Revue Romane, Bind 12 (1977) 1

Réponse à Sven Skydsgaard

Povl Skårup

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Je remercie Sven Skydsgaard du soin extraordinaire avec lequel il a lu mon livre et médité sur son contenu, et des nombreuses suggestions qu'il apporte dans sa bienveillante critique. Comme je ne dispose ni du temps ni de l'espace qu'il faudrait pour les discuter toutes, je dois me borner à un point que je crois essentiell.

J'aurais dû, sans doute, préciser comment je conçois le rapport entre un modèle positionnel de la proposition, comme le mien, et un modèle sélectionnel, qui divise la proposition en sujet, verbe, régime direct, etc., sans considérer l'ordre de ces éléments. Dans les deux modèles, je ne vois guère que des outils qui permettent de formuler d'une façon commode et intelligible des lois déjà établies et de déduire d'autres hypothèses. Les lois formulées à l'aide du modèle positionnel concernent surtout l'ordre des signes, mais aussi certaines sélections morphologiques, comme en français ancien et moderne le choix entre les et eusjeux et celui, différent, entre me et moi; le modèle sélectionnel permet surtout de formuler des lois de sélection morphologique (accord, rection) ou lexicale (c'est pourquoi je désigne ce modèle par le terme 'sélectionner; il n'est pas plus relationnel que le modèle positionnel, parce que 'précéder' et 'suivre' expriment des relations aussi bien que 's'accorder avec; régir; sélectionner'). En établissant l'un des modèles pour une langue donnée, et en inscrivant une proposition donnée dans l'un des modèles, on suit, comme toujours, le principe général de la simplicité, lequel implique, entre autres choses, la simplicité des correspondances entre les deux modèles (ainsi qu'entre chacun de ceux-ci et les faits sémantiques). L'un des modèles n'occupe pas un rang supérieur à l'autre (de même qu'un tournevis n'est pas supérieur à une clé à molette); ainsi, par exemple, chacun des modèles a des rapports directs avec des faits sémantiques. Il faut, d'ailleurs, établir plusieurs modèles sélectionnels alternatifs; ainsi, en français moderne, celui qui convieni pour les pronoms et les noms ne convient pas pour les infinitifs (voir Prépublications, petite revue publiée par l'lnstitut d'études romanes de l'Université d'Ârhus, no. 22, févr. 1976, p. 3-14).

Un membre peut appartenir à une proposition du point de vue positionne!, mais à une autre du point de vue sélectionnel. C'est le cas, à mon avis, pour dont dans cet exemple moderne: «... dont il y a des chefs qui se servent» (voir Prépublications, no. 20, nov. 1975, p. 24). Rien n'empêche qu'un signe puisse appartenir à une proposition du point de vue sélectionnel sans appartenir à aucune proposition du point de vue positionnel; dans ce cas, il est en extraposition, c.-à-d. placé hors de la proposition, de même que s'il n'y appartenait pas non plus du point de vue sélectionnel. On aurait tort d'exiger que toute proposition comprenne les mêmes signes dans un modèle positionnel que dans un modèle sélectionnel. On peut s'en approcher en faisant précéder la zone préverbale du modèle positionnel par une zone annexe, où se trouveraient placés les signes qui ne sont pas mis dans la zone préverbale, ni dans une proposition différente, mais qui constituent des membres dans un modèle sélectionnel, par exemple je dans «Et 7e que sai?» (p. 430) et ton roncin dans «Et ton roncin, fet Perceval, cornent ravras tu ... ?» (p. 438). J'ai prévu cette possibilité à la p. 416, en faisant observer que ce n'est qu'une question de terminologie que de savoir si une telle zone annexe ferait partie ou non de la proposition du point de vue positionnel.



1: La brièveté de la réponse de M. Povl Skárup à l'opposition de M. Sven Skydsgaard, publiée ci-dessus, est due aux nécessites de l'édition du présent numéro. (N.D.L.R.)

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Si je n'ai pas utilisé cette possibilité, c'est qu'on n'établira un modèle que là où il pourra servir. On n'établira guère de modèle positionnel de la proposition latine. De même, je ne vois pas l'utilité d'un modèle positionnel d'une telle zone annexe, ni non plus de la zone postverbale en ancien français (contrairement au danois: c'est là la différence la plus importante entre le modèle établi par Diderichsen pour le danois et celui que j'ai établi pour l'ancien français). Pour ces deux zones, un modèle positionnel ne pourra guère permettre de formuler des lois d'une façon commode et intelligible.

Ârhus