Revue Romane, Bind 12 (1977) 2

Le gérondif, le participe présent et la notion de repère temporel

par

Harald Gettrup

I. Introduction

Les pages qui vont suivre sont consacrées à un examen du gérondif et du participe présent dans le sens temporel. Le problème étudié ici est tout simplement celui de savoir si les deux formes peuvent s'employer comme des indications de temps. Je m'efforcerai de montrer que le gérondif peut assumer cette fonction, ce qui posera une nouvelle question, celle des relations temporelles que cette forme est capable d'exprimer. Il faut donc étudier systématiquement ces relations. Dans la dernière section, j'espère pouvoir montrer que le comportement du participe présent est différent de celui des autres indications de temps, et que, probablement, il est erroné de croire que cette forme puisse avoir un sens temporel.

Toutes les grammaires s'accordent pour dire que ces deux formes verbales peuvent s'employer dans le sens temporel, et parfois pour leur trouver des équivalences avec les propositions temporelles. Cependant, on ne discute pas ce qu'il faut entendre par «sens temporel» (ou «indication de temps») quand un syntagme ne contient aucun terme précisant une telle fonction. Est-ce que, par exemple, le gérondif est une indication de temps dans (1):

(1) Le père lui sourit en se frottant les mains. (Sartre, Séquestrés 123)

Les deux actions se déroulent simultanément, mais est-il juste de dire que le gérondif indique la simultanéité ? Ne vaut-il pas mieux parler de circonstance concomitante ? Ce sont de tels cas qui rendent nécessaire une analyse plus approfondie de la notion d'indication de temps. Il faut donc, tout d'abord, procéder à un examen de cette notion. J'espère que mon travail contribuera à jeter un peu de lumière là-dessus.

Le gérondif et le participe présent partagent avec d'autres unités linguistiques(notamment
les prépositions dites incolores) la propriété de pouvoir
prendre différents sens, aussi nombreux que variés. A première vue, cela

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tient au fait que les deux formes ne renferment aucun élément distributionnel qui indique avec précision les rapports sémantiques entre celles-ci et le reste de la phrase. Les deux morphèmes en et -ant sont vides et n'autorisent pas, de prime abord, à en tirer des significations particulières. Il faut pourtant poser comme principe le fait que chaque forme comporte un trait spécifique conditionnant son emploi et permettant certaines interprétations sémantiques, à l'exclusion de certaines autres. Une des questions qu'on pourrait envisager porte donc sur ce trait. Comment le décrire et quel est son rapport avec les nombreuses interprétations auxquelles se prêtent les deux formes ? Ce n'est pourtant pas cette question-là que j'ai l'intention de soulever. Mais si les deux formes comportent un trait spécifique qui rend disponible un certain nombre d'interprétations sémantiques, le choix qui s'opère définitivement entre ces interprétations dépend de faits contextuels. Et c'est par l'étude de ces faits contextuels que j'essaierai de préciser la notion d'indication de temps.

Puisque, dans cette étude, seuls sont examinés les syntagmes au sens temporel, je n'aborderai pas les questions d'ordre général, par exemple la possibilité pour une forme en -ant d'être mise en relief par c'est, de former des périodes et d'apparaître dans des syntagmes qui ne contiennent que le verbe, et j'éviterai, autant que possible, de me servir d'exemples qui illustrent de telles constructions. Dans celles-ci on observe, en effet, de nettes différences quant à l'emploi des deux formes : le gérondif est admis, alors que le participe présent est exclu. Et mon enquête étant fondée sur une comparaison des deux formes dans des environnements identiques, je laisse de côté le cas où le participe présent est exclu par les règles générales.

J'ai touché à la question de différences et de règles générales. Cela m'amène à citer deux études portant sur les formes en -ant : un article de Arne-Johan Henrichsen «Quelques remarques sur l'emploi des formes en -ant», et un mémoire de Susanne Schmidt-Knàbel Die Syntax der -ant-Formen im modernenFranzôsisch. Pour Henrichsen, il n'y a pas de différence entre le participe présent et le gérondif: «Et le gérondif? Est-ce que celui-ci n'est pas une autre forme en -anti A quoi nous répondrons: le gérondif n'existe pas en français moderne. Selon nous, le français a une forme en -ant, et cette forme se combine en certains cas avec la préposition en» (100). «Contrairementà ce que soutiennent la plupart des grammairiens, la forme en -ant peut être précédée ou non de la préposition en sans différence de sens perceptible » (103). C'est là un point sur lequel je ne peux pas être d'accord avec Henrichsen.Pour moi, il y a des différences distributionnelles et des différences sémantiques.Dans certains cas, une forme est exclue; dans d'autres, les deux

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sont théoriquement possibles, mais la substitution d'une forme à l'autre
modifierait considérablement le sens et aboutirait parfois à des résultats
absurdes. Soit l'exemple:

(2) Bébé, elle fut un ange de douceur et de gaieté. Dormant dans notre chambre,
jamais elle ne cria la nuit, ne réclama son biberon avant 7 heures du matin,
et en dormant, encore elle riait. (Mallet-Joris, Maison 105)

Au gérondif de la dernière phrase on ne peut pas substituer un participe présent, puisque, en règle générale, le participe présent ne se construit pas sans compléments. Et inversement, dans la première phrase le participe présent est de rigueur: *En dormant dans notre chambre, jamais .. est totalement exclu. A vrai dire, je ne vois pas comment interpréter cet éventuel gérondif. Instrumental ou conditionnel ? Comme dit un de mes informateurs : «Un tel gérondif n'aurait aucun sens.»

Susanne Schmidt-Knàbel admet des différences distributionnelles et formule des règles générales. En ce qui concerne certains faits syntaxiques: construction libre, construction sans compléments, mise en relief, intercalation entre l'auxiliaire et le participe passé, co-occurrence avec des adverbes comme juste, même et sauf, on trouve des renseignements utiles dans son livre. Cependant, fondant son étude sur des principes strictement distributionnels, l'auteur nous prive de bien d'autres renseignements tout aussi utiles.

Premièrement, Susanne Schmidt-Knâbel ne tient pas compte des différences de sens que présente chaque forme prise isolément (tels le temps, le moyen, la manière, pour ce qui est du gérondif) et qui sont pourtant, jusqu'à un certain point, liées à des faits syntaxiques. C'est pourquoi je n'ai guère pu utiliser son travail. Deuxièmement, elle n'étudie pas les cas où les formes s'emploient dans des environnements identiques. En imposant de telles limites à son enquête, Susanne Schmidt-Knàbel se montre plus sévère que bien d'autres distributionalistes. Et, justement, dans le cas du participe présent et du gérondif, il est permis d'exprimer des doutes sur le bien-fondé de cette position. Dans deux articles, «Grammaire, lexicologie et sémantique» et «Principes d'une grammaire française», le regretté Knud Togeby a manifesté sa méfiance à l'égard des considérations sémantiques. Pourtant, il écrit p. 167: «Cela ne signifie pas qu'on puisse totalement se passer de la sémantique. Elle s'impose par exemple lorsqu'on se trouve en présence de constructions libres, où deux formes peuvent être concurremment employées sans qu'il y ait de règles pour cet emploi. » En effet, le participe présent et le gérondif peuvent s'employer dans des constructions libres pour lesquelles les règles n'excluent ni l'un ni l'autre:

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(3) Elle ne broncha pas en se sentant observée. (Simenon, Ombre 42)

(3)' Elle ne broncha pas, se sentant observée.

Dans (3) le sens est concessif (= bien qu'elle se sentît observée), dans (3)' il est causal (= parce qu'elle se sentait observée). Pour plus de détails sur la discussion de ces problèmes, voir mon article dans Actes du 6e Congrès des Romanistes Scandinaves (Uppsala 1977, à paraître).

Dans plusieurs domaines, les recherches de Susanne Schmidt-Knâbel auraient pu aboutir à des résultats très intéressants, si elle ne s'était pas, pour ainsi dire, arrêtée à mi-chemin. Je pense notamment à ses investigations statistiques sur la longueur des syntagmes et les rapports de celle-ci avec la valeur d'information. A la page 254, on lit: «Von hier aus ist nun ein Schluss auf die realisierte Lange des â-â-Adverbs (= le syntagme gérondif) môglich; es wird im Durchschnitt wesentlich langer sein ais das mâ- Adverb, muss aber unter den für das 1. (= le participe présent en fonction d'attribut libre) und das 2. â-Adverbs ermittelten Lângenwerten bleiben. » Que la longueur moyenne des syntagmes gérondifs soit supérieure à celle des syntagmes adverbiaux en -ment, n'est pas pour surprendre. Mais fallait-il vraiment lire le livre de Susanne Schmidt-Knâbel pour savoir cela ? Parlant de la valeur d'information, elle conclut que les syntagmes participiaux, qui, en moyenne, sont plus longs que les syntagmes gérondifs, ont, corollairement, la valeur d'information la plus élevée. Cela paraît très convaincant. Mais telles quelles, ces observations n'offrent que peu d'intérêt. Et pour deux raisons. Premièrement, la valeur d'information n'est pas seulement fonction du nombre des syllabes, la syllabe étant l'unité de longueur. Elle dépend pour une large part de la nature des compléments (compléments circonstanciels de nature différente, épithètes, propositions relatives parenthétiques ou restrictives). Deuxièmement, je vois mal l'intérêt qu'il peut y avoir à déterminer un degré d'information à partir d'une longueur moyenne. Il y a des syntagmes gérondifs qui sont très longs et d'autres, très courts. Aussi Susanne Schmidt-Knâbel dit-elle p. 255: «Das bedeutet schliesslich nicht, dass nicht im Einzelfall ein â-â-Adverb eine sehr grosse Lange erreichen kann, so dass ein Ausfall dann noch einer erheblichen Einbusse an semantischer Information gleichkommen wiirde. » Mais elle s'en tient à cette constatation. Pour mettre à profit les renseignements statistiques et aborder des questions vraiment intéressantes, il aurait fallu étudier ces oppositions quantitatives en vue de savoir si elles sont accidentelles ou régulières. En d'autres termes, il aurait fallu montrer s'il y a des règles qui décident du nombre et de la nature des compléments qu'admet une forme en -ont. Il semble, en effet, qu'un syntagme gérondif n'admette pas n'importe quel complément dans n'importe quel contexte. Soit les exemples:

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(4) Quittant la place du marché avec son paquet de toile sous le bras, il alla
faire des achats dans des boutiques de la rue principale. (Aymé, Vouivre 112)

(4)' a été soumis à cinq informateurs qui sont d'accord pour rejeter le gérondif:

(4)' *En quittant la place du marché avec son paquet de toile sous le bras, il alla
faire des achats .. .

Le gérondif, par contre, est tout à fait normal dans (5) :

(5) En prenant son café sur la table de la cuisine, couverte d'une toile cirée encore
neuve, sentant fort, il a relu son devoir et il y a ajouté quelques virgules
(Butor, Degrés 147)

Si dans (4)' on supprime le syntagme prépositionnel, la phrase reste douteuse,
mais bien plus acceptable que (4). Elle est acceptée par trois informateurs
sur cinq:

(4)"? En quittant la place du marché, il alla faire des achats dans la rue princi
pale.

Il est certainement nécessaire d'étudier la longueur des syntagmes, car celleci influe sur leur grammaticalité. Elle influe aussi sur leur sens. Mais pas de façon absolue. Ce qui compte, c'est le nombre et la nature des complément sl ' 2.



1: L'illustration comprend aussi bien des exemples littéraires que des exemples construits. Pour juger de l'acceptabilité de ces derniers, j'ai fait appel à cinq collègues de l'Université de Copenhague qui ont bien voulu me prêter leur assistance. Il s'agit de Françoise Andersen, Maryse Laffitte, François Marchetti, Ghani Merad et Marie-Alice Séférian. Je les remercie tous de l'aide qu'ils m'ont apportée et des bonnes idées qu'ils m'ont inspirées. Plus particulièrement, je tiens à remercier François Marchetti avec qui j'ai eu de longues et fructueuses discussions sur les deux formes en -ani.

2: La plupart des exemples ont été soumis à trois informateurs. Dans certains cas épineux, j'ai trouvé utile d'élargir le nombre de trois à cinq. Les lettres a, b, c, d, e, dont je me sers de temps en temps pour désigner les informateurs, ne correspondent pas à l'ordre alphabétique noté ci-dessus.

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II. La notion de repère temporel

1. De façon rigoureuse, on ne peut parler d'un sens temporel que si l'on peut démontrer que la fonction principale du syntagme est d'indiquer un moment ou un espace de temps qui sert de repère temporel à l'action du verbe fini. C'est cette fonction qu'on attribue aux propositions dites temporelles, et on pourrait convenir de ne parler d'un sens temporel que dans les cas où l'on peut substituer au syntagme en -ant, ou bien une subordonnée, ou bien un syntagme prépositionnel contenant une indication de temps suivi d'un infinitif {au moment de sortir, avant de sortir, après être sorti). On aurait alors le sens temporel dans (6) :

(6) En arrivant à la maison neuve d'Urbain, Voiturier aperçut les Muselier
(Aymé, Vouivre 181)

puisqu'à (6) on peut substituer (6)' :

(6)' Quand il arriva ..., V. aperçut

mais non dans (7):

(7) L'adolescente à bicyclette disparaissait sur la route déjà sombre en faisant
sonner son grelot. (Mauriac, Thérèse 39)

Dans (7) la fonction principale du syntagme gérondif n'est pas d'indiquer un moment précis ou un espace de temps. La substitution au syntagme gérondif d'une subordonnée de temps introduite par pendant que serait peu naturelle, car le sens n'est pas «elle disparaissait dans l'espace de temps où elle faisait sonner son grelot». En faisant sonner son grelot est plutôt perçu comme désignant une circonstance concomitante.

2. Si l'on applique un tel critère de substitution, on ne peut pas attribuer un
sens temporel à (8) :

(8) Prenant Urbain à bout de bras, il le déposa doucement sur le sol (Aymé
Vouivre 89)

11 ne semble pas que dans cette phrase on puisse substituer un complément
de temps au syntagme participial. L'action de prendre étant antérieure à
celle de déposer, on pourrait peut-être envisager la substitution suivante:

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(8)' Après avoir pris Urbain à bout de bras, il le déposa doucement sur le sol.

Pourtant, cette substitution n'est probablement pas correcte, car la construction participiale qui correspond à (8)' n'est pas prenant mais ayant pris. (8) correspond plutôt à une construction comportant deux verbes finis coordonnés:

(8)" II prit Urbain à bout de bras et le déposa doucement sur le sol

Là, on ne dirait jamais que prit indique l'antériorité par rapport à déposa. Si prit est considéré comme antérieur à déposa, cela s'explique par le cours linéaire du texte, qui ne permet jamais au premier verbe d'une coordination de désigner une action postérieure à celle exprimée par le second verbe. L'ordre temporel n'est pas moins clair dans (8)" que dans (8). Le participe présent n'y changeant rien, on ne peut guère prétendre que sa fonction est d'indiquer l'antériorité. On peut dire qu'un verbe qui en précède un autre peut, dans certaines conditions, se mettre au participe présent. Mais c'est tout autre chose. Si, dans de tels cas, on a pourtant associé un sens temporel au syntagme participial, cela s'explique par l'habitude qu'on a de classer les compléments circonstanciels à l'aide d'un nombre très restreint de catégories logiques conventionnelles (temps, cause, manière, etc.). En procédant par élimination, on a fini par appeler temporel ce sens.

Mais si le sens du syntagme participial n'est pas temporel, quelle est donc la différence de sens entre (8) et (8)", entre la subordination et la coordination ? J'espère, dans un travail ultérieur, pouvoir revenir à cette question. Pour y répondre, il faut des études approfondies des notions syntaxiques de subordination et de coordination, et, parallèlement, des notions sémantiques d'action primaire et secondaire. Un tel projet va au-delà du but que je me suis proposé ici.

De même, un verbe qui en suit un autre peut se mettre au participe présent

(9) Elle s'est dégagée d'un bond, sautant à cloche-pied à travers les bancs, je ne
l'ai rattrapée qu'à deux pas de la porte. (Bernanos, Journal 197)

Là non plus on ne peut prétendre que le participe présent ait le sens temporel. Ce n'est pas sa fonction d'indiquer que sautant suit s'est dégagée. On pourrait objecter que le syntagme participial correspond à avant de + infinitif:

(9)' Elle s'est dégagée d'un bond, avant de sauter à cloche-pied à travers les
bancs ...

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mais il me semble qu'il existe entre (9) et (9)' des différences de sens qui rendent inacceptable cette substitution. Comme je n'ai pas l'intention de procéder à une analyse des constructions avec avant de, je me bornerai à dire que celles-ci semblent impliquer l'idée qu'une action est attendue ou préparée, idée qui n'est pas présente dans (9).

3. Le fait que l'action d'une forme en -ont est antérieure, postérieure ou simultanée par rapport à celle d'un verbe fini, n'est donc pas un critère suffisant pour lui attribuer un sens temporel. Ce qu'il faudrait, c'est de pouvoir démontrer, je l'ai déjà dit, que son rôle primordial est de situer le verbe principal dans le temps. En principe, son sens devrait être réduit à celui des compléments de temps proprement dits: avant, après, à ce moment, pendant ce temps, etc. Seulement, à la différence de ces compléments de temps, le contenu sémantique d'un syntagme participial et d'une subordonnée temporelle ne se réduit jamais à une simple indication de temps. Ces constructions comportent toujours un verbe qui a son sens spécifique, et ce verbe peut se construire avec des compléments d'objet et de circonstance. Mais dans le cas des subordonnées, le terme introducteur, support d'une signification précise, détermine les rapports logiques avec le reste de la phrase.

Il en va tout autrement des syntagmes participiaux et gérondifs, qui ne comportent aucun terme explicitant ces rapports. Néanmoins, ils apparaissent souvent dans des contextes où l'interprétation temporelle est la seule possible. Considérons les exemples:

(10) Je chante en me rasant.

(11) Je me rase en chantant.

On voit que, dans (10), le syntagme gérondif est perçu comme ayant une valeur temporelle (== Je chante quand/pendant queje me rase), alors que (11) n'est pas compris de cette manière. Comme ces deux phrases sont identiques quant à la construction et au vocabulaire mais diffèrent quant au sens des syntagmes gérondifs, elles se prêtent bien à un examen de la notion de repère temporel.

4. On constate que dans les deux cas il s'agit de procès qui se déroulent simultanément. Le renversement des termes ne change rien à ce fait. Par contre, la valeur d'information du renseignement fourni par le syntagme gérondifaugmente quand on passe de (10) à (11). Comme la plupart des hommesse rasent régulièrement, normalement une fois par jour, le renseignementdisant qu'on se rase n'a rien d'insolite. Il n'en est pas de même pour

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en chantant, puisqu'il y a des gens qui ne savent pas chanter et que, de toute façon, on n'est pas censé le faire régulièrement, à des heures fixes. On peut dire que dans (10) le syntagme gérondif désigne un fait connu, dans (11) un fait non-connu. C'est cette opposition qui produit les interprétations différentesde (10) et de (11), de sorte que (10) est regardé comme un repère temporel,(11) comme une circonstance concomitante. En d'autres termes, la possibilité pour une forme en -ant de constituer un repère temporel est inversementproportionnelle au degré de nouveauté de l'action verbale. Pour désigner ce caractère connu ou non-connu d'un énoncé, j'emploierai désormaisle terme d'acquis.

Dans (10) et (11) le degré d'acquis dépend de faits extra-linguistiques. Si en me rasant est considéré comme une chose connue, cela tient au fait qu'il s'agit d'un acte dont tout le monde sait qu'il a lieu à des intervalles réguliers. Dans ce cas on peut parler d'un acquis existentiel. Mais, évidemment, l'acquis peut aussi provenir de faits contextuels, si, par exemple, un gérondif reprend quelque chose de déjà mentionné. Il va sans dire qu'en pareil cas le syntagme gérondif n'apporte qu'un minimum d'information, ce qui fait que l'interprétation temporelle s'impose:

(12) elles disaient à ma mère que j'étais «une vraie petite maman». En disant
ça elles se penchaient vers moi avec une figure molle comme si elles allaient
se mettre à couler (Rochefort, Enfants 12)

(10) et (12) présentent des exemples très nets des deux types d'acquis, existentiel et contextuel. Mais souvent le syntagme désigne, non un fait connu, mais un fait prévisible, un fait auquel on s'attend parce que, d'habitude, il se produit dans telle ou telle situation. La prévisibilité, elle aussi, réduit la valeur d'information d'un syntagme gérondif de manière à lui imposer une interprétation temporelle :

(13) Tout était si clair dans sa tête, qu'en levant les yeux il s'étonna de voir autour
de lui des murailles de livres au lieu de l'espace infini. (Troyat, Geste 40)

Le personnage en question était occupé à étudier une carte. On peut prévoir que cet acte ne se prolongera pas indéfiniment: tôt ou tard il lèvera les yeux de dessus la carte. Lever les yeux étant préparé par la situation, cet acte est perçu comme un repère temporel. Aussi la substitution au syntagme gérondif d'une subordonnée temporelle est-elle parfaitement acceptable:

(13)' Tout était si clair dans sa tête, que, lorsqu'il leva les yeux, il s'étonna

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II ressort de ce qui précède queje considère les oppositions connu/non-connu, prévisible!non-prévisible comme constitutives du sens que peut prendre un syntagme en -ant. Plus le contenu d'un syntagme donné est connu ou prévisible, et plus l'interprétation temporelle s'impose.

Pour vérifier le bien-fondé de cette hypothèse, il convient d'examiner les subordonnées temporelles afin de savoir quelles propriétés syntaxiques et sémantiques interviennent dans leur interprétation; s'il y a, entre ces propriétés, une interaction mutuelle, et quelle est, en fin de compte, l'importance que, parmi ces propriétés, il faut attribuer à la notion d'acquis.

5. En passant en revue les exemples donnés par Sandfeld dans Les propositions subordonnées § 156 et § 158, on constate en effet que les temporelles introduites par quand et lorsque désignent, en majeure partie, des faits connus ou prévisibles. Il y a pourtant des exceptions. Au § 159 Sandfeld lui-même aborde le problème: «II s'agitici d'événements auxquels le lecteur est préparé par tout ce qui précède. Mais la proposition temporelle peut aussi marquer quelque chose d'inattendu qui vient en quelque sorte interrompre la situation.. ». Les propositions qui marquent quelque chose d'inattendu sont celles où quand correspond au «cum inversum» de la grammaire latine. J'aurai plus tard l'occasion de revenir sur les problèmes que posent ces propositions (voir pn, 237-40).

Outre les propositions introduites par un quand inverse, il faut signaler un
type de temporelles représenté par les exemples suivants :

(14) Angélique ne se calma que lorsqu'on lui eut permis de tirer les trois morceaux
brodés du tiroir (Cit. Sandfeld, § 156)

(15) II a essayé de les tuer, tous, et quand il a vu qu'il ne pouvait pas, il s'est tué
lui-même (Vian, Herbe 163)

Dans (14) et (15) la subordonnée fournit un renseignement auquel on n'est pas préparé. En revanche, on constate un rapport de cause à effet entre les deux actions verbales. Ce rapport de cause à effet est mentionné à plusieurs reprises par Lars Olsson dans Vemploi des temps dans les propositions introduitespar quand et lorsque. Qu'on regarde p.ex. p. 18: «En ce qui concerne quand et lorsque, les cas où le verbe de la temporelle et celui de la proposition principale expriment un rapport de cause à effet sont abondants : .. Le rapportde cause à effet est évident sans que pour autant, on puisse parler de propositions causales. Quand garde partout sa valeur de conjonction temporelle:c'est le contexte qui nous fait voir simultanément le rapport de temps et de cause. » En fait, on peut discuter dans quelle mesure quand garde

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sa valeur temporelle, car il y a lieu de croire que c'est justement le rapport de cause à effet qui conditionne l'emploi de quand. Pour illustrer cette idée, considérons les exemples suivants en vue de la substitution éventuelle d'une temporelle introduite par quand:

(16) En allant prendre son métro, M. Coquericaud de la M. se heurte aux grilles
fermées. Levant la tête, il lut sur une pancarte que le trafic serait interrompu
jusqu'à nouvel ordre. (Troyat, Geste 178)

Ici, la substitution est acceptable: Quand il leva la tête, il lut .. . Et dans une
traduction danoise, la conjonction da, équivalent de quand, me semblerait
parfaitement adéquate.

(17) (Caroline) se précipita vers un groupe qui s'était formé à dix pas de là,
près de l'estrade. Intrigué, il la rejoignit et aperçut, ..., une commode
Louis XVI en acajou. Levant les yeux vers lui, Caroline chuchota:
- Tu as vu, Georges? Ma commode! (ibid. 81)

Dans (17) une subordonnée introduite par quand ne peut pas se substituer au syntagme participial. Le sens de (17) est «Caroline leva les yeux vers lui et chuchota. » Aussi ne pourrait-on pas, dans une traduction danoise, mettre la conjonction da.

C'est justement un rapport de cause à effet qui distingue (16) de (17) : dans (16) // lut est une conséquence du fait de lever la tête, alors que dans (17) lever les yeux et chuchoter sont à considérer comme deux actes indépendants l'un de l'autre. Je ne crois pas trop hasardeux de voir dans ce fait l'explication du comportement différent de (16) et de (17) quant aux substitutions possibles.

Si ces observations semblent indiquer que, dans certaines subordonnées introduites par quand, l'élément causal prévaut sur l'élément temporel, Oisson a raison de refuser de différencier deux types de propositions. Aucun fait syntaxique n'autorise une telle distinction. Ce qu'il faut retenir, c'est que la possibilité pour un syntagme gérondif de se substituer à une temporelle en quand et lorsque ne constitue pas une preuve suffisante de l'existence d'un rapport temporel authentique3.

Prétendre que quand et lorsque puissent désigner un rapport de cause à



3: Pour être complet, il faut signaler qu'un quand itératif n'exclut nullement un rapport de cause à effet: (18) Quand elle jouait, elle oubliait même de boire. (Vailland, cit. Olsson 113) (31) en traversant la place Saint-Sulpice, il s'est heurté contre un banc et il est tombé; (Butor, Degrés 351) (32) Mais il avait des ennemis sur toutes les routes possibles de retour. Traversant l'Autriche, il fut fait prisonnier par le duc Léopold. (Larousse 9, «Richard Cœur de Lion»)

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effet, c'est aller à rencontre de la conception traditionnelle. Selon celle-ci, c'est comme, et non quand, qui joue le rôle double de conjonction temporelle et causale. Mais cette contradiction n'est qu'apparente. En effet, la relation de causalité peut prendre de multiples nuances (motif, mobile, raison, occasion,etc.), et celle qu'on peut constater entre une proposition introduite par quand et le verbe principal n'est pas de même nature que celle que désignentles conjonctions causales comme, parce que et puisque. Je ne m'attarderaipas à une analyse des différentes nuances de causalité : il suffit de constater ici que lorsqu'on se trouve en présence de deux actions ponctuelles, successives ou partiellement simultanées, la première est toujours susceptible d'être comprise comme exprimant la cause de la seconde. La prédominance d'un des deux sens, temporel ou causal, est due aux faits contextuels, parmi lesquels il convient de signaler la nature des verbes. Ainsi, les verbes d'expérience{apprendre) et de perception (voir, apercevoir, entendre) ont tendance à souligner l'élément causal. La parenté entre les sens causal et ponctueltemporelentraîne cette conséquence paradoxale que dans certains contextesquand est «plus causal» que comme:

(19) Comme il commençait à feuilleter, il s'est aperçu que, .., ce garçon à qui
l'on faisait un shampooing, c'était un de ses camarades de classe (Butor,
Degrés 78)

(19)' Quand il a commencé à feuilleter, il s'est aperçu que ce garçon .. était un
de ses camarades de classe

(19)' prend une nuance causale qui est absente dans (19)

De même qu'il serait inepie de distinguer un quand temporel à'\in quand causal, les deux significations étant inextricablement liées l'une à l'autre, de même cela n'aurait pas de sens de délimiter un groupe de syntagmes gérondifs temporels totalement dépourvus de nuances causales. Mais on peut dire que le terme temporel est impropre. Pour désigner les syntagmes gérondifs ayant une valeur égale à quand, je parlerai donc de repères temporels ou temporels-causals, en soulignant que ces termes ne représentent pas une distinction fondamentale.

Certaines autres conjonctions représentent peut-être mieux le rapport
temporel authentique, cf. Olsson p. 58-59: «Un autre procédé, .., consiste
à introduire une subordonnée par une des conjonctions temporelles qui entraînent
l'imparfait, à savoir pendant que, tandis que, comme, alors que, au
moment où. Il ressort de certains de nos exemples que la substitution à quand
d'une de ces locutions ne modifierait pas notablement le sens de la phrase,
si ce n'est que le rapport de cause à effet se perdrait. »

Passons maintenant à l'étude de comme.

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6. Si Olsson cite comme parmi les conjonctions qui s'opposent à quand par l'absence d'un rapport de cause à effet, il convient de rappeler que cette conjonction, elle aussi, figure dans des contextes où les éléments temporel et causal se confondent, cf. Lorian (L'ordre des propositions, p. 91):

(20) Comme ils quittaient la table et que Fernand déjà s'éloignait vers le pavillon
de l'ennemie, elle le rappela ..

«Dans l'exemple ci-dessus, il est licite de donner à comme le sens de au moment où aussi bien que celui de parce que. » Chez Mordrup («Quelques observations sur comme», p. 210) on lit: «La proposition introduite par comme conditionne donc la réalisation de l'action impliquée par la principale. Et c'est seulement dans les cas où il n'existe aucune relation de ce genre que le sens causal est exclu. » Un exemple de ce dernier cas est fourni par:

(21) Comme nous nous couchons, enfin le soleil se lève

Si donc une nuance causale persiste dans la plupart des subordonnées introduites par comme, des faits syntaxiques relevés par Mordrup et ses prédécesseurs (ordre, temps, négation) justifient la distinction entre comme causal et comme temporel, distinction queje ne vois aucune raison d'abandonner.

A la différence de ce qui était le cas pour quand, l'opposition connu/nonconnu
ne semble pas jouer ici, cf. les exemples suivants:

(22) II poursuivit son chemin. Comme il passait devant une joaillerie, il vit une
bague qu'il crut reconnaître.

(22)' *I1 poursuivit son chemin. Quand il passa devant une joaillerie, il vit une
bague qu'il crut reconnaître.

(23) II descendit le boulevard Saint-Michel. Comme il arrivait au carrefour
Saint-Germain, il vit qu'il n'était que moins dix.

(23)' II descendit le boulevard Saint-Michel. Quand il arriva au carrefour
Saint-Germain, il vit qu'il n'était que moins dix.

Dans (22), où la subordonnée représente quelque chose d'inattendu (remarquer l'article indéfini), comme s'emploie à l'exclusion de quand. Dans (23), où la subordonnée indique l'arrivée à une étape prévue de la promenade, les deux conjonctions sont possibles.

Dans l'introduction, j'ai laissé entendre que le nombre et la nature des compléments influent sur la grammaticalité et le sens des syntagmes en -ont. L'étude de Mordrup sur comme vient en quelque sorte confirmer cette idée. Examinant la structure des trois types de propositions introduites par comme.

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Mordrup signale que les temporelles se distinguent des causales et des comparativespar le fait qu'elles comportent presque toujours un verbe perfectif de mouvement (207) et qu'elles présentent une structure assez simple: comme + sujet + verbe (de mouvement) + (complément circonstanciel) (209). A mon avis, ces faits expliquent pourquoi elles sont comprises comme des repères temporels. Bien qu'il faille être très prudent sur une question entouréede tant d'obscurités, j'ose prétendre que les verbes de mouvement ont une valeur d'information relativement faible. Ils sont, pour ainsi dire, destinésà représenter l'action secondaire. Et dans le cas des temporelles, il n'y a pas de compléments qui accroissent sensiblement la valeur d'information. Ainsi, le complément circonstanciel est le plus souvent un adverbial de lieu, et non un adverbial de manière.

7. Si l'on considère les propositions introduites par pendant que, on constate que leur structure ne présente pas les mêmes régularités. On n'y observe pas de structure particulièrement simple, ni de prédilection pour certains verbes. En outre, il semble que ces propositions représentent des faits connus ou prévisibles aussi bien que des faits qui apportent des renseignements nouveaux. Ces irrégularités posent des problèmes quant à la validité des deux explications que j'ai données de l'interprétation temporelle, à savoir l'acquis et la structure simple. Ou bien ce sont celles-ci qu'il faut compléter, voire remettre en question, ou bien c'est le statut de pendant que qui est sujet à révision. J'envisagerai les deux possibilités. J'ai déjà signalé que la simultanéité de deux actions verbales, l'une subordonnée et l'autre principale, n'est pas une condition suffisante pour que la première serve de repère temporel à la seconde. Si c'est bien le cas dans:

(24) Amusons-nous pendant que nous sommes jeunes (Cit. Sandfeld § 162)

il n'en est pas de même dans:

(25) L'eau était peu profonde, mais le courant assez fort l'entraîna vers les
plantes tandis qu'elle serrait les dents quand sa jambe blessée heurtait le
fond. (Boulle, Voies 38)

Dans (25), la subordonnée introduite par tandis que fournit un renseignement nouveau, la structure en est complexe, comportant une temporelle enchâssée, et, somme toute, la quantité d'information apportée par la subordonnée n'est pas inférieure à celle de la principale. Dans un pareil cas, il faut dire que la subordonnée représente une circonstance concomitante et non un repère temporel.

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C'est là un sens assez fréquent et qu'on retrouve dans d'autres langues (danois: mens, espagnol: mientras, italien: mentre), sans que les grammaires en fassent mention. Elles ont raison dans une certaine mesure, et si je refuse de distinguer un quand causal d'un quand temporel, à cause de l'interdépendance des deux significations, il semble illogique de vouloir différencier deux espèces de pendant que. Mais, justement, les différences de complémentation que présentent (24) et (25) pourraient légitimer la distinction. Deux autres arguments, plus importants, concernent l'ordre et les temps des propositions. En principe, un pendant que/tandis que antéposé est presque toujours perçu comme un repère temporel, alors que la postposition favorise le sens de circonstance concomitante sans exclure le sens temporel (cf. (25)). Evidemment, il s'agit souvent de nuances subtiles à propos desquelles il faut être très prudent, mais il me semble qu'en antéposition, le sens temporel résiste mieux à la présence de compléments à grande valeur informative :

(26) Pendant qu'il mangeait sur un banc de pierre dans la lueur du soupirail, le
geôlier l'examinait d'un œil bonasse (Daudet, Sandfeld § 162)

Si dans (26) quelques doutes subsistent sur le sens qu'il faut attribuer à la
subordonnée (repère temporel, fond de décor?), l'opposition: temporelle à
l'imparfait - principale au passé simple fait ressortir le sens temporel:

(27) tandis qu'ils rêvaient tranquillement sous leur suaire de brume, ils entendirent
comme des bruits de voix (Loti, ibid.)

8. Les faits que nous avons passés en revue présentent un caractère disparate et ne permettent pas de relever un trait, syntaxique ou sémantique, commun aux trois types de temporelles. A la question de savoir pourquoi ces subordonnées sont comprises sous l'étiquette «temporelles», les réponses possibles ne se laissent pas ramener à un seul principe. Il est hors de doute que la notion d'acquis joue un rôle pour les propositions introduites par quand et pendant que, mais la dichotomie entre actions connues et actions nonconnues est moins tranchée que je ne l'ai laissé entendre au début de cette section, et elle ne semble pas jouer dans les cas de comme. Un rapport de cause à effet caractérise un grand nombre de subordonnées introduites par quand, sans qu'on puisse dire si l'élément causal prévaut sur l'élément temporel ou inversement. Au point de vue syntaxique, il semble qu'un minimum de compléments, l'antéposition de la temporelle et l'opposition imparfait-passé simple favorisent une interprétation temporelle.

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9. Toute l'enquête qui précède est fondée sur l'hypothèse que, dans une large mesure, les propriétés sémantiques et syntaxiques que j'ai relevées dans les subordonnées temporelles se retrouvent dans les syntagmes en -ant et que, là aussi, elles sont constitutives de la notion de repère temporel. Dans la section 111, j'espère pouvoir montrer qu'il en est ainsi. Il faut pourtant noter que ces propriétés ne sont pas, à elles seules, des critères suffisants pour identifier un syntagme au sens temporel. D'autres faits interviennent, dont le sens des verbes, qui mérite une attention particulière:

(28) On jugeait qu'elle avait fait un pas énorme en revenant et qu'elle méritait
la paix (Duras, Ravissement 45)

L'action verbale se réfère à un fait connu, la structure ne peut pas être plus simple, puisque le syntagme ne contient que le verbe et que celui-ci est un verbe perfectif de mouvement. Mais le sens n'est pas temporel, car en revenant ne peut pas être compris comme un point de repère pour/azVe un pas énorme. On peut décrire le rapport sémantique entre les deux verbes, en disant que ceux-ci se réfèrent à un seul acte concret de telle façon que le gérondif donne une description «objective» et le verbe fini une appréciation de cet acte. Un cas similaire se voit dans donner un exemple en revenant. C'est là un sens apparenté à celui d'instrument et la co-occurrence d'un autre verbe principal, par exemple blesser et provoquer, fait ressortir le sens instrumental, sans rien changer aux faits de référence.

Dans (28), c'est le sens du verbe principal qui exclut l'interprétation
temporelle; dans (29), c'est le verbe gérondif:

(29) j'attends Loi V. Stein. Elle le veut. Ce soir, en nous retenant, elle joue avec
ce feu, cette attente. (Duras, Ravissement 121)

Retenir renferme un élément de volonté si fort que l'interprétation instrumentale
s'imposera toujours, quels que soient les environnements.

La systématisation des verbes par rapport à leur influence sur les interprétationspossibles pose évidemment de multiples problèmes, qu'il ne faut pas espérer résoudre d'un seul coup. Aussi n'ai-je pas l'intention de m'y attarder. Je retiendrai seulement que, dans les syntagmes gérondifs temporels, on observe une fréquence assez importante de verbes perfectifs de mouvement, d'expérience, de perception, et de verbes désignant des actions qui se répètentà intervalles réguliers (se lever, se coucher, manger). Il est possible que les résultats obtenus par Gross et ses élèves permettent d'établir des classes de verbes qui imposent certaines interprétations en en excluant d'autres. Mais cette tâche se complique par le fait que, le plus souvent, c'est Tinteractiondes

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actiondesdeux verbes qui importe, et non la signification de l'un et de l'autre
pris isolément.

10. Il est temps de déterminer un critère qui permette de délimiter les matériaux à étudier. Deux solutions s'offrent à nous: ou bien on peut utiliser les observations que je viens de faire concernant l'acquis, la causalité, le sens des verbes, la complémentation, l'ordre et les temps; ou bien on peut adopter la convention qui attribue un sens temporel aux propositions introduites par quand, comme, pendant que, alors que, et considérer la substitution d'une de ces subordonnées comme un critère suffisant. En appliquant la première méthode, on se heurterait à de grosses difficultés, car, comme je l'ai dit, c'est le plus souvent l'interaction des propriétés en question qui joue, et cette interaction présente un caractère peu systématique. La deuxième méthode n'est guère meilleure. D'abord, la substitution pose des problèmes de principe: elle peut donner l'impression d'une équivalence complète entre deux constructions, ce qui n'est probablement jamais le cas. Il y a toujours une raison pour choisir une construction à verbe non-fini au lieu d'une construction à verbe fini, et quelle que soit la similarité apparente, une différence de sens subsiste. Comment décider si cette différence ne dépasse pas les limites dans lesquelles la substitution est acceptable ? Ensuite, l'application machinale de la substitution ne permettrait pas de différencier le cas de (24) et celui de (25). Mais si l'on ne maintient pas la distinction entre repère temporel et circonstance concomitante, on finit par admettre que les formes en -ont indiquent la simultanéité dans tous les cas où deux processus se déroulent simultanément. Et la valeur de cette enquête s'en trouverait considérablement

Si donc les deux procédés présentent des inconvénients, je considère pourtant la substitution comme la méthode la plus sûre, et c'est celle que j'utiliserai pour délimiter les matériaux. Cela ne veut pas dire qu'on puisse négliger les propriétés étudiées dans cette section. Celles-ci constituent un contrôle nécessaire qui nous permettra de justifier les résultats obtenus par la substitution et d'écarter les cas douteux.

III. Le gérondif

La thèse soutenue dans cette section est conforme au point de vue traditionnel, selon lequel le gérondif peut être interprété comme un adverbial de temps qui indique la simultanéité. Selon ma terminologie, c'est un repère temporel.

Side 227

Dans la section 11, j'ai étudié la notion de repère temporel en termes généraux sans distinguer entre antériorité, postériorité et simultanéité, mes exemples illustrant toujours la simultanéité. Aussi, dans les exemples qui comportent un gérondif, les deux actions verbales se recouvrent-elles partiellement ou totalement. Il n'en est pas de même dans (8) :

(8) Prenant Urbain à bout de bras, il le déposa doucement sur le sol.

(8) a déjà été discuté p. 215-216. Cette phrase n'admet ni la substitution d'une subordonnée par quand, ni d'un syntagme gérondif. Outre le fait que plusieurs raisons interdisent de telles substitutions (action non-connue, présence d'un complément de manière), il importe de noter qu'il y a une zone intermédiaire entre les deux actions verbales : la première est accomplie avant le début de la seconde.

(30) En prenant la main de l'inconnu, elle fut étonnée de la sentir chaude comme
celle d'un fiévreux (Troyat, Geste 11)

Dans cette phrase, il y a coïncidence partielle des deux actions, et le gérondif
est tout à fait naturel.

C'est sans doute à la nécessité d'une telle coïncidence que pensent les grammairiens en disant que le gérondif insiste sur la simultanéité. Comme elle est destinée à comparer le gérondif et le participe présent, cette formule implique que le participe présent, lui aussi, indique la simultanéité, seulementd'une façon plus lâche. Mais à mon avis, il est inexact de dire que le gérondif insiste sur la simultanéité. Les deux arguments que je vais invoquer contre cette assertion sont de nature différente, le premier étant lié à l'optique spéciale que j'ai choisie. Selon ma théorie, le participe présent n'est pas un repère temporel. Il n'indique donc ni la simultanéité, ni aucune autre relation de temps, et je serai obligé de laisser de côté les comparaisons qui impliquent le point de vue contraire. Je rappelle que, par là, je ne nie pas l'existence de relations temporelles entre le verbe participial et le verbe fini. Le second argument porte justement sur ces relations temporelles. Il faut distinguer deux cas. Un exemple du premier est fourni par (8). Là, il n'y a pas de simultanéité,même partielle. Dans le second cas, il y a simultanéité partielle, et le participe présent et le gérondif peuvent être employés concurremment:



3: Pour être complet, il faut signaler qu'un quand itératif n'exclut nullement un rapport de cause à effet: (18) Quand elle jouait, elle oubliait même de boire. (Vailland, cit. Olsson 113) (31) en traversant la place Saint-Sulpice, il s'est heurté contre un banc et il est tombé; (Butor, Degrés 351) (32) Mais il avait des ennemis sur toutes les routes possibles de retour. Traversant l'Autriche, il fut fait prisonnier par le duc Léopold. (Larousse 9, «Richard Cœur de Lion»)

Side 228

Dans (31) et (32), je vois mal quelle différence il peut y avoir quant à la relation de simultanéité. Les deux exemples décrivent un mouvement pendantlequel un incident survient. La relation temporelle est exactement la même. Le gérondif indique la simultanéité, mais il n'y a pas d'insistance.

12. Pour circonscrire la notion de simultanéité, il peut être instructif de voir comment les rapports temporels sont traités par les grammairiens qui ont étudié les propositions introduites par quand. Chez Sandfeld, par exemple, on lit (op. cit. § 158): «La coïncidence dans le temps de deux faits quelconques se produit de plusieurs manières: Deux actions ou états peuvent être complètement ou partiellement simultanés ou bien ils se suivent plus ou moins immédiatement.» La dernière phrase «ils se suivent plus ou moins immédiatement » laisse supposer que, pour les subordonnées, les faits ne se présentent pas de la même manière que pour les gérondifs. Voici ce qu'en dit Sten {Les temps du verbe fini 98): «Un type spécial est constitué parye le vis quandilentra: il y a probablement une légère antériorité pour le fait d'« entrer », mais d'un autre côté une partie au moins de l'action « entrer » coïncide avec une phase de «voir». Aussi Sandfeld {Trop. sub. § 156 et § 158) et Damourette et Pichón (V 166) parlent-ils de simultanéité dans ces cas.» Sten reprend le problème, p. 120: «Nous serions enclins à voir des successions dans des cas comme Quand Vhiver vint, Maman acheta aux trois petites des manteaux de caracul. ... Mais il est légitime aussi de parler de coïncidence. » Suit la citation de Sandfeld. Et Sten de conclure: «Quand ils se suivent immédiatement il y a peut-être une sorte de simultanéité.»

C'est dans le livre de Lars Olsson (op. cit. 40-49) qu'on trouve l'étude la plus systématique des relations temporelles. Manifestant son désaccord avec ses prédécesseurs, Olsson conclut, p. 41, que «Si les deux verbes sont au passé simple, ..., il s'agit, dans la presque totalité des cas, d'antériorité de l'action de la temporelle par rapport à celle de la proposition principale, ce qui n'empêche pas que les deux procès sont [sic] parfois partiellement simultanés. » II ressort des citations de Sandfeld, de Sten et d'Olsson que les notions linguistiques de simultanéité et d'antériorité sont assez vagues pour pouvoir inclure, toutes deux, les cas de simultanéité partielle. Pour ma part, je parlerais plutôt de simultanéité dans ces cas-là. Mais ce qui compte pour Olsson, c'est que, dans la plupart des exemples relevés, les deux actions ne coïncident sur aucun point de leur durée. «Toute idée de simultanéité doit être laissée hors de compte dans approximativement trois quarts des exemples relevés» (41-42). Parmi les nombreux exemples qu'il cite à l'appui de ce point de vue, je ne retiendrai que les deux suivants:

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(33) Lorsque le roi apprit ces nouvelles, il décida de convoquer ses barons pour
le jeudi de la mi-carême, le 24 mars 1267 (Historia, cit. Olsson 42)

(34) Quand ils atteignirent la promenade du bord de mer, ils hésitèrent, faillirent
continuer chacun de son côté (Le Clézio, ibid.)

Je pense que (33) et (34) représentent des cas où, selon la formule de Sandfeld, deux actions se suivent plus ou moins immédiatement. J'admets que les deux actions ne coïncident sur aucun point de leur durée. D'autre part, on sait, depuis l'étude de Sten, que de nombreuses actions verbales sont dilatables, si bien qu'il est extrêmement difficile de déterminer à quel moment elles commencent et à quel moment elles arrivent à leur terme. Et si, dans (33) et (34), il n'y a pas de simultanéité, même partielle, il est permis de parler de contiguïté temporelle.

13. Pour en revenir au gérondif, le fait est qu'il est parfaitement acceptable
dans (33) et (34):

(33)' En apprenant ces nouvelles, le roi décida de convoquer ses barons.

(34)' En atteignant la promenade du bord de mer, ils hésitèrent, . .

Ceci semble indiquer que les propositions introduites par quand ne diffèrent pas sensiblement des syntagmes gérondifs quant aux relations temporelles. De toute façon, il est impossible de maintenir l'hypothèse que le gérondif exige que les deux actions se recouvrent au moins partiellement. Mais si la contiguïté temporelle suffit, comment expliquer l'impossibilité du gérondif dans (8), où, de toute évidence, on peut parler de contiguïté entre les deux actions?

La réponse me semble tenir à l'opposition «processus physiques» et « processus psychiques ». J'aurai plus tard l'occasion de revenir là-dessus, voir p. 256-57. Je me rends bien compte de tout ce que ces notions comportent de vague et d'arbitraire. A titre provisoire, pourtant, j'admets l'hypothèse que si un des deux verbes décrit un processus psychique, la présence d'une contiguïté temporelle suffit pour que le gérondif soit admissible. Être étonné (30), apprendre, décider (33), hésiter (34) décrivent des processus psychiques. Pour les verbes qui décrivent des processus physiques, les faits semblent plus compliqués, mais dans bon nombre de cas la contiguïté ne suffit pas si les deux verbes appartiennent à cette catégorie. Il faut qu'il y ait coïncidence partielle. C'est pourquoi le gérondif est tout à fait naturel dans (31), que je reproduis ici:

(31) en traversant la place Saint-Sulpice, il s'est heurté contre un banc et il est
tombé.

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En revanche, dans (35), il y a contiguïté et non coïncidence, et le participe
présent s'impose:

(35) Traversant la route, il prit dans les champs pour gagner la forêt. (Aymé,
Vouivre 241)

14. Considérons maintenant, de manière systématique, les formes que la
relation de simultanéité peut revêtir:

L'action du verbe gérondif peut s'achever au moment où commence celle de
la principale:


DIVL3905

Figure I

Elle peut s'achever après le début mais avant la fin de celle qu'exprime le verbe
fini:


DIVL3908

Figure II Figure 111 Figure IV Figure V

Elle peut s'achever au même moment que celle du verbe fini

Ou après celle-ci


DIVL3911

DIVL3913

Elle peut commencer après et arriver à son terme avant celle du verbe fini


DIVL3915

Enfin, il peut y avoir coïncidence totale:


DIVL3917

Figure VI

Side 231

Je rappelle qu'un gérondif temporel n'admet pas de zone intermédiaire entre
les deux actions verbales (Mais je ne prétends pas que cette restriction
vaille pour tous les emplois, cf. : En partant à 7 h., tu arriveras à midi.)

En outre, il faut considérer comme exclues les deux possibilités suivantes:


DIVL3920

15. Les temps, l'aspect et le mode d'action jouent un rôle important dans la manière dont se présente la simultanéité. Il peut donc être utile de fonder la démonstration suivante sur ces catégories. Je vais d'abord étudier l'interaction d'un gérondif perfectif et du temps du verbe fini, puis la même méthode sera appliquée aux gérondifs imperfectifs.

Une étude complète devrait traiter de toutes les combinaisons possibles. Mais pour des raisons évidentes, j'ai dû limiter ma tâche. Ainsi, je ne considère que les cas où le verbe fini est à un des temps suivants : passé simple/ composé, imparfait, plus-que-parfait et présent. Ce n'est pas sans regret que j'exclus le futur et le conditionnel, mais j'espère, dans un travail ultérieur, pouvoir aborder les problèmes que posent ces deux formes.

Pour distinguer entre verbes perfectifs et imperfectifs, je me conformerai à la tradition qui considère que la possibilité d'intercaler longtemps est une preuve suffisante d'imperfectivité. Pourtant, en ce qui concerne les verbes perfectifs, j'adopterai le point de vue de Lars Olsson, selon lequel ils entrent dans deux classes: verbes perfectifs ponctuels (p.ex. trouver, apercevoir, recevoir, arriver, s'arrêter) et verbes perfectifs non-ponctuels (p.ex. la plupart de ceux qui désignent en même temps un mouvement et une direction : descendre, monter, traverser, etc.). Olsson exprime ces différences dans les termes suivants (33-34): «(L'action de trouver), quand elle a lieu, se produit «tout d'un coup »: on ne pourrait pas l'interrompre pour la reprendre ensuite. Elles est donc indivisible: on trouve la balle ou on ne la trouve pas.» Et: «Si, d'une part, certaines actions verbales sont à regarder comme ponctuelles, . . „ il ya, d'autre part, des verbes perfectifs qui ont, sans qu'on ait besoin de tenir compte de leur phase préparatoire, une durée temporelle assez grande pour qu'on puisse facilement les considérer comme des procès en cours. »

Side 232

16. Gérondif perfectif. Verbe fini au passé simple/composé.
(36) En arrivant sur la route, Arsène eut une mauvaise surprise. (Aymé, Vouivre
19)

(37) En arrivant tout près de la maison, il remarqua son aspect étrange, et la
disparition de la moitié du second étage. (Vian, Herbe 178)

(38) En arrivant chez moi, je fus arrêtée par la concierge. (Sagan, Profil 96)

(39) En sortant du magasin, il alluma une cigarette (Vailland, Loi 86)

(40) En sortant du château, j'ai dû traverser la galerie. (Bernanos, Journal 156)

(41) En entrant au lycée, tu m'as fait un clin d'oeil. (Butor, Degrés 185)

(42) En quittant notre salle de rédaction elle me tendit le journal et, avec sa
moue habituelle, osa me dire . . (Charles-Roux, Païenne 320)

(43) II était 7 heures du soir et, en m'approchant de la fenêtre, je retrouvai brusquement
cet émerveillement que j'avais cru disparu (Sagan, Profil 112)

(44) En apprenant la mission dont il était chargé, Alfio Bonnavia répondit que
le petit Baron le dégoûtait (Charles-Roux, Palerme 113)

(45) En la voyant, les jumeaux poussèrent un glapissement joyeux. (Vian, Arrache-cœur
114)

16.1. Dans ces exemples, on peut substituer au syntagme gérondif une proposition au passé simple/passé composé introduite par quand. Le syntagme gérondif peut donc être conçu comme exprimant une action ponctuelle. Dans plusieurs cas, la substitution d'une proposition avec comme est également possible. On a alors une interprétation durative. Pour rendre compte, d'une façon précise, des cas où la substitution de comme est possible, il faudrait une analyse sémantique exhaustive de cette conjonction, analyse qui, à ma connaissance, n'a jamais été faite et qui dépasserait le but de cette étude. La différence entre quand et comme ne peut guère se réduire à une simple opposition d'aspect. D'autres faits interviennent, qui demandent à être examinés de plus près (cf. p. 222-23). Mais, quoi qu'il en soit, la substitution est possible dans (36-38), (42-43), probablement aussi dans (39) :

(42)' Comme elle quittait notre salle de rédaction, elle me tendit le journal et,
.., osa me dire

Dans les cas où les substitutions de quand et de comme sont toutes deux
possibles, le gérondif exclut donc la différenciation entre le sens ponctuel et
le sens duratif.

16.2. Dans (36-38), la relation de simultanéité peut être représentée par la
figure 111 :


DIVL3922
Side 233

DIVL3924

En revanche, (44) et (45) présentent des cas évidents de contiguïté


DIVL3926

Retrouver un émerveillement, apprendre et voir décrivent des processus psychiques. Ils appartiennent donc à la catégorie qui n'exclut pas l'emploi du gérondif, quoique les deux actions ne coïncident sur aucun point de leur durée.

16.3. Aucun des exemples ne semble contredire ce que j'ai avancé dans la section II sur la possibilité pour un syntagme verbal de constituer un repère temporel. Tous présentent une structure syntaxique et sémantique assez simple: verbe de mouvement + complément de circonstance ou d'objet désignant le point de départ ou d'arrivée (36-43), verbe + complément d'objet (44-45). Dans (44), l'objet comprend une épithète, mais celle-ci n'augmente pas sensiblement la valeur d'information.

Dans tous les exemples sauf (43), il s'agit d'actions connues ou prévisibles: acquis contextuel dans (44-45), existentiel dans les autres, p.ex. en sortant du magasin, en quittant la salle de rédaction : comme on ne peut pas rester là éternellement, sortir et quitter sont préparés par la connaissance que nous avons de notre comportement dans le monde.

Dans (43) il y a sans doute un rapport de cause à effet. Ce rapport est
évident dans (44-45).

Side 234

17. Gérondif per fe et if. Verbe fini à V imparfait.

(46) En sortant de chez lui, vers huit heures du matin, Maigret avait le choix
entre trois démarches. (Simenon, Ombre 27)

(47) En sortant de la bibliothèque, Marcel Lobligeois avait le cerveau en feu et
les poings lourds comme des pierres. (Troyat, Geste 41)

(48) En me couchant, j'étais presque décidé à prendre dès l'aube un train pour
Lille. (Bernanos, Journal 190)

(49) elles disaient à ma mère que j'étais «une vraie petite maman». En disant ça
elles se penchaient vers moi avec une figure molle comme si elles allaient se
mettre à couler (Rochefort, Enfants 12)

(50) En s'éloignant sur la route, Arsène s'étonnait d'avoir ainsi arrêté Juliette
(Aymé, Vouivre 209)

(51) ici, c'était beau la nature; il y avait des étoiles. En renversant la tête, je les
voyais (Rochefort, Enfants 80)

(52) Les enfants étaient trempés en arrivant chez leur grand-mère. (Butor
Degrés 171)

17.1. Cette combinaison permet trois interprétations aspectuelles du syntagme gérondif: ponctuelle (correspondant à une proposition ponctuelle avec quand), itérative (correspondant à une proposition itérative avec quand), durative (correspondant à une proposition avec pendant que ou alors que).

Si le verbe principal indique un état {avoir et être dans (46-48), (52)), le syntagme gérondif peut représenter une action momentanée, tout comme les propositions introduites par quand. Il y a alors simultanéité partielle; mais à l'opposé de ce qui était le cas pour un verbe principal au passé simple, c'est l'action ou, pour mieux dire, l'état du verbe fini qui commence avant celle du verbe au gérondif. La relation temporelle peut être représentée par la figure V:


DIVL3928

Si le verbe principal n'indique pas un état mais un procès en cours, le sens du syntagme gérondif est duratif (pendant que, alors que) ou itératif. Si, dans ce cas, le verbe au gérondif est du type perfectif ponctuel, il ne pourra guère être compris autrement que dans le sens itératif. Cela vaut pour renverser dans (51). Pour ce qui est des verbes perfectifs non-ponctuels, les deux interprétations sont théoriquement possibles, et seul un recours au contexte permet de décider laquelle il faut choisir: Dans (50), le sens doit être duratif (Pendant qu'Arsène s'éloignait, il s'étonnait) et il y a simultanéité totale:

Side 235

DIVL3930

Dans (49), il y a probablement confusion des sens itératif et duratif.

17.2. Les exemples du type (49) montrent que, souvent, il est vain de vouloir distinguer le sens itératif et le sens duratif. L'un n'exclut pas l'autre. Cf. Sandfeld § 158: «il peut aussi s'agir de ce qui a une certaine durée: «Quand il est là, elle ne le quitte pas d'un instant». » En de pareils cas, l'utilité de la substitution me semble douteuse.

Ce n'est pas le seul problème que (49) pose à la validité de la substitution
(cf. p. 226). En fait, ni la substitution de quand, ni celle dépendant que, ne semblent
couvrir le sens de (49) :

(49)' Quand elles disaient ça, elles se penchaient ...

(49)" Pendant qu'elles disaient ça, elles se penchaient .

Dans (49)' cela tient probablement au fait que, en l'absence d'un adverbial de temps spécifique (souvent, de temps en temps), le quand itératif tend à signifier chaque fois que {chaque fois que telle chose arrivait, telle autre chose arrivait aussi). C'est-à-dire que le rapport entre les deux syntagmes verbaux se rapproche de celui d'une implication, l'action du premier entraînant celle du second. Mais (49) est bien moins explicite là-dessus. On ne peut pas dire s'il s'agit d'un phénomène fréquent ou constant.

Si la substitution de pendant que ne semble pas non plus vraiment adéquate, cela tient à la nature des relations temporelles qu'indiquent les propositions introduites par cette conjonction: ou bien il y a coïncidence totale des deux actions (figure VI), ou bien l'action du verbe principal s'accomplit dans l'espace de temps marqué par la subordonnée (figure V). Mais (49) n'indique pas explicitement qu'il faille concevoir la relation temporelle de cette façon. Celle-ci peut très bien correspondre à la figure suivante:


DIVL3932

Le troisième problème que pose la preuve par substitution concerne la possibilitéde distinguer entre alors que et pendant que, cf. la discussion du § 16 sur quand et comme. Il faut dire que, dans la mesure où il s'agit de déterminer la relation temporelle, cette question n'a pas la même importance que pour

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quand et comme, puisque pendant que et alors que sont tous deux duratifs. Mais, cela dit, on se heurtera aux mêmes difficultés, faute d'une description précise des différences sémantiques que présentent pendant que, alors que et comme. D'une manière générale, alors que n'a été que très superficiellement décrit. Si les gramm airiens se sont occupés de cette conjonction, ils se sont pourtantlimités à signaler la valeur adversative sans en discuter la valeur temporelle.Ainsi, Sten ne fait aucune mention de cette dernière dans les pages qui traitent des subordonnées temporelles à l'imparfait (op. cit. 171-175). Le commentairede Sandfeld est bizarre: «A côté de lorsque se trouve alors que, qui appartient également à la langue écrite» (§ 157). Si nous consultons le Dictionnaire du français contemporain, nous voyons qu'il range lorsque et alors que dans une même rubrique, en stipulant que «alors que marque un rapport d'opposition ». Mais alors que ne peut se rattacher à lorsque, ni par le sens, ni par les rapports temporels. Aussi Togeby dit-il dans «La concordancedes temps en français» (153): «II n'est pas exact de dire, comme Wartburg et Zumthor (..) que «.alors que sert à marquer les mêmes rapports de temps que lorsque». Au contraire, alors que a un emploi identique au comme temporel. » En ce qui concerne l'emploi des temps, la justesse de cette formule est évidente. Le sens étant lié à l'emploi des temps, il est exact aussi de rattacher alors que à comme d'un point de vue sémantique. Pourtant, la similitude de sens ne va pas jusqu'à une synonymie complète, égale à celle de quand et de lorsque. Alors que semble se situer à mi-chemin entre comme et pendant que. Ainsi, à l'instar de comme, alors que se rencontre couramment avec des verbes perfectifs de mouvement:

(53) A l'entracte, dans un aparté très court, alors que je passais près d'eux, j'ai
compris que Tatiana et Jean Bedford parlaient de Loi. (Duras, Ravissement

Mais aussi avec des verbes qui marquent un état, tout comme pendant quel
tandis que:

(54) Dans un temps mort du dîner, alors que l'absurdité évidente de l'initiative
de Loi plane, stérilisante, mon amour s'est vu, je l'ai senti visible (ibid. 166)

Probablement, la différence entre pendant que/tandis que, d'un côté, et alors que, de l'autre, tient, là encore, au fait que les deux premières conjonctions indiquent la relation temporelle avec beaucoup plus de précision. Si, par exemple, le verbe principal est à l'imparfait, pendant que/tandis que ont tendance à insister sur une coïncidence totale; alors que, par contre, est bien moins explicite là-dessus:

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(55) Je l'observais du coin de l'œil, tandis qu'elle était accroupie, la tête sous le
tablier de la cheminée (Cit. Sandfeld § 162)

Dans la mesure où ces observations sont correctes, elles pourraient justifier
la substitution de alors que dans (49) et (50), plutôt que celle de pendant que.

17.3. Ici encore, les exemples présentent une structure très simple: quatre verbes de mouvement, (46-47), (50), (52), auxquels se rattache un adverbial de lieu indiquant l'endroit où s'accomplit le mouvement, le point de départ ou le point d'arrivée, deux verbes transitifs construits avec un complément d'objet qui ne comporte pas d'épithète, (49), (51).

17.4. Dans (46-48), (50), (52), on peut considérer l'action verbale comme étant prévisible. Dans (49) il s'agit d'un acquis contextuel, le verbe dire étant repris. (49) montre très nettement comment l'interaction de l'opposition connu/non-connu et de la complémentation intervient dans l'interprétation d'un syntagme gérondif. Qu'on compare (49) à (49)':

(49)' En disant à ma mère que j'étais «une vraie petite maman», elles se penchaient
vers moi avec une figure molle comme si ..

L'adjonction d'une proposition complétive qui apporte un renseignement nouveau augmente sensiblement la valeur d'information du syntagme gérondif. Celui-ci ne peut plus être interprété comme un repère temporel. Il indique plutôt une circonstance concomitante, et si le syntagme verbal fini n'avait pas été d'une telle longueur, il aurait été plus naturel de mettre le syntagme gérondif en position finale.

(51) est un exemple du type temporel-causal.

17.5. (52) fournit l'occasion de reprendre un problème qui a été abordé p. 219. (46-51) présentent l'ordre : gérondif perfectif - verbe fini à l'imparfait. (52) est un exemple de l'ordre inverse: verbe fini à l'imparfait - gérondif perfectif. Tout comme (46-51), (52) admet la substitution d'une subordonnée au passé simple:

(52)' Les enfants étaient trempés quand ils arrivèrent chez leur grand-mère.

Et, inversement, dans l'exemple suivant, un syntagme gérondif peut se substituer
à la subordonnée introduite par quand:

(56) II était hors d'haleine quand il arriva au bureau de poste (Cit. Sten 121)

(56)' 11 était hors d'haleine en arrivant au bureau de poste.

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Mais, pour un grand nombre de temporelles introduites par quand et occupant la position finale, la substitution d'un syntagme gérondif n'est pas possible si le verbe principal est à l'imparfait. Cette restriction vaut pour tous les cas où quand correspond au cura-inversum de la grammaire latine:

(57) II allait s'engager sur le pont de Solférino quand il s'arrêta. (Cit. Sten 121)

(57)' *I1 allait s'engager sur le pont de S. en s'arrêtant.

(58) Un moment passa. Je bourrais ma petite pipe quand j'entendis toquer à
la porte. (Cit. Sandfeld § 159)

(58)' *Je bourrais ma petite pipe en entendant toquer à la porte.

A propos de l'ordre: principale à l'imparfait - temporelle au passé simple, Sandfeld dit, au début du § 159 consacré à ce sujet, qu'«une proposition temporelle introduite par quand et lorsque et précédée d'un imparfait marque très souvent qu'une action s'accomplit dans telles ou telles circonstances». Il ajoute que dans certains cas l'action de la temporelle a été préparée par tout ce qui précède, et que dans d'autres cas il s'agit d'un événement inattendu.

La première question qu'on peut se poser est de savoir si, en règle générale, la postposition d'une temporelle au passé simple (et précédée d'un imparfait) entraîne un déplacement de la valeur d'information en faisant passer l'action primaire de la principale à la subordonnée. Telle est, me semble-t-il, la pensée de Sandfeld: la temporelle est un support de l'action primaire («une action s'accomplit») et le syntagme verbal de la principale exprime le fond du décor, la circonstance concomitante («dans telles ou telles circonstances »). Sandfeld, pourtant, fait des réserves («très souvent»), et, en effet, la règle n'est pas générale. Elle vaut en tout cas pour (57), où une différence de sens apparaît si la temporelle vient occuper la position initiale:

(57) II allait s'engager sur le pont de Solferino quand il s'arrêta

(57)' Quand il s'arrêta, il allait s'engager sur le pont de Solferino

Dans (57)', l'antéposition enlève à la temporelle son caractère d'action inattendue qui vient interrompre l'action de la principale, et la valeur d'information s'en trouve sensiblement diminuée: la temporelle est devenue un simple point de repère. Il faut ajouter que cette phrase n'a de sens que si le fait de s'arrêter est déjà mentionné dans ce qui précède.

En revanche, si l'on considère la paire suivante, on voit que, dans les deux
cas, la temporelle désigne l'action secondaire, qu'elle constitue un repère
temporel, et que la position n'y change rien:

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(56) II était hors d'haleine quand il arriva au bureau de poste.

(56)' Quand il arriva au bureau de poste, il était hors d'haleine.

Puisque je traite des syntagmes gérondifs auxquels peut se substituer une proposition temporelle, et non des propositions temporelles auxquelles peut se substituer un syntagme gérondif, la démonstration que je viens de faire risque de fausser la perspective. En effet, on peut dire que des phrases du type de (57) ne relèvent pas de cette étude. D'autre part, les questions que soulèvent les interprétations différentes de (56) et de (57), font jouer la dichotomie connu/non-connu et permettent d'apporter quelques précisions là-dessus. Et quoique je n'aie pas l'intention d'étudier les propositions temporelles, il peut être instructif, en passant, d'aborder les problèmes sous une optique différente.

Si l'on compare les temporelles de (56) (action prévisible constituant un repère temporel) et de (57) (action non-prévisible apportant un fait nouveau), on voit que la différence d'interprétation ne tient ni à l'aspect, ni à la position. C'est dans le sens lexical des verbes qu'il faut en chercher l'explication. (Je rappelle que, dans des conditions différentes, l'aspect et la position entrent en ligne de compte, cf. p. 224 et surtout §§ 20 et 21).

En ce qui concerne le premier type (action prévisible constituant un repère temporel), les exemples de Sandfeld, de Sten et d'Olsson ne fournissent pas de renseignements directement utilisables, car ils représentent des cas où il n'y a pas coréférence des deux actions verbales. Mais il faut signaler que, le plus souvent, le verbe de la temporelle est un verbe de mouvement. Chez Sten on trouve un seul exemple de coréférence, qui est justement (56). En rapprochant (56) de (52), je suis tenté d'établir une règle posant que si le verbe de la temporelle est un verbe de mouvement et que celui de la principale indique un état moral ou physique (être trempé (52), être hors d'haleine (56)), la subordonnée est interprétée comme un repère temporel.

Le deuxième type (action inattendue) ne présente pas de régularités semblables.
J'en ai déjà donné deux exemples (57-58); en voici un autre:

(59) Frédéric parlait encore quand il s'aperçut qu'il était seul (Cit. Sandfeld
§159)

On pourrait multiplier les exemples, mais ceux-ci suffiront. Pour le moment, je suis dans l'impossibilité d'expliquer de façon satisfaisante pourquoi ces subordonnées sont perçues comme représentant l'idée centrale de la phrase et non un simple repère temporel.

Le deuxième point qui mérite d'être tant soit peu approfondi concerne
l'occurrence du gérondif dans des exemples du type de (52, 56) vs. la nonoccurrencedans

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occurrencedansdes exemples du type de (57-59). Cette différence de comportementne peut se ramener à la dichotomie connu/non-connu, car le gérondif peut fort bien désigner des actions non-connues (qui expriment p.ex. la manière, le moyen, la circonstance concomitante). C'est plutôt dans le mode d'action qu'il faut en chercher l'explication. Il semble qu'un verbe statif {être, avoir) n'a aucune influence sur le mode d'action d'un verbe gérondif postposé, alors que d'autres verbes imperfectifs ont tendance à imperfectiviser le verbe gérondif. Mais les verbes perfectifs ponctuels résistentà cette influence; c'est pourquoi (59)' est exclu:

(59)' *Frédéric parlait encore en s'apercevant qu'il était seul.

Si dans (58)' on peut, à l'extrême rigueur, tolérer le gérondif, celui-ci indique
la circonstance concomitante et il y a coïncidence totale des deux actions:

(58)' ?Un moment passa. Je bourrais ma petite pipe en entendant toquer à la
porte.

Mais la phrase semble très artificielle, même selon cette interprétation.

18. Gérondif perfectif. Verbe fini au plus-que-parfait.

(60) En me présentant à son invitée, Tante Rosie avait précisé que, récemment
désintoxiquée, cette dame devait sa guérison à FAlcoholic Anonymous
(Charles-Roux, Palerme 172)

(61) En prenant la décision soudaine de quitter la ferme, Arsène avait pensé
qu'il pourrait encore y travailler. (Aymé, Vouivre 231)

(62) En l'apercevant devant cette fenêtre avec ce chien, j'avais eu le sentiment
curieux de retrouver brusquement ma famille. (Sagan, Profil 148)

(63) En sortant de la clinique surchauffée, j'avais pris froid dans l'automne
humide. (Beauvoir, Mort 67)

(64) En franchissant la grille, il avait déjà élaboré son plan. (Troyat, Geste 29)

18.1. Le syntagme gérondif représente une action momentanée et admet la
substitution d'une proposition ponctuelle introduite par quand. Les exemples
entrent dans deux groupes.

Dans le premier, qui comprend (60-63), le plus-que-parfait indique l'antériorité par rapport à un verbe du passé, appartenant au contexte précédent. La proposition temporelle, elle aussi, se met habituellement au plusque-parfait

(60)' Quand elle m'avait présentée à son invitée, Tante Rosie avait précisé que .

Dans (60), l'action du verbe gérondif débute avant celle du verbe fini, avec
laquelle elle coïncide partiellement:

Side 241

DIVL3934

IV

(62) correspond à la figure I:


DIVL3937

(63) est difficile à schématiser. En admettant avec Sten que sortir soit un
verbe dilatable au maximum, on pourrait suggérer:


DIVL3940

111

Mais il est loisible d'envisager une autre représentation, qui comporte une zone intermédiaire. J'ai dit (p. 227) que les emplois temporels n'admettent pas une telle zone intermédiaire. Or, il se trouve justement que (63) présente des analogies avec le type instrumental (voir la discussion qui va suivre) :


DIVL3943

Pour (61) j'hésite. Toutefois, il est probable que le projet de travailler existe
avant que la décision de quitter la ferme soit prise. Soit la figure V:


DIVL3945

V

Dans le deuxième groupe, illustré par un seul exemple (64), le plus-queparfait
indique l'antériorité par rapport au verbe gérondif. La proposition
temporelle se met au passé simple:

(64) Quand il franchit la grille, il avait déjà élaboré son plan.

L'action du verbe gérondif coïncide avec la situation résultant du verbe fini,
mais non avec l'action elle-même. Les relations temporelles pourront être
représentées par la figure V:


DIVL3948

V

Side 242

Mais il serait plus exact de les schématiser ainsi:


DIVL3951

18.2. J'ai dit que dans (60-63) l'action du verbe gérondif est antérieure à celle d'un verbe précédent et simultanée par rapport à celle du verbe principal de la phrase. Dans une optique un peu différente, on pourrait dire que les deux verbes, infini et fini, sont antérieurs par rapport au temps du récit. Il est donc tout à fait naturel que dans ces cas-là il y ait acquis contextuel: le syntagme gérondif représente des situations déjà mentionnées, qui sont évoquées pour constituer le point de repère de l'action principale. C'est là une observation qui vaut probablement pour tous les cas de ce type.

Dans (64), par contre, le syntagme gérondif se situe au niveau du temps du récit. Il n'y a pas acquis contextuel, mais acquis existentiel. Le personnage en question est en train de rentrer à la maison. Il est prévisible que tôt ou tard il franchira la grille.

(62) est du type temporel-causal. J'ai signalé (p. 221) que les verbes de
perception ont toujours tendance à souligner l'élément causal. La suppression
des syntagmes prépositionnels n'y change rien:

(62)' En les apercevant, j'avais eu le sentiment curieux de retrouver ma famille.

Il en va autrement pour les verbes de mouvement. Dans (63), le syntagme gérondif comporte un substantif auquel se rattache l'épithète surchauffée. Cet exemple présente une structure sémantique (et syntaxique) un peu plus complexe que celle des exemples précédents, lesquels comportaient un verbe de mouvement. Aussi la valeur d'information en est-elle plus élevée. L'exemple est d'ailleurs assez difficile à ranger sémantiquement. Temporel-causal ou instrumental? Il y a bien un rapport de cause à effet, mais (63) se distingue du type temporel-causal par le fait qu'il ne s'agit pas là de deux actions momentanées successives. D'autre part, il se distingue du type instrumental par le fait que prendre froid exprime une action involontaire. En fait, (63) ne peut se ramener ni à l'un, ni à l'autre de ces deux types, tout en ayant avec ceux-ci des éléments sémantiques communs.

19. Gérondif perfectif. Verbe fini au présent.

(65) certains poissons péchés dans les grandes profondeurs perdent leur éclat en
arrivant à la surface (Troyat, Geste 182)

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(66) De temps en temps, ces messieurs jouent du couteau ou du revolver, mais
ne croyez pas qu'ils y tiennent. Le rôle l'exige, voilà tout, et ils meurent de
peur en lâchant leurs dernières cartouches. (Camus, Chute 11-12)

(67) Elle se lève, va vers la salle de bains. En passant derrière lui, elle jette le
journal sur la table. (Sartre, Séquestrés 328)

(68) A travers les pins, en descendant vers l'anse, il aperçoit les pêcheurs qui ne
peuvent pas le voir (Vailland, Loi 162)

(69) Elle sourit en prononçant ces derniers mots (Robbe-Grillet, Jalousie 85)

(70) En levant la tête, j'aperçois à mon tour les taches rougeâtres aux découpures
compliquées et précises (id. Maison 188)

19.1. Puisque le présent est la forme non-marquée, qui peut aussi remplacer le passé simple et l'imparfait, il faut donc distinguer les emplois qui sont spécifiques du présent de ceux qui correspondent à l'emploi du passé simple et de l'imparfait dans un contexte du passé.

(65) et (66) sont des exemples du premier type. Il s'agit d'un présent
d'habitude. Au syntagme gérondif peut se substituer une proposition itérative:

(66)' ils meurent de peur quand ils lâchent leurs dernières cartouches.

Dans mes exemples je n'ai relevé que des présents d'habitude. Il faut dire que je n'ai pas étudié systématiquement les différents emplois de cette forme («en ce moment», «vérités éternelles», etc.). D'autre part, le verbe gérondif étant perfectif, j'imagine mal des emplois qui peuvent être compris autrement que dans le sens itératif.

Pour le présent scénique (67) et le présent narratif (68-70), les faits sont identiques à ceux du passé simple et de l'imparfait. Si le verbe est du type perfectif non-ponctuel, le syntagme gérondif correspond à une proposition introduite par quand:

(70)' Quand je lève la tête, j'aperçois

Si le verbe gérondif est du type non-ponctuel, le syntagme peut également
correspondre à une proposition introduite par quand:

(67)' Quand elle passe derrière lui, elle jette le journal

Dans d'autres cas, c'est une proposition introduite par comme/alors que/
pendant que qui peut se substituer au syntagme gérondif:

(68)' A travers les pins, alors qu'il descend vers l'anse, il aperçoit les pêcheurs.

(69/ Elle sourit pendant qu'elle prononce ces derniers mots.

Malgré les différences de substitution, les relations temporelles de (67-68)
peuvent être représentées par la même figure :

Side 244

DIVL3953

IV

Dans (69), par contre, il y a coïncidence totale:


DIVL3956

VI

19.2. Je ne m'attarderai pas sur les propriétés qui conditionnent l'interprétation temporelle, ces exemples n'ajoutant rien à ce qui a déjà été dit. Je signalerai seulement que, dans (66), qui est du type temporel-causal, la présence de l'épithète dernières souligne l'élément causal. C'est surtout parce que ces cartouches sont les dernières, qu'ils meurent de peur. Cette épithète supprimée, en lâchant leurs cartouches pourrait n'être plus compris que comme une simple variante de jouer du revolver.

20. Gérondif imperfectif. Verbe fini au passé simple)composé.

(71) En dansant Luc me serra tout à coup violemment (Sagan, Sourire 103)

(72) En attendant que sa femme et ses enfants fussent prêts, il s'assit sur le bord
du lit et regarda le mur d'en face (Troyat, Geste 32)

(73) En 1199, des prétentions sur un hypothétique trésor l'entraînèrent en Limousin.
Là, en assiégeant le château de Châlus, il reçut une blessure mortelle.
{Larousse 9, «Richard Cœur de Lion»)

(74) On but un verre. On bavarda. «II finira bien par me dire ce qui s'est passé»,
pensai-je en les écoutant parler. (Charles-Roux, Palerme 255)

20.1. Toute occurrence d'un gérondif imperfectif exclut la substitution d'un quand ponctuel. Comme le sens en est toujours duratif, la détermination des relations temporelles n'offre pas les mêmes difficultés qu'avec les verbes gérondifs perfectifs. Dans l'ensemble, le problème se réduit à la question de savoir s'il y a répétition ou non.

Dans les cas traités dans ce par., la répétition est exclue, le verbe fini étant au passé simple. Le syntagme gérondif marque un état ou un procès pendant lequel quelque chose se produit. Il correspond donc à une proposition introduite par pendant que/alors que :

(73)' Là, alors qu'il assiégeait le château de C, il reçut une blessure mortelle.

(74)' II finira bien par me dire ... », pensai-je pendant que je les écoutais parler.

Side 245

Les relations temporelles de tous les exemples de ce type peuvent être
représentées par la figure IV:


DIVL3959

20.2. Si la détermination des relations temporelles ne pose pas de problèmes, l'interprétation d'un syntagme gérondif imperfectif ne va pas sans difficultés. De par leur nature, les verbes imperfectifs se prêtent bien mieux que les verbes perfectifs à désigner une situation, et, en règle générale, si le noyau du syntagme gérondif est imperfectif, il est malaisé d'établir une limite tranchée entre repère temporel et circonstance concomitante. Aussi est-il nécessaire, pour rendre compte des faits d'interprétation, de mettre en jeu des critères autres que ceux qui m'ont servi jusqu'à présent.

Il est vrai que (71) et (74) ne semblent pas différer essentiellement des exemples que nous avons déjà rencontrés. On y retrouve les propriétés caractéristiques d'un repère temporel: acquis contextuel dans (71), acquis contextuel et rapport de cause à effet dans (74), structure assez simple dans les deux. Mais, dans l'ensemble, ce sont surtout l'aspect et les relations temporelles qui entrent en ligne de compte. Ainsi, je considère en assiégeant le château de Châlus comme constituant un repère temporel, mais les faits ne sont pas favorables aux explications que j'ai données jusqu'à présent pour rendre compte de cette interprétation. 11 n'y a pas de référence explicite au contexte, ni de structure particulièrement simple. Au contraire, l'objet comprend la détermination de Châlus, ce qui revient à dire que le syntagme apporte un renseignement nouveau. Il faut également renoncer à y voir un rapport de cause à effet. A première vue, il semble que la seule explication qu'on puisse fournir réside dans l'interaction d'un verbe gérondif imperfectif et d'un verbe fini au passé simple. Les faits sont pourtant plus compliqués, car à côté d'exemples comme (71-74), on en rencontre d'autres qui, tout en ayant la même structure aspectuelle, sont interprétés différemment:

(75) Je ne retirerais que le lendemain ma malle de la consigne. En traînant ma
valise, je me dirigeai vers l'hôtel (Guth, Naïf 23)

Dans (75), toute idée de point de repère doit être exclue. On se trouve en présence
d'une circonstance concomitante authentique.

L'aspect ne suffit donc pas pour expliquer l'interprétation de (71-74),
puisqu'il ne permet pas de différencier les cas de (71-74), et de (75). C'est en

Side 246

DIVL3961

termes de relations temporelles, et non en termes d'aspect, qu'il faut exprimer cette différence. En effet, si l'on considère (75), on voit que les relations temporelles ne peuvent pas être représentées par la figure IV. Le syntagme gérondif ne désigne pas un état qui préexiste à l'action du verbe fini, mais un état dont le début se situe au moment même de cette action, et qui est conditionné par celle-ci. Ces faits peuvent être schématisés ainsi:

(Je rappelle que justement cette figure ne se trouve pas parmi celles qui
représentent les emplois temporels (voir pp. 230-31).)

Si, d'une part, (75) présente un exemple de circonstance concomitante authentique, sans nuances temporelles, il faut, d'autre part, dans les cas de (71-74), renoncer à établir une distinction tranchée entre repère temporel et circonstance concomitante. S'il est loisible de dire que le syntagme gérondif en assiégeant le château de Châlus sert à situer la mort de Richard dans le temps, ce même syntagme indique surtout les circonstances dans lesquelles la mort est survenue. C'est donc un repère temporel-circonstanciel.

20.3. En guise de conclusion, il est possible d'établir la règle d'interprétation
suivante :

En cas de co-occurrence d'un gérondif imperfectif et d'un verbe fini au passé simple, le syntagme gérondif est interprété comme un repère temporel-circonstanciel si les relations temporelles entre les deux verbes correspondent à la figure IV. Il est interprété comme un complément de circonstance concomitante (ou de manière) si les relations temporelles correspondent à la figure VII.

21. Gérondif imperfectif. Verbe fini à Vimparfait.

(76) Quand je descendais dans la classe, je caressais (cette place). En parlant du
haut de ma chaire je m'adressais à elle, comme si j'avais vu réunis dans cet
étroit espace Gina et Guido. (Guth, Naïf 174)

(77) En m'écoutant, les élèves durcissaient des mâchoires de gangsters, (ibid. 84)

(78) En admirant leur vierge, les Chinois de Mott Street évoquaient avec reconnaissance
son donateur. (Charles-Roux, Palerme 193)

(79) On peut être tout ce qu'on veut à Paris si l'on est triomphant, Balzac l'avait
assez dit, et je pensais à lui en regardant le profil résigné de mon ami Didier.
(Sagan, Profil 69)

(80) le «Cap Saint-Jean» était amarré le long du wharf en attendant son
chargement (Robbe-Grillet, Jalousie 95)

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21.1. Cette combinaison permet deux interprétations du syntagme gérondif: itérative-durative (correspondant à une proposition introduite par quand) et durative (correspondant à une proposition introduite par pendant quel alors que).

Les faits sont d'ailleurs semblables à ceux que nous avons étudiés p. 234 à propos des gérondifs perfectifs non-ponctuels : seul un recours au contexte permet de décider s'il s'agit d'une action unique ou d'une répétition, et, en cas de répétition, les sens itératif et duratif se confondent. Dans (76), la mise en parallèle du syntagme gérondif et d'une proposition itérative montre que parler du haut de la chaire est une action qui se répète; dans (77-79), le contexte que je fournis ne suffit pas pour déterminer s'il y a répétition ou non.

Pour représenter les relations temporelles de (76-80), la solution la plus
simple serait de proposer la figure VI:


DIVL3963

Les faits aspectuels semblent confirmer l'idée d'une coïncidence totale des deux actions. Pourtant, dans (77-79), il faut compter avec une légère antériorité de l'action du verbe gérondif, car c'est celle-ci qui déclenche l'action du verbe fini; ce qui revient à dire qu'il y a entre les deux un rapport de cause à effet. Soit la figure III:


DIVL3965

21.2. J'ai dit que toute occurrence d'un gérondif imperfectif fait obstacle à l'interprétation du syntagme, mais les différences d'aspect du verbe principal ont évidemment pour conséquence que les problèmes se posent de façon différente. Dans les cas qui nous intéressent ici, il n'y a pas ce contraste entre une action momentanée et une action d'une certaine durée, qui, elle, sera presque inévitablement perçue comme désignant une situation et, subséquemment,comme constituant un repère temporel-circonstanciel. Ici, les faits aspectuels ne destinent aucun des deux verbes à servir de repère à l'autre. De ce point de vue, il y a analogie entre (76-80) et (36-45) (gérondif perfectif - verbe fini au passé simple). Et, en effet, il semble que ce soient les mêmes faits qui interviennent dans l'interprétation de (76-80) et dans

Side 248

celle de (36-45): structure assez simple, acquis contextuel dans (76), rapport de cause à effet dans (77-79). Mais (80) crée des difficultés. Encore une fois, il faut poser la question: repère temporel ou circonstance concomitante? Certes, la substitution de pendant que est possible, mais justement cette substitution n'est pas un critère très solide pour délimiter les emplois temporels(cf. p. 223-24).

A la vérité, je ne considère pas (80) comme constituant un repère temporel. C'est ici que la position entre en ligne de compte. En postposition, la valeur d'information du syntagme gérondif est égale, sinon supérieure, à celle du syntagme verbal fini. Logiquement, c'est une coordination. Mais si l'on intervertit l'ordre, le sens du syntagme gérondif se rapproche de celui d'un repère temporel:

(80)' En attendant son chargement, le «Cap Saint-Jean» était amarré le long
du wharf.

Dans son étude sur l'ordre des propositions causales, Alexandre Lorian a exprimé des idées semblables. Parlant de la tendance de parce que à la postposition, il dit: «la causale introduite par parce que étant « simplement constatante», c'est-à-dire ayant un «contenu [...] qui est présenté comme nouveau à l'auditeur », c'est elle qui représente le prédicat psychologique de la phrase. Tout cela justifie la préférence de parce que pour la postposition» (op. cit. 15). Si la postposition n'est pas exigée par la structure syntaxique de la phrase, Lorian parle de «postposition predicative». Celle-ci est caractérisée ainsi (28): «Nous réservons ... le terme de postposition predicative ... aux cas où l'importance logique et expressive de la donnée causale est manifeste et égale, sinon supérieure, à celle de la résultante; où son contenu sémantique est la véritable raison d'être de la phrase». Sans doute, les problèmes que soulèvent les propositions causales diffèrent à bien des égards de ceux qui nous occupent ici, mais pour l'essentiel, les vues de Lorian s'accordent avec les miennes: la position finale est celle des constructions subordonnées à haute valeur sémantique, relativement indépendantes.

L'essentiel, dans le cas des gérondifs imperfectifs - et aussi, peut-être, dans le cas de certaines propositions subordonnées - c'est qu'il y a interactionentre la position et la valeur d'information. D'une part, la postposition attire les constructions à haute valeur sémantique; d'autre part, elle met en relief les constructions dont l'apport sémantique est relativement faible, leur attribuant parfois une importance égale à celle du syntagme verbal principal.En antéposition, c'est l'inverse qui se produit: une construction subordonnéeperd

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ordonnéeperdde son importance pour devenir souvent un simple point de
repère4.

L'idée d'une telle interaction rejoint en quelque sorte ce que j'ai dit sur le quand-inverse. Il y a certainement là un phénomène analogue, mais les faits ne sont pas identiques: s'agissant du quand-in\erse, il y a des différences d'aspect et des restrictions sur la mobilité d'un grand nombre de verbes.

Les faits sont pourtant très compliqués et il faut se garder de trop insister sur l'importance sémantique et l'indépendance relative des constructions qui occupent la position finale. Les compléments de manière, par exemple, préfèrent cette position et, en règle générale, ils ont une importance secondair es. Ce qu'il faut retenir, c'est que l'antéposition a tendance à marquer un repère temporel et temporel-circonstanciel.

21.3. Un argument en faveur de cette hypothèse nous est fourni par le comportement de certains verbes qui ne peuvent que très difficilement, ou pas du tout, servir de repère temporel. Il se trouve que, toutes choses égales par ailleurs, ceux-ci répugnent à l'antéposition.

Ainsi, le verbe sourire est, de par sa nature, prédestiné à désigner la manière.
Or, le gérondif en souriant est, sinon exclu, du moins peu naturel en antéposition:

(81) Je ía regardais en souriant.

(81)' En souriant, je la regardais.

Cela va mieux pour en regardant:

(82) Je souriais en la regardant.

(82)' En la regardant, je souriais.

Cf. encore:

(81)" Je souriais. Et en souriant, je la regardais.

(82)" Je la regardais. Et en la regardant, je souriais



4: II faut dire que Lorian est moins catégorique sur ce point: s'il admet qu'un parce que antéposé perd un peu de sa valeur predicative, il considère que c'est avant tout Vopposition entre donnée et résultante qui s'efface. Dans ce cas, il parle de deux idées majeures (63).

5: La distinction entre complément de manière et complément de circonstance concomitante pose un nouveau problème, que je ne vais pas aborder ici.

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22. Gérondif imperfectif. Verbe fini au plus-que-parfait.

(83) En fouillant dans mon bureau pour y trouver une formule imprimée dont
nous avions besoin, j'avais éparpillé mes papiers un peu partout. (Bernanos,
Journal 162)

C'est le seul exemple que j'ai trouvé. Encore est-ce un cas-limite: la complémentation est riche, chargée d'information. Si j'hésite pourtant à rejeter toute idée de repère temporel, cela tient à l'antéposition du gérondif. Comparons:

(83)' J'avais éparpillé mes papiers un peu partout en fouillant dans mon bureau
pour y trouver une formule imprimée dont nous avions besoin.

En postposition, l'idée d'un repère temporel s'efface, faisant place à l'idée d'un complément d'instrument. Il faut ajouter que (83)' paraît peu naturel, car, malgré le nombre élevé des compléments, le syntagme gérondif représente une action d'importance secondaire. La richesse des compléments doublée d'un rejet à la position finale lui donne un relief qui fait un effet bizarre (cf. pp. 248-49).

23. Gérondif imperfectif. Verbe fini au présent.

(84) il prenait l'air distrait qu'affectionnent les jeunes gens en parlant de leurs
parents (Sagan, Sourire Al)

(85) II y a plusieurs Espagnoles que je croise chez moi sans bien les connaître, ce qui dans trois pièces est parfois embarrassant .. . En cherchant mon chandail, je les trouve à quatre ou cinq dans la salle de bains; en traversant la cuisine, je me heurte à elles en train de prendre le thé (Mallet-Joris, Maison

Les présents de (84-85) sont des présents authentiques (cf. p. 243).

Pour le gérondif, seul le sens duratif ou itératif-duratif est possible. Dans (84), le caractère général de l'énoncé - surtout la présence d'un article générique au pluriel (les jeunes gens) - indique qu'il s'agit d'un présent d'habitude:

(84)' il prenait l'air distrait qu'affectionnent les jeunes gens quand ils parlent de
leurs parents.

Les relations temporelles peuvent être représentées par la figure suivante:


DIVL3967
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(85) est un bon exemple de la difficulté qu'on peut avoir à proposer une substitutionadéquate au syntagme gérondif (cf. p. 235). Dans l'ensemble, le contexteest itératif: la présence des Espagnoles est une situation qui se renouvelletous les jours. Cela influe sur la façon d'interpréter en cherchant, qui prend alors une nuance itérative. Toutefois, il n'y a pas lieu de croire que l'auteur rencontre ces Espagnoles précisément dans la salle de bains, chaque fois qu'elle cherche son chandail (cela ne s'est peut-être produit qu'une seule fois), ni qu'elles prennent du thé chaque fois qu'elle traverse la cuisine. La substitution de quand aurait tendance à indiquer un rapport constant entre les deux faits. D'autre part, la substitution de pendant que serait également impropre. Un pendant que antéposé ferait ressortir l'idée d'une action unique et connue, ce qui ne couvrirait pas le sens de (85). En cherchant mon chandail est un exemple parmi d'autres d'un fait qui se répète : celui de se croiser tous les jours. Cet exemple montre que l'emploi du gérondif permet d'éviter des précisions jugées inutiles ou impropres.

IV. Le participe présent

24. Mon but principal dans cette section sera de montrer que le comportement du participe présent diffère, à plusieurs points de vue, de celui des autres indications de temps, et que ces différences de comportement remettent en question l'idée que le participe présent aurait un sens temporel.

Pour relever ces différences de comportement, la meilleure méthode est d'étudier le participe présent dans les mêmes environnements qu'un gérondif dont le sens est tenu pour temporel. Je mettrai donc enjeu les mêmes exemples que ceux qui m'ont servi jusqu'ici, avec la seule différence que, cette fois, les gérondifs seront remplacés par des participes présents. Cependant, j'ai trouvé utile d'enrichir l'illustration en y ajoutant un certain nombre d'exemples

Cette méthode amènera un changement d'optique. Jusqu'à présent, je suis parti d'exemples littéraires dont la grammaticalité était incontestable et j'ai étudié les facteurs qui entrent dans leur interprétation. La substitution au gérondif d'un participe présent aura pour conséquence que certains des exemples ne sont plus grammaticalement acceptables. Il s'agira donc d'expliquerpourquoi, dans tel ou tel cas, les deux formes en -ant ne peuvent pas être employées concurremment. Autrement dit, au lieu de mettre l'accent sur les faits d'interprétation, je m'occuperai plutôt des faits de distribution. Les problèmes que pose l'interprétation ne seront pourtant pas totalement

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négligés. Dans les cas où le gérondif et le participe présent sont tous deux
possibles, il faut se demander s'il y a une différence de sens ou non.

J'ai dit que le problème principal concerne le sens temporel. En fait, les questions qui se posent sont au nombre de trois, chacune étant intimement liée aux deux autres. Avant d'aborder l'étude des détails, je dirai quelques mots sur ces trois problèmes, à savoir le statut du participe présent dans la hiérarchie des subordinations, le comportement syntaxique des indications de temps et les relations temporelles.

25. A propos de l'exemple (8), j'ai indiqué que le sens du syntagme participial se rapproche de celui d'une proposition principale coordonnée. La première question qui se pose est de savoir si le syntagme participial est un terme de subordination situé au même niveau que le gérondif et les propositions subordonnées, ou, au contraire, un terme qui se situe au niveau des principales tout en ne pouvant pas être coordonné à celles-ci. C'est évidemment un problème d'ordre général, qui dépasse le cadre de cette étude. Il faut pourtant l'envisager ici, car une discussion de la place à donner au participe présent dans la hiérarchie en question pourra mettre en lumière les risques qu'on court en lui attribuant un sens temporel.

Le comportement syntaxique du syntagme participial présente des particularités qu'on retrouve dans la syntaxe des propositions indépendantes, mais non dans celle des constructions de subordination apparentées. J'aurai l'occasion d'y revenir à plusieurs reprises, notamment à propos de la postposition. Pour présenter le problème, je me contenterai d'attirer l'attention sur le comportement des deux formes en -ant dans des phrases où le syntagme verbal fini contient un donc ou un ainsi.

Donc indique la conséquence d'un énoncé contenu dans la proposition principale précédente. Autrement dit, il établit un rapport entre deux propositions principales, jamais entre une principale et une subordonnée. Il s'ensuit que l'établissement de ce rapport ne peut pas être bloqué par la présence d'une subordonnée antéposée dans la deuxième phrase:

(86) J'avais fini de travailler. Quand tu es entré, tu ne m'as donc pas dérangé.

Dans (86), donc établit un rapport de conséquence entre /'avais fini de travailler
et tu ne m'as pas dérangé, ce qui est parfaitement logique.

(86)' * J'avais fini de travailler. Tu es entré, et tu ne m'as donc pas dérangé.

Ici, donc établirait un rapport de conséquence entre tu es entré et tu ne m'as
pas dérangé, ce qui n'a pas de sens. C'est pourquoi son emploi est exclu.

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II semble que le participe présent et le gérondif se comportent respectivement
comme une principale et une subordonnée:

(87) En arrivant sur la route, elle eut donc une mauvaise surprise.

(87)' *?Arrivant sur la route, elle eut donc une mauvaise surprise.

(87)" Arrivant sur la route, elle eut une mauvaise surprise.

Les cinq informateurs acceptent (87) et (87)". (87)' est rejeté par quatre d'entre eux. Si cette phrase est tellement douteuse qu'il faille la refuser, la raison peut, précisément, en être que le syntagme participial ne constitue pas une subordination au niveau du gérondif et des propositions subordonnées. Quel que soit le contexte précédent, l'établissement d'un rapport entre celui-ci et elle eut une mauvaise surprise est bloqué par la présence d'un participe présent, tout comme il serait bloqué par la présence d'une proposition

Il en va de même pour ainsi:

(88) En entrant dans le salon des Rouargue, Gilles eut ainsi l'impression que
son enfance lui sautait à la tête. (Sagan, Soleil 65)

(88)' *Entrant dans le salon des Rouargue, Gilles eut ainsi l'impression que son
enfance lui sautait à la tête.

(88)" Entrant dans le salon ..., Gilles eut l'impression que ...

Les réponses des informateurs sont les mêmes que pour (87) : (88)' est rejeté
par quatre d'entre eux, alors que (88) et (88)" sont acceptés par tous les cinq.

26. La deuxième question, qui concerne la possibilité pour un syntagme participial de constituer un repère temporel, est étroitement liée à la première. Si le participe présent se situe à un niveau de subordination plus élevé que le gérondif et les propositions temporelles, il doit y avoir de nombreux cas où le syntagme participial résiste à la subordination, alors que le gérondif et les propositions temporelles l'admettent. Je n'ai pas étudié systématiquement le problème de l'enchâssement, qui est sans doute assez compliqué (certains de mes exemples prouvent qu'il est possible d'enchâsser un participe présent dans une proposition subordonnée). Ici, je me contenterai de signaler certains faits d'enchâssement qui permettent de tirer des conclusions aussi bien générales que partielles.

Des indications de temps de nature différente peuvent être enchâssées
dans un syntagme adjectif:

(89) Fatigué en quittant le lycée, après tes six heures de classe ..., tu as fait
tout un grand détour jusqu'à l'île de la Cité (Butor, Degrés 166)

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(89)' Fatigué quand tu as quitté le lycée, après tes six heures de classe ..., tu
as fait tout un grand détour . . .

(89)" Fatigué le soir, après tes six heures de classe . .., tu as fait tout un grand
détour . . .

Le participe présent, par contre, ne peut pas être enchâssé dans un syntagme
adjectif:

(89)'" *Fatigué, quittant le lycée, après tes six heures de classe ..., tu as fait .

Les indications de temps peuvent être enchâssées dans un syntagme infinitif:

(90) Tricher avait été la préoccupation de son père et de tous les émigrants qu'il
avait approchés. Tricher en achetant une cravate, un chapeau, un veston.
Tricher en parlant, en marchant. (Charles-Roux, Palerme 207)

(90)' ... Tricher quand ils achetaient une cravate, un chapeau, un veston.
Tricher quand ils parlaient, quand ils marchaient.

(90)" ... Tricher tous les jours, pendant toute une vie.

Là encore, le participe présent est exclu:

(90)'" Tricher, achetant une cravate, un chapeau, un veston.

Ces différences de comportement syntaxique ne pourront pas être rigoureusement tenues pour un argument décisif en faveur de mon hypothèse. Les exemples d'emploi temporel que je mets en jeu ne sont qu'un cas particulier d'une règle générale, cf. Schmidt-Knàbel : «Als einziges der drei franzôsischen â-Adverbien tritt die â-â-Form als fakultative Détermination nicht nur bei Adverb und Verb, sondern auch beim Adjektiv auf» (242). Plutôt que de mettre en cause l'emploi temporel du participe présent, ces différences laissent entendre que le syntagme participial se situe à un niveau de subordination plus élevé que les autres adverbiaux de temps, ce qui revient à dire qu'il n'est pas un adverbial, mais un attribut indirect6.

D'autre part, si tous les termes reconnus comme temporels ont un comportementsyntaxique
différent de celui du participe présent, il est permis
de se demander si ces différences syntaxiques ne reflètent pas une différence



6: Pour le moment, je suis enclin à considérer le syntagme participial comme remplissant la fonction d'attribut indirect. Mais je ne prendrai pas définitivement position sur cette question, fort débattue d'ailleurs. On voit que Schmidt-Knàbel, tout en signalant les différences quant à l'enchâssement, traite le syntagme participial comme un complément de circonstance. (Voir aussi Henrik Prebensen: «Apposition, attribut indirect et complément de circonstance»).

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sémantique qui exclut la possibilité de donner un caractère temporel à ce
dernier.

Un autre argument que je voudrais avancer concerne directement les indications de temps. En effet, celles-ci peuvent être modifiées par l'adverbe seulement au sens de pas avant {tel moment): seulement vers dix heures, ce jour-là seulement, seulement quand, etc. Le gérondif aussi peut recevoir une telle modification:

(91) En partant seulement il m'a dit: «Etes-vous bien convaincue, là, de la voca^
tion de votre Louise?» (Mallet-Joris, Personnages 277)

En revanche, le participe présent n'admet pas un seulement modificateur
temporel :

(91)' *Partant seulement il m'a dit

On pourrait objecter, là encore, qu'il s'agit seulement d'un simple corollaire d'une règle générale interdisant toute occurrence dans le syntagme participial d'une certaine catégorie d'adverbes {surtout, justement, seulement, etc.). Cari Vikner signale qu'un grand nombre de compléments circonstanciels qui ne peuvent pas être focalisés ne peuvent pas non plus être déterminés par un de ces adverbes («Quelques réflexions sur les phrases clivées en français moderne.»). Outre qu'il n'est pas focalisable, le participe présent semble partager avec la catégorie des adverbiaux dits P bien d'autres particularités syntaxiques relevées par Vikner. Mais pour le moment, je ne peux pas dire s'il y a identité totale entre ces adverbiaux et ie syntagme participial en ce qui regarde la détermination par un des adverbes du type de surtout, etc. Sans entrer dans le détail, Schmidt-Knâbel touche au problème de la détermination adverbiale p. 173: «Ferner kann - ebenfalls in sehr seltenen Fallen - das â-Adverb ohne Erstfigur (= le participe présent) selbst durch ein vorangestelltes Morphemadverb determiniert werden». L'illustration comprend l'exemple suivant:

(92) comme je regardais ce bateau sans songer à l'Empereur, et seulement enviant
le sort de ceux qui peuvent voyager, tout à coup j'ai été saisi d'une émotion
profonde (Stendahl, cit. Schmidt-Knâbel 174).

Sans doute, (92) est assez spécial. Mais on voit que seulement n'est pas totalement exclu devant un participe présent. Ce qui compte ici, c'est que, dans (92), on n'a pas affaire à un emploi temporel. En revanche, il ne m'a pas été possible de trouver ni de construire un exemple comportant un seulement temporel.

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27. La troisième question porte sur les relations temporelles. J'ai déjà
abordé ce problème, mais j'y reviens pour apporter quelques précisions.

Je rappelle que, dans le cas de deux processus physiques, le gérondif est exclu, à moins qu'il n'y ait coïncidence partielle entre les deux actions. Pour illustrer ce problème, j'ai utilisé les exemples (8) et (35), que je reproduis ici en leur en ajoutant deux autres:

(8) Prenant Urbain à bout de bras, il le déposa doucement sur le sol.

(35) Traversant la route, il prit dans les champs pour gagner la forêt.

(93) Trébuchant sur le bord de la pelouse, Wolf se rattrapa à Folavril. (Vian,
Herbe 251)

(94) II répéta «Attends-moi ... », et s'approchant de Gigino il épongea soigneusement
la sueur qui coulait sur ses joues. (Charles-Roux, Palerme 314)

Dans ces exemples, le gérondif est exclu. Pour éviter toute confusion, je fais remarquer que dans (94), ses joues se réfèrent aux joues de Gigino. Une informatrice ajoute que s'il s'agissait des joues du personnage qui s'approche, le gérondif serait possible. (94) est à rapprocher de (43), où le verbe fini décrit un processus psychique; le gérondif et le participe présent sont tous deux possibles :

(43) II était 7 heures du soir, et en m'approchant de la fenêtre, je retrouvai brusquement
cet émerveillement que j'avais cru disparu.

Dans l'exemple suivant, qui comporte un participe présent, le verbe fini lut
décrit également un processus psychique :

(16) M. Coquericaud de la M. se heurta aux grilles fermées. Levant la tête, il lut
sur une pancarte que le trafic serait interrompu jusqu'à nouvel ordre.

Dans (16), quatre informateurs sur cinq acceptent la substitution d'un gérondif. Le cinquième, qui hésite, dit que le gérondif est gênant suivi de il lut, mais aurait été tout à fait naturel s'il y avait eu il vit. Il est possible qu'on ne puisse pas tout à fait exclure l'effet d'une zone intermédiaire, même dans le cas d'un verbe psychique, mais il faut noter que la présence d'une éventuelle zone intermédiaire n'expliquerait pas pourquoi le gérondif est acceptable dans (43) et non dans (94) : dans (43), rien ne dit que la personne retrouve cet émerveillement au moment même où elle arrive à la fenêtre; il peut bien y avoir un intervalle de quelques secondes entre les deux processus, tout comme il peut y en avoir un dans (94). La différence entre les deux exemples ne peut s'expliquer que si l'on tient compte de la nature des verbes.

Le lecteur aura remarqué que dans le cas de (8, 35, 93, 94) j'ai employé

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un peu au hasard les termes de contiguïté et de zone intermédiaire. En fait, je ne m'engage pas à dire si, dans ces exemples, il s'agit de l'une ou de l'autre. Pour le moment, je ne sais pas dans quelle mesure une telle distinction serait linguistiquement pertinente.

28. Participe présent perfectif. Verbe fini au passé simplejcomposé.

(95) Sortant de table, l'oncle Henri a embrassé Claude et François qui sont
allés au lit sans trop faire de difficultés pour une fois. (Butor, Degrés 214)

(96) II est passé lui-même dans la salle de bains. Quand il en est sorti, sa femme
apportait la soupière. Dépliant sa serviette, il a demandé: «Demain nous
allons tous chez Denise?» (ibid. 207)

(95)' En sortant de table, l'oncle Henri a embrassé C. et F. qui sont allés au lit
sans trop faire . ..

(96)' .. . Quand il en est sorti, sa femme apportait la soupière. En dépliant sa
serviette il a demandé: . . .

(36)' Arrivant sur la route, Arsène eut une mauvaise surprise.

(38)' Arrivant chez moi, je fus arrêtée par la concierge.

(39)' Sortant du magasin, il alluma une cigarette.

(41)' Entrant au lycée, tu m'as fait un clin d'oeil.

(42)' Quittant notre salle de rédaction, elle me tendit le journal et, . .., osa me
dire . ..

(30)' Prenant la main de l'inconnu, elle fut étonnée de la sentir chaude comme
celle d'un fiévreux.

(44)' Apprenant la mission dont il était chargé, A. B. répondit que le petit Baron
le dégoûtait.

(45)' La voyant, les jumeaux poussèrent un glapissement joyeux.

(95-96)' ont été soumis à cinq informateurs, qui unanimement acceptent la substitution d'un gérondif au participe présent. Les exemples de l'opération inverse, la substitution d'un participe présent au gérondif, (36-45)', ont été soumis à trois informateurs. Ces exemples sont également admis à l'unanimité. Ceci semble indiquer que le participe présent et le gérondif peuvent être employés concurremment dans une acception qui équivaut à celle de quand et de comme. Aussi est-ce un exemple de ce type (quittant) que Henrichsen fournit (op. cit. 103) pour conclure que les deux formes ont un emploi et un sens identiques.

Encore une fois, je suis convaincu du contraire. Et ces exemples ne constituentpas un argument sérieux contre mon hypothèse. Le gérondif temporela été défini par l'équivalence avec une proposition temporelle, alors que le participe présent correspond plutôt à une proposition principale. Il est tout à fait naturel que, si le sens d'une proposition temporelle et celui d'une principale peuvent se recouvrir, le sens d'un gérondif temporel et

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celui d'un participe présent puissent le faire également. En effet, la différence
entre (95)" et (95)'" me semble minime:

(95)" Quand il est sorti de table, l'oncle Henri a embrassé Claude et François ..

(95)'" L'oncle Henri est sorti de table. Il a embrassé Claude et François ...

Je voudrais en outre attirer l'attention sur le problème de la fréquence, puis
rapporter certaines réflexions supplémentaires des informateurs.

D'abord, on constate une fréquence très faible du participe présent dans
les cas qui nous occupent ici. Il semble y avoir une tendance très nette à
préférer le gérondif.

Ensuite, il faut noter que les informateurs avaient été priés de juger de l'acceptabilité de la substitution, et non de se prononcer sur un éventuel apport de nuances différentes. Pourtant, François Marchetti a dit spontanément qu'il sentait une légère différence de sens : l'action verbale du participe présent avait un caractère plus accidentel que celle du gérondif. Cette observation rejoint en quelque sorte ma distinction entre action connue et action non-connue. Dans le cas du participe présent je serais enclin à voir une action qui n'est pas présentée comme étant préparée par le contexte précédent.

En vue d'éclaircir ce problème, j'ai soumis aux cinq informateurs les deux
phrases suivantes:

(97) La réunion a duré très longtemps. Sortant de la salle, j'ai constaté que la
rue était complètement déserte.

(97)' La réunion a duré très longtemps. En sortant de la salle, j'ai constaté que
la rue était complètement déserte.

J'ai demandé aux informateurs de prendre position sur la caractéristique
suivante de la différence de sens entre sortant et en sortant:

«Dans (97), il ne s'agit pas forcément de mon départ définitif; c'est un
acte que je fais un peu au hasard, et je peux retourner dans la salle.

Dans (97)', il s'agit de mon départ définitif, départ auquel on s'attend,
puisque je ne peux pas rester là éternellement - et je ne retournerai pas dans
la salle.»

Cette fois, les réponses n'ont pas été unanimes. Les voici: a: L'explication
me semble très valable, bien qu'un peu tirée par les cheveux, b: Oui. c: Oui.
d: Non, je ne trouve pas que la différence soit évidente, e: Discutable.

Mais il faut beaucoup d'imagination pour construire les bons exemples:
Marchetti et Merad ont suggéré les améliorations suivantes. Marchetti:
«En effet «a duré» dans (97) semble exclure en principe que le locuteur soit

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parti avant la fin de la séance. La meilleure opposition serait à marquer par les temps. Ex: «La réunion était interminable. Sortant (= à un certain moment) de la salle, j'ai constaté ... ». «La réunion a été interminable. En sortant (= définitivement) de la salle, j'ai constaté ... ».» Merad: «Dans (97), on aurait quand même ajouté un adverbe limitatif, par exemple pour un moment. Ce serait plus clair avec quitter: «Quittant la salle pour un moment, je ... ». «En quittant la salle, je ... ». »7

29. Participe présent perfectif. Verbe fini à Vimparfait.

Ici, les faits sont bien plus compliqués. Outre que je n'ai pas trouvé d'exemples littéraires, les informateurs s'accordent pour n'accepter qu'une seule des substitutions que je leur ai soumises. Voici les exemples par ordre d'acceptabilité :

(50)' S'éloignant sur la route, Arsène s'étonnait d'avoir ainsi arrêté Juliette
et s'en inquiétait.

(49)' *?elles disaient à ma mère que j'étais «une vraie petite maman». Disant
ça, elles se penchaient vers moi avec une figure molle ...

(51)' *?ici, c'était beau la nature; il y avait des étoiles. Renversant la tête, je les
voyais.

(46)' *Sortant de chez lui, vers huit heures du matin, Maigret avait le choix
entre trois démarches.

(47)' *Sortant de la bibliothèque, Marcel Lobligeois avait le cerveau en feu.

(48)' *Me couchant, j'étais presque décidé à prendre dès l'aube un train pour
Lille.

(52)' *Les enfants étaient trempés, arrivant chez leur grand-mère.

(50)' est le seul exemple que les informateurs acceptent à l'unanimité. Je
rappelle que le syntagme en -ant désigne une action unique et que le verbe
est du type perfectif non-ponctuel.

En ce qui concerne (49)' et (51)' je me limiterai à constater que ces exemples sont itératifs. Bien que sentant un rapport entre le sens itératif et la difficulté d'avoir un participe présent, je dois cependant renoncer à formuler une règle précise. D'abord, parce que mes matériaux sont assez restreints, ensuite, parce que les réponses des informateurs ne s'accordent pas. Je laisserai cette question en suspens.



7: Avant de soumettre ces exemples aux informateurs, j'avais intercalé, à titre de test, certains adverbes de temps dans les exemples (36-45) et (36-45)'. Ces tests n'ont pas été concluants.

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En revanche, (46-48, 52)' sont totalement exclus. Il apparaît clairement et immédiatement que les raisons de l'inacceptabilité du participe présent tiennent à la présence des deux verbes statifs être et avoir. Il est plus difficile de formuler une règle exacte. Une règle qui dirait que le participe présent d'un verbe perfectif est impossible si le verbe fini est être ou avoir, serait infirmée par de nombreux contre-exemples:

(98) Elle était déjà dans le vestibule, mettant son imperméable, quand il la rejoignit.
(Sagan, Soleil 84)

(99) Et j'en suis bien marri pour l'instant, ne voyant pas par où attaquer.
(Mallet-Joris, Personnages 53)

(Le fait que (99) comporte un présent est sans importance; la transposition
à l'imparfait ne changerait rien aux faits qui nous intéressent.)

(98) et (99) présentent les deux structures les plus courantes : être + .. . complément de lieu + participe présent, être -f- attribut désignant un état moral (ou physique). Dans les deux cas, le participe présent est parfaitement courant. Mais il faut dire que ces cas diffèrent nettement des nôtres, car ils ne peuvent en aucune façon contenir un sens temporel.

Or, ce sont justement les verbes tout à fait aptes, selon mon hypothèse, à prendre un sens temporel qui ne peuvent apparaître dans le syntagme participial au cas où le verbe fini serait être ou avoir. Parmi ceux-ci il faut ranger les verbes de mouvement et les verbes qui désignent des actions se répétant à des intervalles réguliers (se lever, se coucher) (cf. pp. 223, 225), donc ceux qui figurent dans les exemples inadmissibles (46-48, 52)'.

Cela rejoint les observations que j'ai faites au sujet du quand-inverse. J'ai signalé p. 239 que dans la structure être -j- attribut désignant un état physique ou moral -f- quand -f- verbe de mouvement, la proposition introduite par quand ne peut être comprise autrement que dans le sens temporel, alors qu'elle est considérée comme fournissant un renseignement nouveau si le verbe n'est pas un verbe de mouvement. On a donc:

(56) II était hors d'haleine quand il arriva au bureau de poste.

(56)' II était hors d'haleine en arrivant au bureau de poste.

(56)" *I1 était hors d'haleine, arrivant au bureau de poste.

Si l'on admet que, dans cette structure, la construction subordonnée ne peut avoir de sens autre que temporel, l'inacceptabilité du participe présent est en soi un argument assez valable en faveur de l'hypothèse selon laquelle il ne peut constituer un repère temporel.

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30. Participe présent perfectif. Verbe fini au plus-que-parfait.

(60)' ?Me présentant à son invitée, Tante Rosie avait précisé que, récemment
désintoxiquée, cette dame devait sa guérison à l'Alcoholic Anonymous.
(+, +, -r)

(61)' *?Prenant la décision soudaine de quitter la ferme, Arsène avait pensé
qu'il pourrait encore y travailler. (?, ?, —, —, —)

(62)' ?L'apercevant devant cette fenêtre avec ce chien, j'avais eu le sentiment
curieux de retrouver brusquement ma famille. (?, ?, +, +, +)

(63)' ?Sortant de la clinique surchauffée, j'avais pris froid dans l'automne
humide. (-^-, ?, +)

(64)' *Franchissant la grille, il avait déjà élaboré son plan. (4-, -f-, -f-)

Si l'on peut considérer (64)' comme étant exclu, par contre les réponses divergentes des informateurs ne permettent pas de tirer des conclusions en ce qui concerne (60-63)'. Tout ce qu'on peut dire, c'est que la co-occurrence d'un participe présent et d'un plus-que-parfait est gênante pour certains sujets parlants.

Avant d'entamer la discussion de ce problème, il faut mettre en évidence ce qui fait la spécificité des temps composés en général et du plus-que-parfait en particulier. Les mots-clé sont antériorité et accompli. La conception de ces deux notions et le rôle qu'il faut leur attribuer varient selon les linguistes qui se sont penchés sur la question.

Dans sa thèse Det latinske Perfektsystem (« Le système du parfait latin »), le latiniste danois Povl Johs. Jensen s'exprime ainsi p. 129: «Pluskvamperfektum (er) ligesâ lidt som Futurum exactum et relativt Tempus, men dets Funktion er at angive det i Fortiden fuldforte. » («Le plus-que-parfait n'est pas plus que le futurum exactum un temps relatif; sa fonction est d'indiquer l'accompli du passé. »). Il tire argument de la possibilité qu'on a d'employer le plus-que-parfait sans point de référence, au milieu d'un contexte au parfait ou à l'imparfait (cf. aussi Ernout et Thomas: Syntaxe latine, § 245). L'auteur ne nie pas l'existence d'un emploi relatif, où le plus-que-parfait indiquerait l'antériorité, mais, selon lui, ce serait là un emploi développé tardivement et qui, même en latin classique, doit être tenu pour secondaire.

Une distinction rigoureuse entre parfait (= accompli) et antériorité a été établie par Emile Benveniste dans son article «Les relations de temps dans le verbe français». «Nous appelons parfait,» écrit-il, «la classe entière des formes composées dont la fonction ... consiste à présenter la notion comme «accomplie» par rapport au moment considéré, et la situation «actuelle» résultant de cet accomplissement temporalisé» (246). L'antériorité, par contre, est une notion intra-linguistique «qui ne reflète pas un rapport chronologique qui serait posé dans la réalité objective » (247). Cela veut dire

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qu'une forme ne désigne l'antériorité que si elle s'emploie conjointement avec une forme verbale simple de même niveau temporel. Nous en avons un exemple dans la phrase Quand il avait écrit une lettre, il l'envoyait. Il s'ensuit que, pour Benveniste, les plus-que-parfait des exemples (60-64)' désignent tous l'accompli.

Chez Sten et Olsson on ne trouve pas de discussion théorique des deux notions, mais il ressort implicitement de leurs commentaires que, pour eux, le plus-que-parfait désigne tant l'accompli que l'antériorité. Ainsi, Sten parle de situation (218), d'acquêt (187, 219), et un point de référence est toujours présupposé, qu'il soit exprimé ou non (cf. 221).

Si différentes que soient leurs conceptions, Benveniste et Sten ont ceci de
commun qu'ils ne distinguent pas entre les cas de (60-63)' et celui de (64)'.
A mon avis, c'est là une simplification trop sommaire.

Il est évident que le plus-que-parfait de (64) désigne une action accomplie
(déjà) et la situation qui résulte de cet accomplissement; il est moins sûr
qu'il en soit de même dans (60-63).

L'idée qu'il faut faire une distinction entre ces deux groupes rejoint la conception du linguiste danois Paul Diderichsen qui, abordant le problème du sens du plus-que-parfait, écrit à la p. 133 de sa grammaire danoise: «Men undertiden bruges havde\var uden denne (resultative) Bibetydning, alene for at angive noget som fortidigt i Forhold til noget andet fortidigt. » («Parfois le plus-que-parfait est employé sans cette nuance resultative; il a alors pour unique fonction d'indiquer qu'un fait du passé est antérieur à un autre fait du passé. »). La différence entre les deux significations est illustrée par les exemples suivants: «Han havde sagt nej; sa der var ikke noget at gère (resultativt) » ; «han havde sagt nej, da hun bad ham blive (ren fortid). » («II avait dit non; il n'y avait donc rien à faire (résultatif)»; «il avait dit non, quand elle lui demanda/avait demandé de rester (passé pur)»).

Dans une certaine mesure, la distinction faite par Diderichsen convient à (60-64)'. Sans doute, (60-62) sont des exemples d'un plus-que-parfait qui exprime l'antériorité sans nuances résultatives, alors que le sens résultatif est incontestable dans (64)'. D'autre part, je pense que pour expliquer les divers degrés d'acceptabilité du plus-que-parfait, on peut laisser la notion d'accompli à l'écart, pour se concentrer sur celle d'antériorité. Si les deux groupes se distinguent déjà par l'accent qu'il faut mettre sur l'accomplissement de l'action verbale, ils se distinguent encore plus par le niveau temporel où se situe l'action exprimée par la forme en -ant.

L'essentiel, dans le cas de (60-63)', c'est qu'aussi bien le verbe fini que la
forme en -ant représentent une action antérieure à celle d'un verbe précédent.

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11 est manifeste que ni le gérondif, ni le participe présent ne peuvent, à eux seuls, indiquer l'antériorité. Mais dans le cas du gérondif, cela n'a pas d'importance, car celui-ci est une construction de subordination qui, tout comme les propositions introduites par quand/lorsque, est maintenue au même niveau temporel que le verbe de la principale. Sten a signalé (223) qu'on emploie le plus-que-parfait avec une certaine économie: il n'est pas nécessaire d'exprimer l'antériorité deux fois dans une même phrase. Cf. aussi Olsson (87-88). En effet, dans l'exemple suivant, il n'y a aucune ambiguïté quant au niveau temporel de la subordonnée:

(100) il avait pris la succession d'Erhard, lorsque celui-ci accepta une chaire à
l'Université de Wurzbourg. (Cit. Olsson 87)

Si, par contre, l'emploi du participe présent peut être gênant en co-occurrence avec un plus-que-parfait, cela me semble tenir au statut du participe présent dans la hiérarchie des subordinations. Dans le cas du gérondif et des subordonnées temporelles, le niveau temporel indiqué par le verbe de la principale est coextensif à la totalité de la phrase. En revanche, l'indépendance relative du syntagme participial par rapport au syntagme verbal fini crée une ambiguïté sur ce point: est-ce que le participe présent se situe au niveau du plus-que-parfait ou au niveau du point de référence de ce plusque-parfait

Si cette ambiguïté peut expliquer i'incohérence dans îes réactions des sujets parlants devant les cas de (60-63)', elle ne suffit pas pour expliquer (64)', qui diffère par la structure temporelle et par le degré d'acceptabilité. En effet, (64)' est totalement exclu. Dans cette phrase, le plus-que-parfait exprime un procès (entièrement accompli) qui est antérieur à celui que représente la forme en -ant. Autrement dit, c'est la forme en -ant qui constitue le repère par rapport auquel .le plus-que-parfait indique l'antériorité. C'est la seule interprétation possible. Que le participe présent soit totalement exclu, est encore un argument en faveur de mon hypothèse.

31. Participe présent imperfectif.

Comme les problèmes essentiels ont déjà été présentés et discutés, les occurrences
d'un participe présent imperfectif seront traitées en bloc pour éviter
des redites inutiles.

Verbe fini au passé simplejcomposé :
(101) Feuilletant ton livre, tu as eu l'idée d'organiser un jeu de Kim (Butor
Degrés 81)

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(102) Vous promenant ensemble le long de la Seine, vous avez convenu de dîner
ensemble tous les mardis (ibid. 179)

(103) Écoutant la fusillade qui reprenait un peu partout, Choltitz pensa à la
conversation qu'il avait eue une heure plus tôt avec Jodl (Lapierre et
Collins, Paris 195)

(72)' Attendant que sa femme et ses enfants fussent prêts, il s'assit sur le bord
du lit et regarda le mur d'en face.

(73)' Là, assiégeant le château de Châlus, il reçut une blessure mortelle.

Verbe fini à V imparfait:

(104) Mais il me semblait déplacé qu'on prétendît à cet âge avoir des liaisons ou même flirter. Assistant à vingt-cinq ans à une fête, à l'Atelier, je considérais toutes ces créatures «encore bien conservées» comme de vieilles peaux. (Beauvoir, Compte 167-168)

(76)' Quand je descendais dans la classe, je caressais (cette place). Parlant du
haut de ma chaire, je m'adressais à elle, comme si j'avais vu réunis dans
cet étroit espace Gina et Guido.

(77)' M'écoutant, les élèves durcissaient des mâchoires de gangsters.

Verbe fini au plus-que-parfait :

(83)' *?Fouillant dans mon bureau pour y trouver une formule imprimée dont
nous avions besoin, j'avais éparpillé mes papiers un peu partout.

Verbe fini au présent :

(105) Parlant un jour àma nièce Thérèse ... je lui dis .. . (Mallet-Joris,
Maison 177)

(85)' ?I1 ya plusieurs Espagnoles que je croise chez moi sans bien les connaître
.. . Cherchant mon chandail, je les trouve à quatre ou cinq dans la salle
de bains.

Dans l'ensemble, il faut dire que ces exemples ne confirment ni n'infirment l'hypothèse que le participe présent ne peut constituer un repère temporel. (101-103), (72-73)' sont d'un type où il est très difficile de distinguer entre repère temporel et circonstance concomitante (cf. pp. 245-46). Il est vrai que dans (101) le syntagme participial semble correspondre à une proposition introduite par pendant que/alors que:

(101)' Pendant que tu feuilletais ton livre, tu as eu l'idée .

D'autre part, dans (102) et (103), il est permis de dire que l'élément circonstancielest
aussi important que l'élément temporel. Les structures syntaxique

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et sémantique sont plus complexes que dans (101): ensemble dans (102), la
proposition relative parenthétique dans (103). Les syntagmes participiaux
ont une fonction qui fait plus que situer l'action principale dans le temps.

(85)' est moins acceptableque(Bs). La raison en est, dit un des informateurs, que le gérondif peut avoir le sens itératif, alors que le participe présent ne peut représenter qu'une action unique (cf. pp. 250-51 et 259). (76)' semble fournir un contre-exemple. Le sens est incontestablement itératif, mais à la différence de (85)' et de (49, 51)' (p. 259), cet exemple est accepté à l'unanimité par les informateurs. Il faut pourtant noter que le verbe est parler, et certains faits semblent indiquer que ce verbe a une syntaxe particulière. Ainsi, j'ai relevé pas mal d'exemples de parlant au sens itératif:

(106) Alors elle s'approcha de son fils qu'elle embrassa gravement. Lui parlant, elle l'appelait «Don Antonio» et il avait fallu les admonestations répétées du Baron de D. pour la convaincre de renoncer à lui baiser la main. (Charles-Roux, Palerme 167)

Cf. aussi les multiples combinaisons avec des adverbes en -ment : financièrement
parlant, légalement parlant, etc.

(83)' est douteux, tout comme les combinaisons d'un participe présent
perfectif et d'un plus-que-parfait.

32. Le syntagme participial en postposition.

Les syntagmes gérondifs peuvent, tout comme les propositions subordonnées, occuper la position finale de la phrase, même s'ils représentent une action dont le début se situe avant celui de l'action principale (cf. Sten 98-99, 197). Le participe présent, par contre, semble impossible dans ce cas, cf. les substitutions suivantes qui sont totalement exclues:

(107) Deux ou trois fois, en effet, je butai, sans raison, en entrant dans des
endroits publics. (Camus, Chute 92)

(107)' *Deux ou trois fois, en effet, je butai, sans raison, entrant dans des
endroits publics.

(108) Des morceaux de verre ont tinté en retombant sur le dallage; (Robbe-
Grillet, Projet 64)

(108)' *Des morceaux de verre ont tinté, retombant sur le dallage;

(109) II s'en rendit compte le lendemain en téléphonant à Nathalie, dès son
réveil. (Sagan, Soleil 233)

(109)' *I1 s'en rendit compte le lendemain, téléphonant à Nathalie, dès son
réveil.

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(110) Marcel Lobligeois eut l'impression, en prenant l'ascenseur, de s'élever
dans la réussite. (Troyat, Geste 29)

(110)' *M. L. eut l'impression, prenant l'ascenseur, de s'élever dans la réussite.

(111) certains poissons péchés dans les grandes profondeurs perdent leur
éclat en arrivant à la surface, (ibid. 182)

(111)' *certains poissons péchés dans les grandes profondeurs perdent leur
éclat arrivant à la surface.

Dans ces exemples, il y a une légère antériorité de l'action représentée par la forme en -ant, et c'est là qu'il faut chercher l'explication de l'inacceptabilité du participe présent postposé. Encore une fois, on constate une analogie entre le comportement des participes présents et celui des propositions indépendantes : la relation entre le syntagme verbal fini et le syntagme participial, ainsi que celle qui existe entre deux propositions indépendantes coordonnéesB, est une relation asymétrique, où le deuxième terme est compris comme suivant chronologiquement le premier.

Malheureusement, le verbe voir transgresse cette règle, cf. (112) ainsi
que (113)', où la substitution d'un participe présent est parfaitement
acceptable :

(112) II crie soudain, voyant un geste de Thomas: Qu'est-ce que tu cherches?
(Anouilh, Becket 151)

(113) il se rendit compte, en le voyant rougir, qu'il avait fait mouche (Sagan,
Soleil 51)

(113)' il se rendit compte, le voyant rougir, qu'il avait fait mouche.

Il est évident que l'acceptabilité du participe présent voyant est liée à la présence du rapport de cause à effet qu'établit presque toujours le verbe voir. Mais pour le moment, je ne saurais dire si la règle qui vaut pour ce verbe s'applique aussi à d'autres verbes perfectifs généralement perçus comme exprimant un rapport de causalité. Les faits demandent donc à être examinés de plus près.

Pour une étude exhaustive il faudrait aussi, bien entendu, faire l'examen de toutes les positions possibles. J'ai choisi ici d'observer le comportement du syntagme participial simplement en finale, car c'est la position qui le caractérise le mieux.



8: En fait, il faut ajouter: au passé simple ou à un autre temps narratif.

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33. L'influence d'un adverbial de temps placé en tête de phrase.
Avant de terminer cette étude, je voudrais faire très brièvement quelques
remarques sur l'influence d'un adverbial de temps placé en tête de phrase.

En ce qui concerne la fréquence respective des deux formes en -ant, on constate que, précédé d'un adverbial de temps ponctuel, le participe présent est tout aussi courant que le gérondif. 11 semble en outre que les deux formes sont dans un rapport de synonymie complète. Disant spontanément, à propos des exemples (36-45), qu'il sentait une légère différence de sens entre le gérondif et le participe présent, Marchetti ajoutait, non moins spontanément, que dans les exemples (114-119) il n'y avait plus cette différence.

(114) Hier, sortant d'une conversation avec elle, je me suis souvenu bien à propos
que j'avais à visiter une pauvre famille. (Mallet-Joris, Personnages 71)

(115) Le mois suivant, surveillant la composition de ses philosophes, il relisait
la lettre que venait de lui envoyer son avocat. (Butor, Degrés 283)

(116) Et ce soir encore, regardant son bras où se déversait une vie qui n'était
plus que malaise et tourment, je demandai : pourquoi ? (Beauvoir, Mort 81)

(117) Le samedi, de nouveau, à midi, en sortant de la classe de mathématiques,
j'ai vu passer mon frère Denis avec ses deux grands camarades (Butor,
Degrés 144)

(118) Un jour, en revenant des commissions, je le croisai carrément. (Rochefort,
Enfants 37)

(119) Le lendemain matin, en prenant pied sur !e quai de la gare, ils se sentirent
déguisés dans leurs vêtements parisiens. (Troyat, Geste 132)

Que le participe présent, dans ces exemples, soit aussi courant et aussi naturel que le gérondif, ne peut pas remettre en question le bien-fondé de l'hypothèse. Car, ici, c'est l'adverbial de temps qui situe chronologiquement l'action du verbe principal, le syntagme en -ant n'étant plus perçu que comme un complément de circonstance concomitante et non comme un repère temporel.

Il semble, par contre, que certains adverbiaux itératifs ne puissent que très
difficilement être suivis d'un participe présent:

(120) Chaque jour, en rentrant du bureau, il revêtait sa blouse blanche, prenait
ses pinceaux ... et grimpait sur une échelle. (Troyat, Geste 140)

(120)' ?Chaque jour, rentrant du bureau, il revêtait sa blouse blanche, prenait
ses pinceaux ...

(121) Tous les soirs, en allant me coucher, je le trouvais dressé sur son lit
(Rochefort, Enfants 33)

(121)' *Tous les soirs, allant me coucher, je le trouvais

Ces exemples sont à rapprocher de (49-51, 85)'

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V. Résumé et conclusion

34. La démarche suivie dans cette étude peut se résumer ainsi:

L'idée que le gérondif peut avoir un sens temporel n'est pas mise en cause. Elle est admise a priori pour servir de base à la démonstration faite dans la section 111. Celle-ci rend compte des faits permettant d'associer un sens temporel à un syntagme gérondif donné et distinguant les emplois temporels des autres emplois du gérondif.

En revanche, il n'a pas été question de discuter les faits qui interviennent dans une éventuelle interprétation temporelle du participe présent, ni de distinguer un emploi temporel de certains autres emplois; ici, c'est l'existence même d'un emploi temporel qui est remise en question. Autrement dit, dans le cas du participe présent, mon étude vise à vérifier une hypothèse.

35. J'ai essayé de montrer que la simple coïncidence de deux actions verbales ne permet pas d'associer à l'une d'elles un sens temporel. Pour décider si le sens d'un syntagme gérondif est temporel ou non, il faut mettre en jeu un certain nombre de faits d'ordre divers: extra-linguistiques (l'acquis existentiel), sémantiques (rapports de cause à effet), lexicaux (le sens des verbes), syntaxiques (la complémentation, la position et les temps). Mais il ne suffit pas de relever ces phénomènes. En effet, on se trouve en présence d'un système très compliqué d'interactions, et c'est ce système qu'il faut étudier à fond pour déceler les différentes possibilités d'interprétation. Mon article se contente d'exposer le problème.

Il y a lieu d'insister sur l'interdépendance entre la temporalité et la causalité. D'une manière générale, les grammaires enseignent que le gérondif ne peut pas exprimer la cause. S'il y a du vrai dans cette constatation, j'espère néanmoins avoir montré que c'est là une simplification abusive.

36. En ce qui concerne le niveau de subordination, il semble que le participe présent se situe à un niveau intermédiaire entre les propositions indépendantes et les compléments circonstanciels. En effet, bien que ne pouvant pas être coordonné aux propositions indépendantes, le syntagme participial se comporte comme celles-ci:

1. Un rapport de conséquence établi par donc ne peut pas passer «par-dessus»
un syntagme participial.

2. Dans certains cas, le niveau temporel indiqué par un verbe principal au plusque-parfait ne semble pas être coextensif à un syntagme participial, alors que le gérondif et les propositions temporelles sont toujours maintenus au même niveau temporel que le verbe principal. Cependant, c'est une question qui doit être

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examinée de plus près, car il est parfaitement possible de trouver des participes
présents en co-occurrence avec un plus-que-parfait. Seulement, il s'agit dans ce
cas d'acceptions que j'ai laissées de côté.

3. Dans la majorité des cas, la relation entre le syntagme participial et le syntagme
verbal fini est asymétrique, ce qui fait qu'un participe présent dont l'action débute
avant celle du verbe fini ne peut pas occuper la position finale de la phrase.

Somme toute, il semble impossible de maintenir l'analyse qui fait du syntagme
participial un complément circonstanciel.

37. Il semble en outre difficile, sinon impossible, de donner au syntagme
participial la valeur d'un repère temporel:

1. Certains de mes informateurs rejettent le participe présent dans un contexte
itératif.

2. Dans les quelques cas où l'interprétation temporelle paraît être la seule possible,
le participe présent est exclu (cf. pp. 260 et 263).

3. D'une manière générale, si le syntagme participial peut assumer la fonction
d'une indication de temps, il est curieux que son comportement syntaxique
diffère tellement de celui des autres indications de temps.

Les exemples où les deux formes en -ant sont acceptables ne fournissent pas un argument décisif contre mon hypothèse. La faible fréquence de ces exemples et les commentaires des informateurs laissent entendre qu'il faut plutôt y voir des équivalents d'un syntagme verbal fini. Considérons les exemples:

(96) Dépliant sa serviette, il a demandé: .. .

(96)' II a déplié sa serviette; il a demandé: ...

(96)" Quand il a déplié sa serviette, il a demandé:

Sans doute, (96) est sémantiquement plus proche de (96)' que de (96)".

La démarche suivie dans l'étude du gérondif de la section 111 et le résumé que j'en ai fait au § 35 laissent penser que l'interprétation temporelle est conditionnée uniquement par l'interaction de faits contextuels. Cela n'est vrai que dans la mesure où ces faits contextuels distinguent l'emploi temporel du gérondif des autres emplois de cette forme. Car il est clair que si l'on admet que le participe présent ne peut pas constituer un repère temporel dans un contexte où le gérondif le peut, il faut aussi admettre que la possibilité (vs. l'impossibilité) de prendre une valeur temporelle dépend, en fin de compte, de propriétés inhérentes à chaque forme. Il est fort probable que son

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inaptitude à présenter un fait comme connu ou prévisible soit un des traits
qui distinguent le participe présent du gérondif et de certaines propositions
temporelles 9>l°.

Harald Gettrup

Copenhague



9: II faut signaler un cas où le sens du syntagme participial est incontestablement temporel. C'est la construction étant + indication d'âge: Étant jeune fille, elle était orgueilleuse et tout le monde vantait ses manières distinguées et assurées. Maintenant, elle tremble toujours d'avoir mal fait. (Sartre, Réflexions sur la question juive 128). Mais, dans cette construction, la valeur temporelle est due à la présence de l'indication d'âge, et non au participe lui-même.

10: Je n'ai pas traité des formes composées du participe présent. Je me bornerai à noter que celles-ci ont un autre statut syntaxique et sémantique que les formes simples. Ainsi, elles indiquent l'antériorité (dans le sens que lui donne Benveniste, cf. p. 261) et, à la différence des formes simples, elles doivent probablement être analysées comme des compléments circonstanciels.

Ouvrages de référence

Benveniste, Emile (1966) «Les relations de temps dans le verbe français». In Problèmes
de linguistique générale. Gallimard, Paris.

Diderichsen, Paul (1946) Elementœr dansk Grammatik. Gyldendal, Copenhague.

Henrichsen, Arne-Johan (1967) «Quelques remarques sur l'emploi des formes en -ant
en français moderne». Revue Romane 11, 2. 97-107.

Jensen, Povl Johannes (1941) Det latinske Perfektsystem. Munksgaard, Copenhague.

Lorian, Alexandre (1966) L'ordre des propositions dans la phrase française contemporaine.
La cause. Klincksieck, Paris.

Mordrup, Ole (1971) «Quelques observations sur comme». Revue Romane VI, 2. 203-218.

Olsson, Lars (1971) Étude sur Vemploi des temps dans les propositions introduites par
quand et lorsque et dans les propositions qui les complètent en français contemporain.
Acta Universitatis Upsaliensis, Almqvist och Wiksell, Uppsala.

Prebensen, Henrik (1973) «Apposition, attribut indirect et complément de circonstance
en français moderne». Annales Universitatis Turkuensis, B 127.

Sandfeld, Kristian (1936) Syntaxe du français contemporain 11. Les propositions subordonnées.
Droz, Paris.

Schmidt-Knâbel, Susanne (1971) Die Syntax der -ant-Formen im modernen Franzôsisch.
Schâuble, Bensberg.

Sten, Holger (1952) Les temps du verbe fini {indicatif) en français moderne. Munksgaard,
Copenhague.

Togeby, Knud (1968) «La concordance des temps en français». Immanence et structure,
Revue Romane, Numéro spécial 2, 181-194.

Togeby, Knud (1968) «Principes d'une grammaire française». Ibid. 166-172.

Vikner, Cari (1973) «Quelques réflexions sur les phrases clivées en français moderne».
Annales Universitatis Turkuensis, B 127.

Textes cités

Marcel Aymé: La Vouivre. Livre de poche.

Jean Anouilh: Becket. In Pièces costumées. La Table Ronde 1962.

Simone de Beauvoir: Une mort très douce. Livre de poche.
- : Tout compte fait. Gallimard 1972.

Georges Bernanos. Journal d'un curé de campagne. Livre de poche.

Edmonde Charles-Roux: Oublier Palerme. Grasset 1966.

Dominique Lapierre et Larry Collins: Paris brûle-t-ili Laffont 1964.

Françoise Mallet-Joris: La maison de papier. Grasset 1970.
- : Les personnages. Livre de poche.

François Mauriac: Thérèse Desqueyroux. Collection pourpre.

Alain Robbe-Grillet: La jalousie. Les Éditions de Minuit 1957.
- : La maison de rendez-vous. Les Éditions de Minuit 1965.
- : Projet pour une révolution à New-York. Les Éditions de Minuit 1970.

Christiane Rochefort: Les petits enfants du siècle. Livre de poche.

Françoise Sagan: Un certain sourire. Livre de poche.
- : Un peu de soleil dans Veau froide. Flammarion 1969.
- : Un profil perdu. Flammarion 1974.

Jean-Paul Sartre: Les séquestrés d'Altona. Livre de poche.

Boris Vian: Varrache-cœur. Livre de poche.
- : L'herbe rouge. Livre de poche.