Revue Romane, Bind 12 (1977) 2

Roland Blondin: Fonction, structure et évolution phonétiques. Etudes synchroniques et diachroniques du phonétisme gallo-roman et français. Paris, Champion, 1975. 24 + 676 pp.

Palle Spore

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Ce livre est une thèse de doctorat (soutenue en 1973), dont la présentation sort de l'ordinaire: «Ce travail ne se présente nullement comme une recherche de type monographique. U est le fruit d'une réflexion mûrie sur la matière même de mon enseignement ...» (Introduction), ce qui donne au livre un caractère particulier: «d'une part la multiplicité des questions traitées, d'autre part, une évidente disparité méthodologique ... » (ibid.).

Commençons par «la multiplicité des
questions traitées ». La table des matières
en donne une idée parfaite: I. Semivoyelleset

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voyellesetsonantes (pp. 1-139). 11. La palatalisation consonantique romane (pp. 135-290). 111. Esquisse diachronique du système vocalique oral en français (pp. 291-391). IV. Nasalité et nasalisation française (pp. 393-494). V. La palatalisationU -> Ü dans le domaine gallo-roman (pp. 495-522). VI. L'amuïssement de e devant / désinentiel en ancien français (pp. 523-594). VII. Traits distinctifs, taxinomie phonématique et phonologie generative (pp. 595-648).

On voit que s'y trouvent ainsi traitées la plupart des grandes questions relatives à la phonétique historique. On aurait certes aimé connaître l'opinion de l'A. au sujet d'autres problèmes fondamentaux, tels que la syncope et la diphtongaison (effleurées, il est vrai, en plusieurs endroits), mais on ne saurait lui faire grief de ne leur avoir pas consacré d'étude particulière.

Quant à la «disparité méthodologique» dont parle l'A., elle est en effet «évidente», mais elle est aussi, malheureusement, assez gênante. Analyses traditionnelles, structuralistes et générativistes se côtoient ou se succèdent dans un pêle-mêle assez déconcertant. Les parties les plus brèves (V et VI) sont incontestablement les mieux réussies: on a l'impression que l'A. y reste plus qu'ailleurs maître de sa matière. La dernière partie (VII) fait l'éloge de l'analyse generative en tant que principe directeur possible des recherches diachroniques, mais si ce point de vue est légitime, il n'est pas évident. Pourquoi alors le repousser à la conclusion du livre, alors qu'il aurait été si simple de commencer par cette partie pour démontrer ensuite quel pourrait être l'apport de ce système en matière diachronique?

Je crois toucher par là le point faible du livre. Il est «le fruit d'une réflexion mûrie sur la matière même de F]enseignement» l'A., autrement dit la publication d'une série de cours magistraux. Mais ce genre de cours, si excellents soient-ils, sont adaptés à des besoins pédagogiques, ce qui ne veut pas forcément dire qu'ils constituent un bon livre et, à plus forte raison, une thèse digne de ce nom.

S'il est légitime d'initier les étudiants à la jungle generative à travers les analyses traditionnelles, il en va autrement pour la présentation scientifique. L'A. n'aurait pas eu à s'excuser auprès du lecteur en disant qu'il «est pourtant assez facile, malgré les hésitations et les réticences, de déceler une pensée directrice» (Introduction) s'il s'était carrément avoué générativiste dès la première page. Le lecteur est franchement dérouté, et ce n'est qu'après la lecture du livre entier qu'il comprend l'intention de TA., après quoi il lui faut reprendre sa lecture pour juger le livre à sa juste valeur.

Il faut avant tout souligner que l'A. a beaucoup lu, et que sa perspicacité à l'égard de ses lectures est impressionnante. Il lui arrive, il est vrai, d'être trop ou pas assez critique, mais devant la multitude des sujets traités, il est excusé d'avance. On peut également lui reprocher de citer principalement des sources françaises (s'il avait lu la Phonétique française de Holger Sten, il aurait certainement modifié certains passages relatifs au français moderne), mais on ne lui en tiendra pas rigueur.

II est en revanche fort regrettable que l'A. ne semble pas donner assez de suite à ses idées, qui restent le plus souvent fragmentaires et sans lien organique, si bien qu'on finit par se demander dans quel but il a écrit son livre. Malgré une structuration en apparence très précise, on y cherche en vain une synthèse, tant des phénomènes particuliers que de l'ensembledes questions traitées, et on en est réduit à constater qu'on a sous les yeux une multitude de détails bien vus et bien présentés, mais qui n'aboutissent à rien d'autre qu'à des points de suspension.

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Plus qu'un livre homogène, c'est un recueild'articles sans lien bien net, et dont l'essentiel se trouve dans l'examen critiquedes théories déjà émises, critique non seulement bien formulée, mais le plus souvent très pertinente. Vu sous cet angle, le livre a pourtant le grand défaut de ne pas donner suffisamment de renvois. Et, ce qui est pire, on aurait grandement besoin d'un index des matières traitées qui dépasse les quatre pages qui y sont consacrées (pp. 651-54). Un index des mots cités prendrait certainement trop de place (mais il aurait été fort utile), alors qu'il est vraiment inadmissible qu'un livre de cette importance ne comporte pas de bibliographie.

Ajoutons que la présentation matérielle n'est pas des plus heureuses. Va pour l'impression en off-set devenue, hélas, très fréquente de nos jours. Mais elle exige beaucoup de discipline de la part de qui met le manuscrit au propre; on ne saurait admettre, comme c'est le cas ici, les lignes de longueur très inégale et les pages variant de 20 lignes (p. 646) à 28 lignes (p. 521) avec des écarts encore plus grands en cas de note en bas de la page, allant de 15 lignes (pp. 260 et 262) à 32 lignes (p. 447). L'élargissement des lignes et des pages à leur maximum ainsi que la réduction de l'interligne auraient réduit presque de moitié le nombre de pages d'un livre tellement volumineux qu'il est vraiment difficile à manier.

Odense