Revue Romane, Bind 12 (1977) 1

M.-A. Séfërian: Littérature de l'Afrique du Nord. Nyt Nordisk Forlag, Arnold Busck. Copenhague 1976. 121 p. Glossaire: 50 p.

Norrédine Remaoun

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L'auteur, qui consacre depuis longtemps dans son enseignement une place privilégiéeà la connaissance des sociétés maghrébines,destine celle petite anthologie essentiellement à l'usage de l'enseignement du français dans les lycées et écoles normalesdu Danemark. L'ouvrage réunit des extraits d'œuvres marocaines, tunisiennes et surtout algériennes écrites en français. Son objectif est donc de faire connaître la littérature francophone des pays en question. Cette importante précision, absentedu titre de l'édition, apparaît toutefoisdans la courte introduction écrite en danois, qui rend compte des conditions historiques et culturelles dans lesquelles cette littérature est née et continue d'exister.Le livre propose en tout un choix de vingt textes répartis en quatre chapitres suivis de la biographie des écrivains représentéset d'une bibliographie succincte indiquant les œuvres accessibles sur le marché danois. Le glossaire, présenté sous forme d'un petit livret séparé, dans lequel les mots et les expressions sont placés

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non dans l'ordre alphabétique mais dans celui de leur apparition au sein de chaque texte, permet à l'utilisateur étranger une économie de gestes appréciable et par conséquent une plus grande autonomie. Cela n'est qu'un exemple. Il y a d'autres aspects de la présentation qui témoignent d'un désir très net de ne pas décourager, de ne pas écraser sous le poids des gloses, des notes et des questions. L'auteur présenteles textes avec une discrétion et une économie de moyens qui nous réconcilient avec le genre des «Morceaux Choisis». Il donne avant tout à lire.

Cette anthologie s'écarte délibérément des modèles traditionnels de classification des textes. On n'y trouvera pas de distribution par genre. Une telle distribution eût été l'effet d'une contradiction logique et même d'un contresens. C'est une des qualités (et non la moindre) de cet ouvrage que de s'accorder avec l'intention de la meilleure littérature maghrébine, qui est de briser les nomenclatures héritées. Il ne s'agit pas non plus d'une «histoire littéraire». Non que la littérature maghrébine n'ait pas d'histoire, ne livre pas, à travers les transformations tant quantitatives que qualitatives qui s'y produisent, le sens de son évolution. Mais l'auteur efface quelque peu cette dimension. En effet, si les déterminations spécifiques de la littérature nord-africaine se trouvent indiquées et analysées dans l'introduction, qui, d'autre part, montre l'étroite relation entre l'évolution des réalités maghrébines et ce qu'on pourrait appeler l'amplification thématique de la littérature qui s'y inscrit, il n'en reste pas moins qu'en amalgamant des textes écrits dans les périodes les plus dissemblables, l'auteur énonce dans les faits une position théorique qui rejette le facteur temps à l'arrière-plan de l'investigation. Certes, il ne s'agit pas pour nous de défendre à tout prix les «Histoires Littéraires». Nous conviendrons même qu'elles ont en général nui à la littérature plus qu'elles ne l'ont servie. Cependant, il faut signaler les risques qu'une telle position comporte, surtout quand elle se manifeste dans le cadre d'une anthologie scolaire. Entre autres dangers, on court celui de perdre de vue cette perpétuelle (et fascinante) révolution dans l'écriture littéraire maghrébine. Quoi qu'il en soit, cela ne doit pas nous faire oublier une autre qualité de l'ouvrage: c'est celle qui résulte du refus de son auteur de s'installer sur le «terrain» de la critique normative. De ce refus nous ne voulons pour preuve que le nombre des écrivains (dix-sept) qui figurent dans ce petit recueil, et auxquels la parole est donnée également et indépendamment du critère de «notoriété». Ainsi, le choix est laissé au lecteur, selon ses goûts et ses moyens.

Littérature de VAfrique du Nord est une anthologie thématique. Les textes y sont groupés autour de quatre thèmes, majeurs dans la littérature maghrébine. Le Déchirement, la Révolte, l'Exil, la Femme forment les titres des différents chapitres. Or le rapport de ces thèmes est de solidarité, non de succession. Il est clair que cette anthologie ressort d'une lecture qui fait apparaître des constantes. Elle installe les œuvres dans la durée. Son sens ne saurait être négligé. Quand on sait combien non seulement l'existence mais aussi l'identité de la littérature maghrébinesont contestées, cette lecture est une véritable réponse, car elle met l'accent sur l'existence et l'homogénéité d'un champ littéraire dont elle éclaire la spécificité. Elle montre par conséquent en pratique le meilleur moyen peut-être de résoudre un problème complexe de définition. Malheureusement,dirions-nous, elle pèche par la perfection même de sa démonstration. Les « morceaux » sont trop bien « choisis ». Ils illustrent, et d'une manière trop exemplaire,les thèmes qui les signifient. On se trouve, de texte en texte, entraîné dans le mouvement circulaire du réseau thématique.D'où

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tique.D'oùl'impression d'une certaine
uniformité.

L'auteur, conscient d'être soumis à un impératif précis (donner des textes destinés à l'enseignement du français au Danemark), nous prévient d'ailleurs que son ouvrage ne saurait être autre chose qu'un point de départ. Dès lors, il devient superflu de lui reprocher au nom de goûts et de conceptions personnels, d'avoir négligé tels écrivains ou tels écrits qui appartiennent, quoiqu'indirectement, à la littérature maghrébine. Ecrire une anthologie est un pari perdu d'avance. C'est finalement du talent avec lequel le pédagogue l'utilise que dépend le dépassement des contradictions inhérentes au genre. Le petit recueil de M.-A. Séférian, de par ses qualités (et les qualités de ses défauts), présente toutes les conditions d'un tel succès.

Copenhague