutir à une théorie générale du cas, ce qui semble être l'ambitionde LP, il faut prendre en considérationles diverses marques homonexes et hétéronexes.

Revenons à l'analyse du prédéterminant: // (cist etc.) a la fonction de signaler casus rectus, masculin; le (cest etc.) celle de signaler casus obliquus (-^ sujet), masculin, singulier. LP veut cerner de plus près le rôle de le dans les cas où le substantif déterminé indique un être unique (rei, empereur, pere ....). Dans de tels cas, le genre et le nombre du substantif sont «motivés» par le sens, et la seule information supplémentaire qu'apporte le prédéterminant est celle du cas. Le peut donc être considéré comme une forme purement «casuelle», comme l'est un nom propre tel que Artu (co) (p. 27). Artu est un mot à genre et à nombre motivés : c'est une forme -r sujet, s'opposant à Artus, forme + sujet. LP se propose de prouver que là où SN 2 est constitué par les syntagmes dont nous venons de parler (le rei, Artu . . .), la relation casuelle entre SN 1 et SN 2 est suffisamment claire pour qu'elle puisse se passer d'une préposition (afde).

Les matériaux (environ 8000 exemples de la construction SN 1 + o/a/de + SN 2) sont répartis en groupes, à l'aide des trois distinctions indiquées: forme -f- sujet, genre motivé, nombre motivé de SN 2. On constate, en effet, que là où deux ou les trois facteurs entrent en jeu, le pourcentage de la construction sans préposition (appelée construction 0) est élevé, tandis que là où il n'y en a qu'un ou aucun, la construction 0 est faiblement ou pas du tout représentée. LP n'examine pas les raisons de la distribution des deux constructions prépositionnelles afde, mais il nous promet une étude sur ce problème. Les tableaux synoptiques (pp. 113-117) nous renseignent sur la répartition de chacune des trois constructions, sur l'ordre des mots, sur la fréquence des constructions en prose et poésie (qui semble être assez égale), etc.

Les tableaux synoptiques nous apprennent en outre qu'il ne faut pas considérer les trois facteurs comme membres d'une hiérarchie (ils sont d'ailleurs de nature différente: un morphologique, deux sémantiques), car les cas où ils entrent tous en jeu (type: Uelme Karlon, (p. 42)) n'ont pas le pourcentage le plus élevé de 0.

1) En effet, les constructions dans lesquelles SN 2 consiste en mots comme p. ex. Cligés, nostre pere ou Marie (type: // chiés Cligés (p. 52)), tous indéclinables, c'est-à-dire sans le facteur -r- sujet, ont le pourcentage de 0 le plus élevé (de 85,7 à 100).

2) Le facteur «genre motivé » caractérise, selon LP, tous les SN 2 humains (type: H fil as franches mères (p. 102)), que la construction 0 existe dans 100 ou dans 0% des cas.

3) Par contre, le «nombre motivé» semble diviser les matériaux en deux groupes importants: dans les cas de -r- nombre motivé (type: le cheval le balliu (p. 69)), le pourcentage de 0 ne dépasse pas 23,2 (la moyenne est d'environ 6%); dans ceux de + nombre motivé (type: li filz le rei), le pourcentage de 0 le plus bas est 65,3.

Les chiffres démontrent clairement que
LP a trouvé des facteurs qui régissent le

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système de la construction en question. Si on les compare à ceux qu'a enregistrés Foulet {Petite Syntaxe § 30: «On met [le cas-régime absolu] de prédilection avec les noms propres» .. «avec les termes qui indiquent un lien de parenté ou d'alliance,enfin avec les mots qui désignent les grands de ce monde et de l'autre»), il faut préférer les premiers, car, à l'encontrede Foulet, LP a su trouver des dénominateurscommuns dans des cas apparemmentdifférents. LP a d'ailleurs parfois l'occasion de constater l'insuffisancedes règles de Foulet, notamment en ce qui concerne le «génitif objectif» (voir p. ex. pp. 67-68). Citons un autre exemple pour montrer la supériorité de la méthode de LP: A en juger d'après les règles de Foulet, on s'attendrait à ce que les mots pere et filz se construisent de la même façon. Or, les chiffres de LP nous montrent que pere a 80,8 % de 0, fil seulement 48,5% de 0 (p. 74). Cette différence s'explique, selon LP, par le fait que pere est un mot à nombre motivé, fil un mot sans nombre motivé.

Nous avons donc là affaire à un livre très intéressant, plein d'observations utiles. L'étude est effectuée avec une grande rigueur, l'analyse casuelle est logique dans le cadre de la construction; ce n'est qu'en tant qu'il expose une théorie générale des cas que nous avons émis quelques doutes sur sa valeur (voir supra). Les points problématiques que nous avons relevés sont rares et insignifiants, comme ceux-ci: 1) le facteur «nombre motivé» distingue les êtres uniques en leur espèce des autres. Nous avons vu qu'un des êtres uniques est pere (cf. p. 53); ainsi, on s'étonne de voir ce mot figurer à la page 69, dans le groupe de mots sans nombre motivé {Par l'âme au pere dont ge fui engendrez). 2) LP ne nous explique pas les raisons qui l'amènent à inclure dans le groupe de SN 2 indéclinable des syntagmes tels que {a la cort) Artus mon seignor (p. 52), lesquels renferment une contradiction casuelle (Artus: cr., seignor: co.)- Ce type de syntagmes, ainsi que le phénomène appelé «fautes contre la déclinaison», méritaient sans doute quelques

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