Revue Romane, Bind 13 (1978) 1

Frede Jensen: The Old Provençal Noun and Adjective Declension. Odense University Press, 1976. 177 p.

Michael Herslund

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Le livre de FJ présente une description très détaillée et très complète de la morphologie des noms et des adjectifs en ancien occitan. Le texte est divisé en sections non numérotées, mais en voici les chapitres principaux: The Noun Declension in Vulgar Latin (p. 12), The Noun Declension in Provençal (p. 22), Féminine Nouns (p. 22), Analogical Changes (p. 44), The Imparisyllabic Flexion (p. 53), The Adjective Declension (p. 93), Analogical Changes (p. 105), The Collapse of the Declension System (p. 123). Comme on le voit, la notion d'analogie joue un rôle considérable dans cette étude essentiellement diachronique, dont au moins quatre sections ont déjà été publiées indépendamment (ce dont ni la bibliographie ni la préface ne disent mot). Les voici: Collective Féminine Nouns in Provençal (p. 32 ss.) = «Les substantifs féminins collectifs en ancien provençal». Romania 96.268-275, 1975; il y a des différences légères: on peut noter que l'ancien français la fruite, qui est rare selon l'article cité, est devenu «extremely rare» dans l'ouvrage traité ici (p. 37). Cor - cordis (p. 45 ss.) = «Provençal cor and cors: A Flexional Dilemma». Romance Philology 28.27-31, 1974, avec une note introductrice. The Imparisyllabic Flexion (p. 53 ss.) = «Les imparisyllabiques masculins en ancien provençal ». Romania 96.459-480, 1975, avec des différences mineures. Défections from the Third Declension (p. 105 ss.) = «Dia-

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chronic Hypercharacterization of Gender
in the Oíd Provençal Adjective». Semasia
1.7-20, 1974, avec une note introductrice.

La procédure mise en œuvre consiste à décrire les faits occitans dans le cadre des catégories de la morphologie latine, ce qui ne semble pas toujours très approprié; parfois même, cette méthode donne des résultats assez paradoxaux, cf.: «because the outcome of say Lat. coronae > *coron would carry the unmistakable stamp of the mase, declension in -mí» (note 12, p. 138). Le livre fourmille de tels énoncés. Passe encore pour les féminins en -a, mais avec les masculins en -us, l'effet me semble légèrement comique; si l'on veut à tout prix garder les catégories latines, on pourra dire «la deuxième déclinaison» ou quelque chose de semblable. Il en est de même pour les imparisyllabiques: lat. dolor - dolorem est imparisyllabique, ce qui vaut aussi pour occitan bar - baro, mais pas pour trobaire - trobador. Ce qui est important dans la flexion latine, c'est le nombre de syllabes (d'où la dénomination), et ce sont celles-ci qui déterminent la place de l'accent. Dans la flexion occitane, par ailleurs, l'essentiel est le changement d'accentuation commandé par des facteurs morphologiques.

D'autre part, cette méthode a l'avantage d'être de mise depuis toujours, et d'être bien connue des lecteurs. Et voilà ce qui compte avant tout pour FJ: inventorier et classer les faits dans une description aussi complète que possible, sans se soucier beaucoup du cadre théorique. Dans cet esprit, on lui pardonne facilement le biais latin et on ne lui fera pas grief du fondement théorique assez simple (ou simpliste?) de sa description, car le livre contient des matériaux très riches sur une langue bien connue mais jusqu'ici assez mal décrite. C'est une mine d'or pour notre connaissance de l'ancien occitan, dont l'usage est facilité par de très bons index. On peut ajouter, dans ce contexte, que l'exécution artisanale du livre est de premier ordre.

II y a, bien entendu, des points où Ton aurait aimé trouver une discussion plus explicite des phénomènes en cause. Pour ce qui est de la flexion à accent mobile des noms féminins (p. ex. Éva - Evá(n), cf. anc. fr. Eve - Evairì), FJ semble identifier l'absence d'accent écrit (et partantnotre ignorance de l'accentuation des mots en question) à une incertitude de la part des sujets parlants, ce qui ne peut évidemment pas être correct. Ainsi p. 29: «a confusion between Éva and Eva, separated from one another in accentuationonly, proved inevitable. » Cette phrase est d'autant plus curieuse que FJ se donne beaucoup de peine pour démontrer l'existence d'une flexion môlher - molhér; et je crois qu'il a raison, mais ses argumentsne sont pas convaincants: «The stress may actually be ascertained in some cases through the study of poetic rhythm, as in: morta es ma molher e so ne fort iratz (Daurel, v. 1229), which clearly calis for môlher, and the same poem offers yet another example: on es ma molher que ieu puec tant amar (Daurel, v. 1974)» (p. 40). Deux fois molhér ici, serait-ce totalement exclu ? En ce qui concernel'exemple v. 1229, la syllabe mo manque dans le manuscrit, et le vers ainsi reconstitué compte onze syllabes; Paul Meyer écrit dans le vocabulaire de son édition (SATF, 1880) que «la leçon n'est pas très sûre», et il ajoute, à l'appui de l'hypothèse de FJ (qui cite d'après l'édition de A. S. Kimmel, Chapel Hill: University of North Carolina Press, 1971): «il faut supposer le mot accentué sur la première syllabe». Nous avons affaire au même problème avec puta - puta (cf. anc. fr. pute -putain; c'est la chute du -n final en occitan qui crée les difficultés).

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La forme putà est facile à identifier par la rime : putà : certâ (Denkmâler 68,2269-70). Mais pour être sûr de l'existence d'un nominatif pûta, FJ doit se contenter de quelques vagues allusions au mètre: «On the other hand, a nominative pûta, reflectingLatin puta, seems the logical readinginthis line, drawn from a poem by the Monk of Montaudon: (enoia.m) e vielha puta que trop dura (Hill-Bergin 101,31).» Il me semble que cet octosyllabe peut être scandé de deux manières différentes: avec putâ (w —w w —ww —w) ou avec pùta (-—' —w —www —w). Laquelle des deux scansions est la plus satisfaisante? Sans procéder à un examen très poussé des schèmes métriques de la poésie occitane,on ne peut tirer argument du rythme des vers qu'avec une extrême prudence. Bref, je crois que FJ a raison de supposer des nominatifs tels que Éva, môlher, pûta. Mais comme lui, je n'ai pas de preuves concluantes.

Dans d'autres chapitres aussi, l'analyse phonologique peut laisser à désirer: l'analyse de l'alternance m - v (p. 99-100) semble confondre latin et occitan d'une manière regrettable, ne soulignant pas avec assez de clarté que le point de départ, le latin, ne connaît que u. La discussion sur la vocalisation du -/ final ou devant consonne, p. 100, est aussi un peu maigre, mais comme les questions de la fragmentation dialectale ne sont qu'effleurées tout au long du livre, ceci ne pourra guère constituer d'objection sérieuse.

Quelques détails de syntaxe: il me semble très caractéristique de l'ancien occitan, à la différence de l'ancien français, que le «génitif» soit presque toujours construit avec la préposition de, rarement sans préposition, et presque jamais avec la préposition a, contrairement à ce qu'affirme FJ, p. 19. A côté du seul exemple cité par FJ (Appel 6,84 = Chanson d'Antioche; FJ laisse au lecteur la tâche de découvrir l'identité et la date de trop des exemples cités!), je ne connais que deux exemples, du Boeci l'un et l'autre (vv. 134 et 161).

Ce sont évidemment les catégories du genre et du nombre qui sont au centre d'un tel travail. L'occitan possède, comme l'ancien français, des noms féminins en -a (anc. fr. -e) qui désignent des êtres masculins tels garda, gaita et espia. FJ cite, p. 83: una espia n'es venguda, avec accord féminin, régulier en occitan. Voici un exemple français avec l'accord masculin: Enz el palais en est montez Vespie (Aymeri de Narbone 3476). En ce qui concerne le nombre, FJ écrit, p. 86, à propos de sane: «... for semantic reasons, this noun occurs only in the sing. » Or voici encore un exemple de l'ancien français avec le pluriel: Espee ... en mon piz soies reschaufee, de noz deus sans ensanglentee (Piramus 833).

En traitant de la forme «neutre» de l'adjectif, FJ affirme, p. 103: «Dreit seems to be used almost exclusively in the mase, in the impersonal construction.» Est-ce qu'il ne s'agit pas plutôt là du substantif dreit, employé d'une manière parallèle à razo, cf.: Non es razos que mais jois mi sofranha (Peire Vidal, éd. Anglade 23.30)? Pour terminer ces «émendations» syntaxiques, une dernière question: D'où vient, en occitan, l'infinitif ser (p. 130: ser levatz, ser fach, ser elegitz)! La forme courante est pourtant èsser. Est-ce que ser existe vraiment?

U y a, en fin de compte, une objection de portée générale contre ce livre: son système de référence. FJ choisit de préférenceses exemples dans les anthologies telles que Appel, Crescini, Bartsch, etc. Il est ainsi impossible au lecteur de savoir d'où provient l'exemple concret (s'il ne le connaît déjà) et il devient extrêmement difficile de suivre les étapes chronologiquesdans les exposés. Par contre, ce système de référence est construit de manière simple et agréable, avec des renvoiscourts

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voiscourtset précis; ce qui vaut pour la bibliographie des textes cités (où pourtant j'ai cherché en vain un «Riquer») et celle des ouvrages scientifiques.

Constatons, en guise de conclusion, que si le livre de FJ n'est pas ia grande description synchronique qu'on pourrait peut-être souhaiter, et tel n'est visiblement pas le but de FJ, il n'en reste pas moins que cette solide description historique de la morphologie occitane est une contribution de poids à notre connaissance de l'ancien occitan. S'il y a lieu de relever des sections de préférence à d'autres, je citerai avant tout comme dignes d'intérêt les pages 32 ss., «Collective Féminine Nouns in Old Provençal» et p. 76 ss. « Masculine Nouns of the a- Declension: A Conflict between Gender and Flexion».

Copenhague