Revue Romane, Bind 12 (1977) 1

Réponse à Ebbe Spang-Hanssen

Povl Skårup

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Je remercie Ebbe Spang-Hanssen pour la critique indulgente qu'il a faite de ma thèse.
Ma réponse comprendra deux parties de longueur inégale, dont l'une portera sur la
clarté insuffisante de mon exposé, et l'autre sur un problème particulier, mais essentiel.

J'admets que le lecteur peut avoir des difficultés à suivre mon exposé, et que toutes les difficultés ne sont pas dues aux matières traitées, et je le regrette beaucoup. Maintenant que le livre est là, tout ce que je puis faire, c'est de conseiller au lecteur de lire l'introduction et le résumé avant d'aborder les neuf chapitres qui les séparent dans le volume.

Le début du chapitre VI doit être particulièrement difficile à comprendre, et je vais essayer d'expliquer ma démarche d'une façon plus claire, parce que c'est là une partie très importante de la charpente de mon ouvrage. Dans ce qui précède ce chapitre, j'ai démontré ceci:

(1) Quand la zone verbale d'une enunciative contient un pronom sujet placé après le verbe, elle est toujours précédée d'un membre placé dans la même proposition (je définis la place du fondement comme la place occupée par ce membre). Autrement dit: quand la place du fondement d'une enunciative est vide, le verbe n'est jamais suivi d'un pronom sujet (mais il peut être suivi d'un sujet non pronominal: «Vait s'en li pople», p. 176). Autrement dit encore: quand la place du fondement d'une proposition est vide et que le verbe est suivi d'un pronom sujet, la proposition n'est pas une énonciative.

Ainsi, l'énonciative «Si le veïstes vos» est normale, et l'adverbe «si» y occupe la place du fondement. Par contre, la proposition «Maldirunt il», qui est normale en tant qu'interrogative, est agrammaticale en tant qu'énonciative (elle est pourtant attestée en tant qu'énonciative, dans le Psautier d'Oxford, éd. 1860, 108.27, où elle traduit mot à mot son modèle latin: «Maledicent illi»).

J'ai démontré ceci également.

(2) Lorsque le verbe d'une énonciative est suivi d'un pronom sujet, et que la zone verbale est donc précédée d'un membre qui occupe la place du fondement (conformément à (1)), les pronoms régimes précèdent toujours le verbe («Si le veïstes vos »).

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Cette règle vaut même derrière les éléments après lesquels les pronoms régimes peuvent également suivre le verbe lorsqu'il n'y a pas de pronom sujet ou que la proposition n'est pas une énonciative, par exemple «et»: «E fist lur maint envaïement», p. 373, ou «E /'orent a roi coroné», p. 245, mais seulement «Et le metoit Ven amont», p. 245, non «Et metoit le l'en amont» sauf comme interrogative (j'ai relevé un seul exemple contraire, mais il doit être agrammatical pour d'autres raisons aussi, voir p. 378). A priori, l'anteposition des pronoms régimes dans ces exemples peut être mise en rapport avec le pronom sujet postposé ou avec la place du fondement occupée qui précède les pronoms. La première possibilité ne va pas, parce qu'une règle disant que les pronoms régimes précèdent toujours le verbe lorsque celui-ci est suivi d'un pronom sujet serait fausse, comme le montrent des principales non énonciatives («Sire cumpain, faites le vos de gred?», p. 154). Il faut donc penser que le membre qui occupe la place du fondement et qui permet la postposition d'un pronom sujet dans les énonciatives, a un autre effet en même temps: exclure la postposition des pronoms régimes. Cette règle-ci doit être impliquée dans les règles des places des pronoms régimes; ces règles ne peuvent donc pas être formulées sans impliquer, sinon le terme, du moins la notion de la place du fondement.

Dans les propositions du type cité («Si le veïstes vos»), les deux phrases suivantes
sont vraies:

(3a) Un pronom régime conjoint qui précède le verbe fini est précédé lui-même d'un
signe qui se trouve placé dans la même proposition.

(4a) Inversement, un signe qui se trouve placé dans la partie de la proposition qui
précède le verbe, est suivi d'un pronom régime précédant son verbe.

Ces deux phrases sont donc vraies dans les propositions du type «Si le veïstes vos». Est-ce qu'elles peuvent être généralisées de façon à être vraies dans toutes les propositions dont le verbe est précédé d'un pronom régime conjoint ou dont le verbe accompagné d'un pronom régime conjoint est précédé d'un signe plate dans la même proposition? Autrement dit: est-ce que les deux hypothèses suivantes sont vraies?

(3) Quand un pronom régime conjoint précède son verbe fini, il est précédé lui-même
d'un signe qui se trouve placé dans la même proposition.

(4) Quand un verbe fini accompagné d'un pronom régime conjoint est précédé d'un
signe qui se trouve placé dans la même proposition, le pronom régime précède le
verbe.

De ces deux hypothèses, l'une n'implique pas l'autre, voir plus loin.

D'autre part, il existe des propositions où un pronom régime conjoint suit le verbe et où celui-ci n'est pas précédé d'un signe placé dans la même proposition, par exemple «(Cil li aportet,) receit le Alexis» (p. 369). Dans ces propositions, les deux phrases suivantes sont vraies:

(sa) Un verbe qui précède un pronom régime conjoint n'est pas précédé d'un signe
placé dans la même proposition.

(6a) Inversement, la partie de la proposition qui précède le verbe et les pronoms régimes
qui l'accompagnent est vide, et les pronoms régimes suivent le verbe.

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Ces deux phrases sont donc vraies dans les propositions du type «Receit le Alexis». Est-ce qu'elles peuvent être généralisées de façon à être vraies dans toutes les propositions dont le verbe est suivi d'un pronom régime conjoint ou dont le verbe accompagné d'un pronom régime conjoint n'est pas précédé d'un signe placé dans la même proposition? Autrement dit: est-ce que les deux hypothèses suivantes sont vraies?

(5) Quand un pronom régime suit un verbe fini dans la zone verbale, le verbe est le
premier mot de la proposition.

(6) Quand un verbe fini accompagné d'un pronom régime conjoint n'est pas précédé
d'un signe qui se trouve placé dans la même proposition, le pronom régime suit le
verbe.

De ces deux hypothèses, l'une n'implique pas l'autre, voir plus loin.

J'ajoute qu'un signe qui précède un pronom régime et un verbe fini, tout en étant placé dans la même proposition, ne peut pas seulement se trouver dans la zone préverbale (qui, dans les propositions principales, n'est constituée que par une seule place, celle du fondement, d'après ce que je dirai au chap. VIII), mais aussi à la place de la négation «ne», qui est la première de celles de la zone verbale.

En examinant des hypothèses comme celles qui viennent d'être formulées, il faut
observer trois distinctions.

Premièrement, il faut distinguer entre ce qu'une hypothèse pose et ce qu'elle présuppose. Si ce qu'elle présuppose est faux, elle doit être écartée en tant qu'hypothèse scientifique. Puisque cela ne paraît pas poser de problèmes pour les quatre hypothèses formulées ci-dessus, je ne m'y arrête pas.

Deuxièmement, il faut distinguer entre les faits par rapport auxquels chaque hypothèse est opérante et ceux par rapport auxquels elle est inopérante. Chacune des quatre hypothèses n'est opérante que par rapport aux propositions grammaticales de l'ancien français qui remplissent la condition exprimée par la subordonnée introduite par «quand». Ainsi, l'hypothèse (3) est opérante par rapport à une proposition comme «E l'orent a roi corone», parce qu'un pronom régime y précède le verbe fini, mais elle est inopérante par rapport à une proposition comme «E fist lur maint envaïement», parce qu'un pronom régime n'y précède pas le verbe. Les faits par rapport auxquels une hypothèse est inopérante n'ont pas de pertinence pour la vérification de l'hypothèse: l'existence de propositions comme «E fist lur maint envaïement» est tout aussi dépourvue de pertinence pour l'hypothèse (3) que l'année du couronnement de Charlemagne ou la distance entre le soleil et la terre. Dire que l'hypothèse (3) est vraie par rapport à ces trois faits est contraire à l'usage de la langue, non seulement parce que trois faits ne suffisent pas pour montrer la vérité d'une hypothèse générale (voir la troisième distinction, ci-dessous), mais aussi tout simplement parce qu'elle ne permet pas d'inférer quelque chose de ces faits. Les quatre hypothèses citées ne sont pas des exemples d'une implication qui est vraie par définition dans les cas où l'énoncé qui en implique un autre est fauxl.



1: II me semble en effet que les exemples de l'implication qu'on trouve cités par les logiciens et les mathématiciens depuis les Mégariques jusqu'à nos jours se répartissent en trois catégories, qu'il vaudrait mieux distinguer. Il ne suffit pas de distinguer la deuxième catégorie des autres, comme on le fait parfois; la différence entre la troisième et les deux autres est plus importante. A. Une juxtaposition de deux énoncés, qui est vraie par définition, a moins que l'antécédent ne soit vrai en même temps que le conséquent est faux, définition qui peut être exprimée par la table de vérité bien connue à laquelle Spang-Hanssen fait allusion. Ainsi, les trois implications-juxtapositions suivantes sont vraies: (Napoléon est né à Ajaccio) imp (les oiseaux sont des ovipares) (Napoléon est né à Bruxelles) imp (les oiseaux sont des ovipares) (Napoléon est né à Bruxelles) imp (les oiseaux sont des mammifères) mais la suivante est fausse: (Napoléon est né à Ajaccio) imp (les oiseaux sont des mammifères) Dans l'implication-juxtaposition, tout énoncé vrai (y compris toute tautologie) implique n'importe quel énoncé vrai (mais aucun énoncé faux), et tout énoncé faux (y compris toute contradiction) implique n'importe quel énoncé vrai ou faux, même si celui-ci contredit celui-là. Cela ne vaut pas pour la catégorie suivante, ni à plus forte raison pour la troisième. B. Une inférence ou déduction conforme à des règles formulées de façon à permettre de déduire un conséquent vrai d'un antécédent vrai, mais non de déduire un conséquent faux d'un antécédent vrai, ou, si l'on veut, de façon à permettre d'étabiir une implication-juxtaposition vraie dont l'antécédent est vrai, mais non une implication-juxtaposition fausse (d'après la table de vérité de celle-ci). Ainsi, dans «(x + 3 = x + 8) inf (x — x = 8 — 3)», les deux énoncés sont faux pour n'importe quelle valeur de x (ce sont des contradictions), mais rimpliuaiiuiïinférence est vraie parce qu'elle est conforme à la règle algébrique suivante, qui ne permet donc pas seulement de déduire un conséquent vrai d'un antécédent vrai, mais aussi de déduire un conséquent faux d'un antécédent faux (mais non de déduire un conséquent faux d'un antécédent vrai): «(a + b = c + d) inf (a — c —- d —b)». L'inférence peut aussi être sémantique; ainsi, l'inférence «(Jean est célibataire) inf (Jean n'est pas marié) » est vraie indépendamment du véritable état de Jean, parce qu'elle est conforme à la règle sémantique suivante: «(X est célibataire) inf (X n'est pas marié)». L'inférence peut être beaucoup plus compliquée, par exemple lorsque la théorie de Newton infère que la planète Mercure a une certaine orbite (qu'en réalité elle n'a pas). On juge de la vérité de l'implicationinférence d'après sa conformité avec les règles déductives, non d'après la table de vérité de l'implication-juxtaposition, dont le rôle ne consiste ici qu'à contrôler les règles, non à vérifier les inférences qui les appliquent. Il est en effet intéressant d'observer que tandis que toute paire d'énoncés qui constitue une implicationjuxtaposition fausse selon la table de vérité constitue également une inférence fausse selon les règles déductives (sinon il faudrait changer celles-ci), l'inverse n'est pas vrai. Une paire d'énoncés peut constituer une implication-juxtaposition vraie, mais une inférence fausse. Cela vaut pour les trois exemples cités plus haut d'une implication-juxtaposition vraie, où aucune règle ne permet d'inférer le conséquent de l'antécédent, et cela vaut aussi pour un exemple arithmétique comme celui-ci: «(x + 3 = x + 8) inf (x — x = 8 + 3)». La comparaison de cet exemple avec l'autre exemple arithmétique cité plus haut montre clairement la différence entre l'implication-juxtaposition et l'implication-inférence. Tandis que celle-là ne peut pas servir à grand-chose, sauf, peut-être, en logique pure, on se sert très souvent de celle-ci pour falsifier une hypothèse compliquée en falsifiant un énoncé plus simple qui en est inféré. C. Un énoncé conditionné, c'est-à-dire accompagné de l'indication de son champ d'application: les conditions dans lesquelles il est déclaré ou supposé vrai. Cette indication peut avoir la forme d'une subordonnée introduite par «si» ou «quand» («s'il pleut, je prends mon parapluie», «quand il pleut, ... ») ou celle d'un autre membre adverbial («en cas de pluie, ... », «chaque matin, ... », etc.), ou elle peut être exprimée dans une phrase différente («l'énoncé suivant vaut dans les conditions A, B et C: ... »). Contrairement aux deux autres catégories, il n'y a pas ici deux énoncés, mais un seul. On juge de la vérité de l'énoncé conditionné en examinant s'il est vrai dans les conditions indiquées. Les cas où ces conditions ne sont pas remplies sont sans pertinence, parce que l'énoncé ne dit rien sur ces cas; dans ces cas, il n'est ni vrai ni faux, mais inopérant. Ce serait méconnaître la fonction de la subordonnée conditionnelle d'un énoncé conditionné que de confondre celui-ci avec l'implication-juxtaposition sous la désignation commune d'implication matérielle et de l'examiner d'après une table de vérité qui dit qu'il est vrai, plutôt qu'inopérant, dans les cas où la condition n'est pas remplie. Les quatre hypothèses formulées plus haut sont des énoncés conditionnés.

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Troisièmement, une hypothèse qui est opérante par rapport à plusieurs faits, peut
être adéquate par rapport à l'un de ces faits sans pour cela être vraie. Ainsi, l'hypothèse
(3) appliquée au français moderne est opérante et adéquate par rapport à une propositioncomme



1: II me semble en effet que les exemples de l'implication qu'on trouve cités par les logiciens et les mathématiciens depuis les Mégariques jusqu'à nos jours se répartissent en trois catégories, qu'il vaudrait mieux distinguer. Il ne suffit pas de distinguer la deuxième catégorie des autres, comme on le fait parfois; la différence entre la troisième et les deux autres est plus importante. A. Une juxtaposition de deux énoncés, qui est vraie par définition, a moins que l'antécédent ne soit vrai en même temps que le conséquent est faux, définition qui peut être exprimée par la table de vérité bien connue à laquelle Spang-Hanssen fait allusion. Ainsi, les trois implications-juxtapositions suivantes sont vraies: (Napoléon est né à Ajaccio) imp (les oiseaux sont des ovipares) (Napoléon est né à Bruxelles) imp (les oiseaux sont des ovipares) (Napoléon est né à Bruxelles) imp (les oiseaux sont des mammifères) mais la suivante est fausse: (Napoléon est né à Ajaccio) imp (les oiseaux sont des mammifères) Dans l'implication-juxtaposition, tout énoncé vrai (y compris toute tautologie) implique n'importe quel énoncé vrai (mais aucun énoncé faux), et tout énoncé faux (y compris toute contradiction) implique n'importe quel énoncé vrai ou faux, même si celui-ci contredit celui-là. Cela ne vaut pas pour la catégorie suivante, ni à plus forte raison pour la troisième. B. Une inférence ou déduction conforme à des règles formulées de façon à permettre de déduire un conséquent vrai d'un antécédent vrai, mais non de déduire un conséquent faux d'un antécédent vrai, ou, si l'on veut, de façon à permettre d'étabiir une implication-juxtaposition vraie dont l'antécédent est vrai, mais non une implication-juxtaposition fausse (d'après la table de vérité de celle-ci). Ainsi, dans «(x + 3 = x + 8) inf (x — x = 8 — 3)», les deux énoncés sont faux pour n'importe quelle valeur de x (ce sont des contradictions), mais rimpliuaiiuiïinférence est vraie parce qu'elle est conforme à la règle algébrique suivante, qui ne permet donc pas seulement de déduire un conséquent vrai d'un antécédent vrai, mais aussi de déduire un conséquent faux d'un antécédent faux (mais non de déduire un conséquent faux d'un antécédent vrai): «(a + b = c + d) inf (a — c —- d —b)». L'inférence peut aussi être sémantique; ainsi, l'inférence «(Jean est célibataire) inf (Jean n'est pas marié) » est vraie indépendamment du véritable état de Jean, parce qu'elle est conforme à la règle sémantique suivante: «(X est célibataire) inf (X n'est pas marié)». L'inférence peut être beaucoup plus compliquée, par exemple lorsque la théorie de Newton infère que la planète Mercure a une certaine orbite (qu'en réalité elle n'a pas). On juge de la vérité de l'implicationinférence d'après sa conformité avec les règles déductives, non d'après la table de vérité de l'implication-juxtaposition, dont le rôle ne consiste ici qu'à contrôler les règles, non à vérifier les inférences qui les appliquent. Il est en effet intéressant d'observer que tandis que toute paire d'énoncés qui constitue une implicationjuxtaposition fausse selon la table de vérité constitue également une inférence fausse selon les règles déductives (sinon il faudrait changer celles-ci), l'inverse n'est pas vrai. Une paire d'énoncés peut constituer une implication-juxtaposition vraie, mais une inférence fausse. Cela vaut pour les trois exemples cités plus haut d'une implication-juxtaposition vraie, où aucune règle ne permet d'inférer le conséquent de l'antécédent, et cela vaut aussi pour un exemple arithmétique comme celui-ci: «(x + 3 = x + 8) inf (x — x = 8 + 3)». La comparaison de cet exemple avec l'autre exemple arithmétique cité plus haut montre clairement la différence entre l'implication-juxtaposition et l'implication-inférence. Tandis que celle-là ne peut pas servir à grand-chose, sauf, peut-être, en logique pure, on se sert très souvent de celle-ci pour falsifier une hypothèse compliquée en falsifiant un énoncé plus simple qui en est inféré. C. Un énoncé conditionné, c'est-à-dire accompagné de l'indication de son champ d'application: les conditions dans lesquelles il est déclaré ou supposé vrai. Cette indication peut avoir la forme d'une subordonnée introduite par «si» ou «quand» («s'il pleut, je prends mon parapluie», «quand il pleut, ... ») ou celle d'un autre membre adverbial («en cas de pluie, ... », «chaque matin, ... », etc.), ou elle peut être exprimée dans une phrase différente («l'énoncé suivant vaut dans les conditions A, B et C: ... »). Contrairement aux deux autres catégories, il n'y a pas ici deux énoncés, mais un seul. On juge de la vérité de l'énoncé conditionné en examinant s'il est vrai dans les conditions indiquées. Les cas où ces conditions ne sont pas remplies sont sans pertinence, parce que l'énoncé ne dit rien sur ces cas; dans ces cas, il n'est ni vrai ni faux, mais inopérant. Ce serait méconnaître la fonction de la subordonnée conditionnelle d'un énoncé conditionné que de confondre celui-ci avec l'implication-juxtaposition sous la désignation commune d'implication matérielle et de l'examiner d'après une table de vérité qui dit qu'il est vrai, plutôt qu'inopérant, dans les cas où la condition n'est pas remplie. Les quatre hypothèses formulées plus haut sont des énoncés conditionnés.

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tioncomme«Vous le connaissez», mais elle est fausse, parce qu'il existe des propositionspar rapport auxquelles elle est opérante mais inadéquate, par exemple «Le faitesvousà dessein?». Pour qu'une hypothèse générale soit vraie, il ne suffit pas qu'il existe des faits par rapport auxquels elle est opérante et adéquate, il faut également qu'il n'existe pas de faits par rapport auxquels elle soit opérante mais inadéquate.

Ainsi, par rapport à une proposition donnée, chacune des quatre hypothèses peut
être inopérante, opérante et adéquate, ou opérante mais inadéquate, comme l'indique
le tableau suivant:


DIVL2224

Puisque nous savons déjà qu'il existe en ancien français des propositions par rapport auxquelles chacune des quatre hypothèses est opérante et adéquate, ce qu'il faut examiner, c'est s'il existe également des propositions par rapport auxquelles elles sont opérantes et inadéquates. Or, le tableau montre clairement que les hypothèses (3) et (6) sont inadéquates par rapport aux mêmes propositions (type «Le veïstes (vos)»), et que les hypothèses (4) et (5) sont inadéquates par rapport aux mêmes propositions (type «Si veïstes le vos»). C'est pourquoi j'ai vu dans mon livre des variantes d'une seule hypothèse désignée (I) dans les hypothèses (3 = Ib) et (6 = la), et des variantes d'une



1: II me semble en effet que les exemples de l'implication qu'on trouve cités par les logiciens et les mathématiciens depuis les Mégariques jusqu'à nos jours se répartissent en trois catégories, qu'il vaudrait mieux distinguer. Il ne suffit pas de distinguer la deuxième catégorie des autres, comme on le fait parfois; la différence entre la troisième et les deux autres est plus importante. A. Une juxtaposition de deux énoncés, qui est vraie par définition, a moins que l'antécédent ne soit vrai en même temps que le conséquent est faux, définition qui peut être exprimée par la table de vérité bien connue à laquelle Spang-Hanssen fait allusion. Ainsi, les trois implications-juxtapositions suivantes sont vraies: (Napoléon est né à Ajaccio) imp (les oiseaux sont des ovipares) (Napoléon est né à Bruxelles) imp (les oiseaux sont des ovipares) (Napoléon est né à Bruxelles) imp (les oiseaux sont des mammifères) mais la suivante est fausse: (Napoléon est né à Ajaccio) imp (les oiseaux sont des mammifères) Dans l'implication-juxtaposition, tout énoncé vrai (y compris toute tautologie) implique n'importe quel énoncé vrai (mais aucun énoncé faux), et tout énoncé faux (y compris toute contradiction) implique n'importe quel énoncé vrai ou faux, même si celui-ci contredit celui-là. Cela ne vaut pas pour la catégorie suivante, ni à plus forte raison pour la troisième. B. Une inférence ou déduction conforme à des règles formulées de façon à permettre de déduire un conséquent vrai d'un antécédent vrai, mais non de déduire un conséquent faux d'un antécédent vrai, ou, si l'on veut, de façon à permettre d'étabiir une implication-juxtaposition vraie dont l'antécédent est vrai, mais non une implication-juxtaposition fausse (d'après la table de vérité de celle-ci). Ainsi, dans «(x + 3 = x + 8) inf (x — x = 8 — 3)», les deux énoncés sont faux pour n'importe quelle valeur de x (ce sont des contradictions), mais rimpliuaiiuiïinférence est vraie parce qu'elle est conforme à la règle algébrique suivante, qui ne permet donc pas seulement de déduire un conséquent vrai d'un antécédent vrai, mais aussi de déduire un conséquent faux d'un antécédent faux (mais non de déduire un conséquent faux d'un antécédent vrai): «(a + b = c + d) inf (a — c —- d —b)». L'inférence peut aussi être sémantique; ainsi, l'inférence «(Jean est célibataire) inf (Jean n'est pas marié) » est vraie indépendamment du véritable état de Jean, parce qu'elle est conforme à la règle sémantique suivante: «(X est célibataire) inf (X n'est pas marié)». L'inférence peut être beaucoup plus compliquée, par exemple lorsque la théorie de Newton infère que la planète Mercure a une certaine orbite (qu'en réalité elle n'a pas). On juge de la vérité de l'implicationinférence d'après sa conformité avec les règles déductives, non d'après la table de vérité de l'implication-juxtaposition, dont le rôle ne consiste ici qu'à contrôler les règles, non à vérifier les inférences qui les appliquent. Il est en effet intéressant d'observer que tandis que toute paire d'énoncés qui constitue une implicationjuxtaposition fausse selon la table de vérité constitue également une inférence fausse selon les règles déductives (sinon il faudrait changer celles-ci), l'inverse n'est pas vrai. Une paire d'énoncés peut constituer une implication-juxtaposition vraie, mais une inférence fausse. Cela vaut pour les trois exemples cités plus haut d'une implication-juxtaposition vraie, où aucune règle ne permet d'inférer le conséquent de l'antécédent, et cela vaut aussi pour un exemple arithmétique comme celui-ci: «(x + 3 = x + 8) inf (x — x = 8 + 3)». La comparaison de cet exemple avec l'autre exemple arithmétique cité plus haut montre clairement la différence entre l'implication-juxtaposition et l'implication-inférence. Tandis que celle-là ne peut pas servir à grand-chose, sauf, peut-être, en logique pure, on se sert très souvent de celle-ci pour falsifier une hypothèse compliquée en falsifiant un énoncé plus simple qui en est inféré. C. Un énoncé conditionné, c'est-à-dire accompagné de l'indication de son champ d'application: les conditions dans lesquelles il est déclaré ou supposé vrai. Cette indication peut avoir la forme d'une subordonnée introduite par «si» ou «quand» («s'il pleut, je prends mon parapluie», «quand il pleut, ... ») ou celle d'un autre membre adverbial («en cas de pluie, ... », «chaque matin, ... », etc.), ou elle peut être exprimée dans une phrase différente («l'énoncé suivant vaut dans les conditions A, B et C: ... »). Contrairement aux deux autres catégories, il n'y a pas ici deux énoncés, mais un seul. On juge de la vérité de l'énoncé conditionné en examinant s'il est vrai dans les conditions indiquées. Les cas où ces conditions ne sont pas remplies sont sans pertinence, parce que l'énoncé ne dit rien sur ces cas; dans ces cas, il n'est ni vrai ni faux, mais inopérant. Ce serait méconnaître la fonction de la subordonnée conditionnelle d'un énoncé conditionné que de confondre celui-ci avec l'implication-juxtaposition sous la désignation commune d'implication matérielle et de l'examiner d'après une table de vérité qui dit qu'il est vrai, plutôt qu'inopérant, dans les cas où la condition n'est pas remplie. Les quatre hypothèses formulées plus haut sont des énoncés conditionnés.

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autre hypothèse désignée (II) dans (4 = lia) et (5 = Ilb). Dans le chapitre VI, j'ai examinés'il
existe des propositions qui falsifient ainsi l'hypothèse (1 = 3 + 6); dans le
chapitre VII, j'ai examiné s'il en existe qui falsifient (II = 4 + 5).

Après ces mots sur la clarté insuffisante de mon exposé, je vais essayer de répondre à ce que Spang-Hanssen dit dans l'alinéa qui commence par «II est clair que ... ». Je ne suis pas sûr d'avoir bien compris cet alinéa, mais j'espère que les remarques suivantes pourront servir de réponse. Considérons ces énoncés:

(7) Le modèle, avec la liste des membres qui peuvent occuper chaque place, montre ceci: la place du fondement peut être occupée par un sujet ou par un autre membre appartenant à l'un des types énumérés dans les chapitres IV, V et VI. Ces membres peuvent également être placés ailleurs dans la proposition (et hors de celle-ci). Ainsi, le sujet peut également suivre le verbe ou précéder la place du fondement (dans ce cas-ci, je dis dans le ch. VIII qu'il est placé hors de la proposition proprement

(8) Quand la place du fondement est occupée par un autre membre, le sujet est placé
ailleurs (ou inexprimé).

(9) Dans chaque proposition, la place du fondement n'est occupée que par un seul
membre.

(10) Dans chaque proposition, chacune des places du modèle ne peut être occupée que
par un seul membre (simple ou complexe).

Je suis d'accord pour penser que l'énoncé (8), qui présuppose (7), se déduit de (9) (c'est ce que j'ai dit à la p. 471), et qu'à son tour, (9) se déduit de (10), mais que les énoncés (3) à (6), qui traitent de la place des pronoms régimes, ne se déduisent pas du modèle et de (10). Cependant, je pense que l'utilité du modèle réside dans toutes les règles et hypothèses qui se formulent ou se déduisent mieux par le modèle que sans celui-ci, et qu'elle ne réside pas moins dans celles qui, comme (3), (4), (5) et (6), ne sont pas déduites de (10) que dans celles qui le sont, comme (8) et (9). (Et je ne vois pas comment les règles de l'ordre respectif du verbe et des pronoms régimes pourraient cire formulées sans impliquer les premières places de la proposition vides ou occupées, sous peine d'être inexactes, comme le sont en effet plusieurs des formules qu'on trouve dans la littérature, y compris celles qui sont fondées sur la notion d'accent.)

J'avoue que j'hésite sur la démarcation entre description et explication. Mais je pense que si l'on dit qu'on 'explique' par (8) la place du sujet dans des propositions individuelles comme «ice vos quidai ge chier vandre» (p. 180) ou «mes il del tut les escundist» (p. 434), on peut dire tout aussi bien qu'on 'explique' par les règles (3) à (6) la place des pronoms régimes dans des propositions individuelles. Je n'oserais pas qualifier d"explication' la déduction de la règle (8) de (9) et (10), parce que (9) et (10) ne sont pas empiriques: (10) est une partie de la définition du terme 'place'. La règle (8) n'est donc pas une loi empirique, mais un simple truisme, étant donné (7) (aussi me paraît-elle moins féconde que la règle (1), qui n'est pas impliquée dans (7), (8), (9) et (10)). La justesse du modèle établi présuppose toutes les règles qu'on peut en déduire par (10), et l'explication d'une de ces règles par le modèle et (10) serait donc un cercle vicieux. Mais on ne pèche pas contre la logique en utilisant le modèle et (10) pour une description qui ne prétend pas à être une explication. Je crois même que c'est la meilleure description de certains faits, et c'est ce que j'ai dit dans mon livre.

Ârhus