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Revue Romane, Bind 12 (1977) 1Guiron le courtois, décadence du code chevaleresquepar Michel Olsen IntroductionSi le public cultivé, mais non spécialiste, a entendu parler de Guiron le courtois, cela tient certainement à l'importance qu'a eue ce roman comme source où ont puisé Boiardo et Arioste. Les travaux de Rajna et de Reichenbach ont montré à quel point ces deux auteurs ont exploité la matière contenue dans Guiron. D'autre part, depuis De Sanctis, on ne cesse de revenir sur l'esprit particulier qui distingue, d'une part, les Orlando, furioso et innamorato (malgré les différences notables entre ces deux «romans ») et, d'autre part, les romans de la première littérature chevaleresque. Dans ces comparaisons, on se réfère, soit aux romans de Chrétien de Troyes, soit aux chansons de geste (et surtout à la Chanson de Roland) pour remarquer que l'esprit collectif, le projet d'un groupe aristocratique, voire de la Chrétienté entière, semble jouer un rôle très faible: si le but de la macro-intrigue narrative est bien le combat contre ies Sarrasins, tout lecteur de Boiardo ou d'Arioste n'a pu s'empêcher de s'étonner de l'oubli, voire de l'inconscience presque totale dont font montre les célèbres héros de la Chrétienté lorsqu'est en jeu la victoire de la Foi. Le manque d'esprit collectif aurait pu être compensé par un développement du service d'amour. Or, sur ce point aussi, les deux romans tardifs semblent se distinguer de la première tradition courtoise. Certes, on a remarqué que l'image de la femme que peignent ces romans n'est pas celle de la première courtoisie, mais les chercheurs, bien qu'ayant constaté un certain cynisme chez Boiardo, affirment que son poème contient aussi des épisodes d'amour sérieux (cf. Reichenbach et, dernièrement, Kremers 1973 p. 29). En ce qui concerne Arioste, si l'on est d'accord pour voir chez lui une transformation encore plus radicale que chez Boiardo, les interprétations de cette transformation varient: pour Capellani (p. 54) il s'agirait d'un sourire ironique, mais conciliant; pour Kremers (p. 106 s), le Furioso articulerait un antiféminisme prononcé. J'aurai peut-être
l'occasion de revenir plus tard sur ces problèmes. Je
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dirai pourtant tout de suite que les observations par lesquelles les chercheurs cités illustrent leurs opinions divergentes ne me semblent erronnées ni les unes ni les autres. Le problème essentiel est d'essayer d'articuler les différentes«affirmations narratives» les unes par rapport aux autres, afin d'établir un système, qui sera parfois en contradiction avec lui-même (c'est là la caractéristique des idéologies, bien qu'à des degrés différents), mais qui, du moins, ne sera pas atomiste. Evidemment un tel travail sera une entreprise de longue haleine, mais la contribution présente pourrait servir à établir un système d'une courtoisie tardive qui entre, comme présupposée, dans les poèmes de Boiardo et d'Arioste. Ces deux auteurs s'articulent sur l'arrière-fond d'une tradition, et une partie de cette tradition semble pouvoir s'exprimer dans le système qu'on trouve dans Guiron le courtois. Le choix de ce roman peut se justifier sur plusieurs points: Io La recherche
des sources a établi un rapport entre Boiardo-Arioste et
2° Ce roman est moins lié à la matière qu'il utilise que les versions en prose de romans antérieurs {Tristan, Lancelot-Graal). En effet, il situe une partie de la fiction avant la Table Ronde, au temps d'Uterpendragon et de la jeunesse d'Arthur (il s'agit de ce que la tradition italienne appelle la «première table»). L'auteur a donc pu donner libre cours à son imagination pour inventer des aventures particulières. 3° Dans l'ouvrage de Pio Rajna: le Fonti dell'Orlando Furioso, on trouve une esquisse d'analyse structurale de Guiron. Quant à l'antiféminisme, Rajna en a dégagé les traits les plus importants. Toutefois, ses remarques se trouvent échelonnées le long du texte (qui commente, chant par chant, les sources de Y Orlando Furioso). Comme on le sait, l'ouvrage de Rajna, abondamment utilisé, a fait l'objet d'une critique de principe par l'esthétique inspirée de Croce, à commencer par celle du maître lui-même: «Agli aneddoti piuttosto che alla storia della critica appartengono le preferenze date dai letterati tedeschi romantici (e in certa guisa rinnovate testé in Italia dal Panzini) al Boiardo, come al poeta dei grandi sogni eroici, sopra l'Ariosto, poeta borghese; o al Boiardo stesso per aver meglio rappresentato la forma logica del poema cavalieresco italiano, prescritta secondo una combinazione eseguita nel gabinetto filologico dell'antiariostesco, sebbene per altri rispetti stimabilissimo e benemerito, prof. Rajna» (Ariosto, Shakespeare e Corneille, Bari 1950, p. 59). Or, s'il est
vrai que le souci philologique a parfois conduit Rajna à
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est particulièrement sensible au jeu des transformations narratives. Dans ce domaine, son ouvrage, pour peu qu'on veuille en systématiser les remarques, apporte encore beaucoup. Dans l'article présent, je les ai utilisées abondamment,et je tiens à dire ici, une fois pour toutes, ce que je lui dois. Guiron le courtois n'a été imprimé que dans des versions du XVIe siècle, mais on possède maintenant une bonne description de la tradition manuscrite, ainsi qu'une analyse détaillée de ce long roman, dues l'une et l'autre à Roger Lathuillère: Guiron le courtois, étude de la tradition manuscrite et analyse critique. Cet ouvrage contient aussi une bonne étude littéraire (chapitre VIII) qui renseigne sur les sources et apporte quelques remarques précieuses sur les traits distinctifs de ce roman. Une remarque s'impose: il peut être problématique de faire une étude structurale sur un résumé, une «analyse ». Mais il me semble mieux de fonder une étude sur l'analyse d'un manuscrit du XIIIe siècle que d'utiliser un roman remanié du XVIe. Evidemment des nuances seront perdues (bien que les larges extraits que donne Lathuillère, complétés par des épisodes entiers imprimés dans l'ouvrage de Rajna, permettent de se former une idée du style du roman); toutefois les articulations des grandes unités narratives semblent fidèlement rendues (de sorte qu'on peut, sur quelques points de détails, mettre en doute les interprétations de Lathuillère à partir de son propre résumé). Selon Lathuillère, Guiron le courtois a été composé vers 1235 par un auteur inconnu (GC p. 295. et 34). Le roman est resté inachevé. Il est pourtant presque certain que l'intrigue aurait dû déboucher dans la «matière de Bretagne» telle qu'elle se trouve dans les romans en prose du début du XIIIe siècle : le Tristan et le Lancelot-Graal. Tel qu'il se présente à nous, le texte ne contient pas de «macro-intrigue» continue - et voilà déjà une première observation assez importante. Le début du roman en esquisse bien une, mais elle se perd vite. Il s'agit d'un conflit qui oppose Arthur à Meliadus, le père de Tristan. Ce dernier, ayant enlevé la reine d'Ecosse, est forcé de la restituer, après avoir été vaincu par Arthur. Seulement, Arthur est contraint à son tour de libérer Meliadus, qu'il tient prisonnier, parce que les Saxons attaquent son pays. Une fois la victoire sur les Saxons remportée (GC § 48), il reste à Arthur à punir Claudas, un vassal déloyal. Pourtant, il est diverti de ce projet par une demoiselle messagère qui l'appelle au secours du Morhout d'lrlande, après quoi le texte ne parle plus du conflit qui oppose Arthur à Claudas. Par contre, le
texte se consacre au développement des aventures
particulièresqui Side 70
Le pullulement des aventures particulières est rendu possible par la techniquedu récit rétrospectif; le soir, un protagoniste important se trouve logé chez quelque vavasseur qui raconte ses souvenirs, ou plusieurs protagonistes se racontent des souvenirs pour louer un compagnon ou pour se moquer de lui. Cette technique justifie l'entreprise faite ici d'analyser les aventures commeautant de nouvelles. Une autre technique, celle de l'entrelacement compliqueun peu ce projet: il est parfois nécessaire de relier les bouts épars d'une aventure pour discerner son sens définitif, dernier. Au fur et à
mesure que progressent les nombreuses aventures qui
seront «Vous deussiés
miex a cestui tens plourer que faire joie quar de tous
les chevaliers Remarque: En ce qui concerne la mince « macro-intrigue «, on peut faire observer que la narrativité semble prouver la nécessité des grands vassaux: Arthur, qui garde prisonnier Meliadus - vassal rebelle - est obligé de le libérer. Guiron représente ainsi certainement un pieux souhait de la grande noblesse contemporaine, esprit qui a d'ailleurs dû se contenter de rêves, après que les soulèvements de 1226-27 et de 1240-43 eurent été matés, soulèvements privés d'ailleurs de visée générale. Voici comment J. Madaule (p. 134-35) les juge: «Le baronnage français ne forme pas une classe qui défend des privilèges collectifs. Il s'agit plutôt, entre les grands feudataires, d'une alliance instable comme toutes celles qui se concluent entre les Etats indépendants...» On verra, sur le plan littéraire, que l'idéologie exigeante de la première courtoisie se trouve modifiée en conséquence de cette évolution sociale. Arthur devrait maintenant partir à la recherche des vassaux emprisonnés. C'est ce qu'il fait, mais le récit se perd encore en aventures particulières. Au § 150, le conseil de libérer les preux est réitéré, et au paragraphe suivant Guiron est en effet libéré. Mais cette fin provisoire n'est pas tout à fait sûre. Elle ne se trouve pas dans le manuscrit que suit Lathuillère pour le corps de l'intrigue, mais dans un autre manuscrit, datant de la fin du XIVe siècle (cf. GC p. 89). Lathuillère laisse ouverte la question de savoir si la fin que donne ce manuscrit est due à l'auteur primitif ou à quelque continuateur (p. 115). Pour l'analyse qui va suivre, j'ai choisi comme corpus le manuscrit de base qu'a adopté Lathuillère, et qui fournit la matière au résumé depuis le § 2 jusqu'au § 135. Il s'agit du n° 350 (anc. 6970) de la Bibliothèque Nationale de Paris, ancien fonds français. Ce manuscrit date de la fin du XIIIe siècle (GCp. 62). Il est «composé des cahiers de plusieurs copies mal ajustés» et Side 71
«on y reconnaît au moins trois mains successives» (p. 63). Par conséquent, impossible d'être sûr de travailler sur une version homogène, voire primitive, d'autant moins que la composition, progressant par récits intercalés, offre toutes les possibilités souhaitables aux copistes désireux de faire preuve de dons d'auteur en rajoutant des histoires de leur cru. Il faut donc bien admettreque le corpus est plutôt défini par intuition, en ajoutant toutefois que les traces de la «macro-intrigue» se perdent tout à fait après le § 151. La fin, allant du § 136 au § 151, a été exclue parce qu'elle se trouve dans des manuscritsdu XIVe siècle. Vu le peu de certitude qu'on a en ce qui concerne l'existence d'une éventuelle version primitive, je ne me priverai pas, au besoin,de citer des épisodes pris dans la suite, mais je le signalerai chaque fois. MéthodeL'idée directrice de l'étude présente est de considérer les différents épisodes et histoires intercalés comme autant de nouvelles. Puisque les poèmes de Boiardo et d'Arioste sont presque aussi épisodiques que Guiron, un tel procédé permet de faire une comparaison fructueuse. Mais ce procédé offre en même temps la possibilité de confronter les poèmes chevaleresques avec la tradition nouvellesque proprement dite. En effet, au cours de mes études dans le domaine de la nouvelle du Moyen-Age et de la Renaissance, de nombreux points communs entre la nouvelle et le poème chevaleresque m'ont paru évidents. Cette ressemblance se trouve au niveau des motifs aussi bien qu'au niveau des structures narratives. Il est temps d'esquisser ce que j'entends par structures narratives. Pour une explication détaillée de la méthode suivie, je dois renvoyer le lecteur à mon ouvrage : Les Transformations du triangle erotique. Ici je me contenterai de rappeler l'essentiel tout en me permettant certaines simplifications. Je n'étudierai, d'abord, que les récits erotiques. Ne seront considérés comme erotiques que les récits dont l'objet narratif (en termes greimasiens, v. par exemple 1973) est l'amour (sensuel, platonique, symbolique, peu importe). Comme l'indique le titre de l'ouvrage auquel je renvoie, un triangle constitue la constellation de base à partir de laquelle sont analysées les nouvelles. Ce triangle, connu sous la forme: mari, femme, amant, est susceptible d'une généralisation: Side 72
Ainsi le triangle
peut-il être investi par les termes: parents, fille (ou
fils), A partir de cette constellation de base, j'avais développé une espèce de logique décisionnelle, fortement inspirée par les recherches de Bremond (1964 et 1966). Seulement, au lieu d'ouvrir des possibilités, théoriquement infinies, s'étendant, d'une part, le long d'une chaîne narrative virtuellement inachevée, et, d'autre part, se subdivisant, selon des enchâssements à plusieurs degrés, en une multitude de micro-séquences, toutes descriptibles selon la même formule récurrente, j'ai éprouvé le besoin, pour mon propos, de restreindre autant que possible le nombre des actions. C'est pourquoi, à l'instar de certaines clefs taxinomiques qui servent à déterminer l'identité des plantes, j'ai construit une clef narrative avec quelques énoncés narratifs récurrents, ayant tous pour sujets et/ou compléments d'objet direct un des termes du triangle. L'amant commence en demandant l'objet à l'autorité, qui peut accepter ou refuser à son tour. En cas de refus, l'amant peut, soit user de ruse ou de violence, soit commencer à faire une cour respectueuse. Cela donne trois branches principales: cour, ruse et violence et acceptation (accord entre l'amant et l'objet, mais l'autorité représentée par un terme disjoint de l'objet: mari ou parents, par exemple). Les unités narratives avec lesquelles j'opère sont de deux types: les actions (grosso modo ce que Greimas appelle les énoncés narratifs simples v. 1970, p. 168) et les projets des personnages (grosso modo les énoncés du vouloir de Greimas). Ces derniers peuvent se subdiviser en deux groupes, selon qu'ils précèdent ou suivent l'action. Un projet précédant une action est un projet dans le sens quotidien du terme. Un projet suivant l'action principale, et sans action narrative subséquente, sert, le plus souvent, à stabiliser un système de valeur: une femme peut ainsi se «convertir», soit à la morale, soit à la jouissance erotique, «affirmée» par l'action principale; mais parfois elle proteste, par exemple en se tuant, contre le système de valeur vainqueur (v. pour ce type de nouvelles le Décaméron IV, 1, 5 et 9). Je renonce à reproduire ici la clef narrative : elle est conçue pour comparer différents recueils de nouvelles, et il s'agit ici d'un seul «recueil» (Guiron étant considéré dans ses différents épisodes). D'autre part, les formes narrativesde Guiron sont relativement simples. Mais je procéderai en analysant successivement les trois branches mentionnées: cour, ruse ou violence et acceptation. Les différences principales avec certains recueils de nouvelles seront indiquées en langage presque normal, sans recours à la clef. Cela est d'autant plus facile que ces différences ressortent, pour une bonne moitié, Side 73
d'une
comparaison de la manière dont est investi le triangle,
respectivement L'idée fondamentale de la majeure partie des analyses narratives modernes est d'écarter, du moins provisoirement, les problèmes du réalisme : de ne pas considérer un texte comme une image, une photo d'une réalité fictive, mais possible. Le grand mérite des recherches structurales autour de l'école de Greimas a été de mettre l'accent sur les opérations logiques que cachent les récits. Ceux-ci peuvent être considérés comme des affirmations et des négations opérant sur des systèmes de valeurs (v. surtout Greimas 1970 p. 172 s.). C'est particulièrement évident dans bien des recueils de nouvelles où la réussite et l'échec de l'amour sont liés au rang des amants: on y retrouve toute une combinatoire d'ordre social. Cela n'empêche nullement que les systèmes de valeurs affirmés ou niés ne puissent être autres que sociaux ; mais, le plus souvent, les comportements qui sont narrativement approuvés sont attribués à des termes socialement acceptables: à quelques exceptions près, les beaux sentiments sont réservés aux personnages appartenant aux couches sociales supérieures. Les TTE essayent ainsi, d'une part, de donner une typologie des intrigues et, d'autre part, de dresser une combinatoire sociale. Cette dernière ne semble jouer qu'un rôle réduit dans Guiron. I. Ruse et violencea. RéalisationChose étonnante pour qui sort d'une lecture de Chrétien de Troyes, non seulement la violence semble souvent permise, mais elle va tellement de soi qu'elle se trouve souvent reléguée, sans commentaire, à une place subordonnée de l'intrigue. Il est rare qu'un amant obtienne l'amour par la ruse, mais il a presque le droit de le prendre par la force. Examinons d'abord quelques exemples où un amant conquiert une demoiselle par la force. Au § 78, p. 268, Hector ravit la nouvelle mariée du roi d'Orcanie après avoir mis en fuite le cortège et blessé le roi lui-même. Puis il demande à Helyanor, autre chevalier amoureux de la nouvelle mariée, mais qui n'est pas parvenu à l'enlever, si, à sa place, il lui aurait cédé la dame. Helyanor répond que non, et Hector de poursuivre : «Ge vous veull fere courtoisie tout autre que vous ne feissiés moi, car ge connois tout clerement que, se ge morir vous laissoie (Helyanor se meurt d'amour) que je puisse amender, ge feroie si grant damages encontre chevalerie que ja mais pour home del monde celui damage ne seroit restorés. » Side 74
Dans le passage cité, pas un mot sur les sentiments éventuels de la jeune femme. Et la violence va de soi. La générosité consiste à céder l'objet conquis, mais la conquête par force n'est pas mise en question; elle n'est ni approuvée, ni condamnée (on trouve ces deux possibilités dans les nouvelles): elle va de soi. Une autre forme de violence fonctionne comme justification d'une coutume instituée. Un chevalier a vu enlever, par une troupe de 33 chevaliers, la demoiselle qu'il aimait. Voilà la violence. Puis le chevalier établit la coutume de la douloureuse garde : tout chevalier qui ne veut pas perdre sa demoiselle (et la plupart des chevaliers se déplacent accompagnés de demoiselles) doit vaincre 33 adversaires; c'est alors seulement que la coutume cessera (§ 87, p. 179). En somme, la violence semble aller de soi. Elle n'est pas narrativement condamnée mais, et c'est là une structure qui se répète à propos d'un certain nombre d'autres coutumes, la violence subie est assumée comme modèle de conduite par la victime. (Ainsi une coutume qui répond à une violence semblable se trouve, mais en dehors du corpus, au § 139, p. 348, où Esanor, privé par force de sa demoiselle, lors du passage d'une rivière, gardera un an ce même passage en conquérant les demoiselles des autres chevaliers). Cette structure rappelle d'assez près certains processus d'identification avec l'agresseur fonctionnant lors de la formation de la personnalité dans la prime enfance. (Pour d'autres
formes de violence caractéristiques, toujours
subordonnées Autre remarque: jusqu'ici la violence n'est pas appliquée directement à la demoiselle: celle-ci ne compte pas, on ne lui demande pas son avis, mais, à travers elle, un chevalier conteste la prouesse d'un autre. Au fond, dans bien des cas, une femme ne se distingue guère d'un autre objet de valeur, armure ou épée, par exemple. Dans les exemples de ce que j'ai appelé la «réalisation erotique» (v. TTE p. 24 ss.), c'est-à-dire la conquête de l'objet de valeur qu'est l'amour, la femme n'occupe que la place de Y objet, et non celle de Y autorité. Si, d'une part, elle n'est guère lésée par la violence, d'autre part, elle n'entre pas en ligne de compte comme instance autonome. Il existe quelques exceptions, mais on mesurera combien peu de cas est fait du consentement d'une femme par l'épisode suivant : une demoiselle demande au roi Arthur un champion pour la défendre contre un chevalier qui la poursuitde ses assiduités mais qu'elle hait. C'est le champion qui raconte cet événement, et il insiste sur sa défaite, ainsi que sur l'obligation qui lui a été Side 75
faite par le vainqueur de porter l'écu autour de son cou en signe de honte. Incidemment, on apprend que la demoiselle s'est suicidée par désespoir d'être reprise par le chevalier qu'elle hait. Dans le corpus de nouvelles que j'ai examiné, un tel «mouvement» narratif - que j'ai appelé «révolte» - tend, par contre, à nier la violence qu'a subie la victime. Au niveau des systèmes de valeurs, la violence, et ce qu'elle représente, est condamnée: qu'on pense à l'histoire de Lucrèce. Ici rien de semblable. Une comparaison avec le corpus des nouvelles laisse apparaître quelques différences caractéristiques: généralement, lors d'une réalisation, l'amant s'oppose directement à la femme (qui est donc conçue comme autorité). Ce n'est qu'assez tard, at dans des milieux qui se distinguent de la norme, qu'une ruse ou qu'une violence faite à une dame est considérée comme presque exclusivement dirigée contre l'autorité masculine (mari ou parents). Le Novellino de Masuccio (vers 1475) est caractéristique à cet égard. Or, ce recueil est l'expression d'un esprit aristocratique très particulier. Aussi la distinction entre la branche de la ruse et violence et celle de Vacceptation (l'adultère) tend-elle à s'effacer, ce qui est le cas aussi dans Guiron. La femme n'y est souvent que l'enjeu qui oppose deux hommes. Les nouvelles à séduction {ruse et violence) de Masuccio introduisent, derrière la femme séduite, un homme ayant autorité sur elle et qui est bafoué par la violence qui est infligée à sa femme, tout comme il l'est par une infidélité commise par elle. Alors que la violence est fréquente, la ruse, qui abonde dans les nouvelles, ne se trouve que rarement dans Guiron, lorsque la victime en est une femme. Par contre, on le verra, la ruse dirigée par une femme contre un homme y est fréquente. b. Non-réalisationSi, dans Guiron, on trouve des violences réalisées, il est pourtant beaucoup plus fréquent de constater que la violence reste non-accomplie. Contrairementà la majorité des nouvelles, une violence est généralement empêchée par un autre chevalier, qui sauve la demoiselle menacée. Jusqu'ici rien ne distingue Guiron des romans de la première courtoisie : le code courtois imposeaux chevaliers de protéger les demoiselles. Seulement, à y regarder de plus près, dans les cas de violences empêchées, l'opposition fondamentale passe entre adversaires masculins, et, chose encore plus étonnante (du moins pour qui ne connaît pas le système des violences réalisées), le chevalierviolateurest rarement condamné: il continue généralement à appartenir au Side 76
groupe des personnages positifs, et un même chevalier peut appartenir, tantôt au groupe des victimes, tantôt à celui des violateurs. Ainsi, le roi Pharamond, à qui le roi Ban enlève la reine (§ 12, p. 196), enlève lui-même une demoiselle (§ 71, p. 259). D'ailleurs, le rapt de la demoiselle ne reste pas longtemps le centre d'intérêt: pendant que Pharamond affronte Lac, qui a promis à l'ami blessé de la demoiselle de la délivrer, ladite demoiselle est enlevéepar Danidain l'orgueilleux, cousin du misogyne Brehus, sur lequel je reviendrai. Ainsi, que la violence réussisse ou non, la dame ou la demoiselle semble n'être plus que l'enjeu d'une lutte entre hommes. Il est donc plutôt erroné de parler de violence; cette formulation provient du fait que le modèle descriptif a été élaboré à partir d'un corpus de nouvelles. Néanmoins, elle peut être utile, car indirectement elle établit comment les femmes sont considérées dans Guiron. Le nombre des cas de non-réalisation de la violence où un ravisseur est privé de sa proie par un adversaire masculin est important. Mais que devient alors le code chevaleresque qui exige la protection des demoiselles ? Si une demoiselle est l'enjeu d'une lutte entre hommes, comment peut-elle garder des droits en tant que femme? Le texte se tire d'embarras en établissant une distinction: si une demoiselle est «sans conduit de chevalier», un chevalier se déshonore en lui faisant violence. C'est le cas du grand couard dans Guiron: Henor de la Selve. Voyant arriver une belle demoiselle accompagnée seulement d'un écuyer, d'un nain et d'une vieille femme, il tente de s'emparer de la demoiselle, mais il est renversé par le nain! (§ 69, p. 258). Il existe quelques cas où la dame qui refuse est l'autorité menacée. Ainsi la dame de Malohaut, que Lac vient de ravir, implore sa pitié. (§ 63, p. 252). Voilà donc une femme qui refuse pour de bon, mais notons qu'il s'agit d'une des héroïnes du poème. Dans d'autres cas, les protestations des demoiselles ont un statut différent; on les trouve dans un groupe d'intrigues, toujours construites à partir d'une violence projetée. c. RenoncementEntrent dans ce groupe les personnages qui, ayant d'abord projeté une violence, renoncent à celle-ci. Très souvent, dans le corpus des nouvelles, le renoncement s'exerce envers une femme elle-même autorité. Dans Guiron, on le verra, le cas commun est celui du chevalier qui renonce à enlever une demoiselle à un autre chevalier, et non pas celui où c'est à la demoiselle que ce chevalier renonce à faire violence. Il existe pourtant quelques exceptions: Side 77
Ainsi, le Morhout vient de libérer une demoiselle qu'il a promis de rendre à son ami à elle. Chemin faisant, il lui semble pure bêtise de ne pas garder une aussi belle demoiselle pour lui-même, et il commence à lui faire une cour très empressée. Elle refuse, disant qu'elle est vierge, et le Morhout de commenter: «Je fuis tous esbahis car ge n'avoie pas apris que puceles chevalchassent adone avec chevaliers errans» (§ 82, p. 274). (Incidemment le lecteur est mis en garde quant à la nature de ces demoiselles dont fourmille Guiron.) Le respectueux Morhout est raillé par les chevaliers qu'il rencontre : laisser une telle demoiselle vierge fait douter de sa virilité. Puis ils rencontrent un jeune chevalier qui se révèle être le meurtrier d'un parent de la demoiselle. Le Morhout veut la venger, mais, auparavant, elle lui demande une grâce (en blanc). Cette grâce obtenue, elle lui demande de l'accorder au jeune meurtrier. Et elle ajoute: «Ge l'aim tant de bon cuer sans faille corne damoiselle porroit amer chevalier et vous hé ge de tout mon cuer» (p. 274). La logique narrative de cet épisode est assez claire : le code chevaleresque n'est pas attaqué ouvertement. Le Morhout est un héros respectable, mais mal lui prend de suivre le code chevaleresque : par sa conduite, la demoiselle qui se prétend vierge montre que la générosité du Morhout est mal placée. Les railleries des compagnons statuent sur le sort qui est réservé aux jeunes filles seules. Ces jeunes filles sont jugées, non pas selon les lois d'un univers féerique, mais quasiment comme si elles appartenaient à l'univers quotidien. La présence des demoiselles dans le roman est qualifiée d'irréaliste par le texte lui-même. Si elles sont pourtant beaucoup plus nombreuses que dans les premiers romans courtois, leur présence est probablement due à d'autres raisons: l'argumentation antiféministe, qu'on est en train d'analyser. Finalement, on peut deviner les raisons pour lesquelles la jeune vierge se met à haïr le Morhout. Guiron est un des premiers romans courtois à adopter le lieu commun de l'insatiabilité sexuelle de la femme, manifestée par son refus non sérieux. Mais il donne dans l'antiféminisme vulgaire présent dans la plus grande partie des recueils de nouvelles. d. Non-réalisation (bis)Si l'on revient aux non-réalisations, on trouve d'autres cas où un chevalier porte secours à une femme qui semble être en passe d'être violée; mais, souvent, les cris de la femme sont pure ruse, poussés pour attirer le chevalier secourable dans quelque guet-apens. Là encore, la logique narrative est en contradiction avec le code courtois. C'est le cas au § 155 (p. 362), où Ariohan, averti d'avance, ne se laisse pas prendre au piège. Ce passage n'appartient Side 78
pas au corpus,
mais celui-ci s'y réfère au § 52 (p. 239), où Ariohan
punit de Pourtant, le code qui veut qu'un chevalier errant porte secours aux demoiselles en détresse reste en vigueur, mais, souvent, la logique narrative argumente contre ce code courtois, et cela d'une manière assez simple: il suffit d'inventer une intrigue qui montre les suites malheureuses du secours prêté. Par exemple, un chevalier est en train de punir une femme. Survient un autre chevalier qui, généralement, écoute les avertissements du chevalier punisseur, mais passe outre et sauve la femme (en vainquant le punisseur). Puis il apprend, soit par sa propre expérience, soit par le récit du vaincu, la faute ou l'indignité de la femme. Ce type d'intrigue mérite qu'on lui consacre quelques exemples : Au § 81 (p. 272) Pharamond libère une dame qui est fouettée. Elle avoue s'être enfuie avec un chevalier monstrueux. (Selon Rajna (p. 377), elle prétend avoir été enlevée de chez son frère. Rajna suit le manuscrit de Turin, endommagé depuis par l'incendie de 1904, v. GCp. 82 s.). Mais lorsqu'elle rencontre de nouveau le laid chevalier, c'est celui-ci qu'elle choisit. On a déjà vu une
demoiselle choisir le meurtrier d'un parent plutôt que
Helyan libère une demoiselle qu'un autre chevalier voulait livrer à Brehus sans pitié, le grand punisseur des femmes. Elle s'est rendue coupable d'avoir couché avec un nain. Le chevalier vaincu prédit qu'elle portera malheur à Helyan et, en effet, il rencontre de grosses difficultés à cause de l'orgueil de la demoiselle (§ 86, p. 278 et § 88, p. 281). Dans le personnage d'Elyde, on trouve l'incarnation de la pure méchanceté féminine. Elyde est un des modèles de Gabrina d'Arioste (cf. Rajna p. 282 s.). Elle est vieille et laide, et un chevalier force le Morhout à l'accepter comme amie. (Ce chevalier aime Elyde de tout son cœur et c'est elle qui le prie de contraindre le Morhout à l'accepter). Mais une fois la cause gagnée, elle ne songe qu'à faire tomber le Morhout dans quelque mauvais pas. Elle le dénonce au père d'un jeune chevalier que le Morhout a tué par mégarde, dans le seul but d'accomplir la promesse forcée de protéger Elyde, car le jeune chevalier tué connaissait celle-ci et voulait la punir de mort. Il s'agit donc du comble de l'ingratitude (§ 86, p. 278 - § 88, p. 281). Dans cette intrigue, le forfait est évidemment plus grave que celui qui consiste à choisir un amant indigne. Ce type d'intrigue est répété au § 88 où une autre demoiselle est cause de la mort de son protecteur. Souvent, le
code chevaleresque est respecté malgré l'évidente
culpabilité Side 79
demoiselle qui a attiré son amant dans un guet-apens. Ce protagoniste agit de même dans une autre circonstance, où pourtant la demoiselle a causé la mort de son amant. Guiron souhaite que la déloyale tombe sur Brehus sans pitié, et c'est en effet ce qui arrive (§ 106, p. 303 et Rajna p. 286 ss.), mais le misogyne Brehus se laisse charmer par la belle, pour se voir bientôt abandonnédans une cave souterraine (§ 108, p. 305). Le motif est repris dans Y Orlando furioso où c'est Pinabello qui fait tomber Bradamante dans la cave. A noter le changement de sexe du coupable et de la victime. Les punitions des demoiselles indignes ou coupables sont rares. Au § 99 (p. 294), une demoiselle est sur le point d'abandonner son ami parce qu'il a été désarçonné. En effet, elle n'avait promis de le suivre que tant qu'il resterait vainqueur. Mais Guiron, l'ayant conquise, la menace de la donner au premier nain venu. S'il la restitue finalement à son ami, c'est que celui-ci déplore toujours sa perte en suivant à pied Guiron: donc la générosité s'adresse au chevalier (à l'homme) plutôt qu'à la femme. J'y reviendrai. Outre Brehus et Danidain, qui tuent les femmes coupables (§ 16, p. 199 et § 72, p. 260), cette action est accomplie par Ariohan (§ 52, p. 239, v. cidessus p. 77). Mais le texte ne présente guère les femmes sous un jour favorable. Dans quelques exceptions, assez impressionnantes, il est vrai, on verra que le rôle de la femme positive se borne à la passivité. Si l'antiféminisme est bien réel, on peut pourtant isoler, dans la polémique contre les demoiselles messagères, une pointe poussée contre la féerie des premiers romans courtois, où le merveilleux (l'aventure) est souvent annoncé par une telle créature «sur un mule ambiant». Le roi Leodagan est ainsi la victime d'une trahison d'une telle demoiselle messagère sans que le texte développe la punition éventuelle de la coupable (§ 52, p. 240). Un épisode curieux est celui du chevalier couard qui ne veut courir aucun risque pour reprendre sa femme: «Ge veull miex laissier ma mouiller a tos les deables d'enfer que ge meisse mon cors a morir por acoison de li délivrer » (§ 80, p. 270). Certes, le mari est couard, mais le texte est peut-être moins loin de son avis que l'on ne croirait à première vue. La femme qui, après plusieurs péripéties, vient d'être conquise par le Morhout, est laissée libre de choisir son mari couard, ce qu'elle fait. Je suis loin de voir dans ce trait, contrairement à Lathuillère (p. 148), une «épouse aimante dont rien ne saurait ternir l'affection ». Après le choix, le Morhout demande furieux au mari : «Et qui seroit ore la dolente, la vili et la deshonouree qui laissast moi por prendre vous. » (p. 27Ì). Et le mari de répondre: «II n'a grantment dame el monde qui ausi bien ne me vauxist comme fait ma moiller proprement et qui vous laissast par moi prendre. » N'est-ce pas là une condamnation implicitedu Side 80
plicitedumari
aussi bien que de la femme? Comme dans les autres
exemples e. Renoncement (bis)A part les quelques cas traités ci-dessus, le statut modifié de la femme, par rapport à la première littérature courtoise, se retrouve dans cette catégorie: de même que la plus grande partie des non-réalisations erotiques se font au profit de l'homme (un chevalier rend une demoiselle enlevée à un autre chevalier en la reprenant au ravisseur, c'est-à-dire en empêchant une violence considérée comme normale par le texte, de même, lorsqu'un chevalier renonce à emmener une demoiselle qu'il a conquise (ou qu'il peut enlever sans résistance), ces renoncements généreux se font, le plus souvent, au profit d'un autre homme, d'un autre chevalier. Dans le corpus des nouvelles, on trouve assez souvent une histoire bien connue: un homme tenant en son pouvoir une jeune fille (ou une femme) renonce à abuser d'elle. Le plus souvent, cet acte généreux s'exerce en faveur de la femme, bien qu'un autre homme (mari, fiancé) puisse en profiter indirectement (en ne voyant pas déshonorer l'objet de son amour). Souvent, le récit laisse entendre que dans le cas où l'homme aurait abusé d'elle, la femme aurait mis fin à ses jours. Dans le passage traité ci-dessus (p. 73), Hector cède la femme que lui et Helyanor aiment parce qu'il sait que son ami mourrait de chagrin s'il perdait l'objet de son amour. La mort d'amour (sous forme mitigée: la folie) peut, sans trop de peine, être rattachée à la première courtoisie. Mais le fait important, c'est que l'autorité qui accorde le «guerredon» après un comportement tendant vers le suicide (comportement qui tient du cliché) est un homme: celui qui possède de droit la jeune fille pour l'avoir conquise. Bien plus que l'amour, ce récit loue la générosité et l'amitié. (On trouve ce type de récit dès la Disciplina clericalis n°2, «De Integro Amico », repris par Boccace dans le Décaméron X, 8). Dans un autre exemple (§ 77, p. 266), Adalon, accompagné d'une belle demoiselle, est renversé en joutant contre Hector. Le résumé laisse pourtant entendre qu'Hector ne profite pas de sa victoire; ce qui importe, c'est que la demoiselle semble oubliée en faveur de l'amitié naissante entre deux chevaliers qui viennent de se battre. Un autre
épisode jette un éclairage curieux sur une des fonctions
dévolues Side 81
victimes d'un enchantement, mais il est désarçonné à son tour. Guiron lui laisse pourtant les demoiselles, en guise d'excuse pour l'avoir désarçonné. Ici elles ne comptent que comme les «points» d'un match sportif (§ 138, p. 346). Il est inutile d'apporter d'autres exemples: on va retrouver la même structure en examinant la branche de l'acceptation. II. AcceptationDans cette branche, deux amants s'opposent à une autorité (souvent un mari). Le nombre d'exemples de cette branche est abondant dans le corpus des nouvelles. On y retrouve toutes les intrigues d'adultère classiques, qu'on peut répartir en deux groupes principaux selon le succès ou l'échec des amants. Dans les cas de succès, les nouvelles opèrent, dans la presque totalité des exemples, avec le «camouflage»: les amants arrivent à cacher leur liaison au mari par quelque tour astucieux. Si le camouflage échoue, les amants sont le plus souvent livrés à la punition du mari. (Evidemment, dans le corpus de nouvelles, d'autres possibilités existent aussi, mais je peux les négliger ici.) Dans Guiron, les choses se présentent autrement. Tout d'abord, il ne semble pas que ce roman contienne de camouflages d'adultère, du moins sous forme développée; généralement, les amants sont découverts, et c'est leur sort ultérieur qui constitue la question à laquelle la narration apporte une réponse. Les punitions pour adultère sont rares. Je n'en trouve qu'un exemple non-problématique : Danidain a tué l'amant de sa femme, mais cet acte ne forme que le présupposé de l'action (qui oppose Danidain à Meliadus, cousin de l'amant tué; v. § 79, p. 269-70). Approuver la punition de l'amour cadrerait mal avec l'esprit chevaleresque, de quelque nuance qu'il soit. Il faut donc s'attendre à des non-punitions. Au § 14, le Morhout réussit à gagner les sentiments de l'amie du Bon Chevalier sans peur. Une nuit, ils s'apprêtent à fuir ensemble. Mais le Bon Chevalier se lève ; il n'a pas le temps de s'armer, mais néanmoins il l'emporte sur le Morhout, qui est grièvement blessé. Cet épisode est raconté afin de faire ressortir la valeur du Bon Chevalier. La demoiselle est simplement reprise, et le récit n'insiste pas sur son sort. Elle n'est pas punie et, d'autre part, le Bon Chevalier n'est pas couvert de ridicule, ou simplement moins estimé, parce qu'un autre lui a été préféré. Ces deux problématiques, qui auraient pu être développées dans un recueil de nouvelles, sont simplement passées sous silence dans Guiron. Dans l'épisode traité, la demoiselle fonctionnecomme Side 82
tionnecommeun
simple objet qui peut changer de main. Son comportement
La non-punition
peut cependant servir à condamner narrativement l'amour,
Au § 98, Heliados veut punir sa femme et son ami Heluan qu'il a pris en flagrant délit d'adultère. Heluan l'a trahi, quoiqu'Heliados, lui, ait refusé de tromper son ami lorsque la femme d'Heluan lui faisait la cour. A y regarder de plus près, l'adultère s'avère un cas de faute beaucoup plus grave : la faute d'ingratitude, et, ce qui importe encore plus, le conflit oppose deux hommes; la femme n'est qu'un enjeu passif (d'une honnêteté passable, puisqu'elle a été sollicitée plusieurs fois avant de céder aux prières d'Heluan). Survient Guiron, qui conseille à Heliados d'épargner sa femme et de punir l'amiamant. Mais Heliados épargne aussi son vieil ami. L'amitié, d'autres exemples le montrent également, passe avant l'amour. Cette intrigue se retrouve d'ailleurs, sous forme beaucoup plus élaborée, dans un des épisodes les plus pathétiques (§§ 63-65). Guiron aime la femme de Danain le Roux, qui est par ailleurs son ami. Après des péripéties dramatiques (la dame de Malohaut, femme de Danain, a été enlevée et Guiron l'a délivrée), il se trouve finalement seul avec elle. La dame de Malohaut est décrite avec une grande sympathie. On lui attribue un débat intérieur entre Amour et Honte, et, de même, l'âme de Guiron est le siège d'un conflit entre Amour et Courtoisie. Mais c'est la femme qui fait les premières avances. Finalement, Guiron oublie toute «courtoisie» (le terme est curieux) et veut accomplir son «vilain talent». Mais au moment de succomber, son épée tombe dans l'eau. Laissant la dame, il va la ramasser! Ce faisant, il lui arrive d'en lire l'inscription: «Loiauté passe tout et trahison honnist tous hommes dedens cui ele se héberge» (§ 65, p. 254). Se jugeant coupable de trahison envers son ami Danain, Guiron se transperce d'un coup d'épée. Un quiproquo provoqué par un faux témoin fait croire à Danain que Guiron l'a trahi, ce qui prolonge ce conflit passionnant. Finalement tout s'éclaire, et Guiron, blessé, est hébergé au château de Danain. Avant qu'il ne soit guéri, Bloie, une demoiselle qu'il aime, le prie de venir la voir. Cette invitation ouvre la seconde séquence. Ne pouvant aller au rendez-vous, Guiron prie Danain de s'y rendre pour donner des nouvelles à Bloie (§ 91, p. 238 s.). Danain tombe amoureux de Bloie, soupire en vain et finit par l'enlever, sans réussir à la convertir aux nouvelles amours (§ 116, p. 314 s.). Plus tard, Guiron rencontre Bloie et Danain, vainc ce dernier et est en droit de lui couper la tête. Mais il l'épargne (§ 119, p. 320 s.). Plus tard, Side 83
Danain trouve l'occasion de sauver la vie de Guiron. Puis il lui demande pardon, et l'amitié est renouée (§ 126, p. 329 s.). Ainsi, dans une trame des plus importantes (interrompue et reprise plusieurs fois durant le roman), même la trahison ne sépare pas deux amis. C'est que l'amour est considéré comme une force néfaste, mais irrépressible. Aussi les longues excuses dans lesquelles se confond Danain lorsque Guiron le rencontre emmenant Bloie de force «... après ce que
Gè la vi, perdi ge si tout le sens que en oubliai tout
semblent-elles acceptées après coup, lors du pardon. Et la citation ne fait que résumer un long débat entre Guiron et Danain sur la force irrésistible, mais néfaste, de l'amour. Contre cette passion un chevalier ne saurait garder «loiauté». Une telle affirmation reste en contradiction implicite avec un lieu commun pris dans «le grand chant courtois», celui de «valoir par amour» (cf. § 15, p. 198). Mais les contradictions avec le code courtois traditionnel sont fréquentes dans Guiron. Notons que, narrativement, la seconde séquence appartiendrait de droit à la branche de la violence (non-punie, mais pardonnée). Si je l'ai traitée ici, c'est qu'elle répond à la première séquence, confrontant le comportement exemplaire du parfait Guiron (surnommé «le courtois ») et celui d'un chevalier excellent, mais d'un comportement normal. Il reste encore une séquence d'adultère dans laquelle il est question de punition : celle qui traite des amours de Meliadus et de la reine d'Ecosse, mais comme elle est précédée d'une séquence de cour, il vaut mieux l'examiner sous cette branche. Si l'acceptation: l'accord entre femme et amant, se propose comme fin, non pas l'adultère, mais le mariage légitime, le ton change. Dans l'épisode d'Asalon et Tesalia, les deux jeunes gens s'aiment d'un amour réciproque, mais la jeune fille est promise en mariage au neveu du roi d'Ecosse. C'est d'ailleurs Asalon lui-même qui a présenté le jeune seigneur à Tesalia; ainsi le neveu du roi d'Ecosse se rend-il coupable de trahison. Au moment où passe le cortège nuptial, Asalon l'attaque, cherchant à libérer Tesalia, mais, après un combat acharné, il est tué de la main de son rival. Plus tard, Tesalia meurt de désespoir en embrassant son ami mort (§ 103-104). Notons qu'ici les jeunes amoureux ne s'opposent pas directement aux parents-autorité, mais au rival préféré. La constellation de la rivalité n'appartient guère à la première courtoisie. On pourrait être tenté de faire dériver la rivalité amoureuse (il y a bien, ici, pour une fois, une volonté de femmeprise Side 84
mepriseau sérieux) de la rivalité chevaleresque (ayant pour objet un signe de prouesse). Toutefois, la structure narrative de la rivalité semble bien appartenirpar excellence aux nouvelles assez tardives (Bandello, Giraldi). Les exemples du Dêcaméron ne poussent pas le conflit à l'extrême (F, 5), ou bien la rivalité ne constitue pas le centre d'intérêt (V, 1). III. CourDans un roman «courtois», on s'attendrait à voir la femme tenir un rôle important. Jusqu'ici, c'est plutôt le contraire qu'on a constaté: en général, la femme est réduite au rôle de pur objet narratif; elle est l'enjeu qui oppose deux hommes, un objet honorifique (comme une breloque remise au vainqueur d'une compétition sportive) dont la «valeur d'usage» est négligée. Par contre, sa valeur d'échange reste intacte. Pourtant les deux autres branches ne sont pas considérées comme essentielles pour les récits courtois. Certes, on trouve l'adultère {Roman de Tristan) et la violence (le plus souvent évitée par la conduite méritoire du héros), mais ces éléments constituent plutôt le fond qui sert à mettre en relief les rapports entre homme et femme, c'est-à-dire, dans le sens le plus large, la demande d'amour. Voilà la
définition de la branche de la cour. Dans Guiron, on la
trouve assez Il y a dans Guiron un épisode où la demande d'amour est exaucée. Cet épisode, l'amour entre la reine d'Ecosse et Meliadus, a été mentionné lorsque j'ai signalé l'absence partielle de «macro-intrigue». En effet, la reine joue, pendant un bref intervalle, le rôle de l'Hélène d'Homère (le texte la compare expressément à ce modèle, v. p. 220 et 228). Cet épisode est amorcé par une séquence de cour (§§ 36 et 37), cour moins sublime que dans d'autres œuvres, car Meliadus craint une trahison de la part de celle qu'il aime (§ 38). Pourtant la reine se révèle sincère; elle partage l'amour de Meliadus et se laisse enlever. Il s'agit donc bien d'une séquence de cour à issue positive. Mais le reste de l'épisode démontre les suites néfastes de l'amour: guerre et destruction. En outre, la reine, livrée à son mari, est jetée en prison (voilà donc une séquence d'adultère qui se conclut par une punition). Seulement, le récit laisse entendre que Tristan libérera la reine. Mais cet épisode n'est pas relaté dans Guiron. Le problème de la culpabilité et celui du statut de l'amour restent en suspens. Par ailleurs,
il y a quelques épisodes d'amour malheureux plus ou
moins Side 85
Guiron qu'elle
tenait prisonnier, mais à qui elle s'est engagée à
rendre la Un autre récit a pour protagoniste Febus, bisaïeul de Guiron. Il vient de vaincre le roi païen de Norhomberlande. Celui-ci, assiégé, lui envoie, en guise de messagère, sa fille, d'une beauté merveilleuse, et Febus ne tarde pas à tomber amoureux d'elle. Il épargne donc son père et se met à accomplir toutes sortes d'exploits pour elle. Lorsque Febus est vainqueur, elle feint d'être heureuse, mais elle «estoit dolens et tristre dedens son cuer», car elle craint que Febus ne lui fasse honte à la fin (§ 113, p. 312). Aussi se contente-t-elle de le payer de belles paroles. Enfin, après avoir tué quatre géants, Febus lui demande de venir le voir, mais elle tarde tant qu'il tombe malade d'amour et se meurt. La demoiselle a tout juste le temps d'accourir à son chevet pour lui dire adieu, après quoi il meurt heureux. Cette mort d'amour la convertit, et elle s'engage à garder le tombeau tant qu'elle vivra. On ne peut s'empêcher de ressentir une impression de duplicité de la part de la demoiselle. Si elle est finalement convertie aux valeurs de la courtoisie, et si Febus meurt, suivant en cela l'exemple de Tristan, on ne saurait affirmer que les amants soient liés par un grand amour partagé. Il me semble qu'on assiste ici au commencement d'une transformation, menant à la figure de la belle dame sans merci, et surtout aux réactions contre cette figure qu'on trouve dans le corpus de nouvelles. Dans ce corpus, on rencontre notamment deux formes de séquence de cour qui peuvent nous intéresser à cet endroit. Dans les deux cas, la dame refuse, ou néglige, la cour qui lui est faite. L'amant réagit en se suicidant, en mourant d'amour ou en se retirant du monde, ou bien en abandonnant la dame. Dans ce second type, l'abandon peut s'accompagner d'une vengeance exercée sur la dame. Ce qui distingue la seconde possibilité de la première, c'est que l'amant ne renonce pas à l'amour en renonçant à la dame : le récit rapporte qu'il trouve un autre objet d'amour ou, du moins, il laisse ouverte cette possibilité. On trouve des exemples de la première possibilité dans YHeptaméron (nouvelles 24 et 64) ainsi que dans les Novelle de Bandello (p. ex. //, 22 et ///, 31). C'est Bandello qui met en œuvre le suicide, et chez cet auteur, il est à noter que l'amant se donne la mort pour un objet indigne de lui, voire indigne tout court. Dans la nouvelle ///, 57, il se suicide pour l'amour d'une prostituée, qu'il aurait pu acheter, comme le font tous les autres. Chacun mesurera
l'écart qu'il y a entre ce type de nouvelles et les
premières Side 86
d'un amour non-partagé pour Lancelot (amour non-partagé, mais respecté par Lancelot, qui, lui, est lié par son amour pour Guenièvre). Dans ces morts d'amour, l'objet pour lequel meurt l'amant(e) conserve sa valeur intacte, alors que, dans Guiron, l'objet est présenté sous un jour équivoque. D'une part, la fille du roi semble désirer la mort de son amant, d'autre part, elle se convertit finalement aux valeurs amoureuses. L'épisode semble «préparer»,à l'intérieur du roman courtois, la structure des nouvelles mentionnées. Il est d'ailleurs la source de l'histoire de Lidia et d'Alceste dans V Orlando Furioso, chant XXXIV. Rajna (p. 468) souligne la fausseté de la demoiselle de Guiron. Quoi qu'il en soit, elle se «convertit», contrairement à la Lidia d'Arioste, qui manifeste, jusqu'au bout, sa haine envers son prétendant. La seconde possibilité est encore plus nettement antiféministe. L'amant se détourne de la dame en la punissant; chez Bandello ///, 39, il la gifle: c'est le motif repris dans Der Handsclwh de Schiller; et dans ///, 17, il séduit et déshonore la dame à laquelle il avait commencé par faire une cour respectueuse. Dans Guiron, on ne trouve pas d'exemple de vengeance directe, mais un autre motif que développent Bandello (//, 22) et Masuccio (n°2l). Une femme refuse la cour de l'amant, mais finalement, ayant entendu son mari vanter la générosité de cet amant, elle tombe amoureuse de lui. L'amant, de son côté, ayant appris que sa bonne fortune est due aux louanges du mari, renonce à cet amour, et la femme se trouve humiliée de voir ses avances refusées. Dans Guiron, il s'agit de l'épisode, déjà mentionné, qui oppose Heluan et Heliados. En effet, ce dernier renonce à son amour pour la femme d'Heluan lorsqu'il devient l'ami du mari. Ici, la ressemblance ne réside donc que dans le trait générique qui veut que l'amitié entre deux hommes compte plus que l'amour pour une femme, mais, dans une version particulière (§ 196, p. 414), on trouve un récit qui a pu être la source directe de la nouvelle de Masuccio. Remarque. Cette source se trouve dans le manuscrit n° 3325 de la Bibliothèque de l'Arsenal. Lathuillère le date de 1250 à 1275. «C'est le plus ancien manuscrit de Guiron le courtois qui nous soit parvenu» (p. 36). Donc, il semble difficile de parler d'une évolution temporelle dans la structure des intrigues par rapport à une version primitive. Mais, souvent, les choses n'en restent pas là. Comme dans bien des nouvelles,la femme éconduite cherche à se venger, faisant croire à son mari que l'amant virtuel a cherché à la séduire ou à lui faire violence. C'est le motif de la femme de Putiphar. Très souvent, dans le corpus de nouvelles, la femme Side 87
est punie de la vengeance tentée, qu'elle réussisse ou non. Tel n'est pas le cas dans Guiron, où les punitions dirigées contre les femmes, je l'ai déjà dit, sont rares. Dans l'épisode d'Heluan, la méprise - le quiproquo provoqué par la femme - est éclaircie, et Heluan, qui avait jeté en prison Heliados, le délivre. Par contre, aussi bien dans Guiron que dans le corpus de nouvelles, la vengeance de femme peut avoir des conséquences tragiques. Je cite pour mémoire l'histoire de la Châtelaine de Vergi, petit roman du XIIIe siècle, repris dans VHeptaméron n° 70, ainsi que chez Bandello IV, 5. Dans Guiron, il s'agit d'un récit qui est une des sources de la fameuse Gabrina d'Arioste. Cet épisode se
trouve aux §§ 106-108. Guiron rencontre un chevalier
Un ami du vaincu s'éprit de la demoiselle, pucelle à cette époque. Le vaincu aussi tomba amoureux d'elle, mais, par loyauté, il réprima sa passion. Pourtant la demoiselle s'aperçoit de ses sentiments et lui fait des avances qu'il refuse. La demoiselle lui signifie qu'il aura à se repentir de son refus, et le chevalier, redoutant les conséquences, s'enfuit. La demoiselle raconte à son ami que le chevalier l'a violée. L'ami poursuit le chevalier en fuite, le vainc et veut lui couper la tête, mais au dernier moment, se ravisant, il le ramène pour le jeter en prison. La demoiselle ne cesse de lui faire la cour, mais, pour toute réponse, elle apprend qu'il restera fidèle à son ami tant que celui-ci vivra. Quelque temps après, la demoiselle prétexte qu'un autre chevalier Jui fait une cour inopportune en l'absence de son ami. Après plusieurs entrevues, le chevalier prisonnier accepte de la libérer du prétendant impétueux. Avec une épée que lui donne la demoiselle, il transperce, dans le noir, un homme que, trop tard, il reconnaît être son ami. Maintenant il est au pouvoir de la demoiselle, qui peut le forcer à l'aimer et le menace, dans le cas où il refuserait, de le dénoncer. Aussi bien dans Guiron que chez Arioste, la femme déloyale se lasse de son nouvel amant. Chez Arioste, elle le fait empoisonner; dans Guiron, elle tombe amoureuse de Guiriet le Petit, chevalier qui s'est lié d'amitié avec le second amant de la demoiselle. L'amitié se montre plus forte que les appas de la demoiselle, qui se voit éconduite dans sa tentative de changer d'amant. C'est pourquoi elle trahit les deux amis (action fréquente dans Guiron), qui, ayant été faits prisonniers, sont libérés par un inconnu, le lendemain. La demoiselle,
ayant été retrouvée et ligotée par son ancien amant, est
Side 88
de tomber dans
les mains de Brehus sans pitié. Et c'est précisément ce
qui Résumons les
résultats qu'a donnés jusqu'ici l'analyse de la branche
de Io Les rapports
de «demande d'amour» évalués positivement ne dominent
2° Une fois, au
moins, le texte n'est pas loin de laisser entendre que
faire 3° La femme éconduite est un être dangereux qui cherche à se venger en opposant deux amis. Ici, comme ailleurs, l'amitié compte plus que l'amour. Tous ces traits se retrouvent dans le corpus de nouvelles, plus ou moins accentués selon les recueils. Reste un quatrième trait remarquable. Dans la littérature courtoise, la maladie d'amour, fonctionnant comme un moyen d'obtenir le consentement de la dame, est un cliché bien connu. Or, dans Guiron, on trouve la maladie d'amour ou un autre comportement suicidiaire utilisés comme moyen de pression, mais la demande s'adresse à un homme, car, le plus souvent, c'est l'homme-autorité qui peut donner la femme objet. J'ai déjà signalé quelques exemples de cette structure qui ont été traités sous le titre de «renoncement» à la violence. En effet l'homme-autorité y renonce à user, ou à abuser, de la femme qu'il a conquise, et cela au profit de l'ancien amant vaincu. Néanmoins, les rapports avec le comportement du soupirant sont frappants, et, nulle part ailleurs, on ne voit, de façon aussi claire, que la dame de la courtoisie, autorité qui peut se donner ou se refuser à l'amant-soupirant, ait été remplacée par un homme-autorité qui, en «faisant cadeau» de la femme, trouve une occasion sans pareille d'étaler sa générosité. Les traits les plus importants du domaine erotique à partir desquels on peut comparer Guiron, soit aux romans courtois, soit aux nouvelles, ont été passés en revue, et l'on a vu que Guiron se rapproche de la veine antiféministe qui caractérise la plus grande partie des recueils de nouvelles, tout en observant, mais superficiellement, le code courtois. Restent quelques autres traits notables. Tout d'abord, le lecteur d'Arioste a pu s'étonner que deux chevaliers puissent combattre, non pas pour gagner une femme, mais pour ne pas la gagner. Dans le Furioso, il s'agit de la scélérate Gabrina, et seulement d'elle, mais, dans Guiron, ce motif revient à plusieurs reprises. J'ai déjà eu l'occasion d'en signaler quelques exemples. Au § 86, c'est le Morhout qui, comme prix d'une défaite, se voit imposer Helyde, laquelle le force à tuer un autre chevalier pour elle. Au § 94 (p. 288), c'est Lac qui impose à Gauvain Side 89
une vieille femme laide. Celle-ci commence immédiatement à l'insulter, et elle obtient ainsi que Guiron l'accepte, toutefois pas comme «amie». Au §145 (p. 353), ce sont deux chevaliers qui mettent le roi Arthur devant l'alternative suivante: accepter, soit le combat, soit une demoiselle. Il choisit la demoiselle, qui se révèle être une vraie traîtresse. (Ce dernier épisode se trouve dans la continuation du corpus traité.) Il existe finalement quelques personnages qui mettent en question le code chevaleresque superficiellement observé. Il s'agit d'abord du fameux Brehus sans pitié, qui poursuit les demoiselles d'une haine féroce. Il sert de Croquemitaine, car les chevaliers courtois, qui se voient dans l'impossibilité morale de punir les demoiselles, les vouent à tous les diables, ou, plus précisément, ils leur souhaitent de tomber aux mains de Brehus (v. ci-sessus p. 87-88). En Brehus et Danidain, son «cousin germain» (v. § 72, p. 260), on trouve clairement exprimée la misogynie que le code courtois empêche Guiron d'ériger en comportement exemplaire. Ils tuent impitoyablement les demoiselles. Toutefois, Brehus devient par la suite un chevalier aussi courtois que les autres, mêlé à des aventures de type normal. En effet, au § 84 (p. 276), il est obligé d'accorder une trêve de dix ans aux demoiselles. Outre ses férocités commises envers les demoiselles, le plus souvent coupables, Brehus se livre à quelques mauvaises plaisanteries. Ainsi, ayant conquis les demoiselles de deux chevaliers, il consent à les leur rendre, mais à condition qu'ils s'engagent à changer de demoiselles! (§ 84, p. 277). Je laisse au lecteur le soin d'apprécier le statut qui est ainsi dévolu à la femme. La misogynie ne préserve pas Brehus de devenir la victime des demoiselles traîtresses (v. ci-dessus p. 79). Bien qu'il partage, sur ce point, le sort des autres chevaliers, il est évident que Brehus victime fait sourire, bien plus que ne le font les autres chevaliers. Boiardo se souviendra de ce comique lorsqu'il fera du brave et chaste Orlando la victime, non seulement d'Angélique, mais aussi d'Origille, créature qu'il trouve sur son chemin, inspirée, probablement en ligne droite, du modèle constitué par les demoiselles dont fourmille Guiron. Le Brehus originel ne se trouve pas très souvent présent dans le récit. (Devenu chevalier normal, il ne nous intéresse pas ici.) Mais il forme un point de référence, étant celui qui peut faire ce qu'on est en droit, après les analyses effectuées, de supposer que les autres chevaliers voudraient pouvoir faire mais ne peuvent faire: punir les femme;». Side 90
L'être et le
paraître L'autre personnage problématique est le couard de belle prestance, le chevalier qui en impose à tout le monde, mais qui, mis à l'épreuve, refuse ou perd pitoyablement le combat. Son nom, Henor de la Selva, est probablement symbolique (henor = honneur). Il ne s'attaque qu'à des adversaires qu'il suppose inoffensifs, mais mal lui en prend: s'il réussit à désarçonner Danain chevauchant sans armes, il prend immédiatement la fuite quand celui-ci veut se venger (§ 69, p. 257). Il croit pouvoir s'emparer d'une demoiselle accompagnée seulement d'un écuyer, d'une vieille et d'un nain, mais il est désarçonné par le nain! (§ 69, p. 258). Il se met à poursuivre le mari qui n'a pas voulu risquer sa vie pour sa femme (v. ci-dessus p. 79 s. et § 80, p. 270 s.); comme il voit qu'en plus du mari, il n'y a qu'un petit chevalier d'apparence misérable pour l'empêcher d'exécuter son projet, il accepte le combat; il est désarçonné et, chose plus notable encore, le petit chevalier est déshonoré pour avoir combattu un couard. La présence d'un couard dans un roman chevaleresque n'a rien de très remarquable. Il est plus intéressant de voir ce couard se présenter sous l'apparence d'un beau chevalier. D'ailleurs, c'est sa beauté seule qui lui ouvre l'accès à la chevalerie, car il est en réalité fils de forestier (§ 67, p. 256). La propagande croissante contre les «vilains» durant l'évolution du roman courtois, voilà un aspect qu'il faudra provisoirement laisser de côté. Elle correspond probablement à une pénétration dans la classe nobiliaire d'éléments L'opposition entre l'être et le paraître est fondamentale dans Guiron, alors que dans les premières chansons de geste et dans les premiers romans courtois, elle occupe une place mineure. Chez Chrétien de Troyes, par exemple, Erec néglige réellement, pendant un certain laps de temps, la chevalerie, et Yvain oublie réellement la promesse faite à Laudine. Dans Guiron, par contre, très souvent les chevaliers paraissent ce qu'ils ne sont pas. Quant à Henor, non seulement il paraît un chevalier brave, mais il est pris une fois pour Guiron le courtois lui-même, c'est-à-dire pour le parangon du parfait chevalier (v. § 145, p. 354, où Arthur renonce au combat avec un chevalier qu'il prend pour Guiron, mais qui est Henor. Ce passage se situe pourtant dans la suite du corpus originel). Inversement, bien des chevaliers parfaits ont des «hontes» à raconter, sur le compte des autres ou sur le leur propre. Parfois, ces «hontes» consistent en des quiproquos qui font que le parfait chevalier est pris pour un couard. C'est ce qui arrive à Guiron lui-même: Side 91
Une demoiselle messagère (de l'espèce malfaisante que j'ai décrite) dénonce un chevalier à l'écu noir (Guiron) comme originaire de Cornouaille (= couard). Il est exposé sur le perron de la vergogne, puis envoyé chez un autre chevalier avec une escorte humiliante, les armes tramées dans la poussière (§ 95, p. 289). Puis il rencontre quelques chevaliers qui se moquent de lui. Il demande la faveur d'avoir ses armes et on accède en riant à sa prière; bien entendu, il l'emporte sur tous (§ 90, p. 382-83). Remarquons ici que l'ordre du récit n'est pas linéaire, comme dans la majeure partie de la littérature du Moyen-Age et de la Renaissance. On raconte d'abord comme se libère un chevalier inconnu, qu'un des vaincus suppose pourtant être Guiron. Puis on donne l'explication de l'état étrange dans lequel se trouve le héros principal. Cette technique in medias res, utilisée, dans Guiron, de façon encore timide, s'implante massivement durant la Contre-Réforme. Elle est alors intimement liée à l'utilisation du quiproquo (v. TTEp. 256 s. et 267 s.). Une aventure semblable arrive à Galehout: il a revêtu les armes d'un couard qui s'est enfui d'une joute. Faussement reconnu pour le couard, il est jeté en prison, mais, après sa libération, il se venge sauvagement de la honte qu'il a subie. Notons aussi que deux des meilleurs chevaliers doivent monter sur la charrette d'infamie. Il s'agit de Danain (§ 67) et de Guiron (§ 203, p. 424). La valeur n'est pas toujours reconnue et la non-valeur peut profiter d'une belle apparence. Une qualité morale est successivement méconnue et reconnue. Cela permet d'établir un rapprochement avec des structures homologues appliquées aux femmes. Or, il se trouve que dans les romans réunis sous l'appellation de «cycle de la gageure», c'est la chasteté d'une dame qui est méconnue, puis reconnue. Ces méconnaissances-reconnaissances précèdent, semble-t-il, les reconnaissances sociales, dans lesquelles c'est le rang (ou la fortune) qui est «reconnu», rendant ainsi possible un mariage qui semblait exclu (v. TTE p. 46 ss.). Si l'on ne trouve pas de reconnaissances à propos de la moralité des femmes dans Guiron, cela tient peutêtre à la misogynie généralisée du roman. Il existe pourtant, en plus de la différence de sexe, une différence de structureavec le premier roman du cycle de la gageure: Guillaume de Dole (vers 1210). Dans ce roman, le quiproquo n'est pas dû à un hasard: c'est le sénéchalenvieux qui médit de l'honnêteté d'une jeune fille noble et pauvre, et c'est la jeune fille elle-même qui amène activement la reconnaissance. Mais, plus tard (romans De la Violette et Du Conte de Poitiers), l'état des choses change, pour laisser une partie des événements, toujours plus grande, au hasard. Or, dans Guiron, les hasards fourmillent: le quiproquo sur la valeur Side 92
de Galehout
n'est pas dû à un adversaire prévisible: personne n'a
formé le La grande importance de l'opposition être-paraître ressort aussi du fait que l'incognito joue un grand rôle. Guiron, le protagoniste principal, apparaît souvent comme un chevalier inconnu. On le croit en prison, mais personne ne s'explique les hauts faits accomplis par le chevalier inconnu; ils sont dignes de Guiron, et, de fait, c'est lui qui, libéré, en est l'auteur. Le lecteur, lui aussi, est laissé parfois dans l'ignorance. A d'autres endroits, le lecteur se trouve du côté du savoir. C'est le cas, par exemple, lorsqu'un chevalier inconnu par rapport à son interlocuteur, fait parler celui-ci. Ainsi le chevalier ignorant peut-il expliquer au mari qu'il aime la femme de celui-ci, et qu'il ne le redoute nullement (§ 66, p. 255). Plus tard, l'ignorant raconte une aventure d'où il résulte, pour le mari et pour le lecteur, que le mari a déjà vaincu le chevalier ignorant (§ 68). Le mari inconnu joue sur le peu de valeur que lui suppose le chevalier ignorant, mais, finalement, l'ignorant étant en péril de mort, le seul cri de guerre du mari suffit à mettre les adversaires en déroute. L'incognito, qui fait qu'un protagoniste est ignorant et que le lecteur est, soit du côté de l'ignorance, soit du côté du savoir, est si fréquent qu'il se trouve à presque toutes les deux pages du résumé. Guiron attribue un rôle extraordinaire au hasard. Les méconnaissances et les quiproquos, dont ce roman abonde, laissent la chevalerie en proie aux circonstances aléatoires. La vie et la mort, l'honneur et le déshonneur peuvent dépendre d'une méconnaissance ou d'une reconnaissance. Il est vrai que les deux protagonistes essentiels, Guiron et Galehout, réagissent avec vigueur contre la méconnaissance de leur valeur. Dans les épisodes mentionnés, on pourrait affirmer que la valeur abolit finalement le hasard: c'est l'action du chevalier qui rétablit, à la fin, l'ordre des choses. En ce sens, la structure de ces épisodes ne se distinguerait pas radicalement de celle de Y aventure - dans laquelle le chevalier «répond» aussi à une sollicitation des événements. Seulement, entre l'aventure de la première littérature courtoise et les épisodes examinés de Guiron, il existe au moins deux différences notables: Y aventure est destinée au chevalier individuel, ce qu'on ne saurait prétendre pour les méconnaissances en question et, d'autre part, la méconnaissance semble d'abord définitive: le lecteur ne se trouve pas dans l'attente d'une réponse (comme pour l'aventure). Il apprend d'abord un malheur arrivé au héros et paraissant irrémédiable, puis, dans une seconde séquence narrative, il apprend la réhabilitation du héros. Side 93
D'ailleurs, les épisodes secondaires sont assez nombreux, où règne le simple hasard: on trouve des méconnaissances d'identité tragiques, qui font qu'un personnage en tue un autre parce qu'il ne le reconnaît pas. Le Bon Chevalier sans peur tue, sans le reconnaître, Lamorat, son ami (§ 20, p. 202). Un fils peut tuer son père par méconnaissance (§ 5, v. aussi le commentaire de Lathuillère p. 144). Ces homicides involontaires marquent la crise de la chevalerie depuis le Lancelot-Graal; cf. par exemple la Queste del Saint Graal p. 154 où Gauvain tue Yvain; et le texte de commenter: «Ce est droite meschaance ». Aussi Guiron commence-t-il à thématiser le hasard. C'est ce qui arrive quand le texte oppose le combat au glaive (à la lance) et celui à l'épée: au § 14, Pharamond raconte une «honte» du Morhout: celui-ci a été renversé d'un coup de lance, et il réplique en affirmant que les coups de lance sont des aventures (= des hasards). Par contre, la vraie valeur s'éprouve au combat à l'épée (§ 21). Qui plus est, s'il est honteux de fuir ou de prendre peur, un chevalier peut bien supporter quelques chutes, du moins au combat à la lance. C'est le Bon Chevalier lui-même (un des meilleurs) qui promulgue cette morale consolante (§ 22). Inutile d'ajouter que, dans les premiers romans courtois, on ne trouve pas de ces raisonnements «laxistes». ConclusionCette étude préliminaire s'est proposée de décrire une chevalerie qui accepte encore l'ancien code courtois, mais qui, dans les structures narratives qu'elle actualise, l'a déjà transformé fondamentalement. Le culte superficiel de l'amour dissimule mal un antiféminisme féroce, et les exploits des protagonistes n'arrivent pas à cacher que les valeurs de la chevalerie se trouvent exposées au premier hasard venu. D'ailleurs, le roman exprime par endroits la conscience de la décadence de la chevalerie. Non seulement cette chevalerie est placée dans un passé mythique: au temps du roi Arthur; c'est là également le cas de la première littérature courtoise. Mais, de plus, Guiron exprime, à Vintérieur du monde mythique, une tendance à la dégradation, se conformant sur ce point à l'esprit du Lancelot-Graal, sans qu'entre pourtant en jeu une perspective religieusequi considérerait la courtoisie comme orgueil ou œuvre du diable. Dans le caveau des Bruns, où une demoiselle traîtresse a précipité Brehus (v. ci-dessus p. 79), celui-ci rencontre les ancêtres du temps d'Uterpendragon, père d'Arthur. A cette époque, les chevaliers étaient plus grands, physiquementet moralement, que ceux qui occupent la scène dans l'actualité du Side 94
récit (§ 111, p. 309). Et, à plusieurs reprises, le roman insiste sur la décadence: Gauvain, sentant sa valeur décliner, se met à commettre des félonies (§2l). Cette caractéristique est reprise du Lancelot-Graal, où la chevalerie est dévaluée par la dégradation de son parangon. Le fils de Guiron le courtois, bien qu'étant toujours brave, a mauvais caractère (§ 130), et une des suites de Guiron (§ 185, p. 397) insiste sur sa félonie et sa cruauté. Il serait trop téméraire d'interpréter ici, de façon succincte, la structure narrative de Guiron à la lumière de l'évolution de la situation de la noblesse. Toutefois, on peut affirmer, sans trop de risques, que le XIIIe siècle fut une période de crise pour la chevalerie. Ayant perdu une grande partie de sa position de force en faveur de la bourgeoisie, menacée par une économie d'argent, la haute noblesse n'a pas encore établi l'étanchéité d'une caste par symbiose avec le pouvoir royal. Elle affirme toujours l'égalité de principe de toute la noblesse. Plus tard, après le règne de Philippe le Bel, la noblesse française se referme, la société se «réféodalise» et l'idéologie égalitaire, valable à l'intérieur de la noblesse, sera plus ou moins oubliée. Guiron serait, dans cette perspective, un roman qui, lié à un code suranné, symbolise la crise de la chevalerie (rôle du hasard) et recherche de nouvelles structures autoritaires (l'antiféminisme, insistance sur l'infériorité des roturiers). L'élaboration de Guiron, commencée vers 1235, s'est poursuivie durant plusieurs siècles. La vitalité extraordinaire de ce roman est, certes, due, pour une partie, à sa composition ouverte qui peut toujours accueillir un épisode supplémentaire. Mais la structure narrative et son esprit général se plient particulièrement bien à la reféodalisation qui se produit dans la France et l'ltalie des XIVe et XVe siècles. Boiardo est, lui aussi, le représentant d'une culture aristocratique qui trouve son identité dans le culte d'un passé aussi glorieux que mythique. Pour ce qui est d'Arioste, les choses sont plus compliquées; aussi assistera-t-on chez lui à une transformation structurale importante, qui fera peut-être le sujet d'un autre essai. Michel Olsen
Roskilde
RésuméL'article étudie les structures narratives de Guiron le courtois en utilisant une méthode qui a été élaborée pour un corpus de nouvelles. Guiron est une source importante des poèmes chevaleresques de Boiardo et d'Arioste. En plus, sa structure peut être considéréecomme «le chaînon manquant» entre les premiers romans courtois et la littérature chevaleresque de la Renaissance italienne. L'antiféminisme, notamment, est réalisé, chez Boiardo et dans Guiron, avec à peu près les mêmes moyens. En effet, l'antiféminisme entre en conflit avec le code courtois, qui consacre le culte de l'amour. D'autre part, on Side 95
trouve dans la
tradition nouvellesque un antiféminisme moins soumis à
ce code. C'est Ouvrages cités:Capellani, N.: La
Sintassi narrativa delUAriosto. Firenze 1952. Greimas, A. J.:
«Un problème de sémiotique narrative: les objets de
valeurs.» In: Kremers, D.: Der
«Rasende Roland» des Ludovico Ariosto. Stuttgart,
Berlin, Kôln, Lathuillère, R.:
Guiron le courtois. Etude de la tradition manuscrite et
analyse critique. Madaule, J. :
Histoire de France I. Paris 1965. Olsen, M.: Les
Transformations du triangle erotique. Akademisk forlag.
Copenhague La Queste del
Saint Graal. Ed. A. Pauphilet. Paris 1949.
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