Revue Romane, Bind 12 (1977) 2

Christian Nique: Initiation méthodique à la grammaire generative. Paris, Armand Colin, 1974. 176 p. Carl Vikner: Indforing i transformationsgrammatik for franskstuderende (Initiation à la grammaire transformationnelle pour les étudiants de français). Institut d'Études Romanes, Université de Copenhague, 1976. 112 p.

Gerhard Boysen

Ces deux introductions à la grammaire generative transformationnelle ont beaucoup de qualités en commun: avec une compétence sûre et une progression pédagogique étudiée, elles donnent des aperçus clairs sur les différents chapitres de la grammaire transformationnelle, chapitres qui reflètent, dans une certaine mesure, les étapes de l'évolution chronologique de celle-ci: grammaire syntagmatique, règles transformationnelles, théorie standard, théorie standard étendue, sémantique generative. Cela dit, les deux ouvrages ont chacun, bien entendu, des caractéristiques propres.

Bien que Simone Delesalle précise dans une préface qu'il s'agit d'un ouvrage «parfaitement introductif», l'lnitiation de Christian Nique est sans doute la plus «complète» des deux, en ce sens qu'elle contient des analyses et des illustrations poussées si loin qu'elles constituent parfois des chapitres-ou, du moins, des ébauches de chapitres - d'une véritable syntaxe française (p.ex. sur l'adjectif (pp. 107-11) et sur la transformation impersonnelle (pp. 124-26)). Certes, ces analyses sont là à titre d'illustrations de procédés transformationnels, mais, comme l'auteur discute toujours à partir d'exemples concrets et qu'il cite souvent la position d'un autre grammairien, de tels chapitres contiennent une bonne part d'inspiration pour la solution de problèmes concrets de syntaxe française.

En même temps, Nique juge très important de placer la grammaire transformationnelle dans son contexte linguistique. Il accorde relativement beaucoup d'espace à un chapitre intitulé «Vers une grammaire scientifique» (pp. 25-66), dont quelques-uns des sous-titres illustrent bien l'intérêt porté, dans ce livre, aux problèmes linguistiques en dehors d'une perspective strictement generative: «Synchronie/diachronie» (pp. 26-27), «Grammaire et sens» (pp. 27-31), «Les trois niveaux de l'analyse grammaticale» (pp. 31-34), «La notion de distribution» (pp. 34-37), «Paradigmatique/syntagmatique» (pp. 37-39), «Mots et morphèmes» (pp. 45-48).

Faisant le tour d'un grand nombre de
problèmes grammaticaux théoriques et

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pratiques, il est naturel que l'auteur soit parfois à court de temps et d'espace. Il en est parfaitement conscient: des réserves comme «II est évident que ces règles restent très schématiques et très approximatives,et qu'elles devraient être complétéesà partir d'une étude détaillée des phénomènes en question» (p. 117) et «nous simplifions considérablement dans le but de rester clair» (p. 132) accompagnentbeaucoup des analyses. Dans l'ensemble, il nous paraît que Nique s'est bien acquitté de la tâche difficile qu'il s'est proposée, sans tomber dans le superficielni s'embrouiller dans des études de détail. Il arrive cependant que la disproportionentre la complexité des faits étudiés et l'espace accordé devienne voyante.Ainsi, si par ailleurs on salue avec satisfaction la tentative de classification des adjectifs, fondée sur leur distribution (pp. 39-45), on est tenté de dire qu'il y a là un cas qui dépasse le cadre d'une introduction(d'autant plus qu'il ne s'agit pas d'une analyse transformationnelle). Telle quelle, la description de Nique soulève plusieurs objections (par exemple, une forme comme bonnement fait obstacle au schéma p. 44).

Mais, par ailleurs, il nous semble que Nique a su rendre d'une façon heureuse les concepts et les techniques de la grammaire transformationnelle. A titre d'exemples, sa manière de traduire et d'illustrer des notions comme la récursivité (pp. 112-17) et les «constituants de phrase» (pp. 117-23), de même que sa discussion des possibilités d'introduire l'élément «passif» (pp. 132-36), nous paraissent très réussies.

Relevons, pour terminer, quelques petites inexactitudes: p. 38: dans le commentaire aux trois schémas, intervertir second et troisième; p. 139: plutôt que «C2 - John's refusai of thè offer» lire: «di - John's refusai of the offer»; enfin, une erreur semble s'être glissée p. 158 dans le commentaire au schéma illustrant la théorie standard étendue: ce schéma ne comporte pas de «trait simple» reliant la structure de surface et la composante sémantique.

Rédigée en danois et de dimensions plus modestes, l'initiation de Cari Vikner, Indfering ì transformatìonsgrammatik for franskstuderende, paraît d'ambitions plus limitées. Précisons cependant tout de suite que, si ce livre, dans sa première version, a été conçu pour une occasion pédagogique particulière (un séminaire tenu, en 1972, à l'université d'Odense), son intérêt dépasse de loin ce cadre local: il s'agit d'un ouvrage qui mériterait pleinement d'être rendu accessible à un public plus large que celui des étudiants de français au Danemark (et dans les autres pays Scandinaves), auxquels il est en premier lieu destiné.

Après une brève introduction (pp. 1-7), où la grammaire generative transformationnelle est située, d'une façon forcément bien sommaire, dans l'histoire de la linguistique, l'auteur passe à des chapitres sur (nous traduisons en français) « Grammaires syntagmatiques» (pp. 8-17), «Description structurale» (pp. 18-28), «Règles transformationnelles» (pp. 29-39), «Théorie standard» (pp. 40-46), «Composante de base» (pp. 47-58), «Composante transformationnelle» (pp. 59-73), «Composantes phonologique et sémantique» (pp. 74-77). De plus, l'ouvrage contient un chapitre intitulé «Courants de grammaire generative transformationnelle» (pp. 78-95), qui fournit une première connaissance de différents développements récents: hypothèse lexicaliste, théorie standard étendue, sémantique generative, grammaire des cas, tout en renvoyant à d'autres études plus détaillées.

Enfin, chose très utile dans un ouvrage
de ce genre, le livre se termine par vingt
exercices qui mettent en œuvre la techniqueet

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niqueetles règles précédemment décrites, des plus simples aux plus complexes (pp. 96-101), une bibliographie commentée (pp. 102-08), une traduction, du français en danois, des termes techniques les plus importants (p. 109) et des index des notionset des symboles utilisés (pp. 110-12).

Ce qui frappe avant tout dans le livre de Vikner, c'est sa remarquable construction pédagogique. Chaque chapitre, voire chaque passage, prépare soigneusement le suivant: on a l'impression que l'auteur s'est efforcé de prévoir - et de prévenir - les problèmes que rencontre l'étudiant non spécialisé lorsqu'il veut se familiariser avec cette matière difficile. Le résultat en est un livre qui remplit tout à fait les promesses de son titre: il permet vraiment à des étudiants de français, dépourvus de connaissances particulières en grammaire transformationnelle, de s'initier à cette discipline.

Un exemple de ce souci pédagogique est la grande importance accordée par Vikner à la définition et à la compréhension des notions qu'il introduit. A tous les stades de l'exposé, les termes nouveaux sont non seulement définis, mais aussi expliqués, souvent à l'aide d'autres notions et termes, empruntés à des théories grammaticales antérieures (grammaire traditionnelle ou structurale) et, par conséquent, susceptibles d'être connus de l'étudiant. Ainsi, Vikner parle de «phonèmes» dans le chapitre sur les traits phonologiques (p. 54) et d'un «sujet logique» pour mieux expliquer le mécanisme de certaines transformations (pp. 64-65).

En revanche, la note (p. 95) sur Zellig S. Harris et l'emploi que fait ce linguiste du terme «transformation», nous paraît mal placée. On pourrait faire des notes de ce genre à propos de la plupart des termes transformationnalistes, mais, dans un ouvrage qui ne veut pas dépasser le cadre d'une introduction et où la notion de transformation est d'ailleurs soigneusement définie et décrite, de telles notes créent, croyons-nous, plus de confusion qu'elles n'apportent de clarté.

Voici donc deux introductions excellentes, ayant chacune ses qualités particulières, mais qui représentent, toutes les deux, une réussite pédagogique incontestable.

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