Revue Romane, Bind 13 (1978) 1

Stendhal et les problèmes de l'autobiographie. Textes recueillis par Victor Del Litto. Presses Universitaires de Grenoble, 1976.

Hans Boll Johansen

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L'œuvre de Stendhal présente une alternanceremarquable entre récits autobiographiqueset œuvres de fiction. De 1801 à 1815, l'auteur rédige un Journal qu'il interrompt au moment où sa puissance

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créatrice s'absorbe dans l'élaboration de monographies d'hommes ou de sites illustres:Vies de Haydn, de Mozart et de Métastase (1814), Histoire de la peinture en Italie (1817), Rome, Naples et Florence (i817). Puis la passion amoureuse le ramèneà l'écriture intimiste: De VAmour (1822) s'appuie sur des souvenirs personnelsprovenant de l'expérience d'un amour malheureux. Dans ses romans, Stendhal semble à nouveau s'écarter du moi, car la convention romanesque intercale un narrateur entre l'univers de la fiction et l'univers personnel de l'auteur; cependant,le roman est pour Stendhal, comme pour la plupart des romanciers, un détour qui facilite la confidence à cause de la distance qui sépare le je de l'auteur et le je du discours romanesque. «Le roman est plus vrai que la réalité», se plaisait à dire Stendhal. Pourtant, il ne renonce pas au récit autobiographique: Les Souvenirs d'Egotisme (1832) s'intercalent entre Le Rouge et le Noir (1830) et Lucien Leuwen (1834-1835), et la Vie de Henry Brulard (1835-1836) entre Lucien Leuwen et La Chartreuse de Parme (1839).

La Vie de Henry Brulard relate l'enfance et l'adolescence de l'auteur, de 1783 à 1800, période non consignée dans le Journal; les Souvenirs d'Egotisme évoquent une étape essentielle de la vie d'adulte de Stendhal (1821-1830).

Pourquoi Stendhal ressent-il le besoin d'écrire des récits autobiographiques puisqu'il peut s'épancher sans contrainte dans le genre romanesque? Que signifie l'alternance entre autobiographie et œuvre d'imagination ?

Un colloque animé par M. Victor Del Litto s'est proposé de remédier au manque d'intérêt de la critique littéraire pour cet aspect de l'œuvre stendhalienne. V. Del Litto a repris la formule du brainstorming pour susciter un débat où s'affrontent des interlocuteurs venus d'horizons très divers. Les discussions qui sont rapportées dans le recueil des Actes du colloque témoignent de la véhémence du débat, qui semble avoir pris, à certain moment, des allures de psycho-drame.

L'autobiographie est un genre quelque peu ingrat pour la critique littéraire: sa structure est capricieuse et l'auteur en général a été explicite. Les communications faites à ce colloque peuvent se ranger en deux catégories: celles qui suivent de près le texte de Stendhal pour l'interpréter et celles qui sont préoccupées de méthodologie, quitte à s'éloigner considérablement de l'autobiographie stendhalienne.

La communication de H.-F. Imbert, «Fonction beyliste de l'autobiographie stendhalienne », fait partie de la première catégorie; cet auteur pense qu'«il n'y a pas de rupture entre l'autobiographie et le reste de l'œuvre chez Stendhal» et il analyse l'autobiographie dans cette perspective. F. W. J. Hemmings, lui, définit l'œuvre autobiographique de Stendhal comme écrit révélateur et sincère de la personnalité de l'auteur et la juge moins prétentieuse que celle de ses prédécesseurs dans le genre de la confession: «Rousseau veut éclairer Dieu le Père, Stendhal espère intéresser son vieil ami Domenico di Fiore». M. Crouzet transcrit ex abrupto les impressions qu'il a recueillies d'une lecture serrée de la Vie de Henry Brulard; il réaffirmera dans le débat qu'il s'interdit «de poser des problèmes de méthodes préalablement à des études». Pour lui, «la théorie de la littérature n'existe pas par rapport à la littérature». Cette position est diamétralement opposée à celle qui caractérise les interventions que nous avons rangées dans la deuxième catégorie, notamment les communications de P. Barbéris, de G. Rannaud et de G. C. Jones.

P. Barbéris se livre à une démonstrationrigoreuse visant à établir le passage de l'événement politique au discours littéraire: «le nouveau héros de roman est né de l'impasse des idéologies et de

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l'impuissance des idéologies à dire le réel». P. Barbéris ne situe donc pas le je de Stendhal au niveau de l'autobiographie mais le replace dans l'optique sociologique et historique qu'il affectionne.

G. Rannaud fait un exercice intellectuel brillant, malgré quelques contradictions internes, pour définir l'autobiographie en tant que discours autonome, c'està-dire comme un «moi qui se parle», un moi «qui se cherche dans la matière des mots». Mais dans le système qu'il construit, l'autobiographie se distingue peu des autres réalisations linguistiques; il est bien évident que l'autobiographie comme le roman supposent une transposition: ils ne sont jamais la réalité dont ils parlent, ils en sont seulement le reflet. G. Rannaud pense que les Souvenirs d'Egotisme permettent à Stendhal de renouer avec l'œuvre d'imagination: «Ce qu'il retrouve à Milan c'est la possibilité d'écrire La Chartreuse de Parme, de sortir de l'écriture régressive pour rentrer dans l'écriture utopique, c'est-à-dire de reprendre en compte dans son écriture non pas lui-même, mais le monde, ce qui est complètement différent». Cependant le signifié de l'œuvre de fiction n'est pas le monde mais regroupe un choix d'éléments déterminés par la nécessité interne de l'œuvre de fiction.

Grahame C. Jones essaie de discerner la présence du moi de l'auteur dans les romans, il expose donc un aspect des modalités du point de vue. Jones constate que plusieurs niveaux de conscience s'interposent entre l'auteur et les personnages, même dans les récits narrés à la première personne; dans ceux racontés à la troisième personne, le narrateur se dédouble en narrateur explicite et narrateur implicite. En fait, ni l'un ni l'autre ne sont Stendhal. D'autre part, G. C. Jones se demande, au cours de son exposé, lequel des personnages incarne au plus haut degré gréStendhal: Julien, Fabrice, Lucien, ou, parmi les personnages de moindre importance, Sansfin ou Mosca? On pourrait lui objecter que Stendhal ne s'identifie pas à un seul de ses personnages, il a recours au roman pour «vivre en plusieurs exemplaires», comme l'affirme Paul Valéry. Les spéculations de G. C. Jones nous paraissent assez gratuites parce que non vérifiables; de plus, elles ne font guère avancer la réflexion sur l'autobiographie.

Il est caractéristique que les chercheurs soucieux de méthodologie aient tendance à s'écarter du sujet de ce colloque pour développer leur propre discours et à nous laisser dans l'expectative quant aux problèmes spécifiques de l'autobiographie dans l'œuvre de Stendhal.

Pour sérier les problèmes afférents à l'autobiographie, il faudrait commencer par distinguer nettement l'œuvre de fiction et l'autobiographie, comme le fait Ph. Lejeune dans une des communications inaugurales, malheureusement sans parvenir à imposer son point de vue aux autres participants du colloque.

Dans l'autobiographie, l'auteur s'exprime en son nom. Dans les romans, Stendhal se retire derrière la multiplicité des consciences, ce qui le rend insaisissable en tant que personne. Les rapports entre l'autobiographie et le roman sont indubitables, mais, pour les étudier, il faudrait distinguer nettement le moi et Y œuvre; ce sont deux réalités qui échangent leurs valeurs, qui se reflètent mais qui ne sont jamais identiques et qui procèdent par analogies pour aboutir à des totalités différentes. Ces idées ont déjà été développées par Ramón Fernandez dans son essai «L'autobiographie et le roman» {Messages, lère série, Gallimard, 1926, p. 78-109).

G. Durand clôt les vives discussions de
cette réunion par de sages paroles en affirmantque
l'objectif de l'enseignement

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de la littérature est «d'enseigner un plaisir de la lecture de plus en plus ample dans lequel se construit l'individuation du lecteur».Y a-t-il parfois incompatibilité entre cet objectif et les ambitions de la critique littéraire?

Copenhague