Revue Romane, Bind 12 (1977) 2

Morten Nojgaard : Litteraturens Univers. Indforing i tekstanalyse. Odense Universitetsforlag 1975. 388 p. Morten Nojgaard: Litterœr Tekstanalyse. Franske Ovelsesopgaver. Odense Universitetsforlag 1976. 183 p.

Michel Olsen

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En 1968, «l'analyse textuelle» fut érigée en discipline autonome dans les trois universités danoises alors existantes. Le candidat qui passe cette épreuve à l'examen reçoit un texte bref, en vers ou en prose, dont il doit faire une analyse immanente, sans nécessairement connaître l'auteur, ni le mouvement littéraire auquel le texte pourrait se rattacher. Une équipe inspirée et dirigée par Ole Wehner Rasmussen (Institut d'études romanes, Ârhus) a publié, en 1971, sous forme ronéotypée, un cahier comportant des textes ainsi qu'une introduction à la nouvelle discipline. Bref et succinct, mais ouvrant en même temps de larges perspectives, ce recueil a rendu de grands services. Il a été remanié depuis. Quelque temps après a paru le manuel de Jansen, Lund et Schnack, en deux volumes, Tekstanalyse 1-2 (Copenhague 1972), qui, bien que plus détaillé, se propose essentiellement le même but (v. le compte rendu de O. Wehner Rasmussen dans Revue Romane IX, fase. 2 1974).

Malgré la qualité des ouvrages cités, il manquait un exposé systématique des «sciences littéraires» modernes. J'utilise exprès ce terme, car Nejgaard ne prétend pas donner un exposé systématique ni de la narratologie, ni des grammaires textuelles, entreprise qui constituerait encore, en l'état actuel des recherches, une sorte de gageure. Tout en se montrant fort averti en narratologie, et connaissant bien les sciences du langage, l'auteur se contente presque exclusivement de considérer la littérature comme expression ou mimesis. Cela lui permet de dominer le champ étudié, et son ouvrage substantiel vient combler une lacune ressentie vivement, non seulement par les débutants auxquels il s'adresse, mais aussi par les professeurs et chercheurs auxquels il manquait un instrument de travail permettant de trouver facilement un renseignement ou une référence. A ce propos, on ne saurait assez insister sur les excellents registres: un index des notions et concepts étudiés, des notices bibliographiques qui se rapportent aux différents paragraphes et indiquent des ouvrages où la matière en question est traitée de façon plus complète, une bibliographie proprement dite et un index des auteurs cités.

Toutefois, la somme des connaissances contenues dans L U entre parfois en conflitavec le but pédagogique que se propose l'auteur {LU s'adresse aux étudiants des deux premières années de l'université). Il aurait été souhaitable de distinguer (pourquoi pas typographiquement?) deux niveaux, dont l'un tracerait les grandes lignes, donnerait les définitions et les procédures à suivre, alors que l'autre contiendraitles discussions des problèmes théoriques dont les solutions restent en suspens. Ce manque est partiellement comblé par la parution, en 1976, de Litterœrtekstanalyse. Franske evelsesopgaver, recueil d'exercices d'analyse littéraire proposés comme travaux pratiques à des groupes d'étudiants. Chaque exercice comporteplusieurs textes reliés par un thème ou un problème commun (p. ex. «l'universsonore»,

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verssonore»,«le problème du narrateur dans le roman», «l'espace dramatique», etc.). L'auteur donne une présentation des textes choisis, des notes aux textes et, à la fin, une solution du problème, cela à titre indicatif et sans exclure d'autres solutions possibles. Pour aider les étudiantsà résoudre les problèmes posés, l'auteur les renvoie aux paragraphes pertinentsde LU. C'est dire qu'il s'agit là d'une activité fortement «dirigée», comportantdes avantages et des désavantages: on s'assure que les étudiants sont en mesured'appliquer les procédures enseignées, mais les renvois risquent de bloquer l'initiativepersonnelle. Mon expérience pédagogiqueme dit que les étudiants réclament,parfois à grand cris, des questionnairesdirecteurs; reste à savoir s'il faut exaucer ces vœux.

Etant écrit en danois, LU n'est pas accessible aux francophones; c'est pourquoi je voudrais saisir l'occasion pour aborder quelques problèmes d'ordre général, plutôt que de donner un résumé (chose extrêmement difficile, vu le grand nombre de théories traitées ainsi que les analyses de déiail dont fourmille l'ouvrage). Dans une telle perspective, il est normal que les points discutables se voient attribuer une place plus grande que l'énumération des grands mérites de l'ouvrage. Je voudrais pourtant attirer l'attention des futurs lecteurs sur le caractère en quelque sorte complet de l'ouvrage de NoJgaard. A une culture générale étendue Noj'gaard allie le don de savoir résumer loyalement une théorie avant de la soumettre à la critique. Bien plus qu'un livre pour débutants, il nous offre un instrument de travail auquel on se reportera avec plaisir.

L'ouvrage comporte quatre parties: une introduction générale, suivie de trois parties consacrées aux «registres» lyrique, narratif et dramatique. Ndjgaard préfère le terme de registre à celui de genre, concept qu'il réserve à des groupes de textes temporellement limités et présentant un certain nombre de traits structuraux communs. Rappelons, à ce propos, que Noj'gaard est l'auteur d'une analyse structurale d'un genre précis, ainsi que des transformations diachroniques que celui-ci parcourt {La Fable antique l-11, Copenhague 1964 et 1966).

Dans l'introduction, Noj'gaard donne une définition opérationnelle de la littérature: «textes auxquels s'applique le système conceptuel proposé dans le travail présent» (p. 22). Si un texte, senti intuitivement comme «littéraire», ne trouve pas de description adéquate à partir de la méthode proposée, c'est celle-ci qui est à modifier. Reste à savoir si ces concepts sont assez homogènes pour offrir une définition opérationnelle, qui permette d'écarter certains textes et d'en conserver d'autres dans le corpus à étudier. Plus loin, l'auteur essaie d'établir des critères permettant de distinguer entre, p. ex., autobiographie et roman (autobiographique). Entre autres, on trouve le critère suivant: si le protagoniste d'un roman à la première personne porte le nom de l'auteur, il est souvent difficile de déterminer s'il s'agit d'une autobiographie ou d'un roman. Par contre, si le nom de l'auteur découle de celui du protagoniste, il est probable qu'il s'agit d'un roman (p. 56). Et si le protagoniste s'appelle Marcel (et qu'il soit à la recherche de lui-même)! Il me semble que des critères de la sorte sont par trop extérieurs (et, au fond, probabilistes, car un auteur pourrait fort bien attribuer des aventures qui lui seraient étrangères à un personnage portant son nom); chose plus grave, NoJgaard accentue une problématique considérée de nos jours comme secondaire (le texte est-il fictionnel ou non?) aux dépens des caractéristiques internes Cque l'auteur retrouve pourtant, une fois surmonté le souci des définitions générales).

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Pour Nejgaard, l'analyse littéraire doit satisfaire à deux conditions: 1) les observations particulières faites sur les textes doivent pouvoir se justifier par l'ordre qu'elles occupent dans la procédure analytique, qui, elle, doit se fonder sur un code critique univoque (voilà l'aspect systématique de l'analyse); 2) la procédure analytique doit désigner des endroits précis du texte analysé (l'analyse doit pouvoir se justifier «texte à l'appui», et c'est là l'orientation textuelle de l'analyse; v. p. 24).

Plus loin (p. 34), l'auteur revient aux problèmes d'epistemologie en se demandant si l'analyse proposée sera objective. Elle ne le serait pas dans la mesure où le chercheur apporterait lui-même les modèles qui déterminent la segmentation du texte et la recomposition des unités obtenues. Une telle modestie à l'égard de l'objectivité de la recherche semble tenir de l'idéalisme réaliste (les idées sont réelles, et, faute de pouvoir les contempler, le chercheur sa voit confiné dans une finitude non-objective), ou bien, et c'est plutôt le cas, d'une nostalgie, survivance du réalisme naïf (une rencontre entre une réalité - une œuvre - et une subjectivité, maintenues dans leur pureté originelle, serait possible). C'est un problème qui se retrouve, sous forme légèrement différente, dans les vices du cercle heuristique (toute analyse présuppose une pré-compréhension, tant du texte que du monde). Or, l'application d'un modèle préexistant n'implique nullement un manque d'objectivité. Si le modèle est explicite, tout chercheur peut contrôler sa consistance interne et l'appliquer «objectivement», en désignant les éléments du texte qui correspondent à tel ou tel élément du modèle. Mais, le modèle, même sans contradictions internes, peut se révéler plus ou moins intéressant, soit par son application (de quoi rend-il compte?), soit par les rapports qu'il entretient avec les théories riesgénérales des sciences humaines. Par contre, si par objectivité on entend retrouver l'objet (ou l'idée) en soi, le concept me paraît impossible à manier. Tout ce qui précède ne m'empêche aucunement de me joindre à Nojgaard pour souhaiter que les discussions portant sur le «message» d'un texte reposent sur une analyse textuelle; j'ai même l'expérience qu'une grande partie des désaccords proviennent d'analyses partant de modèles textuels différents. D'ailleurs, le choix entre ces différents modèles ne semble pas toujours se faire en fonction d'une théorie descriptive synchronique; ainsi, à titre d'exemple, le chercheur qui étudierait le monologue intérieur dans les romans de Butor, Simon ou Sarraute, sans se rappeler que le monologue intérieur appartient, en France depuis Sartre et Malraux, aux procédés communs du roman, risque de manquer l'essentiel ; les procédés littéraires ont une valeur historique, ce qui constitue une borne aux prétentions de l'analyse immanente; mais il faut savoir identifier ces procédés, et l'ouvrage de Nojgaard nous y aide beaucoup.

Un long passage, qui veut établir les rapports entre la langue, le langage littéraire et le réel, paraît sujet à caution. Il me semble erroné d'identifier l'opposition entre substance et forme (sur le plan du contenu) à l'opposition entre représentations psychiques et significations des mots (p. 37). Hjelmslev (1943 p. 46, 197), citant le Cours de Saussure (p. 155-157), insiste sur le fait qu'il n'y a pas d'idées préétablies et, qui plus est, que la comparaison de Saussure, assimilant la pensée prise en elle-même à une nébuleuse est strictu sensu un non-sens. La thèse glossématique (qu'on pourrait peut-être modifier à partir du concept d'intelligence opératoire et prélinguistique de Piaget) nie bien toute image mentale prélinguistique.

Nejgaard intercale entre le couple signifiant¡signifié
et le réfèrent (ou denotatum)

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le couple réfèrent (le signe linguistique, c'est-à-dire le couple safsé) ¡référé (la place du signe dans le système culturelconceptuel),obtenant ainsi la figure:

(quelque chose qu'on peut indiquer)
(p. 40)

Je ne vois pas clairement la différence, dans ce modèle, entre le signifié et le référé, et ces concepts ne sont appliqués nulle part dans LU. De plus, il me semble peu indiqué de redéfinir un terme tel que le réfèrent, redéfinition qui ne pourrait qu'accroître une confusion terminologique déjà suffisante.

L'introduction se termine par la définition des registres: trois registres littéraires (lyrique, narratif, dramatique) s'opposent à un registre non-littéraire. Si les trois grands genres littéraires (les registres de Nojgaard) sont traditionnels (depuis Aristote, et avec l'importante redéfinition donnée dans le Cours d'Esthétique de Hegel), leur définition l'est moins. NoJgaard fait appel à la distinction entre le macrocosme (le monde extérieur) et le microcosme (l'âme). Le registre narratif est défini par la dominance du microcosme: une voix parle de quelque chose, mais ce quelque chose (le macrocosme) ne se présente que comme le contenu des pensées de celui qui parle. Le registre dramatique est défini par la dominance du macrocosme (car, s'il y a bien un destinateur, il ne se manifeste qu'implicitement), et le registre lyrique par l'équilibre entre le microcosme et le macrocosme (p. 58 s.). Je ne saurais suivre l'auteur dans sa définition de l'univers lyrique. Veut-i! dire que le monde narratif est le plus souvent présenté comme une fiction, alors que le monde extérieur de la poésie lyrique est présenté comme réel, bien que subjectivement coloré? C'est là un avis répandu, mais, en l'acceptant, il faut aussi accepter certaines conséquences touchant au statut du moi respectivement narratif et lyrique: un auteur qui raconte un monde fictif ne prétend qu'à une réalité d'inventeur. Si, par contre, le monde lyrique est présenté comme réel (ou senti comme tel, autrement que l'univers narratif), cette réalité plus grande de l'univers lyrique déteint sur le moi lyrique. Et, en effet, le lecteur naïf considère le moi lyrique et son univers comme deux réalités, alors que l'auteur de roman n'est réel, toujours selon l'opinion commune, qu'en tant qu'inventeur (ou menteur). On en arriverait ainsi à identifier l'auteur (lyrique) réel et le destinateur ou auteurinstance du texte. Or, L U expose avec une clarté admirable la problématique du destinateur, mais semble avoir oublié ses propres résultats lorsqu'il s'agit de la définition des registres.

Tout dépend, évidemment, des critères sur lesquels on établit les définitions. Mais, comme je ne vois pas une cohérence suffisante chez Nojgaard, je préférerais définir l'univers épique par la prédominancedu macrocosme, ou, éventuellement,par l'équilibre du macrocosme et du microcosme. La première définition est celle de Hegel. Elle est fondée sur celle de l'Esthétique (1970, 111, p. 321-22), qui parle, d'une part, du déroulement autonomede l'action (on pourrait commenter:la consistance spatio-temporelle de l'univers), d'autre part, de la déterminationde l'action par les forces morales et autonomes, divines ou humaines (contrairementà la détermination subjective de la poésie, et du «dialogue» des forces subjectives et objectives dans le drame). Evidemment, la poésie épique qui a servi de modèle à Hegel est celle d'Homère, poésie où, en effet, l'auteur (instance du texte) est d'une présence très discrète.

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Dans les romans modernes, l'auteur se fait sentir avec plus de force, soit comme commentateur (Balzac), soit comme constructeur(cela par le seul fait de la présence simultanée, dans la conscience du lecteur moderne, des nombreuses manières différentesd'écrire un roman). Le drame serait ainsi, comme le propose Nojgaard, du domaine du macrocosme. La consistance spatio-temporelle me semble un bon critère,parce que la poésie lyrique manifeste souvent une grande liberté devant la cohérencematérielle de l'univers fictif, faisant varier les «décors» selon des lois qui ne sont pas celles qui régissent le monde extérieur (ainsi dans les Illuminations de Rimbaud par exemple, mais aussi avant, le sentiment subjectif pouvant appeler un décor-miroir).

Le problème du destinateur réapparaît dans le registre narratif, où Nejgaard voudrait établir une différence radicale entre un narrateur à la première personne et l'auteur omniscient (à la 3e personne), tout en admettant que le narrateur à la première personne peut tendre vers la coïncidence avec l'auteur textuel (p. 157). Cette distinction repose sur le fait que le je narrateur serait incapable de rien changer à son histoire (un je ne saurait changer sa vie fictive), alors que l'auteur (à la première personne) pourrait très bien modifier le récit et faire sentir son pouvoir (comme c'est le cas dans Jacques le Fataliste). Nous voilà devant un problème difficile, celui du nombre d'instances de l'auteur avec lesquelles il convient d'aborder la description de l'univers narratif (et peut-être aussi l'univers poétique); je ne nourris aucune prétention quant à sa solution. On peut toutefois se demander si l'omniscience d'un auteur (textuel) de Balzac et la toute-puissance de l'auteur (textuel) d'un Diderot sont à ranger au même niveau? L'auteur du Père Goriot connaît la pension Vauquer, alors que Balzac l'invente, comme le fait judicieusement mentobserver Genette (Figures 111, p. 226); encore faudrait-il peut-être, au lieu de Balzac, parler d'une instance toutepuissante du destinateur. Dans la fiction classique, l'auteur textuel croit à son propre univers fictif, tandis que les caprices d'un Sterne ou d'un Diderot abolissent l'univers du roman (pour créer autre chose). D'ailleurs, chez ces écrivains, l'instance toute-puissante s'exprime en disant je (et non pas nous); or, c'est ce dernier terme qui, selon Nojgaard (p. 154), indiquerait le plus souvent l'auteur (contrairement au narrateur). Il serait d'ailleurs possible de se figurer une fiction à la première personne, dans laquelle le narrateur changerait sa propre vie, comme les enfants le font souvent dans leurs jeux. Un auteur comme Le Clézio, dans certaines pages, a tiré parti de cette technique. Il semble donc bien que c'est la toute-puissance ouvertement manifestée qui, indépendamment du pronom par lequel l'auteur s'exprime, abolit l'univers du roman classique. Il va sans dire que, de nos jours, la distinction des genres, notamment épique et lyrique, est des plus précaires.

Comme il existe un certain nombre de problèmes qui sont communs aux trois genres (ou registres); autrement dit, commetous les textes littéraires et bien d'autres,semblent avoir en commun des structures (assez abstraites, il est vrai), on s'étonne de ne pas voir traiter ces problèmes ensemble, dans l'introduction. Les remarques judicieuses sur les valeurs, ce qui concerne l'intrigue (au moins pour les registres épique et dramatique), tout cela aurait gagné à être traité au même endroit. Ainsi les «forces» (qui déterminentl'action) sont mentionnées aussi bien sous le registre narratif que sous le registredramatique (qui contient l'exposé le plus complet, y compris une discussion du modèle actantiel de Greimas). Chose plus embarrassante, en affirmant qu'un

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poème lyrique ne comporte pas d'action (l'action déplace le poème lyrique vers le registre épique), Nejgaard passe sous silence une question importante: le poème peut-il comporter une autre forme de développement, une transformation opéréesur des systèmes de valeurs, par exemple? Voilà un point où la profession de foi glossématique aurait dû diriger l'attention de l'auteur vers ces problèmes généraux, car, si le structuralisme, ou la grammaire textuelle, reste souvent une métaphore dans la science de la littérature, il existe, par contre, des recherches sur la narrativité, sur les systèmes de valeurs réalisés dans les textes (recherches partant, par exemple, de l'établissement des isotopies).Nojgaard les connaît fort bien, mais il rejette le choix, selon moi fructueux et prometteur, qui consiste à traiter ensembleles problèmes communs à plusieursregistres. Un tel choix aurait aussi apporté un correctif au parti pris de considérer la littérature presque uniquementcomme mimésis transformatrice du macrocosme ou comme expression d'un microcosme. Mais, d'autre part, il faut se réjouir de vuir traiter avec compétence le point de vue mimétique, trop négligé de nos jours.

La critique de Greimas insiste avec raison sur la confusion possible quant à la fonction du destinateur, mais il est curieux de voir Nojgaard s'étonner que, parfois, Yadjuvant et le destinateur coïncident (de même pour le destinataire et le sujet), ou bien que certains actants puissent n'être pas réalisés dans le texte (p. 298 ss.). Ce sont des problèmes qui ont été repris par Greimas dans des articles publiés après Du Sens (1973 a et 1973 b); sur quelques points, ce chercheur aboutit à des résultats voisins de ceux que propose Nojgaard. Toutefois, il faut bien souligner que la force (et non pas la faiblesse) du modèle actantiel est de bien établir qu'un actant n'est pas un personnage. Il peut être utile de voir si un personnage incorpore plusieurs actants, ou bien s'il s'identifie, sans laisser de reste, à un seul.

Dans le chapitre sur la poésie lyrique, les interférences entre le rythme, la rime et la S)rntaxe sont bien étudiées, et, vu l'état actuel des recherches, on ne peut pas faire grief à Nojgaard de privilégier l'étude du sens. Pourtant, le rôle des éléments matériels du poème pourrait être cerné de plus près à la lumière des travaux de Lotman, qui n'étudie pas à part les éléments sonores, mais considère qu'une similarité phonétique crée souvent une catégorie sémique ad hoc, propre, soit au poème, soit au poète, soit enfin à toute une période (v. Lotman, 1973).

Voilà un certain nombre de problèmes d'intérêt général qu'a soulevés, de par ses multiples perspectives et ses vastes synthèses, le travail bien documenté de Nojgaard. La discussion qui précède ne doit pas faire oublier, je le répète, qu'à un niveau plus quotidien, c'est-à-dire comme ouvrage de référence et instrument de travail, le livre de Noj"gaard est très utile. Nous avons d'ailleurs rendu une justice implicite à cet aspect de l'ouvrage, en lui empruntant quelques schémas et observations lors de la rédaction collective d'un précis de technique romanesque (Olsen 1975). Je tiens aussi à signaler l'excellente orientation dans les différentes théories sur le drame, ainsi que, dans le chapitre sur la poésie lyrique, une remarquable petite théorie de l'image et un exposé judicieusement critique de la stylistique de l'écart. Il ne me reste qu'à recommander, à ceux qui lisent le danois, d'avoir l'ouvrage de Nojgaard à portée de la main.

Roskilde

Bibliographie

Greimas, A. J. 1973 a «Les Actants, les
acteurs et les figures». In: Chabrol (éd):

Greimas, A. J. 1973 b «Un Problème de
sémiotique narrative: les objets de valeurs».
Langages septembre 1973 n° 31.

Hegel, G. W. F. 1970 Vorlesungen iiber

Lotman, Ju. M. 1973 La Structure du
texte artistique.

Olsen, M. (réd.) 1975 «Den lille romanlaser».
{Pré)publications n° 19. Institut
d'études romanes, Ârhus.