Revue Romane, Bind 13 (1978) 1

Les auxiliaires négatifs: fonction et position

par

Carl Vikner

Dans cet article, je vais proposer un classement des auxiliaires négatifs du français modernel. Ce classement devrait permettre une description cohérente de la position de ces éléments en structure superficielle. Je n'ai pas l'intention d'entreprendre en détail l'élaboration d'une telle description, les travaux de Sandfeld (1928), de Blinkenberg (1928 et 1933), de Sten (1938) et surtout l'excellente étude de Gaatone (1971) fournissant déjà une masse considérable de renseignements sur ce problème. J'espère simplement que les principes théoriques proposés ici pourront servir à mieux comprendre les faits connus sur le comportement superficiel de ces éléments.

1. Les auxiliaires négatifs

En français moderne, la négation se manifeste le plus souvent par une
forme composée à deux termes : d'une part, la particule clitique ne, et, d'autre
part, un auxiliaire négatif constitué par un mot comme pas, plus, rien, etc.

L'ensemble des entités susceptibles de fonctionner comme auxiliaire négatif est le suivant: pas, aucunement, nullement, guère, plus, jamais, nulle part, personne, rien, aucun, nul et pas un. Point, goutte et mie sont des variantes archaïsantes de pas sans aucun intérêt pour les problèmes traités ici. L'incorporation de nulle part et de pas un comme éléments autonomes de cet ensemble sera discutée aux §§ 4.3 et 4.4.

Les entités de cet ensemble sont caractérisées par des propriétés syntaxiques communes: Io compatibilité avec la particule clitique ne, 2° incompatibilité avec pas auxiliaire négatif (avec pourtant des cas d'exceptions faciles à délimiter), 3° compatibilité avec la conjonction ni, 4° compatibilité avec l'article partitif réduit de, 5° compatibilité avec une réponse en si2.



1: Hanne Korzen, Marie-Alice Séférian et Ebbe Spang-Hanssen ont lu une version antérieure du manuscrit de cet article et m'ont apporté des critiques d'une grande utilité. Mireille Daugaard, Anne-Marie Kahn, Maryse Laffitte et Marie-Alice Séférian m'ont servi d'informateurs. Je tiens à les remercier tous cordialement.

2: Cf., pour les quatre premières propriétés, Gaatone 1971, 133-134.

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2. La théorie de l'encadrement

Les auxiliaires négatifs présentent donc une certaine homogénéité syntaxique.
De plus, ils occupent très souvent la même place dans la phrase :

pas ,'
plus
(1) Raymond ne comprend jamais
personne
rien

C'est sans doute à cause de cela que les manuels de grammaire, quand il
s'agit de décrire la position des auxiliaires négatifs, les traitent en bloc.
Mauger 1968 en fournit un exemple représentatif:

«Aux temps simples des modes autres que l'infinitif, le verbe (précédé ou non d'un pronom personnel atone) se place entre le ler et le 2e termes de la négation: Nous ne le savons pas - Nous ne savons rien - II ne veut plus ~ Je ne vois personne ~ Je ne sais rien - Ne sachant rien.» (§ 809)

Des formules plus ou moins similaires se retrouvent dans Sten 1938, 339, 349,
Hanse 1949,459-460, Wagner et Pinchón 1962, § 471, Grevisse 1964, § 890.a,
Pedersen, Spang-Hanssen, Vikner 1970, § 157.

Cette manière de voir pourrait s'appeler la théorie de l'encadrement : elle dit que la négation composée encadre le verbe, ne étant placé avant et l'autre composant après. Point de vue qui se reflète dans la terminologie, quand, sans aucune définition, on parle de «deuxième terme de la négation» (cf. le passage cité de Mauger 1968) ou de «seconde partie de la négation» (Blinkenberg 1933, 189).

Togeby se révèle aussi comme un adepte de cette conception en établissant le schéma suivant, qui est censé préciser les règles gouvernant le placement des auxiliaires négatifs (Togeby 1965, § 882) et qui a le mérite de faire ressortir les insuffisances de la théorie de l'encadrement avec une netteté particulière


DIVL2563

La place de nul dans ce schéma peut surprendre. Un autre schéma (§ 884)
précise qu'il s'agit d'un nul faisant fonction de complément d'objet. L'inconvénient,c'est

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vénient,c'estque nul est exclu dans cette fonction en français moderne: *//n'accusait nul, *Elle n'a rencontré nul. En fait, un système de ce genre est tout simplement incapable de rendre compte du comportement de nul autrement que par une série de règles d'exception.

De même, un tel système doit inévitablement traiter tous les cas d'antéposition
(Personne ne s'en est aperçu - Jamais il n avait eu si peur) comme des
cas particuliers qui font exception à la règle générale d'encadrement.

Cependant, le défaut le plus grave de la théorie de l'encadrement, c'est qu'elle repose sur l'hypothèse, implicite mais fondamentale, qu'il faut rendre compte du placement de tous les auxiliaires négatifs en déterminant leur position par rapport au verbe. Ainsi le schéma de Togeby ne porte en réalité que sur un seul problème : faut-il placer l'auxiliaire négatif avant ou après le verbe non-fini? Toute autre position est en effet «impensable» dans le cadre de son schéma.

Les exemples de (2) suffisent à montrer que la théorie de l'encadrement
pose le problème d'une manière fallacieuse:

(2) a. Simone n'avait révélé son secret à personne.
b. Sa conduite n'a été commandée par aucune préférence personnelle.

Il est incontestable que personne et aucune sont placés «après» le verbe, mais on voit mal en quoi une telle description pourrait être pertinente ici; il ne viendrait probablement à l'esprit de personne de décrire le comportement de son ou de par en disant qu'ils se placent après le verbe dans tel ou tel cas.

Tout se passe comme si, au moment où il faut parler de la place des auxiliaires négatifs, on oubliait qu'il s'agit d'éléments à fonctions différentes: on en parle un peu comme si tous ces auxiliaires étaient une espèce d'adverbes de négation.

3. Classement

Dans une phrase comme:

(3) Raymond ne comprend rien.

le mot rien remplit en quelque sorte deux fonctions, qu'il importe de distinguersoigneusement:
d'une part, c'est un auxiliaire négatif; de l'autre, c'est

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un complément d'objet. La fonction d'auxiliaire négatif est une fonction spécifique des constructions négatives qui se greffe, pour ainsi dire, sur les fonctions syntaxiques «normales» de complément adverbial, complément d'objet, etc.

Dans une théorie transformationnelle, la structure profonde des phrases négatives comporterait un élément NEG susceptible de se rattacher à divers constituants de la proposition. Dans la structure profonde de (3), par exemple, NEG serait rattaché au NP objet. En comparant mon analyse de la structure superficielle avec une dérivation transformationnelle de ce type, et en simplifiant beaucoup, on pourrait dire que la fonction d'auxiliaire négatif est un reflet superficiel de l'élément NEG de la structure profonde, alors que la fonction syntaxique «normale» dépend de la configuration de la structure profonde, en l'occurrence de la présence d'un NP à l'intérieur du VP et immédiatement à droite du V. (On sait que les transformations peuvent défigurer radicalement la structure profonde, de sorte que les fonctions syntaxiques en structure superficielle ne dépendent plus que de façon très indirecte de la structure profonde. Cependant, ce fait n'a aucune importance pour la distinction que j'ai voulu établir.)

Je propose de répartir l'ensemble des entités énumérées au § 1 dans les
classes suivantes:

Auxiliaires négatifs simples :

1. Adverbes de négation:/ww, aucunement, nullement, guère.

Auxiliaires négatifs composites:

2. Adverbes de temps négatifs : plus, jamais.

3. Adverbe de lieu négatif: nulle part.

4. Pronoms indéfinis négatifs: personne, rien, aucun, nul, pas un.

La distinction entre auxiliaires simples et auxiliaires composites sera justifiée ci-dessous au § 5. Les classes 1, 2 et 3 se justifient par le fait que les éléments d'une de ces classes peuvent remplir un certain type de fonction adverbiale; ce type de fonction varie d'une classe à l'autre et même à l'intérieur d'une même classe (ainsi les rôles joués pat plus et jamais dans la proposition ne sont pas identiques). Les éléments de la quatrième classe peuvent remplir différentes fonctions, telles que sujet, objet, déterminant, etc. tout comme les pronoms indéfinis positifs (quelqu'un, quelque chose, quelque, etc.).

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4. Fonction et position

Pour rendre compte de la position des auxiliaires négatifs, il faudra, comme
pour la position de n'importe quelle entité linguistique, tenir compte de leur
fonction syntaxique.

Ce point de vue s'exprime déjà dans Gaatone 1971, par exemple quand il
est question de la position de personne:

«La place de personne n'est pas limitée par des règles strictes. Il peut soit précéder le verbe, soit le suivre, selon sa fonction dans la phrase ou encore selon la construction de la phrase. Il ne peut en tout cas pas s'intercaler entre l'auxiliaire et le participe passé d'une forme composée, et suit toujours le verbe à l'infinitif3

On voit pourtant que, pour Gaatone, la place de personne se décrit nécessairement comme un avant ou un après le verbe. C'est que Gaatone, bien qu'ayant mesuré l'importance de la fonction syntaxique, reste encore prisonnier de l'idée d'encadrement. La norme convenable pour un élément négatif «comme il faut», c'est d'avoir une place fixe après le verbe. Si, par malheur, un élément donné ne se conforme pas à cette norme, il y a déviation, et Gaatone n'a d'autre ressource que de décréter qu'il n'y a pas de «règles strictes» pour l'élément en question. La description, si l'on peut dire, qu'il donne de la place de nulle part (p. 158) est caractéristique de ce point de vue: «La position de nulle part par rapport au verbe est libre»!

Dans ce qui suit, je ne parlerai que de la position des auxiliaires négatifs dans les phrases simples à verbe fini, mais il est évident que leur comportement dans les syntagmes verbaux non-finis, et notamment dans le syntagme infinitif, doit être traité selon les mêmes lignes.

4.1. Adverbes de négation

Ici, et seulement ici, on pourrait dire que la théorie de l'encadrement est valable. Les adverbes de négation sont les seuls éléments parmi les auxiliaires négatifs qui aient besoin de règles de placement en leur qualité d'auxiliaires négatifs, si j'ose dire.

Ainsi donc, les adverbes de négation se placent immédiatement après le
groupe verbal fini (c'est-à-dire la séquence formée par le verbe fini et les
clitiques qui s'y rattachent):



3: P. 161. On trouve des descriptions semblables pour rien, aucun, nul, pp. 165, 174, 181.

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pas
/^ ni . •. aucunement
(4) Elle n y avait „ pensé,
nullement *
guère

(5) Pourquoi n'y avait-elle pas pensé?

Les seuls éléments qui s'insèrent régulièrement entre le groupe verbal fini
et l'adverbe de négation sont certains adverbes de phrase (cf. Merdrup 1976,
29-37) et certains adverbes de temps (cf. Korzen og Vikner, en préparation) :

¡apparemment Ì
certainement i pas pensé,
malheureusement J
f généralement 1
b. Elle n'y pense j normalement J- pas.
i toujours j

Les adverbes de négation ne peuvent pas occuper d'autres places dans la
proposition. Il faut noter, en particulier, qu'à la différence de beaucoup
d'autres adverbes (de phrase), ils ne se placent pas en tête de la proposition :

Pas
,_s „, Aucunement
w „ „ elle n y avait pense.
Nullement
Guère

4.2. Adverbes de temps négatifs

plus et jamais sont tous deux des adverbes de temps, mais ils appartiennent à deux sous-classes différentes: plus est à ranger avec encore, jamais avec toujours. On ne peut pas rendre compte de leur placement par une même règle. La différence réside surtout dans le fait que jamais s'antépose assez librement, tandis que l'antéposition de plus est soumise à des restrictions spéciales.

La place de jamais est déterminée par sa fonction d'adverbial temporel du même type que toujours, toujours s'emploie dans deux acceptions différentes, l'une équivalant à l'anglais always et l'autre à l'anglais stili. Les deux acceptions possèdent chacune leurs propriétés syntaxiques particulières et correspondent chacune à un type particulier d'adverbial temporel. Je ne parle ici que du toujours-always. Comme ce toujours donc, jamais se place normalement entre le groupe verbal fini et le participe passé suivant:

(8) a. Joseph n'a jamais aimé sa femme,
b. Joseph a toujours aimé sa femme.

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(9) a. Joseph n'a jamais été considéré comme un grand artiste,
b. Joseph a toujours été considéré comme un grand artiste.

Et comme lui, il peut, avec une insistance particulière, se placer en tête de
la proposition:

(10) a. Jamais il ne cherchait à la comprendre,
b. Toujours il cherchait à la noircir.

En revanche, aucun d'eux ne peut apparaître après le participe membre
verbal principal :

(11) a. *Joseph n'a aimé jamais sa femme,
b. ""Joseph a aimé toujours sa femme.

(12) a. ""Joseph n'a aimé sa femme jamais,
b. *Joseph a aimé sa femme toujours.

Il peut paraître étrange de vouloir séparer plus de pas pour le traiter comme un adverbe de temps, car, dans la grande majorité des cas, la place de plus semble être la même que celle de pas. Mais il est possible de montrer que, sur un certain nombre de points, plus se distingue de pas pour se rapprocher des adverbes de temps du type de encore.

Tout d'abord d'un point de vue sémantique, plus est le correspondant négatif de encore, ce qu'on peut facilement mettre en évidence par une analyse présuppositionnelle (cf. Ducrot 1972, 57 et Muller 1975). Les phrases (13) ont la présupposition commune (14):

(13) a. Ma belle-mère pratique encore les poids et haltères,
b. Ma belle-mère ne pratique plus les poids et haltères.

(14) Ma belle-mère a pratiqué les poids et haltères autrefois.

tandis que le contenu posé de (13.a) est (15.a) et celui de (13.b) la négation
de (15.a), c'est-à-dire (15.b):

(15) a. Ma belle-mère pratique les poids et haltères actuellement.
b. Ma belle-mère ne pratique pas les poids et haltères actuellement.

En ce qui concerne l'ordre des mots, bien qu'on puisse dire que plus occupe
les mêmes positions que celles qui ont été relevées pour pas (cf. (4)-(7)):

(16) a. Elle n'y avait plus pensé.
b. Elle n'y avait apparemment plus pensé.
c. Elle n'y pense généralement plus.
d.*Plus elle n'y avait pensé.

il est important de noter que l'adverbe de temps encore occupe également
ces positions :

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(17) a. Elle y avait encore pensé.
b. Elle y avait apparemment encore pensé.
c. Elle y pense généralement encore.
d. *Encore elle y avait pensé.

De plus, quelques informateurs trouvent (16.b et c) et (17.b et c) moins
naturels que les phrases correspondantes avec pas.

Quand je prétends que plus n'est pas un adverbe de négation mais un adverbe de temps négatif, cela implique que ce ne sont pas les règles formulées au § 4.1 qui doivent rendre compte de la place de plus dans les exemples (16), mais que des règles relevant du chapitre des adverbiaux temporels doivent expliquer (16) et (17) en même temps. Ceci vaudrait aussi, bien sûr, pour des règles explicites élaborées dans le cadre d'une grammaire transformationnelle.

pas peut être précédé de toujours (cf. (6.b); il s'agit là évidemment du
toujours-still), ce qui est exclu avec plus comme avec encore :

(18) a. *Elle n'y pense toujours plus,
b. *Elle y pense toujours encore.

Nous avons probablement affaire à une querelle de famille entre adverbes
de temps, qui ne regarde pas l'adverbe de négation qu'est pas.

plus se trouve quelquefois placé en tête de la proposition, mais seulement lorsqu'il est accolé à. jamais, personne, rien ou aucun (cf. Blinkenberg 1933, 204-205; Gaatone 1971, 148-149), c'est-à-dire à un mot qui est lui-même susceptible d'être antéposé :

(19) a. Plus jamais il ne lui a reparlé de ce projet.
b. Plus personne ne pouvait lui arracher une parole.
c. Plus rien n'a interrompu leur voyage.

Par contre, la combinaison plus guère ne se trouve jamais en tête de la proposition,
ce qui s'explique par le fait que guère ne peut pas être antéposé :

(20) a. Elle n'y avait plus guère pensé,
b. *Plus guère elle n'y avait pensé.

Donc, ce n'est pas plus qui détermine la position dans ces constructions, mais
le mot qu'il accompagne.

On retrouve à peu près la même situation dans le cas de encore. Tout seul, encore en fonction temporelle ne peut pas se placer en tête de la proposition (cf. 17.d), mais en combinaison avec des expressions comme une fois, aujourd'hui, maintenant, en 1920, etc., cela peut se faire:

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(21) a. Encore une fois, elle a essayé de l'empoisonner.
b. Encore aujourd'hui, son visage porte des traces de cet accident.

Enfin, quand on en vient à considérer le problème des compatibilités des auxiliaires négatifs (cf. § 5) ainsi que le comportement syntaxique et sémantique des adverbes de temps en général, il devient évident que plus fait partie de ces derniers et n'a que bien peu de chose en commun avec pas.

4.3. Adverbe de lieu négatif

nulle part est un adverbe de lieu de la même sous-classe que partout, quelque
part, ici, là, etc. Ces adverbes de lieu se placent normalement après un
participe passé membre verbal principal:

(22) a. On ne l'a vue nulle part.
b. On l'a vue partout.

(23) a. Elle n'a été vue nulle part,
b. Elle a été vue partout.

L'insertion avant le participe est normalement interdite:

(24) a. *On ne l'a nulle part vue.
b. *On l'a partout vue.

(25) a. *Elle n'a nulle part été vue.
b. *Elle a partout été vue.

(26) a. *Elle n'a été nulle part vue.
b. *Elle a été partout vue.

Dans certains cas, pourtant, il est possible d'insérer ces adverbes avant le
participe, par exemple quand la phrase contient des compléments postverbaux
suffisamment lourds, comme dans les phrases (27) :

(27) a. Les curés de village ne sont nulle part recrutés dans les rangs de la
noblesse de naissance.
b. Le haut-clergé est partout recruté dans les rangs de la noblesse de naissance.

Si la construction comporte deux participes passés, les jugements des informateurs ne sont pas concordants. Les uns acceptent aussi bien (28), où les adverbes sont placés entre le groupe verbal fini et le premier participe, que (29), où les adverbes se trouvent insérés entre le premier et le deuxième participe. Les autres expriment des réserves en ce qui concerne les phrases de (28) et trouvent meilleures les constructions de (29):

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(28) a. Ce phénomène n'a nulle part été examiné sérieusement par des spécialistes

b. Ce phénomène a partout été étudié avec le plus grand soin par des spécialistes
de l'embryologie chimique.

(29) a. Ce phénomène n'a été nulle part examiné sérieusement par des spécialistes

b. Ce phénomène a été partout étudié avec le plus grand soin par des spécialistes
de l'embryologie chimique.

nulle part, comme partout, se place souvent en tête de la proposition, et
c'est là une solution qui paraîtrait naturelle pour toutes les phrases (27)-(29).

nulle part peut se combiner avec jamais. Dans ces constructions aussi, le comportement des deux auxiliaires négatifs devient moins idiosyncratique et plus compréhensible quand on le compare avec celui des entités positives remplissant les mêmes fonctions:

(30) a. Il ne se plaît jamais nulle part,
b. Il se plaît toujours partout.

(31) a. *I1 ne se plaît nulle part jamais,
b. *I1 se plaît partout toujours.

On pourrait se demander s'il est justifié de considérer nulle part comme un élément autonome de l'ensemble des auxiliaires négatifs ou s'il ne vaudrait pas mieux le décomposer en nulle -f part et en rendre compte à l'aide des règles que, de toute façon, il faudra donner sur le comportement de nul. A cela, on peut opposer trois objections. - Premièrement, nulle part reste neutre vis-à-vis des différences de niveau stylistique: il apparaît aussi bien dans le français parlé familier que dans la langue littéraire, alors que les autres emplois de nul appartiennent exclusivement au français écrit littéraire. - Deuxièmement, dans tous ses autres emplois en fonction de déterminant,nul peut être considéré comme une variante de aucun (nul homme / aucun homme, de nulle valeur / d'aucune valeur, sans nul doute / sans aucun doute, nul autre / aucun autre, etc.). Ceci est impossible pour nulle part, puisque aucune part est exclu en fonction d'adverbial locatif: *On ne Va vue aucune part. - Troisièmement, pour qu'une décomposition de nulle part en déterminant + tête ait un sens, il faudrait que part puisse se combiner librementavec d'autres mots en fonction de déterminant, comme dans le syntagme nul homme on peut substituer à nul les mots un, cet, mon, tout, chaque, etc. Cela n'est pas possible dans le cas de nulle part. Le mot part dans cette expressionn'est plus un substantif à part entière et avec un sens indépendant: il est simplement la deuxième partie d'un syntagme figé, lexicalisé, pour ainsi dire. Il existe trois syntagmes de ce type : nulle part, quelque part et

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autre part, qui tous trois se sont spécialisés dans la fonction d'adverbial
locatif.

4.4. Pronoms indéfinis négatifs

personne, rien, aucun, nul et pas un sont des pronoms indéfinis qui peuvent remplir diverses fonctions syntaxiques. Il est utile de les rapprocher des pronoms indéfinis positifs avec lesquels ils partagent un certain nombre de propriétés syntaxiques, notamment en ce qui concerne leur position. Ainsi on peut dire que personne correspond à quelqu'un et rien à tout, tandis que aucun, nul et pas un correspondent à un.

Les règles qui gouvernent le placement des pronoms indéfinis négatifs sont tout à fait générales, c'est-à-dire qu'on n'a pas besoin de règles spécifiques des auxiliaires négatifs pour expliquer leur position. En fonction de sujet, ils se placent avant le groupe verbal fini, selon l'habitude des sujets:

(32) a. Personne n'a protesté.
b. Rien ne s'est passé.
c. Aucun ne la contredit.
d. Nul n'est prophète en son pays.
e. Pas un ne s'en est aperçu.

En fonction d'objet et de sujet réel, ils se placent après le verbe et après un
participe passé éventuel (cf. // a tué quelqu'un, etc.) :

(33) a. Je n'ai tué personne. b. Il n'a été tué par personne. c. On n'en a retrouvé aucun. d. Il n'en a été retrouvé aucun.

En fonction de régime d'un syntagme prépositionnel, ils se placent évidemment après la préposition. La position du syntagme prépositionnel est une autre histoire, elle dépend de la fonction du syntagme prépositionnel et n'a rien à voir avec le fait que c'est un auxiliaire négatif qui sert de régime à ce syntagme:

(34) a. Elle ne ressemble à personne,
b. Cela ne ressemble à rien.

(35) a. Ce n'est la faute de personne,
b. Il n'a été capable de rien.

(36) a. Je n'exige la reconnaissance de personne,
b. On n'a accusé Odile de rien.

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Les phrases (37) montrent bien l'absurdité qu'il y aurait à vouloir déterminer la place de rien par rapport au verbe, rien y fait partie du syntagme/wwr rien au monde et occupe une place fixe à l'intérieur de ce syntagme. Par conséquent, il est bien obligé de «suivre» le syntagme prépositionnel dans ses pérégrinations à travers la phrase:

(37) a. Pour rien au monde, elle n'aurait révélé son secret à ses parents. b. Elle n'aurait pour rien au monde révélé son secret à ses parents. c. Elle n'aurait révélé pour rien au monde son secret à ses parents. d. Elle n'aurait révélé son secret à ses parents pour rien au monde.

pour rien au monde fonctionne comme un complément adverbial d'un certain
type, et la grammaire doit assurément rendre compte des possibilités de
position de ce complément, mais cela ne relève pas de la syntaxe de rien.

Enfin, quand les pronoms indéfinis négatifs font fonction de déterminant,
ils se placent en tête du syntagme substantif. La position de ce dernier dépend
de sa fonction et ne relève pas du chapitre des auxiliaires négatifs :

(38) a. Aucune femme ne l'intéresse.
b. Elle ne se flatte d'aucun talent.
c. La lecture d'aucun livre ne lui enlèvera cette idée de l'esprit.
d. A aucun moment de sa vie, il n'avait réussi à surmonter sa timidité avec
les femmes.
e. Elle ne s'était à aucun moment adressée au service des renseignements.

(39) a. Nul geste ne trahit son émotion.
b. Elle n'en avait nul besoin.
c. Sa création romanesque n'était égale à nulle autre.

(40) a. Pas une feuille ne remue.
b. Pas un instant, elle n'y a pensé.

Il faut pourtant donner une règle particulière pour la position de rien en fonction d'objet et de sujet réel. Simplifiée à l'extrême, cette règle dit que dans ces deux fonctions rien s'intercale entre le groupe verbal fini et le (premier) participe passé:

(41) a. Raymond n'a rien compris,
b. *Raymond n'a compris rien.

(42) a. Il ne s'est rien passé,
b. *I1 ne s'est passé rien.

(43) a. Il n'a rien été décidé.
b. *I1 n'a été rien décidé.
c. *I1 n'a été décidé rien.

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Mais il faut noter que ce n'est pas un phénomène qui concerne le seul rien,
car tout objet se comporte d'une manière semblable:

(44) Raymond a tout compris.

Pour d'autres raisons, tout est incapable de faire fonction de sujet réel, si bien qu'il n'existe pas d'exemples avec tout parallèles à (42) et (43). Pour Kayne aussi, la place de rien doit être traitée conjointement avec celle de tout (cf. Kayne 1975, 13-14, 23, 38-41) et n'est donc pas un problème qui relèverait de quelque classe de «mots négatifs» ou «négations». Un cas particulier de divergence entre rien et tout sera discuté au § 6.4.

En ce qui regarde pas un, on pourrait poser une question analogue à celle qui a été discutée au sujet de nulle part au § 4.3 : Ne s'agit-il pas bel et bien d'un pas suivi d'un un°l Est-il vraiment nécessaire de considérer pas un comme une entité particulière? Gaatone (1971, 178) fait valoir l'argument suivant en faveur de l'unité dopas un: «La cohésion du groupe pas un ressort aussi du fait qu'en dépit de la présence de pas à l'intérieur du groupe, celui-ci est compatible avec les autres termes négatifs excluant pas. » Et il renvoie à un exemple comme «pas une trace ne reste nulle part» (p. 134). Autrement dit: pas un est compatible avec nulle part, ce qui n'est jamais le cas pour un pas ordinaire; par conséquent il ne s'agit pas ici d'un pas ordinaire, mais d'un élément nouveau, autonome et indécomposable, pas un. - Un argument semblable peut être tiré du fait que le pas ordinaire ne se place pas en tête de la proposition. - Enfin, le un de pas un ne se laisse pas remplacer par les éléments qui dans d'autres circonstances peuvent équivaloir à un. Ainsi, on n'a ni pas deux, ni pas tous, ni pas ce, etc. en tête de phrase (c'est-à-dire qu'il n'y a pas de phrases telles que (45)-(47) correspondant à (32.e) ou (40.a)), ce qui plaide également en faveur de l'hypothèse quepas un est un élément indécomposable

(45) a. *Pas deux ne s'en sont aperçus.
b. *Pas deux philosophes ne sont d'accord sur ce problème.

(46) a. *Pas tous ne s'en sont aperçus.
b. *Pas tous ses élèves ne sont mécontents de lui.

(cette 1
la J- feuille ne remue,
de j

A mon avis, il ne faut regarder/?^ un comme une entité indécomposable que
dans les emplois où il est antéposé au verbe (cf. (32.e), (40.a), (40.b)). Gaatoneconsidère
aussi pas un comme une unité dans des exemples comme:

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«Elle ne vint pas me rejoindre une seule fois» (Gaatone 1971, 179). Une telle analyse ne me semble pas justifiée. D'abord, les cas de ce type s'expliquent parfaitement par les règles qu'il faut établir pour le pas ordinaire. Ensuite, du moment que pas un se trouve postposé au verbe, il ne semble plus compatibleavec d'autres auxiliaires négatifs, ce qui pourrait indiquer qu'il s'agit d'un pas ordinaire (cf. § 5) :

(48) a. ?I1 n'en reste pas une trace nulle part.
b. *Je n'exigerai pas un instant la reconnaissance de personne.

5. Combinaisons

On sait que la présence d'un auxiliaire négatif simple {pas, aucunement,
nullement, guère) auprès d'un verbe exclut tout autre auxiliaire négatif,
simple ou composite, auprès du même verbe :

/^x *T-n . f Pas guère]
(49) a. *Ellenya < , > pensé.
[ guère pas J
b. *Elle ne se flatte pas d'aucun talent.
c. *I1 n'avait aucunement rien révélé.
d. *On n'a aucunement découvert de complot nulle part.
*cit > * f nullement plus 1
e. *Elle ne s est i , „ }. défendue.
I plus nullement J
f. *Elle n'avait nullement parlé à personne.
g. *Ma belle-mère ne pratique <. . , > les poids et haltères.
[ jamais guère J

Certaines exceptions à cette règle seront considérées au § 6.

Les auxiliaires négatifs composites, par contre, sont compatibles les uns
avec les autres:

(50) a. Personne n'a rien entendu.
b. Elle n'a plus jamais rien dit à personne.
c. Ces phrases factices ne viendraient jamais à l'idée de personne.
d. Il ne perdait plus aucune occasion de la contredire.
e. Personne ne les avait rencontrés nulle part.

Ces deux phénomènes peuvent être expliqués si on suppose que le rôle des auxiliaires négatifs simples est déporter la négation, de manifester en surface la présence du constituant NEG de la structure profonde et rien d'autre. Ce rôle exclusif semble assez clair avec pas, mais avec aucunement et nullement il faudrait peut-être supposer en plus la présence d'un marqueur d'emphase, ce qui ne devrait pas avoir d'influence sur leur phobie des autres auxiliaires

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négatifs, guère est sans doute plus compliqué: il sera discuté au § 6. - Ainsi, dans // ne comprend pas, le pas est un adverbial créé spécialement pour réaliser NEG en surface, et cela seulement lorsqu'il n'y a pas d'autre élément de la structure superficielle capable de le faire. Si la proposition comporte un auxiliaire négatif composite, comme dans Personne ne comprend, alors le composite «contient» déjà un NEG, en même temps qu'il remplit une fonctionsyntaxique (sujet, objet, adverbial temporel, etc.). Dans ce cas, il est clair que le pas est superflu, et on n'a pas * Personne ne comprend pas. C'est ce qui explique pourquoi les auxiliaires négatifs simples ne se combinent pas entre eux, ni avec les auxiliaires négatifs composites.

Quant aux combinaisons de composites illustrées par (50), il n'y a rien d'extraordinaire à ce qu'on puisse avoir en même temps un sujet et un objet auprès du même verbe (cf. 50.a); ce qui est extraordinaire, c'est que tant le sujet que l'objet se manifestent sous forme de pronoms indéfinis négatifs. Pour expliquer ce fait, il faudrait sans doute postuler des règles transformationnelles analogues aux règles dites NEG Attraction, ANY-NO Suppletion et SOME-ANY Suppletion qui ont été formulées pour rendre compte de quelques faits en anglais qui ressemblent d'assez loin à ceux étudiés ici (cf. Stockwell, Schachter, Partee 1973, 232-247, 273-284). En substance, les phrases du type de (50) seraient dérivées de la manière suivante : En structure profonde, les composites comportent tous un trait [4- Indét] qu'ils ont en commun avec leurs correspondants positifs encore, toujours, un jour, partout, quelque part, quelqu'un, tout, quelque chose, etc. Il n'y a qu'un seul NEG par proposition (au maximum) en structure profonde. Attraction de NEG attache NEG au constituant le plus à gauche qui ait le trait [+ Indét], ce qui fait que ce constituant se manifeste en surface comme un auxiliaire négatif. Plus tard, une ou des règles facultatives remplaceront les constituants marqués [-f- Indét] et placés à droite d'un NEG par un pronom indéfini négatif ou par un pronom indéfini positif quelqu'un, quelque chose, ... ou par une expression du type qui que ce soit, quoi que ce soit, ...

Ceci n'est évidemment qu'une ébauche sommaire. Mais elle suffit à laisser entrevoir qu'une telle dérivation rendrait compte du fait que, dans une proposition contenant plusieurs pronoms indéfinis négatifs, c'est toujours le premier qui est l'auxiliaire négatif proprement dit, tandis que celui ou ceux qui suivent ne sont que des variantes de pronoms indéfinis positifs, cf. (51) et (52):

(51) a. Personne n'a rien obtenu.
b. Personne n'a obtenu quoi que ce soit.
c. *Qui que ce soit n'a rien obtenu.

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(52) a. Rien n'a été obtenu par personne.
b. Rien n'a été obtenu par qui que ce soit.
c. *Quoi que ce soit n'a été obtenu par personne.

(51) et (52) montrent aussi que Attraction de NEG doit être appliquée après
Passif.

Il faut pourtant ajouter que l'opération d'Attraction de NEG n'est pas sans présenter quelques problèmes épineux. Si Attraction de NEG était une règle obligatoire, il serait impossible d'engendrer des phrases contenant pas + encore, pas -f- toujours, pas + partout, etc. Cependant, de telles phrases sont parfaitement grammaticales. Ce qui est en jeu ici semble être l'interaction de NEG et le quantificateur universel V (ou un autre symbole de la structure profonde qui correspondrait grosso modo au quantificateur universel des mathématiciens)4. Le sens de On ne Va vu nulle part pourrait être explicité grossièrement comme suit (Loc étant une variable qui peut prendre un adverbe de lieu comme valeur) :

V Loc: NEG (on l'a vu Loc)

et celui de On ne Va pas vu partout par la formule suivante

NEG (V Loc: on l'a vu Loc).

Cet exemple semble indiquer que Attraction de NEG opère seulement si NEG se trouve dans le champ du quantificateur universel, mais non pas dans le cas contraire. On pourrait peut-être résoudre ce problème en formulant Attraction de NEG de telle sorte que cette transformation ne soit pas capable d'introduire NEG dans une proposition placée dans le champ du quantificateur universel. Je laisserai cette question ouverte, car son approfondissement déborderait du cadre de cet article.

6. Problèmes résiduels

J'indiquerai ici brièvement quelques problèmes qui n'ont pas été résolus par le système proposé aux §§ 3-5. Il convient pourtant de souligner que ni Blinkenberg, ni Sten, ni Gaatone n'apportent non plus de solution à ces problèmes. Le plus souvent, ils n'ont même pas vu que ces faits pouvaient constituer des problèmes.



4: On peut avancer des arguments en faveur de l'hypothèse que encore contient le quantificateur universel dans sa structure profonde, cf. Korzen og Vikner (en préparation).

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6.1. pas

Gaatone présente des exemples tels que:

(53) a. Mais pas la moindre étincelle n'avait jailli.
b. S'il accomplit cette promesse, pas le plus petit indice n'en apparaîtra
dans sa formule économique (Gaatone 1971, 49).

Il est évident que le superlatif de petit est nécessaire pour permettre cette antéposition : si on supprime moindre et plus petit (ou simplement plus), les phrases deviennent impossibles; et il en va de même si on substitue plus grande à moindre ou nouvel à petit. Il s'agit donc probablement d'une expression pas le plus petit (pas le moindre) équivalant à aucun et à pas un et qu'il faudrait peut-être ranger parmi les auxiliaires négatifs composites à côté de pas un. - On peut aussi avoir un pas antéposé au verbe dans les expressions pas plus que et pas davantage:

(54) a. Pas plus que le somnambule suggestible, le rêveur ne s'étonne, ne doute
de ce qu'il pense. (Janet, cit. Blinkenberg 1933, 205-206).
b. Renaud n'a pas noté ma chute. Pas davantage ne se soucie-t-il de mon
jardin. (Rochefort, cit. Gaatone 1971, 50).

Enfin, il est possible d'avoir un pas antéposé dans l'expression pas même :

(55) a. Pas même ta mère ne t'aurait cru.
b. Pas même un grognement ne sortit de sa gorge. (Proust, cit. Gaatone
1971, 49).

Toutes ces constructions demeurent des exceptions aux règles générales. Il est possible qu'aussi bien pas le plus petit, pas plus que, pas davantage, pas même que pas un doivent, en fin de compte, être expliqués par un même principe qui ferait intervenir l'attachement de la négation à quelque élément commun à même et aux expressions comparatives et superlatives. Cependant, une réponse concluante à cette question requiert des investigations beaucoup plus poussées.

Un autre problème est la combinaison pas + rien qu'on trouve dans une phrase comme // ne se contentait pas de rien, à laquelle correspond la phrase positive sans pas et sans ne : // se contentait de rien (toutes les deux différentes de // ne se contentait de rien, qui présente un emploi «normal» de rien). Il faut probablement rendre compte de ces phrases en postulant un deuxième rien, un rient, qui serait l'équivalent de zéro ou de une quantité nulle et qui pourrait être employé comme régime d'un syntagme prépositionnel ou comme attribut du sujet dans l'expression ce n'est pas rien (cf. Sandfeld 1928,

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§ 256; Sten 1938, 110-112; Gaatone 1971,167-168). Cette analyse, pourtant, laisse subsister des énigmes. Pourquoi est-ce seulement rien qui peut prendre cette deuxième signification ? Pourquoi pas personne ? Pourquoi cet emploi est-il impossible quand rien fait fonction de sujet ou d'objet?

L'emploi de pas avec les auxiliaires négatifs composites dans le langage populaire: J'ai pas rien trouvé (cf. Bauche 1946, 121 ; Sandfeld 1928, § 241) ne s'explique évidemment pas à l'aide du cadre théorique proposé ici. On est là en présence d'un système différent avec ses caractéristiques propres.

6.2. guère

La décision de considérer guère comme un adverbe de négation, donc un auxiliaire négatif simple, au même titre que pas (cf. § 4.1), ne va pas sans difficultés. De cette manière, la combinaison plus guère (cf. (56.a)) reste un fait inexpliqué, les autres auxiliaires simples ne se combinant pas avec un (autre) auxiliaire négatif.

Grevisse 1964 (§ 850) range guère parmi les adverbes de quantité. D'un point de vue sémantique, il est certainement tentant de concevoir guère comme un beaucoup négatif, et en même temps plus guère deviendrait compréhensible, puisque nous avons aussi plus beaucoup :

(56) a. Elle n'y pense plus guère.
b. Elle n'y pense plus beaucoup.

Cela équivaudrait cependant à faire de guère un auxiliaire négatif composite, c'est-à-dire à prédire sa compatibilité avec tous les autres auxiliaires composites et pas seulement avec plus. Or il semble qu'aucune des autres combinaisons imaginables ne soit franchement acceptable. Ici, toutefois, les jugements portés sur les phrases par les informateurs présentent des divergences considérables, de sorte qu'il est très difficile d'en conclure quoi que ce soit avec certitude. Tous les informateurs rejettent catégoriquement les phrases (57), où guère est combiné avec rien et jamais. L'unanimité n'est plus complète pour (58), et il semble que les phrases de (59) soient un peu meilleures que celles de (57) :

(57) a. Ton fils ne mange guère rien.
b. *I1 n'est guère content de rien.
c. *Ma grand-mère ne regarde (plus) guère jamais la télévision.

(58) a. ?*Depuis la mort de sa femme, il ne s'est guère montré nulle part,
b. ?*Elle n'est guère contente de personne.

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(59) a. ?Personne n'y pense guère.
b. ?I1 ne pense guère à personne d'autre que lui-même.
c. ?Elle n'a guère parlé de cet incident à personne.
d. ?C'est un élève apathique qui ne s'intéresse guère à rien.

Je ne trouve pas d'explication à ces faits.

Il faut noter que le fait de considérer guère comme un adverbe de quantité
ne résout pas ce problème. D'autre part, d'un point de vue positionnel,
guère se distingue nettement des adverbes de quantité:

beaucoup
peu
(60) a. Ce livre a été . lu l'année dernière,
moins
trop
b. Ce livre n'a guère été lu l'année dernière.

C'est pourquoi il me semble nécessaire de le ranger, provisoirement du
moins, avec pas comme un adverbe de négation, quitte à accepter plus guère
comme une exception inexpliquée.

6.3. plus

Gaatone (1971, 180) a trouvé des exemples de plus un antéposé. Il faudrait
peut-être en conclure à l'existence d'un nouveau composite plus un à côté de
pas un, etc.

On peut avoir l'ordre plus jamais ou jamais plus, plus guère ou guère plus, tout comme on peut avoir encore aujourd'hui ou aujourd'hui encore, etc. Il s'agit là vraisemblablement d'un problème spécifique des adverbiaux temporels, et non d'un problème relevant des auxiliaires négatifs.

6.4. Positions postverbales

Quand il s'agit de quelques-unes des positions postverbales, l'analogie qu'on peut établir entre les auxiliaires négatifs composites et des entités positives n'est pas toujours totale. Quelquefois, et pour des raisons que je ne m'explique pas, les restrictions sur la position des entités positives sont moins sévères que celles qui pèsent sur leurs correspondants négatifs.

La place normale du tout objet est avant le participe passé (cf. (44)), mais il est quand même possible de le placer, avec une insistance particulière, après le participe, alors que pour rien cela est complètement exclu, cf. (61) et Kaync 1975, 11 et 39:

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(61) a. Raymond a compris tout,
b. *Raymond n'a compris rien.

C'est à tort que la formulation de Blinkenberg 1928, 165, laisse entendre que
(61.b) est acceptable.

De même, ies adverbes temporels encore et toujours peuvent, avec une intonation
insistante, être placés entre le premier et le deuxième participe,
alors que cette position est interdite à plus et h jamais:

(62) a. Il a été encore inquiété par la police,
b. *I1 n'a été plus inquiété par la police.

(63) a. Pierre a été toujours aimé de Marie,
b. *Pierre n'a été jamais aimé de Marie.

Pour rien et jamais pourtant, la restriction sur la position postparticipiale n'est pas aussi sévère que le font croire les exemples cités. En effet, on trouve, dans les textes littéraires, des exemples marginaux tels que Le dîner s'acheva sans qu'on eût dit rien à retenir (Maupassant, cit. Blinkenberg 1928, 165), Celle-ci n'avait ensuite conçu jamais qu' Albertine pût me quitter d'elle-même (Proust, cit. Gaatone 1971, 138).

7. Conclusion

J'espère avoir montré que la théorie de l'encadrement, qui veut que les deux
parties de la négation encadrent le verbe, est incapable d'expliquer bon
nombre de faits de la syntaxe des auxiliaires négatifs.

Par contre, en faisant intervenir systématiquement la fonction syntaxique des auxiliaires négatifs, on arrive à un système qui n'a pas besoin de règles particulières pour rendre compte de la position des auxiliaires négatifs. Ceci, à une exception près, les adverbes de négation (pas, aucunement, nullement, guère), qui justement sont spécifiques des constructions négatives et n'ont pas de correspondants positifs, et qui, d'ailleurs, se distinguent des autres auxiliaires négatifs de plusieurs autres manières.

A mon avis, ces résultats ont des conséquences non seulement sur le plan théorique, mais aussi sur le plan pratique, c'est-à-dire pour les grammaires pédagogiques. Car, dans l'état actuel des choses, il faut croire que, si les étudiants de français arrivent à maîtriser les constructions négatives, ce n'est pas grâce aux règles des grammaires, mais en dépit de ces mêmes règles.

Cari Vïkner

Copenhague

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Résumé

L'article propose de répartir les auxiliaires négatifs dans les classes suivantes:

I. Simples

1. Adverbes de négation: pas, aucunement, nullement, guère.

IL Composites

2. Adverbes de temps négatifs: plus, jamais.
3. Adverbe de lieu négatif: nulle part.
4. Pronoms indéfinis négatifs: personne, rien, aucun, nul, pas un.

Pour le placement des adverbes de négation, il faut formuler des règles spécifiques. Pour les autres, il n'y a pas de règles spécifiques: ils se comportent comme des adverbes de temps ou de lieu positifs, et comme des pronoms indéfinis positifs. Les auxiliaires négatifs simples sont incompatibles avec d'autres auxiliaires négatifs, alors que les composites se combinent librement entre eux. Ces faits sont expliqués par les relations entre la structure profonde et les deux types d'auxiliaires négatifs.

Bibliographie

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Blinkenberg, Andreas (1928): L'ordre des mots en français moderne, Première partie,
Kobenhavn, Host.

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