Revue Romane, Bind 12 (1977) 2

Nicolas Ruwet: Théorie syntaxique et syntaxe du français. Paris, Seuil, 1972. 295 p.

Turid Henriksen

Chantal Lyche

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Ce livre est un ensemble d'articles qui, à l'exception d'un seul, ont tous été déjà publiés. A partir d'exemples tirés du français, R. traite de la théorie syntaxique générale.

1. Quelques développements récents de la théorie generative (pp. 12-47). Dans ce premier chapitre, R. donne un aperçu des différentes modifications subies par la théorie standard de Chomsky (1965). Parmi ces modifications, il considère certaines contraintes imposées aux transformations, afin de limiter le pouvoir de la grammaire. Mais il insiste surtout sur ce qui sépare les tenants de la «sémantique generative» des partisans de la «théorie standard étendue». Les raisons de cette scission parmi les linguistes sont clairement exposées et, dès ce premier chapitre, R. affirme sa sympathie pour «la théorie standard étendue».

2. La syntaxe du pronom «en» et la transformation de «montée du sujet» (pp. 48-85). limite ses études aux phrases où en a sa source dans un complément du sujet et où il semble «sauter» par-dessus le verbe principal:

(18) (a) Les conditions du traité menacent
d'être dures.

(b) *Les conditions en menacent
d'être dures.

(c) Les conditions menacent d'en
être dures.

Pour rendre compte de ce phénomène.
R. postule la forme sous-jacente suivante:

70) A menace [s les conditions de PRO
être dures]

(18) (c) sera alors dérivé à l'aide de deux
transformations indépendamment motivées:

1. EN-AVANT

2. MONTÉE DU SUJET

EN-AVANT est une transformation qui déplace le PRO du NP sujet et l'attache à gauche du VP. Comme MONTÉE déplacele NP sujet, il est clair que l'ordre d'application des transformations est ici crucial. Si l'on appliquait MONTÉE avant

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EN-AVANT, le résultat serait (18) (b), phrase agrammaticale. Par contre, tous les pronoms qui ont leur origine à la droite du verbe sont déplacés de droite à gauche par la règle de PLACEMENT D'ENCLITIQUE.

Les arguments en faveur de ces deux
règles de mouvements sont fournis par
Kayne (1969).

L'analyse proposée par R. implique que les verbes du type menacer doivent être marqués dans le lexique [-f MONTÉE DU SUJET], c'est-à-dire qu'ils imposent l'application de cette règle. Or, MONTÉE est d'ordinaire une règle facultative:

II semble que Pierre sait sa leçon
(sans MONTÉE).

Pierre semble savoir sa leçon
(avec MONTÉE).

Une telle analyse n'est légitime que si elle permet d'éclairer d'autres phénomènes. R. mentionne, en effet, une autre solution, qui imposerait certaines contraintes sur EN-AVANT. Le premier argument en faveur de MONTÉE met en jeu des restrictions de sélection imposées au suiet superficiel de certains verbes. Les verbes auxquels s'applique MONTÉE ne présentent pas de restrictions de sélection particulières; les contraintes apparentes entre le sujet superficiel et le verbe traduisent les contraintes existantes entre ce même sujet et le verbe enchâssé avant l'application de MONTÉE. Or, les verbes du type menacer entrent dans cette classe de verbes. Une analyse avec EQUI-NP DELETION n'est pas possible ici, car elle exigerait que l'on prenne aussi en considération les restrictions de sélection imposées par le verbe principal et serait moins générale.

Les arguments de la section 8 sont moins intéressants puisqu'ils ne font que reprendre d'autres arguments en faveur de MONTÉE; quant à ceux qui s'appliquent quentà quel, ils ont peu de poids à cause de leur manque de généralité.

R. montre enfin comment son analyse
permet de rendre compte des phrases où
en «saute» par-dessus plusieurs verbes:

(41) La solution risque de devoir en
être révisée.

On a la structure sous-jacente suivante:

(121) [s0 A risque [Sj A devoir [sa A réviser
la solution de PRO]]]

(41) est obtenu par l'application de PASSIF et de EN-AVANT dans S2, et par l'application de MONTÉE dans Si et So. De même, à partir d'une forme sousjacente telle que:

(130) [s0 A avoir failli [si A publier la
solution de PRO] de PRO]

on pourra prédire la forme superficielle:

(44) (b) La solution en a failli en être
publiée,

où l'on assiste à une sorte de chassécroisé
de en.

Comme R. établit à plusieurs reprises (exemples (46), (47), (58), (59)) un parallèle entre MONTÉE et TOUGH-MOVEMENT, on peut s'étonner qu'il ne mentionne pas les problèmes liés à une forme sous-jacente de cette sorte:

[A menace [s A être difficile à [s2 A
fermer les portes de PRO] de PRO]]

TOUGH-MOVEMENT comme PASSIF
crée la structure nécessaire pour l'application
de EN-AVANT, mais opère dans Si:

TOUGH-MOVEMENT

[s0 A menace [sx les portes de PRO être
difficiles à fermer de PRO]]

EN-AVANT

[s0 A menace [st les portes en être difficiles
à fermer de PRO]]

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PL. d'ENCLITIQUE

[so A menace [$i les portes en en être difficiles
à fermer]]

MONTÉE

* Les portes menacent d'en être difficiles
à fermer.

L'ordre d'application de EN-AVANT et de PL. d'ENCLITIQUE n'est pas pertinent: on obtiendra toujours une suite agrammaticale de deux en. Il est évident que de tels phénomènes peuvent être «expliqués» (voir Perlmutter (1971)) par la théorie. Ici, on aurait simplement pu souhaiter que R. traite de ces formes puisqu'il y aborde les «chasses-croisés» de en.

La dernière section est réservée aux problèmes résiduaires: parmi les verbes qui seront obligatoirement marqués [+MONTÉE], certains doivent être dédoublés (en deux entrées lexicales) puisqu'ils entrent dans des cadres syntaxiques différents. On aura par exemple:

menace^ cf. (133) le marquis a menacé
Justine de la fouetter;

menacer cf. (134) (a) la maison menace
de s'écrouler.

R. évoque enfin certains problèmes soulevés par une telle attitude et suggère une solution dans le cadre de la théorie des «fonctions thématiques».

3. Les constructions pronominales neutres et moyennes (pp. 87-125). Ici, R. traite de deux groupes de constructions pronominales: a) les pronominales moyennes:

(11) (a) le caviar se mange avec de la
vodka,

qu'il propose de dériver transformationnellement
des constructions transitives
correspondantes:

(11) (b) nous avons mangé le caviar avec
de la vodka,

et b) les pronominales neutres:

(4) (b) les soldats se sont réunis,

qu'il propose d'engendrer telles quelles dans la base, sans rapport transformationnel avec les constructions transitives correspondantes:

(4) (a) le chef a réuni les soldats.

Les rapports qui lient les deux dernières
constructions seront décrits en termes de
redondances lexicales.

Par une série de tests syntaxiques (réalisation lui du pronom se dans des constructions avec ne ... que et dans les propositions clivées c'est ... que), R. montre que ces deux groupes sont différents des vrais réfléchis du type:

(1) (a) Juliette se lave.

Tout en montrant la différence entre les moyens et les neutres, R. présente des arguments variés pour soutenir l'hypothèse d'une solution transformationnelle de ceux-là et une solution «lexicale» de ceux-ci :

1. Les contraintes grammaticales sont différentes pour les deux groupes. Les moyens ne se rencontrent pas à un temps ponctuel. En face de:

(35) (a) Ces lunettes se nettoient facilement,

on ne peut pas avoir:

(35) (b) *Ces lunettes se sont nettoyées
hier à huit heures et quart,

tandis que la construction neutre est parfaitement
possible avec un temps ponctuel :

(38) Cette branche s'est cassée à huit
heures et quart.

L'observation de R. est juste, mais pourtant il nous semble que la grammaticalité de la phrase dépend plus de la nature du complément adverbial temporel que d'un temps ponctuel. Les exemples suivants sont en effet grammaticaux:

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Ces lunettes se sont toujours bien nettoyées.

Les voitures françaises se sont bien vendues

R. signale aussi les valeurs habituelles, normatives et génériques de la construction moyenne. Le détachement du sujet avec reprise par le pronom cela/ça tient au caractère habituel de cette construction:

(40) Les maximanteaux, ça se porte sur
une minijupe.

On s'étonne de voir que bon nombre des exemples de R. ont justement un sujet détaché. Ces exemples seraient-ils acceptables sans un tel détachement?

R. avance deux arguments qui portent en particulier sur les neutres: l'existence des expressions idiosyncratiques telles que : rendre justice. De telles expressions ont déjà été utilisées pour soutenir l'hypothèse d'une transformation passive. R. fait l'inverse; il montre que rendre justice ne peut pas entrer dans une construction neutre:

(86) ""justice s'est rendue hier à huit
heures du soir.

Il essaie plus loin le même test sur les
moyens:

(118) ? justice se rendrait dans ces conditions.

Si R. n'accepte pas cet argument en faveur d'une solution transformationnelle des moyens, il vaudrait mieux ne pas l'utiliser en faveur d'une solution lexicale des neutres.

2. La possibilité de combiner ces constructions
avec les auxiliaires comme oser,
daigner:

(89) Justine a osé gifler le marquis.

Le sujet de l'infinitif est un sujet profond,
coréférentiel du sujet de l'auxiliaire. En
effet, la phrase:

(89) *Justine a osé être caressée par le
petit page,

n'est pas grammaticale parce que le sujet de être caressé n'est pas un sujet profond. R. montre que la construction neutre est parfaitement possible avec ces auxiliaires:

(90) L'équipe a osé se réunir.

Par conséquent, le sujet de cette phrase
est un sujet profond.

En ce qui concerne les moyens, R. conteste l'hypothèse selon laquelle ils seraient dérivés par les mêmes règles que les passifs (p.ex. NP PREPOSING). Pour soutenir son point de vue, R. se sert, entre autres, des verbes obéir et pardonner, qui peuvent être mis au passif bien qu'étant construits avec un objet indirect:

(97) (a) Le caporal a obéi au colonel.

(b) Le colonel a été obéi par le caporal

Selon R., ces verbes ne peuvent pas entrer
dans la construction moyenne:

(c) *un chef pareil, ça ne s'obéit pas.

Cet argument nous semble peu convaincant. D'abord, parce que nombre de Français acceptent cette dernière phrase. Ensuite, parce que le passif du verbe obéir est un reste d'une construction ancienne {obéir était autrefois construit avec un objet direct) et doit être considéré comme un cas tout à fait exceptionnel en français moderne. Il serait hasardeux de fonder des arguments sur ce verbe.

R. se sert des constructions factitives
pour montrer qu'une construction moyenne
peut opérer sur une structure déjà
dérivée transformationnellement. La
phrase:

(112) (a) ? les pommes de terre, ça se
fait manger difficilement aux enfants,

bien que douteuse, est meilleure que la
phrase neutre correspondante:

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(122) (b) *les pommes de terre se sont
fait manger difficilement aux enfants
hier soir.

Pourtant, comme nous le montre R. luimême,
la transformation passive ne peut
non plus opérer sur les factitives:

(125) *les pommes de terre ont été fait
manger.

Si ce test peut être utilisé comme argument pour une solution lexicale des neutres, ne pourra-t-il pas également être utilisé pour une solution lexicale des passifs?

Le dernier argument de R., qui porte sur les rapports entre un sujet profond et certains adverbiaux de manière, semble plus solide. Ces adverbiaux sont interprétés comme se rapportant à un sujet profond. Dans:

(143) (d) les vitres, ça se brise avec
enthousiasme,

l'adverbial se rapporte à un agent non
exprimé, sujet profond de la phrase active
correspondante:

(143) (a) les manifestants ont brisé les
vitres avec enthousiasme,

tandis que:

(143) (c) *les vitres se sont brisées avec
enthousiasme,

phrase neutre, dans laquelle le sujet est un sujet profond, est agrammaticale parce que les restrictions de sélection entre le sujet profond et l'adverbial ne sont pas respectées. Par contre, la phrase:

(142) les étudiants se sont dispersés avec
enthousiasme,

où les restrictions de sélection sont respectées,
est une phrase acceptable.

4. Les constructions factitives (pp. 126— 180). A la fin du chapitre précédent, R. mentionne les constructions du type (152) la branche a cassé en face de Pierre a cassé la branche qu'il propose d'appeler «neutres non pronominales» à cause de leur parenté avec les neutres pronominales. Dans cet article, il reprend la même idée. Il propose en effet de rendre compte des rapports entre les neutres et les transitifs par la règle suivante:


DIVL6000

(2)


DIVL6004

DIVL6006

(2) lui permet d'introduire les neutres pronominaux et non-pronominaux comme des intransitifs et non comme des transitifs. Lakoff et McCawley ont proposé une solution transformationnelle qui relie les transitifs à des intransitifs complément d'un verbe causatif:

(14) John killed Mary,

aura comme structure sous-jacente:
(15) John caused Mary to die.

Pour obtenir (14), il faut d'abord appliquer la règle de PREDICATE LIFTING, et, ensuite, on aurait une opération de lexicalisation. Une telle dérivation équivaut au rejet du niveau de la structure sous-jacente dans la mesure où une règle syntaxique doit être appliquée avant les insertions lexicales. Bien que les faits du français se prêtent à une telle analyse, R. la rejette à cause de ses conséquences théoriques. Il reprend ensuite certains arguments de Fodor contre cette même analyse transformationnelle. Ses propres arguments mettent en jeu le fait que les restrictions de sélection sont différentes dans les deux constructions, et que les constructions factitives complexes (faire + verbe) ne sont pas toujours des paraphrases des transitives simples. Ces faits nécessiteraient de nouvelles conditions sur l'application de PREDICATE LIFTING.

R. nous montre comment ces phénomènéspeuvent

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néspeuventêtre traités à l'intérieur du cadre de la théorie standard étendue. Se fondant sur les recherches de Jackendoff (1969), il propose d'utiliser des règles d'interprétation sémantique des fonctions grammaticales de la structure profonde: seul un NP «sujet profond de» un verbe peut être interprété comme désignant l'agent de l'action exprimée par le verbe. Une configuration:

[s NP [vp V NP X]]

doit être interprétée comme indiquant une «connexion directe» entre le réfèrent du NP sujet et celui du NP objet direct. Les quelques critères syntaxiques proposés par R. pour cerner la notion d'agent ne sont pas convaincants, comme il le reconnaît d'ailleurs lui-même.

R. essaie alors d'appliquer ces mécanismes aux constructions factitives. La structure profonde de la construction transitive simple, selon la théorie standard :


DIVL6087

diffère de celle des constructions factitives:


DIVL6089

Les NPs susceptibles d'être interprétés comme agent iunt encercle-» par R. Ce seraient donc ces structures profondes, en combinaison avec les règles interprétatives, qui rendraient compte de l'acceptabilité bilitéou de l'anomalie de certaines phrases.

R. ne donne pas de précision sur le fonctionnement exact de ces règles pour certains exemples donnés, ce qui rend la démonstration difficile à suivre et peu convaincante. Cela peut être dû à ce que R. semble vouloir embrasser dans une description syntaxique la connaissance du monde extérieur.

Parmi les problèmes dont une analyse transformationnelle rendra difficilement compte, R. signale les différences de restrictions de sous-catégorisation stricte entre les constructions transitives simples et les factitives complexes. Selon R., une solution lexicale expliquera facilement ces phénomènes. Les arguments proposés par R. contre une analyse transformationnelle sont concluants parce qu'ils sont de nature syntaxique. De plus, ce type d'arguments se retrouve dans des démonstrations familières au lecteur. Mais les arguments en faveur de la solution lexicale le sont moins. Cela tient surtout à l'imprécision de certaines notions (agent) et à des considérations extra-linguistiques. Mais R. reste conscient de ces imprécisions, qui ne pourront être éliminées que par des recherches ultérieures.

5. A propos (Tune classe de verbes psychologiques (pp. 181-251). R. s'intéresse aux relations entre les structures suivantes:

(1) Pierre méprise l'argent.
*ce rocher méprise l'argent.

(2) l'argent dégoûte Pierre.
Targent dégoûte ce rocher.

Les rapports entre ces constructions ont été décrits en termes transformationnels par Lakoff (1970) et Postal (1971). Les structures profondes en seraient respectivement:

(3) Pierre - mépriser - l'argent
(4) Pierre - dégoûter - largent

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où (2) est dérivé par PSYCH-MOVEMENT. S'inspirant de Jackendoff (1969), R. propose une solution sémantique, qui prend en considération des «fonctions thématiques». Ces fonctions thématiques sont des propriétés sémantiques (du type de celles étudiées au chapitre 4.) reliées aux fonctions grammaticales. Selon cette analyse, Pierre a la fonction thématique de «lieu», et l'argent celle de «thème» dans (1) et (2). R. reconnaît que les rapports qui existent entre (1) et (2) se manifestent aussi pour toute une série d'autres verbes. Dans le cas où le «thème» est une proposition, l'analyse transformationnelle présuppose une dérivation avec PSYCH-MVT et MONTÉE. MONTÉE est alors réduite à FORMATION D'OBJET, ce qui, selon R., pose certains problèmes théoriques. Pourtant, Postal (1974) reprend et défend l'analyse de RAISING: pour lui, MONTÉE et FORMATION D'OBJET ne sont qu'une seule règle. Des exemples du type:

(26) il me semble que le coût de vie a
augmenté,

sont d'ailleurs aussi discutés par Postal (p. 290). Il est bon de noter que Bach (1974) propose une seule règle pour RAISING. Son analyse a l'avantage d'expliquer un ordre sous-jacent SOV et non VSO, comme le fait Postal.

R. reprend systématiquement tous les arguments donnés par Postal (1971) en faveur de PSYCH-MVT. Si PSYCHMVT. implique qu'il existe une relation entre la position sujet profond et la notion de NP humain, cette relation ne peut rendre compte de l'ambiguïté de phrases telles que:

(64) Jean amuse Pierre,

où une des lectures possibles fait appel à la notion d'agent. R. réfute aussi l'argument de Postal qui porte sur l'adverbe personnellement, et celui qui porte sur les contraintes de «cross-over» (voir Postal (1971)). Pourtant, dans ce dernier cas, les problèmes soulevés par R. restent inexpliqués dans une analyse thématique.

R. s'intéresse surtout à l'ambiguïté de
certains verbes, cf. (64). Il étudie notamment
en détail le verbe frapper:

(159) Brutus a frappé César l paf \ son
[ de J
poignard (classe A).

Brutus a frappé César < > son
[*de J
ambition (classe B).

Le comportement syntaxique de frapper A est différent de celui de frapper B; de plus, il y a un «rapport systématique entre les classes de verbes A et B. » Toute grammaire doit rendre compte de ce fait et de ce que ces verbes ne sont pas perçus comme de vrais homonymes. Ce problème se complique encore lorsque l'on envisage d'autres emplois métaphoriques. Dans la dernière partie de son article, R. expose diverses solutions sémantiques possibles. Il s'arrête finalement à une solution qui étendrait la théorie de «markedness» au lexique. Ainsi, chaque emploi verbal, ou chaque «homonyme» présentant des propriétés syntaxiques et/ou sémantiques propres, serait représenté dans le lexique. La grammaire contiendrait des conventions de la forme:

(238) Dans les conditions
ci, ...,cn [a F] -* [u F]
(u = non-marqué)

qui économiseraient un grand nombre de traits. Une procédure d'évaluation des grammaires ne tiendrait pas compte des traits non marqués. Les «marking conventions»ont été introduites en phonologiepar Chomsky et Halle (1968). Ces conventions sont tenues pour universelles et ont comme support des faits phonétiques établis. R., ici, ne fait que proposer une solution et admet que l'extension de ces

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conventions au lexique pose des problèmesconsidérables que seules de plus amplesrecherches permettront de résoudre. Le lecteur reste donc sur une impression de vague. Mais R., à partir d'une analyse de verbes dits «psychologiques", s'attache ici à la vaste question des rapports entre la syntaxe et la sémantique. Il utilise pour cela des arguments «classiques»: certainesdifférences sémantiques ont des corrélats syntaxiques, aussi la grammaire doit-elle en rendre compte. R. choisit le lexique comme niveau de ces représentations.Cela exige donc une structuration plus poussée de ce lexique. Les conventionsqu'il propose ne sont qu'un pas dans cette direction.

6. Comment traiter les irrégularités syntaxiques! (pp. 252-286). Nous ne ferons que jeter un coup d'œil sur le dernier chapitre, qui traite des irrégularités syntaxiques. R. se réfère à un article de Klima qui, selon lui, devait être publié dans Gross (1973) mais dont le manuscrit n'a pas été soumis. Cet article, à notre connaissance, n'a pas eu de suites proprement linguistiques.

Pour R., certaines irrégularités syntaxiques ne peuvent être expliquées par des contraintes sur les transformations, alors qu'elles pourraient l'être par des «stratégies de perception». R. illustre le fonctionnement de ces stratégies à l'aide de trois transformations de mouvement: 1. déplacement dans des constructions factitives, 2. déplacement de compléments adnominaux et 3. déplacement dans les interrogatives:

1. (18) (a) Jean, à qui j'ai fait porter ce
message à Pierre.

(19) (a) * Pierre, à qui j'ai fait porter
ce message à Jean.

où Jean est sujet et Pierre objet.

La composante transformationnelle de
la grammaire engendrera aussi bien (18)
(a) que (19) (a). Etant donné la structure
intermédiaire:

(15) (b) je ferai porter à Jean ce message
à Pierre,

une «stratégie» (IV) prédira que si plus d'un syntagme à NP a été déplacé, la phrase ne sera pas acceptable. On peut vérifier que dans (19) (a) les deux à NP ont été déplacés. Il est important de souligner que les stratégies de perception, à la d fférence des contraintes sur les structures de surface (« surface structure constraints » voir Perlmutter (1971)), prennent en considération, soit les structures profondes, soit les structures intermédiaires d'une dérivation. De plus, les stratégies de perception ne mentionnent pas toujours des caractéristiques structurales: elles peuvent également porter sur des aspects morphologiques ou des traits sémantiques ou lexicaux. Une telle souplesse, qu'on ne trouve pas dans les contraintes sur les transformations, permet de rendre compte des différences d'acceptabilité d'un sujet à l'autre, mais il reste encore à déterminer le mode exact de l'interaction entre ces diverses stratégies. Le modèle proposé, par son retour constant aux structures sous-jacentes. implique une révision de la dichotomie compétence/performance. Une telle démarche, avant d'être entérinée par la linguistique, nécessite de profondes études psycho-linguistiques.

7. L'unité de ce livre provient de la ligne théorique adoptée par R. Prenant comme point de départ des phénomènes syntaxiquesdu français, il avance de solides arguments contre les solutions transformationnellesdéjà proposées pour l'anglais.D'un autre côté, les arguments en faveur d'une solution «lexicale» n'ont pas toujours la même rigueur. Cela, vaut pour les chapitres 4, 5, et 6, dans lesquels R. semble de plus en plus incorporer des notionsétrangères à l'étude syntaxique propre.Ces

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pre.Ceschapitres doivent être considérés comme des tentatives de solution aux problèmessoulevés et non comme des analysesexhaustives.

Malgré cette unité, la lecture du livre n'est pas toujours facile, cela étant dû à la diversité des phénomènes envisagés pour réfuter les solutions transformationnelles. De plus, et ceci est pour nous une objection plus sérieuse, les notions dont R. se sert (fonctions thématiques, stratégies de perception) ne semblent pas à première vue opératoires. Il n'en reste pas moins que ce livre, très stimulant pour l'esprit, est à la pointe des recherches linguistiques, et peut, de ce fait, être étudié avec beaucoup de profit par tous ceux qui s'intéressent à la syntaxe du français et au développement de la linguistique.

Oslo

Bibliographie

Bach, E. (1974), Syntactic Theory. N. Y.
Holt, Rinehart and Winston.

Chomsky, N. (1965), Aspects of the
Theory of Syntax. Cambridge, Mass.,
M. I. T. Press.

Chomsky, N. and M. Halle (1968), The
Sound Pattern ofEnglish. N. Y., Harper &
Row.

Gross, M. et al. (Eds) (1973), The Formal
Analysis of Natural Languages. The
Hague, Mouton.

Jackendoff, R. (1969), Some Rules of Semantic Interprétations for English. Ph. D. Diss. M. I. T. (publié 1972 - Semantic Interprétation in Generative Grommar. Cambridge, Mass., M. I. T.).

Kayne, R. (1969), The Transformational Cycle in French Syntax. Ph. D. Diss., M. I. T. (publié 1975, Cambridge, Mass., M. 1.T.).

Lakoff, G. (1970), Irregularity in Syntax.
N. Y., Holt, Rinehart and Winston.

Perlmutter, D. (1971), Deep and Surface

Postal, P. (1971), Cross-Over Phenomena.
N. Y. Holt, Rinehart and Winston.

Postal, P. (1974), On Raising. Cambridge,
Mass., M. I. T. Press.