Revue Romane, Bind 12 (1977) 2

Michael Herslund : Structure phonologique de l'ancien français. Morphologie et phonologie du francien classique. Etudes Romanes de l'Université de Copenhague, Revue Romane numéro spécial 8. Copenhague, Akademisk Forlag, 1976. 144 pp.

Povl Skårup

Jeanne Pontoppidan

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L'étude de Michael Herslund a une double optique: d'une part, c'est une description de la morphologie et de la phonologie de l'ancien français (plus précisément: du dialecte francien des XIIe et XIIIe siècles); d'autre part, c'est une tentative d'examiner quelle sera la place et le fonctionnement de la morphologie dans une grammaire generative, et aussi de construire la composante phonologique (ou grammaire phcnologique: morphologie + phonologie) de la grammaire d'une langue. Considérons l'étude sous ces deux optiques, dans Tordre ciié.

1. Description de l'ancien français

Celui qui s'intéresse moins à la construction d'une grammaire generative qu'à l'ancienne langue française trouvera dans le livre de M.H. une façon nouvelle de présenter des faits qu'il connaît déjà. Il verra ces faits sous un jour nouveau, il sera obligé de les réexaminer, et cela est un grand bien. Même s'il n'est pas d'accord avec l'ouvrage sur tous les points, il n'aura pas manqué d'en tirer un profit considérable.

La façon nouvelle de présenter les faits consiste surtout en ceci (abstraction faite du langage chomskyen avec ses formules): Lorsque deux formes d'un même mot

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lexical semblent avoir des radicaux différents,M.H. essaie de les décrire à l'aide d'une seule 'forme de base' plus des règles morphologiques et phonologiques. Ainsi, le verbe pooir aurait le même radicalde base dans toutes les formes du présent:pad-, et les formes puez, puet, poons, poez, pueent sont dérivées par des règles morphologiques indiquant les désinences et des règles phonologiques qui transformentpar exemple pôd+s en puez; et les formes puis, puisse, puisses, puissef puist, etc., sont dérivées par une règle morphologique qui ajoute -sj- au radical de base et par des règles phonologiques qui transforment pâd-sj- en puiss-. La description y gagne en simplicité par l'unité du radical, mais en même temps elle perd en simplicité par les règles établies; la question est de savoir où réside le compromis optimal. Certes, celui-ci ne se trouve pas dans les descriptionstraditionnelles, lesquelles se contententd'énumérer les formes, mais plutôt quelque part dans la direction où M.H. nous mène; je pense pourtant que M.H. est allé un peu trop loin dans cette direction.

Un autre point sur lequel j'hésite à suivre M.H. concerne la reconstruction de la forme de base. Le verbe pôd- n'a nulle part la voyelle o: en syllabe tonique il a -ue- (puez, puet, pueent); en syllabe protonique, où il a o (poons, poez), l'ancien français n'a qu'un seul o, qui était sans doute fermé. De deux choses l'une: ou bien on peut indiquer la forme de base par une ou deux de ses réalisations, ou alors on peut énumérer toutes les alternances entre voyelles toniques et voyelles protoniques et désigner chacune de ces alternances par un symbole qui servira dans l'indication de la forme de base (c'est la méthode de la reconstruction interne utilisée en linguistique diachronique); M.H. n'a pas choisi ces possibilités.

A la page 8, M. H. propose le système
vocalique suivant:


DIVL6522

Ici, les lettres e, e et se désignent les phonèmesqui proviennent normalement de êfi], de é] et de a[, respectivement; je garde ces lettres dans ce qui suit. J'ai quatre objections à faire contre ce système:(1) L'ancien français n'a pas un seul, mais au moins quatre systèmes vocaliques,et ils ne comprennent pas seulementdes monophtongues, mais aussi des diphtongues et des triphtongues, lesquellesne sont pas indiquées par M.H.: deux systèmes différents en syllabe tonique(devant nasale et sans nasale), un dans les syllabes qui précèdent la syllabe tonique du mot (ici, il n'y a qu'un seul phonème e entre i et a, du moins dans la première période, et un seul o, de même d'ailleurs que devant nasale en syllabe tonique), et un dans la syllabe faible qui suit la syllabe tonique (ce dernier système comprend une seule voyelle: 3, qui n'existe pas en syllabe tonique, ni, sauf peut-être en tant que variante ou allophone de fef, en syllabe protonique). Il y a intérêt à établir les alternances entre ces systèmes (par exemple, a protonique alterne avec a? tonique dans paroir'.pzrt et avec a toniquedans partir:part; oi tonique alterne avec e protonique dans voif.veons, indicatif,et avec oi protonique dans voie: votons, subjonctif); mais il n'y a guère d'intérêt à réunir les systèmes en un seul. On ne trouve pas ces quatre systèmes dans la présente phonologie de l'ancien français,ni les critères suivant lesquels son auteur a identifié aux monophtongues du système des syllabes toniques sans nasale celles des autres systèmes et celles qui entrent dans des diphtongues et des

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triphtongues. - (2) Dans le système vocaliquede M.H., u désigne la voyelle de cort 'court', et o celle de sort 'il surgit' (à distinguerde sort 'il sort'), mais ces deux mots ont la même voyelle. - (3) Le systèmene comprend pas la voyelle y ou « (de mur), que M.H. dérive par une règle: «u -> «»; cette règle se comprendrait mieux si u désignait la voyelle de mur, et o celle de cort et de sort 'il surgit'. - (4) Pour M.H., ce qu'il écrit a? (dans pert 'il paraît') était une monophtongue qui n'était pas plus longue mais plus ouverte que e (dans peri 'il perd'). Cette hypothèse soulève trois difficultés: a) Si ss était plus ouvert que e, comment expliquer le fait que la triphtongue de pieus < palos est plus fermée que celle de beaus < bellos*! b) Si x était une monophtongue de la même longueur que s, comment expliquer le fait que dans les mots empruntés au latin, le e latin est rendu par e devant t (prophète, Roi. 2255), mais par se devant r (Orner, Roi. 2616) et devant zéro (Dé; c'est à tort que M.H., p. 11, attribue un e à cette variante de Dieu) ? c) Si se appartenaità la série des monophtongues antérieuresnon-arrondies, celle-ci compterait quatre voyelles: i, e, e et ce (sans compter a), mais la série des monophtongues postérieuresarrondies n'en compterait que deux: o et o (u n'étant plus postérieur, et a n'étant pas arrondi ni peut-être postérieur);ce déséquilibre est peu vraisemblable,compte tenu des tendances généralesdes systèmes vocaliques. A mon avis, la meilleure hypothèse est d'attribuer à se le statut phonologique d'une diphtongue /ee/, née en même temps et dans les mêmes conditions que les diphtongues manifestes et (> oi) et ou (> eu) (et peut-être ie et uo > uè) et monophtonguée en même temps qu'elles. Cette diphtongue ne serait pas la seule à se trouver devant -rt (dans peert 'il paraît'): espeirtfespoirt (subj.), plourtjpleurt (subj.), muert (ind.), fiert (ind.). L'hypothèse n'implique aucune supposition sur le degré d'ouverture des deux éléments de la diphtongue /ee/, parce que l'opposition e: e, qui se constate en syllabe tonique devant une consonne non-nasale, est supprimée dans les diphtongues(ainsi que devant une consonne nasale et en syllabe protonique). L'une des possibilités est que les deux éléments avaient le même degré d'ouverture; dans cette hypothèse particulière, la diphtongue phonologique était prononcée comme une monophtongue phonétique longue.

Selon ce qui est dit p. 28, les adjectifs constant, élégant, prudent, diligent seraient uniformes, c'est-à-dire qu'ils n'auraient pas de -e au féminin. Mais ces adjectifs sont très rares ou même inattestés à l'époque qui nous intéresse, et je n'en connais aucun exemple au féminin, ni avec ni sans -e. En attendant des exemples de ces adjectifs au féminin, il vaut mieux penser que les seuls adjectifs uniformes en -t sont grant, fort, vert et les participes présents, les autres adjectifs en -ant et en -ent ayant -e au féminin, p.ex. dolente (Alexis), et des adverbes en -ement, p.ex. doleniemenî. Tout comme les autres adjectifs uniformes, les participes présents commencent eux aussi, au cours du moyen âge, à ajouter -e au féminin, mais ils gardent leurs adverbes en -animent > -amment. C'est par analogie avec eux que les autres adjectifs en -ant et en -ent se mettent aussi à former des adverbes en -amment, -emment, mais il est très rare de les trouver au féminin sans -e.

Ala page 32, M.H. établit une règle morphonologique qui implique le fait bien connu que les consonnes labiales disparaissentdevant -s sans laisser de trace, p.ex. vis 'vif, vivant'. Cela est vrai pour les substantifs et les adjectifs, mais pas pour les verbes, du moins au présent de l'indicatif des verbes en -voir: tu sez, doiz, muez (non ses. dois, comme M.H. le dit à la p. 94; avoir a tu as, mais ce verbe est irrégulier: // ad > a, non at en francien; il est vrai que je ne connais pas d'exemple sûr de la 2e pers. de recevoir, qui a égalementl'infinitif

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mentl'infinitifreçoivre, ni de (a-, ra-)mentevoirlmentoivre,qui se conjugue commedevoir ou comme recevoir/reçoivre; estovoir et plovoir ne s'emploient pas à la 2e pers.). Ici, c'est une autre règle qui est valable: labiale + -s -+ -z (= [-ts]), quelle qu'en soit l'explication diachronique. Laquelledes deux règles vaut dans l'indicatif des verbes en -vre: tu bois, reçois, sius, vis, escris (escris dans la Chronique de Benoît, v. 27798, n'est pas la deuxième personne du présent, mais la première du parfait, < scripsi) ou boiz, reçoiz, siuz, viz, escriz, et dans le subjonctif des verbes en -ver: tu achiés, comme M.H. l'écrit àlap.32 sans citer d'exemple, ou achiezl

Au présent du subjonctif, le choix entre -ez (=/-eets/) et -iez est déterminé phonologiquement, de même qu'à l'indicatif, comme le dit M.H. (p. 49), p.ex. metez, mais garissiez (ind. = subj.); mais le choix entre -ons et -iens ne l'est pas, puisque -iens ne s'emploie que dans une partie des verbes qui ont -iez. Il faut distinguer deux types de subjonctifs: ceux qui ont le même thème que l'indicatif (2e à 6e pers.), p. ex. met-, gariss-, et ceux qui ont un thème particulier, qui se retrouve d'ailleurs le plus souvent à la première personne de l'ind., p. ex. puiss-. Sauf dans des dialectes de l'Est, ce n'est que dans les subjonctifs à thème particulier qu'on trouve -iens: puissiens à côté de puissons, mais uniquement metons, garissons, où le subj. est identique à l'ind., de même qu'à la 5e pers. M.H. cite également la désinence sporadique -ions; en connaît-il des exemples antérieurs au XIVe siècle?

M.H. divise les formes de l'imparfait de l'indicatif en trois parties: radical + suffixe + désinence, le suffixe ayant deux variantes: -oi- quand il est tonique, idevant désinence tonique (p. 66-67), et il a raison. Mais il a tort en disant que les désinences (sans le suffixe) ne sont pas identiques à celles du présent du subjonctif. C'est qu'il analyse vendiens et vendiez comme vend-i-xms, vend-i-sets au lieu de vend-i-iens, vend-i-iets (une règle graphique dit que les deux i sont rendus par une seule lettre dans la plupart des manuscrits; une règle phonétique dit que les deux syllabes de -i-iens, -i-iez et de -i-ons commencent dès le moyen âge à se contracter en une seule, d'abord à l'Est). L'imparfait de l'ind. a les mêmes désinences que le prés, du subj. à thème particulier, à une petite réserve près: à la 3e pers. du prés, du subj., -3t peut se réduire à -a ou à -t (puisse ou puist), mais à l'imparfait uniquement à -/: vendoit (abstraction faite des suffixes -eev-f-iev- et -iv-, qui ne s'emploient pas dans le dialecte francien), mais ceci vaut également au prés, du subj. de certains verbes: soit, ait. Ce qui caractérise l'imparf. de l'ind., c'est justement qu'il a deux choses en commun avec le prés, du subj. à thème particulier: les désinences et le fait d'avoir un thème différent du prés, de l'ind. A l'imp. de l'ind. comme au prés, du subj. à thème particulier, le thème peut être constitué par un suffixe ajouté au thème du prés, de l'ind. (-oi- à l'imp. de l'ind., mais le même suffixe aussi au prés, du subj. dans des dialectes du Sud-Est) ou par un radical différent de celui du prés, de l'ind. (ere 'j'étais' à l'imp., puisse au prés, du subj.).

Cela vaut également pour l'imparfait du subjonctif. D'après M.H. (p. 84), ce ne serait que partiellement que les désinences de l'imp. du subj. seraient identiques à celles de l'imp. de l'ind. et du prés, du subj., mais où est la différence si l'on ne considère que le type à thème particulier du prés, du subj. ? La 5e pers. de l'imp. du subj. aurait -aets à côté de -ojts et de -jsets, mais si l'on trouve des exemples écrits -ez au lieu de -iez à l'imparf. du subj., on en trouve aussi au prés, du subj.: àlap. 123, M.H. cite poissez, Tristan en prose I, 1963, 332.8, mais cp. facez ib. 328.6 (il cite également fuissez, Jourdain de Blaye 1022, mais -ez y est une graphie pour -ds 'tu fusses'). Ici, M.H. cite un

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exemple de -ions: eussions, Mort Artu
130.46 + 47; on aimerait être sûr que
c'est vraiment la leçon des manuscrits
utilisés pour le passage en question, surtoutde
ceux qui datent du XIIIe siècle;
quoi qu'il en soit, -ions est si rare à l'imp.
du subj. qu'il n'y a pas là de différence
significative avec le prés, du subj. Du
point de vue synchronique, les désinences
de l'imp. du subj. sont identiques à celles
du prés, du subj. des verbes à thème particulier,et
diachroniquement, l'imp. du
subj. a remplacé ses désinences héritées du
latin par celles du prés, du subj. avant les
premiers textes français, comme cela se
passe sous nos yeux pour l'ancien occitan.
De même que l'imp. de l'ind., l'imp. du
subj. a en commun avec le prés, du subj.
à thème particulier les désinences et le fait
d'avoir un thème différent du prés, de
l'ind. Ici aussi, la différence thématique
est constituée, soit par un suffixe ajouté
au radical du prés, de l'ind. : chant-ass-e,
atend-iss-e, soit par un changement du
radical même: fuss-e. A l'exception du
futur et du passé simple, tous les 'tiroirs'
qui n'ont pas le même thème que le prés,
de l'ind., ont les mêmes désinences: -e,
-es, -ef-t, -iensf-ons, -iez (-oiz), -ent.
Ces remarques ne touchent nullement
la structure profonde de l'ouvrage. Il
serait facile d'introduire les changements
proposés sans toucher à ce qui importe le
plus aux yeux de M.H.: la discussion des
problèmes théoriques qui se posent lorsqu'onessaie
de décrire la morphologie et
la phonologie de l'ancien français dans
le cadre d'une grammaire transformationnelle.[P.S.]

2. La composante phonologique de l'ancien français dans un cadre transformationnel génératif

Des trois composantes de la théorie «Standard», la syntaxique, la sémantique et la phonologique, c'est la dernière qui doit être considérée comme la plus étudiée, comme le prouvent, entre autres, The Sound Pattern of English de Chomsky et Halle (1968) et Generative Phonology de Schane (1973). Mais alors que ces ouvrages traitent principalement de la phonologie, la présente étude de M.H. non seulement concerne la construction de la composante phonologique pour l'ancien français, mais aussi attribue à la morphologie la place et la fonction qui lui conviennent dans une théorie transformationnelle générative.

Pour rendre la description des variations phonétiques de la morphologie aussi adéquate que possible, l'auteur a décidé de prendre son point de départ dans une forme de base sous-jacente, ce qui veut dire que «la structure de surface» (les structures hiérarchiques) engendrée par la composante syntaxique, consiste en une forme de base et en toute une série de catégories morphologiques (marques abstraites) comme p.ex. [+ nom], [+ pi]. Les catégories morphologiques sont, au niveau de la syntaxe, définies comme binaires, p. ex. cas [+ nom] - nominatif, [H- nom] - oblique. A la page 17, M.H. nous montre comment une «structure de surface», qui forme les structures input aux régies morphologiques, doit être illustrée:

chevaus.

1.


DIVL6536

Puis les règles morphologiques sont appliquées:

1.


DIVL6541

2.


DIVL6544

DIVL6546

3.


DIVL6549

A la fin seront appliquées les règles phonologiques,
ce qui engendre:

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DIVL6553

Divisé en trois parties principales, l'exposé de M.H. traite premièrement du système phonologique de l'ancien français (1.), ensuite des parties du discours, une à une, d'après leur place et leur fonction dans le cadre des règles morphologiques et morphonologiques (2.-4.). La fin de l'exposé concerne l'accentuation et les règles phonétiques (5.-6.). Pour citer M.H. àla page 7, il souligne luimême que «ce qui compte c'est la simplicité des représentations lexicales (formes de base) et des règles qui les relient aux formes actuellement réalisées».

Voilà justement l'objectif de la théorie transformationnelle generative: obtenir la plus grande simplicité possible par rapport à l'objet en question. Pourtant, il faut dire que les dérivations proposées par M.H. ne semblent pas toujours simples et adéquates. Pour en prendre un exemple, je vais mentionner la description de la flexion des substantifs et des adjectifs de la classe trois, voir p. 28-31, berfbaron, empererejempereor. M.H. propose comme «forme de base» la forme longue: baron (les raisons de son choix ne me semblent pas convaincantes, voir p. 29-30).

La dérivation de ces formes des N3
comprend les règles suivantes:

1. de V'accent


DIVL6563

ex. barón -> báron, emperaeór ->
emperáor

2a. réduction de la racine


DIVL6569

ex. baron -»¦ bar

2b. métathèse


DIVL6575

ex. emperáor -> emperaéro

Les règles phonétiques assignent finalement
une représentation phonétique à ces
formes: [bsér] [èmperara].

Il est évident que la valeur d'une règle aurait plus de poids si elle pouvait être employée dans plusieurs relations, voir p. ex. p. 32, où la règle morphonologique PRS:


DIVL6583

efface les consonnes labiales devant une consonne. Cela est vrai quand il s'agit des substantifs et des adjectifs, mais pas pour les verbes en -voir (tu sez, tu doiz), comme l'indique Povl Skàrup ci-dessus.

Ainsi, la valeur de cette règle faiblit, et si nous devons l'utiliser, il faut lui ajouter une «contrainte», qui la rend moins explicative, du moins d'un point de vue génératif.

L'hypothèse binariste, formulée par Jakobsen et Halle et dont M.H. se sert également, est généralement considérée comme propre à remplir les exigences que la grammaire transformationnelle generative a établies en ce qui concerne la simplicité et l'universalité. Pourtant, la question du niveau doit se poser inévitablement: à quel niveau nous trouvonsnous quand nous parlons d'oppositions binaires? Est-ce qu'il est exact de parler d'oppositions binaires sur un plan autre que le plan phonologique?

Le phonème, on le sait bien, n'est pas considéré comme l'entité phonologique fondamentale dans la théorie transformationnelle generative, à l'intérieur de laquelle on travaille avec des segments phonologiques, spécifiés par des traits. M.H. indique àla page 7 que la grammaire de l'ancien français ne contient pas la liste de phonèmes établie, mais seulement des représentations lexicales, figurées par des traits présentés, «lesquels ont été définis par rapport à une théorie phonétique universelle».

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Ârhus

On trouve parmi les traits de M.H., le trait moyen (p. ex. e [+ moyen], se [-7- moyen]) dont l'universalité est fort discutable. D'après M.H., ce trait devrait permettre d'établir une opposition entre o et m. Ala page 9, M.H. présente le système vocalique sous-jacent de l'ancien français, avec sa réalisation phonétique en syllabe tonique fermée. En voici les oppositions:


DIVL6605

II me semble fort hypothétique de supposer que les traits phonologiques inhérents, qui sont binaires (soit de la valeur -f soit de valeur -7-), sont faits pour décrire l'output phonétique. En introduisant le trait [± moyen], M.H. peut établir des oppositions entre e/a? et oju. De cette façon, les exemples 1.5. p. 9 fonctionnent comme des exemples de l'opposition entre les voyelles par leur différence d'aperture.

Il est permis de supposer une opposition entre pert [e] (il perd) et pert [ae] (// paraît) à un niveau sous-jacent. Dans ce cas, il s'agit d'une opposition phonologique; mais comment vérifier cette opposition au niveau phonétique, sans avoir un «native speaker» et sans fondement universel ?

Il est évident que l'auteur fait appel aux connaissances de phonétique universelle, p. ex., pour tenter d'établir les règles phonologiques. Bien que les universaux phonologiques appartiennent aux universaux les mieux établis à l'intérieur de la recherche sur les universaux du langage, on devrait proposer un réexamen plus approfondi de l'hypothèse des traits binaires.

La présente étude sur la description phonoiogique du français des XIIe et XIIIe siècles doit être considérée comme un pas important vers l'établissement de la recherche sur les états de langue du passé dans un cadre transformationnel génératif (description synchronique). La question est de savoir si une telle étude, en ce qui concerne la composante syntaxique, serait possible au même degré. Et si une description des changements de langue (description diachronique), dans le cadre de la grammaire transformationnelle, serait réalisable.

Grâce aux résultats de cette étude, M.H. a frayé le chemin à l'emploi de la théorie TG pour une description synchronique d'un état de langue du passé. Il faut avouer que les règles établies par M.H. ne sont pas toujours immédiatement compréhensibles et semblent parfois même très compliquées. Pourtant, la faute n'en incombe pas toujours à M.H., mais plutôt au stade actuel de la théorie transformationnelle generative. [J.P.]