Revue Romane, Bind 12 (1977) 2

Richard S. Kayne: French Syntax. The Transformational Cycle. Cambridge, Massachusetts, The MIT Press, 1975. XVI + 473 pages. (Version française: Syntaxe du français. Le cycle transformationnel. Traduit par Pierre Attal. Travaux linguistiques. Paris, Seuil, 1977.)

Carl Vikner

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Le titre de French Syntax que Richard S. Kayne a choisi pour son impressionnant ouvrage ne correspond pas parfaitement à son contenu. En effet, l'auteur ne s'est pas proposé, comme pourrait le faire penser le titre, d'étudier toutes les parties de la syntaxe française à la manière de Martinon,de Grevisse ou de Togeby. Au contraire,il s'est limité à un domaine qui, à première vue, peut paraître assez restreint: la syntaxe des pronoms personnels, et tout particulièrement la partie qui concerneleur comportement par rapport aux constructions du type faire faire quelque chose à quelqu'un. Mais, bien que le titre promette plus que le livre ne tient, je n'hésiterai pas à dire qu'il s'agit là de l'ouvrage de linguistique française le plus important de ces dernières années. C'est que son auteur est un vrai linguiste génératif,qui ne se contente pas de donner une description exacte des faits observés, mais qui, en plus, s'efforce de trouver des explicationsprofondes qui puissent relier ces faits entre eux, ce qui l'amène constammentà sortir de son domaine restreint pour suivre les ramifications d'un problème,qui s'étendent quelquefois très

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loin dans d'autres régions de la grammaire.

Le premier chapitre de l'ouvrage aborde des problèmes concernant le mot tous, problèmes qui vont jouer un rôle dans les deux chapitres suivants. Le chapitre 2 s'occupe de la syntaxe des pronoms clitiques, c'est-à-dire des pronoms personnels atones de la tradition. Au chapitre 3 sont présentées les règles qui engendrent des constructions avec faire + infinitif. Le chapitre 4 traite des particularités des pronoms clitiques quand ils apparaissent dans ces constructions infinitives. Dans le chapitre 5, l'auteur propose une règle spéciale pour rendre compte du comportement particulier des pronoms réfléchis. Enfin, au chapitre 6, il nous montre comment on peut rendre compte des différences de distribution entre le pronom réfléchi et les autres pronoms clitiques à l'aide de l'interaction, selon le principe cyclique, des règles transformationnelles élaborées dans les chapitres précédents.

L'auteur représente les relations de
dépendance entre les six chapitres par un
double losange (p. XV):


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Cette figure montre bien l'agencement savant de l'ouvrage. Les chapitres 4 et 6 sont les deux clefs de voûte de cette construction: ce sont ces deux chapitres qui dépendent le plus fortement de ceux qui les précèdent. Quand on lit le livre, deux passages surtout ressortent avec un relief extraordinaire: ce sont les passages ou l'auteur prend les pièces qu'il vient de fabriquer, pour les rassembler en un instrument capable d'expliquer des phénomènes mènessyntaxiques passablement compliqués et qu'il avait gardés dans sa manche pour pouvoir les sortir au moment psychologique. Ces deux passages-là se trouvent justement au chapitre 4 et au chapitre 6. Dans le premier de ces passages, aux environs de la page 275, il s"agit surtout de la construction laisser + infinitif: pourquoi, par exemple, Elle le laissera manger à Jean, mais pas *Elle laissera le manger à Jean! Le deuxième point culminant se situe vers la fin du livre, là où l'auteur rend compte de la mystérieuse différence entre se et le, cp. La crainte du „ ..\ se) , „ . scandale a fait< . , > tuer le frère du juge. \*le\

Je voudrais essayer de donner une idée de la manière dont procèdent ces explications. Pour ce faire, il me faut cependant présenter brièvement les règles et les principes mis en jeu par ces explications.

Le premier chapitre s'intitule «The Leftward Movement of ToutfTous», ce qui est en même temps la désignation d'une règle transformationnelle, abrégée L-Tous, qui, dans des structures voisines de celle de (l.a), déplace le tous vers la gauche, par-dessus un verbe ou une séquence de verbes (et de clitiques), pour engendrer (l.b) ou (l.c):

(1) a. Elle a voulu les lire tous.

b. Elle a voulu tous les lire.

c. Elle a tous voulu les lire.

Cette même règle serait appliquée dans la
dérivation de phrases comme (2):

(2) a. Elle va tout lire,

b. Elle n'a rien lu.

c. Il nous a tous les deux invités chez
lui.

d. II les a chacune envoyées dans un
pays différent.

Car tout, rien, chacun, etc. font partie
d'une catégorie Q, quantificateur, qui
apparaît dans la formulation de L-Tous:

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XVQY -> XQVY (p. 22). Notons d'ailleursque cette formulation exige que V et Q soient contigus, ce qui aura des conséquencesimportantes par la suite.

Le chapitre 2, «Clitic Placement», traite des problèmes soulevés par les pronoms clitiques. Kayne défend, d'une manière convaincante, le point de vue que ces pronoms sont engendrés dans la base sous des nœuds NP, c'est-à-dire que les pronoms objets directs et indirects, par exemple, occupent en structure profonde la place «normale», post-verbale, d'un syntagme nominal objet: Marie - mange - le, Marie - sourit - à lui. La position superficielle, préverbale, des clitiques doit alors être obtenue à l'aide d'une règle transformationnelle qui déplace le Pro d'une structure . . . NP V X Pro ... vers la gauche pour donner la structure ... NP Pro V X ... C'est justement cette transformation qui porte le nom de Clitic Placement (abrégé: Cl-Pl). On aura donc des dérivations telles que : Marie — mange —le -*¦ Cl-Pl —>¦ Marie le mange; Marie - sourit - à lui -> Cl-Pl -*- Marie lui sourit (quand il s'agit d'un pronom datif, la préposition à reste à sa place derrière le verbe pour être effacée par une règle ultérieure, cf. p. 103). Il est frappant de constater qu'avec une telle règle, on ait, pour ainsi dire, isolé le trait important qui, en matière de pronoms personnels, distingue le français des langues germaniques : ces dernières n'ayant pas de règle Cl-Pl, leurs pronoms personnels se trouvent en structure superficielle dans les positions où Cl-Pl vient trouver leurs homologues abstraits dans la grammaire du français, cp. en danois: Marie spiser den, Marie smiler til ham. Il vaudrait peut-être la peine d'examiner si ce fait pourrait être utilisé d'un point de vue pédagogique.

Avec le chapitre 3, «The faire-Infinitive
Construction», nous arrivons enfin aux
constructions cruciales de l'ouvrage, celles
qui comportent faire, laisser, voir, entendre,
etc. suivis d'un infinitif, par exemple:

(3) a. Il fera partir son amie.

b. Elle fera visiter la ferme à ses
parents.

Pour rendre compte de ces constructions, Kayne propose une structure profonde où faire est suivi d'un complément phrastique: il -fera - s[son amie -partir]. A cette structure profonde s'appliquera une transformation appelée Fû/><?-Infinitive (FI), qui changera l'ordre du sujet et du verbe (+ ses compléments éventuels) de la proposition enchâssée. Cette transformation a l'index structural suivant:

(4)


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et elle a pour effet de permuter le troisième terme avec le quatrième (+ le cinquième). On aura donc : il - fera - s[son amie - partir] -> FI -> // fera partir son amie. Dans les structures où un syntagme nominal objet suit l'infinitif enchâssé, une autre transformation (/i-Insertion ou A- Ins), appliquée après FI, insère un à devant le sujet déplacé, si bien que la dérivation de (3.b) prendra la forme suivante: elle - fera - s[ses parents - visiter - la ferme] -> FI -> elle - fera - visiter - la ferme — ses parents ->¦ A-Ins —>¦ elle fera visiter la ferme à ses parents.

Le deuxième terme de (4), faire, doit être modifié de manière à comprendre également les verbes laisser, voir, entendre, regarder, écouter pour permettre la dérivation de phrases telles que (5):

(5) a. Il a laissé faire des bêtises à ses
amis.

b. Elle a vu partir Jean.

c. J'ai entendu dire cela à un de tes
amis.

Cependant, cette modification ne suffit
pas à elle seule pour expliquer les constructionsinfinitives
comportant les verbeslaisser,

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beslaisser,voir, etc. En effet, avec ces verbes,des
formes doubles apparaissent:

(6) a. II laissera réfléchir son amie,

b. Il laissera son amie réfléchir.

Si on considere des phrases avec tuut, les
faits se compliquent:

(7) a. Je voudrais lui laisser tout manger,

b. Je voudrais la laisser tout manger.

(8) a. Je voudrais tout lui laisser manger,

b. *Je voudrais tout la laisser manger.

Pour rendre compte de cette double série de constructions, Kayne pose deux structures profondes différentes, une pour la série (6.a), (7.a) et (B.a), et une autre pour les phrases b correspondantes. Les phrases a seront dérivées à partir d'une structure comportant laisser - S, à laquelle s'appliquera la transformation FI. Ainsi, pour (7.a) et (B.a), nous aurons la dérivation suivante (cf. p. 224): Je voudrais - laisser - s[elle - manger - tout] -* FI -> Je voudrais - laisser - manger - tout - elle -> A-Ins -> Je voudrais - laisser - manger - tout - à elle -> Cl-PI ->- Je voudrais - lui ~ laisser — manger - tout -> L-Tous —> Je voudrais - lui - laisser - tout - manger. Nous avons maintenant engendré (7.a). Une seconde application de L-Tous va nous donner (B.a). Pour rendre compte de l'autre série, les phrases (6.b), (7.b) et (B.b), Kayne pose une structure profonde où il n'y a plus laisser - S, comme dans le cas précédent, mais laisser - NP - S. De cette manière, il arrive à expliquer, entre autres choses, l'impossibilité de (B,b) au moyen d'une dérivation qui fait intervenir Equi-NP-deletion, appliquée après L- Tous (cf. p. 225): Je voudrais - laisser - elle - s[elle - manger - tout] -> FI et A-Ins sont inapplicables y Cl-Pl -Je voudraisla - laisser - s[elle - manger - tout] -> L- Tous -> Je voudrais - la - laisser - s[elle - tout - manger]. Maintenant, L-Tous ne peut pas être appliquée une deuxième fois, parce que V et Q (laisser et tout) ne sont pas contigus, ce qui empêche la dérivation de (B.b). Plus tard, Equi efface le elle de la proposition enchâssée, ce qui donne (7.b).

Les verbes laisser, voir, etc. - mais pas faire - recevront donc une double souscatégorisation, àla fois Set NP S. La première, combinée avec la transformation FI, est à la base de phrases comme // laissera partir Marie et // laissera manger tous les gâteaux à son amie. La deuxième, combinée avec Equi, permet d'engendrer des phrases comme // laissera Marie partir et // laissera son amie manger tous les gâteaux.

Une autre «duplication» se révèle dans le fait qu'en plus des constructions du type de (3.b), où le sujet profond de l'infinitifest précédé, en surface, de à, on a des phrases où le sujet profond est introduit,en surface, par la préposition par: II a fait photographier ses enfants par un de ses amis. Il serait tentant de considérerici à et par comme de simples variantes superficielles l'un de l'autre, et c'est d'ailleurs ce qu'ont toujours fait les grammairiens traditionalistes et structuralistes.Pourtant, Kayne démontre que les deux constructions ne se comportentpas du tout de la même façon et que la construction avec par peut être rattachéede manière systématique aux constructionspassives (cf. pp. 234-242). C'est pourquoi il propose pour une phrase commeElle fera manger cette pomme par Jean la structure profonde suivante: Elle fera - s[Jean - manger - cette pomme - par A], où par À représente la marque abstraite du passif. Une transformation particulière, FP, déplacera ensuite le sujet enchâssé (Jean) vers la droite en le substituant au symbole A (cf. pp. 247-248). Le postulat de deux structures profondes différentes implique que les deux constructions diffèrent également du point de vue sémantique,ce qui est en effet le cas, cp. les

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traductions anglaises que donne Kayne pour les phrases suivantes: Marie fera boire cette eau par son chien 'Marie will hâve that water drunk by her dog', Marie fera boire cette eau à son chien 'Marie will hâve her dog drink that water' (p. 239).

Kayne dispose maintenant de toute une batterie de transformations, dont quatre surtout (FI, A-Ins, Cl-Pl et Equi, par ordre d'application), avec la double souscatégorisation de laisser, voir, etc., vont lui servir à expliquer, au chapitre 4, le comportement des clitiques dans les constructions infinitives. Il ne lui reste, en effet, qu'à introduire une restriction, générale et motivée indépendamment, qui interdit à Cl-Pl de déplacer un pronom hors d'une proposition enchâssée si, pour ce faire, le pronom doit passer par-dessus le sujet de cette proposition. Cette restriction, appelée condition du sujet spécifié, a été proposée d'abord par Chomsky. On en trouve une formulation plus précise à la page 287.

Qui n'a pas perdu haleine et courage en s'efforçant d'apprendre les règles présentées par les grammairiens en matière de faire faire quelque chose à quelqu'un, par exemple Togeby 1965, §§ 233 et 653 ou Sandfeld 1943, §§ 116-128? La difficulté provient surtout du fait que ces études du problème ne font que passer en revue les diverses possibilités combinatoires de la structure de surface sans essayer de trouver une cohérence, une corrélation profonde entre les données disparates de cette question. Encore ces grammaires sontelles loin d'avoir tout dit sur le problème. Elles restent silencieuses, la plupart du temps, sur ce qu'on ne peut pas dire. Togeby emploie même parfois des expressions franchement trompeuses. Ainsi, au § 233: «Si les deux objets pronominaux sont placés chacun devant son verbe, le datif n'est pas nécessaire non plus: // les regarde le regarder». Le «pas nécessaire» donne à croire que le datif reste pourtant possible, alors qu'il est totalement exclu: *// leur regarde le regarder.

Par opposition à ces grammairiens, Kayne cherche des principes explicatifs, et il les trouve, partiellement du moins: ils se matérialisent dans les règles et restrictions dont je viens de parler. Voici par exemple comment il explique des données aussi hétérogènes que celles qui vont suivre, par un seul ensemble de principes sous-jacents (cf. pp. 269-275):

(9) a. Elle le fera partir.

b. *Elle fera le partir.

(9.a) sera dérivée à partir de Elle -fera - s [lui - partir] que FI convertira en Elle - fera - partir - lui. Dans cette structure, Cl-Pl placera le pronom à gauche défera, donnant (9.a). Cl-Pl ne peut pas insérer le pronom à gauche de partir, puisque le changement structural de Cl-Pl indique

... NP Pro V ... : le pronom doit être inséré entre un syntagme nominal et un verbe, c'est-à-dire qu'il doit être attaché à un verbe muni de son sujet, ce qui empêche la dérivation de (9.b).

(10) a. Elle le laissera manger à Jean.

b. *Elle laissera le manger à Jean.

(11) a. Elle laissera Jean le manger.

b. *Elle le laissera Jean manger.

La différence entre (10) et (11) s'explique
par leurs structures profondes différentes:

(10') Elle - laissera - s[Jean - manger -
le]

(11') Elle - laissera - Jean - $[lui - manger
- le]

L'application de FI et A-Ins à (10') donneraElle - laissera - manger - le - à Jean. Dans cette structure, Cl-Pl déplace le en l'insérant à gauche de laissera, et le résultatsera (10.a). Cl-Pl ne peut pas insérer le immédiatement à gauche de manger, car cela ne donnerait pas . . . NP Pro V

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FI n'est pas possible, mais celle de Cl-Pl l'est et elle donnera Elle - laissera -Jean - s[lui - le - manger], où, plus tard, Equi effacera lui pour donner (11.a). Cl-Pl ne pourra pas déplacer le le de (11') hors de la proposition enchâssée sans violer la condition du sujet spécifié. Ainsi la dérivationde (ll.b) est-elle bloquée. - De la même manière, on peut rendre compte de couples tels que (12) et (13):

(12) a. *On lui laissera le manger.

b. On la laissera le manger.

(13) a. On leur en laissera manger trois.

b. *On les en laissera manger trois.

Et de bien d'autres encore.

Le chapitre 5, «Reflexive/Reciprocal Clitic Placement», traite des pronoms réfléchis. A première vue, ces pronoms sont de la même espèce que les pronoms accusatifs et datifs non-réfléchis, et ils ont même des formes communes, sauf à la troisième personne. Quoi de plus simple alors que de les engendrer à l'aide de la transformation Cl-Pl, qui a déjà fait ses preuves? Pourtant, si on y regarde de plus près, on s'aperçoit que les réfléchis divergent sur plusieurs points par rapport aux autres pronoms clitiques. Dans la section 5.6, Kayne étudie deux cas de cette divergence. L'un d'entre eux est particulièrement frappant: il concerne les constructions passives. En effet, il est remarquable que les réfléchis soient exclus de ces constructions:

(14) a. Ces filles te seront présentées par
Paul.

b. *Ces filles se seront présentées
par Paul.

L'inacceptabilité de (14.b) ne tient pas à quelque particularité sémantique, puisqu'on a bien Ces filles seront présentées Vune à F autre par Paul. C'est donc un fait purement syntaxique. Kayne (p. 377) attribue cette inacceptabilité au fait que l'antécédent de se n'est pas le sujet profond fondde (14.b): le syntagme ces filles ne peut pas être l'antécédent de 5e parce que ces filles est l'objet sous-jacent, c'est-à-dire que ces filles n'était pas le sujet au moment où se aurait dû être placé en position clitique He réfléchi étant obligatoirement coréférentiel avec le sujet du verbe auquel il s'attache). Kayne en conclut qu'il est nécessaire de créer une transformation spéciale, Se Placement (Se-Pl), qui insère les pronoms réfléchis en position clitique et qui opère avant la transformation Passive, tandis que Cl-Pl s'applique après. Ainsi, la différence entre réfléchis et non-réfléchis se trouve expliquée au moyen de deux transformations différentes opérant à des points différents de la dérivation.

Cette hypothèse, ou plutôt ce système d'hypothèses, est renforcée au chapitre 6, «The Transformational Cycle», où l'auteur fait intervenir le principe cyclique. En effet, si on accepte que FP, FI, A-Ins et se-Pl soient des transformations cycliques et que Cl-Pl soit post-cyclique, on peut expliquer un certain nombre de faits concernant la syntaxe des clitiques.

C'est ainsi que la différence entre réfléchis
et non-réfléchis révélée par les
exemples de (15):

(15) a. Tu n'aurais pas dû laisser se dénoncer
ton fils.

b. *Tu n'aurais pas dû laisser la dénoncer
ton fils,

sera expliquée par les dérivations suivantes(cf. p. 411). (15.a) est engendrée ainsi: . . . laisser - s[tonfilsi - dénoncer - Proi] ->¦ Se-PI (ler cycle) -> ... laisser- sgonfiisi - se - dénoncer] -> FI (2e cycle) -> . .. laisserse dénoncer ton fils, tandis que nos règles ne pourront jamais engendrer (15.b). Si nous partons de ... laisser - s[tonfils - dénoncer - la], FI et A-lns doivent être appliquées, et nous obtiendrons à ton fils, ce qui nous a déjà éloignés de (15.b). Si nous choisissons l'autre possibilité, c'està-direla

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à-direlastructure profonde ... laisser - ton fils - s[lui - dénoncer - la], FI est inapplicable, et ton fils ne peut pas être déplacé vers la droite: nous n'obtiendrons donc jamais (15.b).

Que se puisse apparaître en surface
attaché à faire, comme dans (16):

(16) Jean se fera connaître à Marie,

«t que, dans cette position, il soit coréférentiel avec le sujet de faire, alors que dans (15.a) se est coréférentiel avec le sujet de l'infinitif, cela s'explique également au moyen de ces règles (cf. p. 413). La dérivation de (16) partira de la structure profonde Jean - fera - s[Marie - connaître - Proi], où aussi bien FI que Se-Pl seront inapplicables sur le premier cycle. Sur le deuxième cycle, FI et A-Ins s'appliqueront et donneront: Jean -fera - connaître - Proi - à Marie -> Se-Pl -> Jean se fera connaître à Marie. Se-P\ ne peut s'appliquer qu'au moment où Proi «st coréférentiel avec le sujet de la phrase.

Enfin, beaucoup de particularités s'expliquent d'une manière intéressante par des dérivations qui font intervenir ces règles sur des cycles différents, telle la dérivation de la phrase L'hiver fait se faire emprisonner beaucoup de clochards, qui met en jeu, sur le deuxième cycle, FP suivi de Se-Pl, et ensuite FI, sur le troisième cycle (cf. p. 419).

Ainsi, selon Kayne, les multiples petites divergences, dans la syntaxe superficielle, «ntre réfléchis et non-réfléchis peuvent toutes être ramenées à cette différence fondamentale que les uns sont placés par une transformation cyclique (Se-Pl) et les autres par une transformation post-cyclique

J'espère que ce résumé aura été suffisant pour laisser entrevoir les grandes lignes de French Syntax. Evidemment, j'ai dû ometire de nombreux détails.

Pour les besoins de sa cause, l'auteur est amené à étudier, d'une manière plus ou moins approfondie, bien d'autres sujets encore que ceux dont j'ai parlé. Ainsi, dans le chapitre 2, à propos des clitiques, il lui faut étudier longuement le pronom adverbial en (pp. 105-134, 190-193) et le comportement particulier du pronom datif (pp. 134-176). Par ailleurs, on apprend des choses intéressantes sur la syntaxe de Yun Vautre, de chacun, de on, de même, de ne ... que, etc.

Kayne s'exprime dans un langage précis, facile à suivre. La présentation de la matière est toujours claire et bien ordonnée, même quand il s'agit de problèmes compliqués. Chaque fois qu'il s'attaque à un nouveau problème, il commence par en exposer les données essentielles. Ensuite, il présente la règle destinée à rendre compte de ces données et en explique le fonctionnement par des exemples bien choisis. Il ne manque jamais de donner une justification de la règle en examinant les diverses solutions possibles. Il discute en détail l'emploi des principaux symboles qui entrent dans l'index structural, et il discute aussi la structure dérivée qui résulte de l'application de la règle. Ce dernier point surtout est trop souvent délaissé par les auteurs génératifs, et il faut louer Kayne pour le soin qu'il met à l'approfondir.

Le livre est pourvu de deux index très utiles, qui en facilitent considérablement l'utilisation. Et, chose extraordinaire, l'auteur donne des renvois précis à d'autresouvrages linguistiques. Cela est tellement rare chez un transformationnisteque le fait vaut d'être noté. Généralement,les auteurs transformationnistes ne condescendent pas à préciser la ou les pages où ils ont trouvé l'information dont ils se servent. Ils se contentent d'indiquer «Chomsky 1965» ou «Ruwet 1972». Peur du pédantisme, désir de parade ou signe de paresse? S'il s'agit d'articles relativement courts, cet usage se défend

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peut-être. Mais je ne vois pas bien à qui ni à quoi ces indications pourraient être utiles quand il s'agit de gros livres de plusieurs centaines de pages. En bonne justice, il faut dire que Kayne se laisse parfois gagner, lui aussi, par cette fâcheuse tendance (cf. pp. 76, 79), mais, le plus souvent, il donne des renvois tout à fait satisfaisants (cf. pp. 86, 95, 106, 109, etc.).

Jusqu'ici j'ai surtout souligné les qualités de cet ouvrage, et elles sont certainement nombreuses. J'en arrive maintenant aux quelques critiques qu'on pourrait lui adresser, et je vais commencer par certains défauts qu'il a en commun avec la plupart des autres travaux linguistiques appartenant à la tradition generative transformationnelle.

Comme les autres générativistes, Kayne ne se risque jamais à faire la moindre allusion à ce que pourrait être une règle syntagmatique. Ces règles sont supposées connues tout au long de l'ouvrage, mais elles ne sont jamais explicitées. Est-ce parce qu'elles sont trop évidentes? Ou est-ce au contraire parce qu'il serait trop compliqué de les détailler?

Comme les autres générativistes, Kayne ne donne nulle part de liste ordonnée des règles transformationnelles qu'il utilise. Il y a bien un index alphabétique des règles aux pages 472-473, index utile et tout à fait indispensable. Mais il faudrait aussi fournir quelque part une liste des principales transformations, ordonnées selon leur ordre d'application. A bien des endroits, Kayne examine le problème de savoir si telle règle doit suivre telle autre, et, peu à peu, on arrive à comprendre que L-Tous suit Cl-Pl, que Cl-Pl suit FI, que, partant, L-Tous suit également FI, etc. Mais c'est long, c'est laborieux, et cela ne fonctionne pas dans tous les cas. Si je ne me trompe. le cycle comprend les règles suivantes, par ordre d'application: FP, FI, A-Ins et Se-Pl; tandis qu'il y a trois règles post-cycliques, ordonnées comme suit: Cl-Pl, Wh-Movement, L- Tous. Mais entre Se-Pl et Cl-Pl, on n'est pas très sûr de l'ordre respectif de Passive, NP Extrap, En-Extrap et Q-Post. De môme, après L-Tous. viennent (mais dans quel ordre?): Equi, Aux Deletion, Subj- Cl-Inv et Leftward Adv Movement. - D'ailleurs, la formulation même des règles transformationnelles semble peu orthodoxe et pas tout à fait univoque. Dans la plupart des cas, il est rigoureusement impossible de voir quel est l'effet du changement structural. Le symbole 0 est utilisé dans la formulation de Passive (p. 248): alors pourquoi pas dans FP (p. 248), dans FI (p. 205), dans LL (p. 358), etc.? Heureusement, le commentaire du texte est là pour assurer la bonne compréhension des règles; autrement, je crois qu'elles auraient été illisibles.

Quelquefois, on peut s'étonner que l'auteur dépense son temps et ses forces pour essayer de résoudre un problème marginal, comme lorsqu'il s'efforce d'expliquer ía différence d'acceptabilité entre lices garçons, à qui j'en ai tous offert et *ces garçons, avec qui elle est tous sortie (pp. 1 52 ss,). Cela est d'autant plus étonnant qu'à la page précédente, l'auteur a effleuré le problème important des rapports entre lui et y comme pronoms datifs et qu'il renonce à le résoudre en se contentant d'un «We leave this question open». Un autre problème crucial qu'il laisse également en suspens est celui que représente la paire *Elle me lui présente / Elle me présente à lui (cf. pp. 172-174).

Dans de nombreux cas, l'habileté avec laquelle Kayne excelle dans l'argumentationlinguistique force l'admiration du lecteur. J'y ai déjà fait allusion à plusieurs reprises. Un pourrait ajouter la section 2.12, où il aligne des arguments clairs et convaincants en faveur de la dérivation du pronom datif d'un à NP sous-jacent,

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ce qui n'était pas tout à fait indiqué devantdes exemples comme // est pénible pour ces enfants de devoir partir, Cela leur est pénible. Une autre argumentation admirablese trouve aux pages 313-314, à propos de la phrase La main lui démange.

Dans quelques cas, cependant, l'argumentation est nettement moins réussie. Surtout le premier chapitre, qui traite des problèmes relatifs à tous, me semble à plusieurs endroits assez faible. - La discussion de la construction inacceptable *ce auquel il pense (p. 18) est gâtée par une curieuse confusion entre lequel et quel d'abord et entre ce déterminant et ce pronom ensuite. - Plus loin, on lit: «Neither tout nor rien can serve as the antécédent to lequel:

(34) a. tout ce à quoi il pensait

b. *tout ce auquel il pensait»

(p. 19). Les deux exemples cités n'ont rien à voir avec les possibilités de construction de tout: leur statut d'acceptabilité est le même, que tout soit présent ou non. D'ailleurs, tout ne peut servir d'antécédent à aucun pronom relatif; il ne peut donc pas être utilisé pour discriminer entre quoi et lequel. - Discutant la dérivation de certaines phrases avec combien (p. 32), l'auteur considère apparemment les deux phrases (17) comme étant de structures comparables:

(17) a. Combien de bouquins veux-tu
que je donne à ton ami?

b. Combien de journalistes as-tu
prévenus qu'elle partira demain ?

Et il tire argument du fait que dans (17.a) il est possible de déplacer de bouquins en l'introduisant dans la subordonnée: Combien veux-tu que je donne de bouquins à ton ami?, tandis q ue cette opération est impossible avec (1 7.b): as-tu prévenu quelle partira de journalistes demain? Or, dans (17.a), combien de bouquins est l'objet de donne, dans (17.b) cornbien biende journalistes est l'objet as prévenus. Quoi d'étonnant alors à ce qu'une partie de ce dernier syntagme ne puisse pas se fourvoyer dans une subordonnée où elle n'a que faire?

La transformation Q-Post a pour missionde détacher un quantificateur déterminantdu noyau de son syntagme en le postposant à ce syntagme. Exemple: // a compris sv[ci\tous] - vous] ->¦ Q-Post -> // a compris np[vo«í] (¿[tous] -> Cl-Pl -> // vous a compris q[íous] —»¦ L-Tous —>¦ // vous a tous compris (p. 62). Du point de vue technique - du point de vue programmation,si j'ose dire - cela marche. Mais cela n'empêche pas que Q-Post est, parmi les règles proposées par Kayne, celle qui semble reposer sur les arguments les moins solides. Q-Post n'a été créé que pour faire fonctionner h-Tous et quelques autres règles de déplacement. Il est évident qu'un mécanisme quelconque, en plus de Cl-Pl, est indispensable pour dériver des phrases comme // vous voit tous les deux, Ils sont tous intelligents, etc., mais il ne semble pas évident que ce mécanisme doive comprendreQ-Post. - D'abord, le raisonnementqui conduit Kayne à établir une catégorie Q (pp. 16-19) n'est pas très convaincant: il ne concerne que deux éléments de cette catégorie, tout et rien, et il consiste surtout à montrer que ces deux éléments se comportent d'une autre manièreque les substantifs. - La dérivation de phrases contenant tous les + nombre cardinal nécessite qu'on pose une structure sous-jacente ntlîous les deux - vous] (v. par exemple p. 45). On aimerait connaître les arguments en faveur de cette structure, puisqu'on n'a pas de NP tous les deux livres en structure superficielle. - II n'y a que deux cas où Q-Post place directement un élément là où cet élément apparaît en structure superficielle. L'un de ces cas est illustré par les phrases: // vaudrait mieux mettre ces crayons tous dans un seul tiroir et Mettez ces livres chacun à leur place

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(p. 48). L'acceptabilité de ces phrases est
«expliquée» par «the présence of a phrase
following the quantifier where the quantifierplus
that phrase can be felt as a
unit, at least with respect to intonation»
(p. 49). Comme description ce n'est pas
mal, mais cela semble relever plutôt de la
grammaire traditionnelle. De toute façon,
Q-Post ne semble pas être pour grandchosedans
cette explication. - L'autre
cas est représenté par les phrases du type
Je pense à eux tous, où eux tous, selon
Kayne (p. 51), doit être relié à eux deux
et nous autres. Or c'est justement ce que
Q-Post ne fait pas.
Dans la section 3.3, Kayne discute la
structure dérivée de FI, notamment la
question de savoir quel est le statut syntaxiquede
la séquence faire - V. Il pense
que faire - V ne doit pas être dominée
par un nœud V, et il fournit une série
d'arguments pour appuyer sa thèse. Toute
cette discussion me paraît un peu cryptique,car,
premièrement, Kayne ne précise
pas ce que veut dire faire dominer deux V
par un seul V (à part quelques conséquencespour
ses propres règles transformationnelles),et,
deuxièmement, il ne
signale pas quelle autre structure on pourraitattribuer
à faire - V. Tous les argumentsqu'il
avance semblent indiquer que
faire a ici les propriétés d'un verbe auxiliaire,mais
cette possibilité, il ne la mentionnepas,
et ainsi le lecteur n'en est pas
plus avancé quant à la structure dérivée
de faire faire quelque chose à quelqu'un.

Les quelques réserves que j'ai formulées dans ce qui précède ne concernent que des points de détail. Dans l'ensemble, je pense que Kayne a pleinement atteint le double but qu'il s'était fixé: «The illumination of the language by the theory, and ot the theory ihrough study of the language» (p. XIII). Son ouvrage témoigne des avantages de la grammaire générative transformationnelle: là où les grammairiens d'autrefois se contentaient d'enregistrer les faits observables (ce qui constitue d'ailleurs un exploit qui est loin d'être négligeable), le transformationniste cherche une explication, des régularités sous-jacentes gouvernant la variété kalcïdoscopique des faits observés. Et suivre la démarche d'un linguiste qui réussit dans cette entreprise est un réel plaisir.

Copenhague

Références

Sandfeld, Kr. (1943) Syntaxe du français
contemporain. L'lnfinitif. Genève, Droz.

Togeby, Knud (1965) Fransk grammatik.
Kobenhavn, Gyldendal.