Revue Romane, Bind 12 (1977) 1Andréas Blinkenberg et Poul Hoybye : Dictionnaire Danois-Français, fondé par Margrethe Thiele. Troisième édition révisée et augmentée. Nyt Nordisk Forlag Arnold Busck, Copenhague 1975.Helge Nordahl Side 165
Quand, au début de ce siècle, Margrethe Thiclc commença son travail de traductrice dans le domaine franco-danois à l'AcadémieRoyale des Sciences et des Lettres de Danemark, la lexicographie bilingue dano-française avait déjà donné naissanceà toute une série d'œuvres excellentes.Le XVIIIe siècle avait vu la publicationdu Dictionnaire Royal (français-danoiset danois-français) de Hans von Aphelen (1759, Copenhague). Au début du XIXe siècle sont publiés les deux dictionnairesdu «docteur et professeur» Odin Wolff (1824), et, vers la fin de ce même siècle, paraissent le Dictionnaire danois-français de Sundby et Baruël (Copenhague1883-84), et, presque simultanément,le Dictionnaire français-danois de J. Sick (Copenhague, 1883). Malgré tous ces beaux succès de la lexicographie Side 166
bilingue dano-française des siècles passés, il est légitime de soutenir, pensons-nous, que le XXe siècle avu un bel épanouissementdans la discipline la plus difficilement maîtrisable et la plus malaisément accessiblede la science linguistique: la lexicographie.Et ce n'est qu'avec le travail de MargretheThiele que commence l'histoire du plus grand chef-d'œuvre de la lexicographiedano-française au Danemark. Pendant près de trente ans, Margrethe Thiele a constitué un fichier d'environ 100.000 exemples. Deux ans avant sa mort, elle a demandé à Andreas Blinkenberg de s'adjoindre à ses travaux. Après la mort de Margrethe Thiele en 1928, Andreas Blinkenbergfait appel à Poul Hoybye, qui a accepté les fonctions de secrétaire-rédacteur,assisté de deux autres rédacteurs, Camille Thierry et Cari Hjort. En plus des quatre rédacteurs, un grand nombre de spécialistes, danois et français, ont contribuéefficacement à la confection du dictionnaire. La publication de la première édition du Blinkenberg et Thiele s'est étendue sur sept ans, de 1930 à 1937. La collaboration lexicographique entre Andreas Blinkenberg et Poul Hoybye s'est pourtant poursuivie. La deuxième édition du Blinkenberg et Thiele publiée en 1964, est une réimpression du lexique de 1930-37, à quoi s'est ajouté un Supplément en 1969. La troisième édition donc est celle de 1975. Signalons que François Marchetti a enrichi cette nouvelle édition de plusieurs milliers d'entrées, notamment dans le domaine de la langue courante et populaire ainsi que dans plusieurs spécialités (photo, cinéma, radio, etc.). Telle est, tracée en quelques mots, l'histoire de cette œuvre fascinante. «La visée de ce long travail a été», selon les éditeurs, «la réalisation de deux grands dictionnaires, danois-français et français-danois, qui seraient assez complets pour servir en même temps aux besoins quotidiens de lecteurs ordinaires, mais exigeants, et aux besoins normaux des traducteurs et des interprètes ». Le fait que le dictionnaire danois-français enregistre plus de 700.000 motssouches danois atteste de façon éloquente que le but a dû être atteint. Face à cette impressionnante richesse d'information, résultat longuement mûri d'un travail de bénédictin assumé par les éditeurs, les rédacteurs et leurs nombreux collaborateurs pendant une période de 75 ans, il n'est que trop juste qu'un recenseur se sente indigne de sa tâche et ne cache pas, en son nom et à celui de ses collègues, une commune dette de reconnaissance. Que les deux auteurs veuillent bien me permettre pourtant de formuler quelques réflexions, sans aucun doute arbitraires et décousues, que m'a inspirées le premier contact avec leur œuvre impressionnante. Il va sans dire que la présentation systématique d'une telle richesse de faits lexicaux pose d'énormes problèmes, surtout en ce qui concerne les grands articles. Pour rendre le dictionnaire aussi maniable que possible aux usagers, les éditeurs ont opté pour le principe de présentation suivant. Les articles sont divisés en deux parties: «tête » et «corps » ou «queue »; et voici comment les auteurs nous expliquent les avantages de cette disposition bipartite: la «tête» de l'article analyse les nuances du mot-souche en question et les ordonne selon leur importance et les affinités sémantiques, en donnant pour chaque bande de spectre sémantique le ou les équivalents français du mot danois en question. La seconde partie de l'article, le «corps » ou la «queue », présente l'exemplification «in situ», les groupes étant disposés alphabétiquement, ceci pour obtenir le maniement le plus sûr et le plus rapide possible. Le principe des renvois chiffrés constitue une économie de place considérable. On n'a qu'à
lire un article comme celui Side 167
portant sur le mot afveksling (p. 31) pour se rendre compte de l'économie du système de présentation adopté par les éditeurs, et pour admirer la clarté de l'exposé. Qu'on se reporte aussi au nom arbejde et à ses 29 traductions proposées. «Les mots composés », disent les deux auteurs dans Y Avis aux Usagers, «ont été enregistrés dans une assez large mesure ». Bel exemple d'understatement danois! L'énorme richesse des mots composés est peut-être un des aspects les plus convaincants de ce vaste dictionnaire, ce qui nous permet non seulement de deviner, mais vraiment de mesurer concrètement l'énorme travail de lecture et de systématisation qui est à la base de l'ouvrage. Que l'on étudie, par exemple, en guise de préambule, les 24 mots composés ayant le mot chokolade - comme premier élément. Que l'on étudie ensuite les 45 composés à partir de hospital-, les 57 mots composés avec himmel-, les quelque 80 compositions avec dame-, ou, si l'on se sent le courage d'atiaquer les morceaux de résistance, les quelque 100 mots composés avec anker-, les quelque 250 vocables avec folke-, les quelque 280 mots composés avec arbejds-, et les quelque 475 mots composés avec hoved-. Que les langues germaniques soient riches en mots composés, on le savait peut-être déjà, mais qu'elles fussent riches à ce point, qui s'en serait douté? Il va sans dire que beaucoup de ces mots composés, appartenant à des idiolectes particuliers, sont d'une fréquence relativement modeste, mais le fait qu'ils soient là montre clairement à quel point le dictionnaire est, sinon exhaustif-car aucun dictionnaire ne saurait l'être -, du moins immensément riche. Des mots comme arbejderforsikringsràd (Conseil supérieur des assurances contre les accidents de travail), arbejdsloshedsinspektor (inspecteur général de i'assurance-chômage), folkeregistetforer (officier de l'Etat civil), hovedkrumtapleje (palier à l'arbre à vilebrequin), hovedstopventil (robinet-valve d'arrêt principal) montrent clairement qu'aucun effort n'a été négligé pour rendre le dictionnaire aussi complet que possible par un choix extrêmement vaste de mots composés et Que l'on consulte, à ce propos, les 24 mots composés à partir de dampskib-. Si la richesse des mots composés est impressionnante, celle des expressions idiomatiques ne l'est pas moins. Nous avons déjà cité comme exemple l'article sur le nom arbejde et les nombreuses compositions avec arbejds-. Citons, pour rester dans la même famille, l'article sur le verbe arbejde. Que ceux qui désirent contrôler la richesse des expressions idiomatiques, veuillent bien, après lecture de la première partie de l'article, en lire la dernière partie, où sont traitées les «constructions réfléchies»: arbejde sig fordœrvet med at, arbejde sig frem, arbejde sig frem til n., arbejde sig fri, arbejde sig igennem n., arbejde sig igennem et vœrk, arbejde sig ihjel, arbejde sig ind i n.. arbejde sig lœk, arbejde sig las, arbejde sig op, arbejde sig op til luvart, arbejde sig svedig, arbejde sig ud af n., etc. Encore une fois, à constater la richesse presque inimaginable de la documentation, on est frappé d'admiration. Les anglicismes, sorte de vocabulaire dans le vocabulaire, sont dosés, comme l'on s'y attendrait, d'une main moins généreuse. On aimerait connaître les critèresselon lesquels certains mots anglais ont été exclus, tandis que d'autres ont été acceptés, mais il y a là, on le devine, un problème assez épineux. Formulons précautionneusementl'hypothèse que le triple critère fréquence, nécessité, utilité a joué un rôle décisif, mais qu'une certaine marge a été accordée à l'arbitraire. On trouve des mots comme cali-girl, comeback,cocktail, Commonwealth, comedbeef, deadline, freelance, gardenparty, golfeur (golfman, par contre, n'est pas cité), jerseyetc., Side 168
seyetc.,mais des mots comme
he-man et Pour ce qui est des sigles, vraie obsession mentale de certains idiolectes professionnels des temps modernes, on peut dire que droit de cité leur a été accordé dans le dictionnaire selon leur fréquence et leur degré d'utilité. Les deux auteurs ont aussi eu l'heureuse inspiration d'ajouter des articles intéressants sur quelques suffixes particulièrement productifs: -agtig, -mœssig, -rigtig, -venlig. Signalons aussi que des particularités intéressantes comme les interjections et les créations capricieuses du langage enfantin ont trouvé la place qui leur revient dans l'ouvrage. Si l'on ne sait pas, par exemple, comment traduire snip snap snurre basselurre, on n'a qu'à consulter la page 91, et l'on apprend (p. 261) qu'en ce qui concerne la traduction exacte de didelidum, didelidum, on n'a que l'embarras du choix entre les deux variantes tanturlurette et taratata. Notons aussi que le dictionnaire pourra servir de guide efficace aux frères Scandinaves des Danois, désireux de s'initier aux mystères de la langue danoise. Il suffit de lire la première page du dictionnaire pour tomber sur le mot abeskon, qui - et toute l'autorité des deux éditeurs est là pour nous l'apprendre - signifie: beau comme tout, phénoménal, inénarrable, inénarrablement beau. On ne l'aurait jamais deviné! Qui a lu la bibliographie des œuvres d'un des éditeurs, M. Poul Hoybye, a dû être frappé par un fort beau titre sous lequel est paru son compte rendu d'un dictionnaire d'anglais: Til lykke med en god ordbog! (Toutes mes félicitations pour un excellent dictionnaire!) Que les deux auteurs, collègues et amis depuis plus de cinquante ans, grands maîtres de la syntaxe ainsi que de la lexicographie, veuillent bien me permettre de les saluer avec cette belle formule hoybyienne. Ils ont créé ensemble, avec leurs nombreux collaborateurs, un instrument de travail dont aucun romaniste scandinave et aucun danophile français ne sauraient se passer dans l'avenir. Oslo
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