Revue Romane, Bind 12 (1977) 1

Fernand Hallyn : Formes métaphoriques dans la poésie lyrique de l'âge baroque en France. Librairie Droz, Genève 1975. 261 p.

John Pedersen

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L'ouvrage de M. Hallyn est une étude
d'un grand intérêt méthodologique en ceci
qu'il se propose d'examiner une forme
littéraire bien définie, telle qu'elle se présente
dans une période précise.

Vis-à-vis des problèmes posés par l'emploi du terme baroque (problèmes qui, parfois, ont dégénéré en pur jeu d'étiquettes), l'auteur adopte une attitude nominaliste': ne chercherons pas à savoir quelle étiquette, mais quel sens correspond à telle œuvre ou à telle forme» (p. 5). Disons tout de suite que nous sommes entièrement d'accord avec l'auteur làdessus, d'autant plus que le travail qu'il se propose est l'analyse d'une forme précise, à savoir la métaphore, d'abord opposée à la comparaison, ensuite étudiée sous ses formes in praesentia et in absentia et, enfin, dans l'optique de ce qui est appelé le développement métonymique de la métaphore. Durant les discussions théoriques, M. Hallyn nous renvoie, de façon fort instructive, aux écrits des théoriciens de l'époque, et notamment à Tesauro, qui, entre autres choses, fournit à l'auteur une image dont il se sert pour la synthèse: l'image du miroir. En effet, pour M. Hallyn.. les métaphores de la poésie qu'il étudie oscillent entre deux pôles: «la poésie peut apparaître comme le miroir d'un absolu ou comme le miroir de l'ingéniosité du poète» (p. 214). La conclusion, d'ailleurs, établit un parallélisme entre la nouvelle cosmologie, qui prend pied dans la première moitié du XVIIe siècle, et la nouvelle conception de la métaphore, qui semble s'affirmer dans la même période, et qui se fonde moins sur les correspondances cosmiques que sur les capacités créatrices de l'esprit humain.

Le livre de M. Hallyn mérite une réflexionattentive et des discussions approfondies.Nous sommes convaincu, du reste, que tel sera le résultat de son ouvrage,car les problèmes qu'aborde l'auteursont à la fois objet des préoccupationsde nombreux chercheurs et, paradoxalement,encore mal éclaircis jusque

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dans les éléments fondamentaux. Commentdélimiter les concepts? Comment procéder pour obtenir une description précise et nuancée de la métaphore qui permette en même temps de maintenir la perspective contextuelle? Nous avons essayénous-même, récemment, d'entreprendreune étude axée en partie sur les mêmes problèmes (voir Images et Figures de la poésie française de Vâge baroque, Revue Romane, numéro spécial 5, 1974), et c'est donc en connaissance des difficultés auxquellesse heurte quiconque s'attaque à la poésie française de l'âge baroque et notammentà l'étude de ses métaphores que nous allons poser à l'excellent ouvrage de M. Hallyn quelques questions, qui permettrontpeut-être de mieux mesurer la portée des résultats qu'il nous présente.

Une première question pourrait avoir trait à la problématique souvent débattue qui concerne les rapports éventuels entre comparaison et métaphore. On sait que, par exemple, I. A. Richards s'est vivement opposé à l'idée de ne pas distinguer, de façon absolue, entre ces deux procédés. L'attitude de M. Hallyn semble être plus prudente à cet égard; face aux théories contradictoires, qu'il résume avec une netteté exemplaire, il se tourne, en effet, vers les théories de Tesauro pour mieux voir les réflexions théoriques de l'époque. Cette idée est, certes, intéressante, et l'auteur en tire un profit réel pour son étude, tout en allant, c'est du moins notre avis, un peu loin dans les parallélismes qu'il voit entre les idées de Tesauro et la sémiotique moderne (p. 20). Nous ne sommes pas non plus convaincu quand, se fondant sur une citation de Curtius, l'auteur affirme que l'hyperbole «signale l'insuffisance» de la métaphore : «si je dis que tel homme est plus fort qu'un lion, je rejette en même temps une métaphore telle que : cet homme, ce lion, qui resterait en deçà de ce que je veux exprimer» (p. 32). Ne pourrait-on pas, dans ce cas, aussi bien penser que l'identification formelle de la métaphore l'emporte sur la différenciation fortement soulignée de la comparaison hyperbolique? Un argument en faveur de cette hypothèse pourrait être la correction implicite qu'applique le lecteur aux deux procédés: il n'est pas sûr que cette correction n'aille pas plus loin dans la réduction de la différence formelle que dans celle de l'identification. En tout état de cause, il y a lieu de rappeler ici la complexité des phénomènes qui ne permettent peut-être pas de trancher si vite.

Un autre problème à résoudre, pour aboutir à une classification satisfaisante, est posé par le groupe nom + de + nom. Quels sont les exemples de ce type qu'il faut classer comme des métaphores in praesentia, et ceux d'entre eux qui sont des métaphores in absentia? Faut-il, pour y répondre, chercher les critères dans la structure immanente de la trope ou bien faut-il établir les critères en se fondant sur les points de départ conceptuels? Quoi qu'il en soit, nous hésitons un peu devant la distinction que l'auteur semble voir entre la flamme de F amour (in praesentia) et la flamme du cœur (in absentia) (p. 152).

A propos des métaphores in absentia qui se fondent sur l'implication du comparant,on admire de nouveau l'esprit critique et la finesse de l'auteur, notammentdans ses discussions avec Michel Le Guern (p. 148 ss.). L'argument qu'avanceM. Hallyn pour voir une liaison étroite entre les métaphores du substantif et celles du verbe, c'est que les deux procédésauraient pour effet «une lecture bi-isotope, s'organisant autour des deux pôles du comparé et du comparant» (p. 150). Si, en effet, une telle lecture nous paraît bien réelle dans les deux cas, elle ne l'est sûrement pas dans la même mesure:elle nous paraît indispensable pour les métaphores du substantif, alors qu'elle l'est beaucoup moins pour une métaphore du verbe ou de l'adjectif. Autrement dit,

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nous estimons que dans le dernier cas, il n'y a pas de véritable transfert de sens, ce qui, probablement, a pour conséquence que la lecture bi-isotope doit être considéréecomme étant d'une autre nature.

La quatrième partie de l'étude est consacrée à ce qui est appelé «le développement métonymique de la métaphore». On y trouve, une fois de plus, à propos de l'allégorie ou de la métaphore continuée, une application du célèbre article de Roman Jakobson sur les deux concepts clés, la métaphore et la métonymie. Dans le cas précis, les théories de Jakobson ne nous paraissent pas entièrement satisfaisantes; tout au moins reste-t-il, pour ce type d'images, plusieurs problèmes assez difficiles à résoudre. Quand on s'aperçoit, à la page 183, que la double fonction des récits allégoriques est ainsi caractérisée: «ils stylisent le réel et l'élèvent à la hauteur d'un modèle exemplaire», on a envie d'ajouter que cela est très juste - pour une partie des exemples qui précèdent! La distance qui sépare d'Aubigné, par exemple, d'un Tristan FHermite est tout de même considérable.

On aura compris que l'étude de M. Hallyn représente un travail très patient, fondé sur une documentation abondante. Ajoutons que cette étude ne se contente pas de présenter une classification et des commentaires judicieux, mais que la conclusion de l'auteur constitue une tentative très suggestive pour intégrer les résultats analytiques dans un contexte moins rigide, à savoir celui de la cosmologie de l'époque. Là, comme ailleurs, les idées sont présentées avec beaucoup de netteté et de conviction. A tel point, peut-être, que ces qualités risquent d'entraîner le défaut qu'elles impliquent: un certain manque de nuances. L'auteur nous a si bien montré la diversité des phénomènes que nous sommes amenés à hésiter devant le caractère presque trop univoque de la conclusion. Il est, cependant, manifeste que M. Hallyn parvient, dans une très large mesure, à «établir un cadre de référence (...) par rapport auquel l'originalité des poètes puisse être saisie» (p. 6). La discussion que nous venons de mener, à propos de quelques points délimités, ne réduit en rien notre respect et notre admiration pour le travail accompli ; bien au contraire : c'est en subissant l'épreuve d'une critique qui frôle parfois le pédantisme qu'un ouvrage comme celui de M. Hallyn peut faire preuve de toutes ses qualités.

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