Revue Romane, Bind 12 (1977) 1

Quatre groupes de la conjugaison -re: craindre : rendre prendre : mettre

par

Alfred Bolbjerg

1. Il ya, dans la conjugaison française en -re, deux groupes qui se distinguent nettement des autres par le nombre assez élevé de leurs unités: les groupes craindre: rendre. Il faut souligner qu'il s'agit ici des unités vraiment simples ('monosyllabiques') et non des constructions plus lourdes comme restreindre, descendre, interrompre, etc.

Les unités du groupe craindre sont au nombre de dix : craindre, plaindre, feindre, ceindre, teindre, peindre, geindre, joindre, poindre, oindre ; celles du groupe rendre, au nombre de seize : rendre, tendre, vendre, pendre, fendre, fondre, tondre, pondre, rompre, vaincre = 10 + tordre, mordre, perdre, battre, sourdre, foutre, (ardre vx.).

Si de tels verbes sont vraiment des unités ressortissant à un groupe, il s'ensuit que des verbes comme mettre ou prendre doivent aussi être reconnus comme des groupes - des groupes singuliers. Les formations remettre, admettre, soumettre, démettre, commettre, promettre, permettre, omettre, émettre, entremettre, {immettre), (mainmettre) - ou reprendre, apprendre, surprendre, déprendre, comprendre, méprendre, éprendre, entreprendre, (perprendrè) - sont basées sur une seule unité simple.

Ce qu'on peut voir immédiatement à partir de la forme extérieure des verbes des deux groupes pluriels, c'est que les unités du groupe craindre ont toujours une voyelle nasale et toujours la même voyelle, tandis que la voyelle du groupe rendre est ou nasale ou orale et, en plus, variable dans les deux cas: rendre, fondre, vaincre / battre, perdre, mordre, sourdre.

La terminaison du verbe présente la même différence entre les deux groupes: le groupe craindre toujours -dre; le groupe rendre ou -dre ou -tre ou même -pre, -kre (occlusives), variation qui - pour tous les verbes de cette conjugaison [consonne + re] - ne se trouve qu'ici.

D'une manière analogue, c'est aussi le groupe rendre qui a une variation
de la structure mediale: r -f- terminaison (perdre, tordre, mordre, sourdre).
Aucun des autres groupes de la conjugaison -re n'a cette combinaison médiale,mais

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diale,maisil y a, dans la conjugaison en -/>, un parallèle notable: le groupe sentir a, outre ses unités nasales, les unités suivantes: sortir, dormir, partir, servir, avec r + consonne, structure qui, pour tous les groupes -ir, ne se trouve qu'ici et dans le groupe finir - qui a les unités suivantes

[-rd-]: ourdir, verdir, nordir

[-rt-]: tartir, sertir, sortir

[-rs-] : farcir, forcir, durcir, noircir

[-rn-] : garnir, vernir, ternir, fournir

[-r3-]: surgir

[-rb-] : fourbir

Le groupe craindre marque sa constance par la nasale la plus rare qui
puisse exister dans les verbes; la nasale [œ] ne se trouve pas du tout emprunter,
est le verbe le plus simple avec [&]).

Le groupe rendre atteint le plus haut degré de variabilité dans vaincre/ rompre (où l'occlusive - différente même dans les deux cas - est un trait à part pour son originalité) et perdre/battre (qui ont - outre la différence mediale - une voyelle personnelle, différente dans les deux cas).

2. On peut aussi constater une différence intérieure entre ces deux groupes. L'analyse révélera une opposition entre le continu et le discontinu, différence qui, dans les circonstances données, montre une ressemblance marquée avec celle qui existe entre Yimperfectivité et la perfectivité - notion analogue sous une lOïme pius generate.

C'est Leibniz qui déjà a eu l'idée d'employer les relations fondamentales (et innées) pour définir les unités de la langue, ces structures souveraines qu'il faut séparer, au moins en théorie, de leur fonction pratique, de leur milieu, car, sous un certain angle, il s'agit vraiment d'éléments irréductibles. Le mot a une signification ou fonction (au sens non-syntaxique) et, privé d'une certaine totalité ou étendue qui conditionne son entité, il cesse d'être. C'est Viggo Brandal qui a compris l'idée de Leibniz et l'a élaborée.

Parmi les relations que ce grand penseur a établies comme fondement d'une étude rationnelle du sens, trois nous importent ici: la symétrie et la transitivité, relations simples et élémentaires, et la continuité, relation plus compliquée, d'une nature synthétique.

La symétrie, si on doit l'illustrer par un exemple gécmétrique, engage deux éléments d'un renversement, d'un accord, comme ( ), et la forme négative de la symétrie est une unilatéralité, un versement, ccmme ( (. La forme positive, le rapport de réciprocité, implique des concepts ccmme la paire, la balance,

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l'équilibre, le support ou la base, tandis que la forme négative - Y asymétrie - indique une direction. L'autre relation fondamentale, la transiiivité, est le concept linéaire impliquant la progression, l'évolution; et sa forme négative, Yintransitivité, est le concept ponctuel, la concentration ou la potentialité. Enfin la relation plus concrète, la continuité, est, à la fois, un renversement et une prolongation: une durée ou une étendue dans les deux sens. D'une manièreanalogue, sa forme négative - la discontinuité - est une synthèse d'une direction et le concept ponctuel, ce qui implique des idées comme la limite, la rupture, et, sous un autre aspect, la perfectivité, le résultat.

La différence évidente entre craindre 'éprouver de la peur' et rendre 'mettre dans un état nouveau; remettre, redonner' est une opposition entre l'imperfectivité et la perfectivité : craindre désigne un état, un sentiment d'une certaine durée, tandis que rendre ('rendre rouge') signifie 'faire devenir' (cf. rougir Io 'rendre rouge' 2°, 'devenir rouge', unité d'une série de verbes du groupe finir: mûrir 'rendre, devenir mûr', etc.).

Plaindre aussi indique l'imperfectivité ('avoir des sentiments de compassion') comme geindre vb. intr. modèle concret, très clair, de l'imperfectivité. Ce verbe itératif peut être opposé à vaincre - pour prendre le seul cas où la voyelle du groupe rendre est la même que celle du groupe craindre. Vaincre est discontinu, perfectif, cf. 'succès, succéder'.

On peut aussi comparer joindre et rompre, où l'opposition entre le continu et le discontinu se manifeste d'une manière différente, mais pas moins claire; toute la série feindre, ceindre, teindre, peindre signifie l'imperfectivité, l'état, la caractérisation, et s'oppose à tendre, vendre, pendre, fendre, verbes qui marquent le résultat, l'état atteint, la perfection, une limite, le discontinu:

feindre 'dissimuler; boiter légèrement': attitude, habitude.

ceindre 'marquer de ce qui sert de protection ou d'ornement ou de marque de
souveraineté': manière d'être organisée.

De même, la continuité peut être un procès d'une certaine durée, d'une
manière d'agir, une technique, un ensemble de procédés:

teindre 'imprégner d'une substance colorante': teindre en rouge, teindre avant
filature. Cf. im-pression.

peindre 'représenter par des lignes, des couleurs; décrire (une personne, une
scène); appliquer une couche de couleur'. Cf. ex-pression.

Ces deux verbes ont comme présupposition la continuité (il va sans dire
qu'il ne faut pas confondre cette notion avec l'opposition entre un aspect non

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accompli et un aspect accompli qui est exprimé par la différence entre le présentet le passé composé: 'il l'a peinte'). Teindre implique un procès, une technique habituelle: 'La garance teint les étoffes en rouge', 'Les mûres teignentles mains', 'La montagne se teint de pourpre', cf. 'teindre la main du sang de quelqu'un', 'se teindre de l'hypocrisie', 'être teint de latin'. Peindre aussi désigne un développement détaillé, mais d'une manière plus distinctive, plus caractérisante: 'Cette action le peint bien', 'Sa douleur ne saurait se peindre', 'peindre tout en beau, en laid'.

Contrastant avec tous ces verbes du groupe craindre, les unités du groupe
rendre sont discontinues:

tendre la main, un arc, un ressort ('disposer').

vendre une maison, un ami ('céder contre. . . ; remettre; trahir').

pendre un cadre au mur, un traître. Ce verbe (cf. suspendre = 'interrompre') est discontinu bien qu'il y ait des cas comme: ' Des fruits qui pendent aux branches', 'Des tentures pendaient du plafond'. Il y a un effet isolé ici, une action écartée, un contour ou une limite de l'événement. L'élément imperfectif, inactif, est dû à l'intransitivité: le caractère de pendre comme unité individuelle du groupe est sym./intrans.

fendre du bois (le résultat), verbe discontinu: 'couper, diviser'. 'Il s'est fendu'
veut dire 'il a réussi', 'La terre se fendit' (se dis joindre) ['se fendre de quelque
chose' (se décider à le payer).

Des trois verbes (groupe craindre) joindre, poindre, oindre le premier est défini comme continu d'une manière incontestable (Dict. Fr. Contemp.): 'mettre ensemble de telle manière à former un tout continu'. Et parmi les trois verbes (groupe rendre) fondre, tondre, pondre, le caractère discontinu du premier est également distinct : ' amener à l'état liquide, passer de l'état solide à l'état liquide', c-à-d. 'mettre ou venir dans un état nouveau, rendre ou devenir liquide; rendre uni, réunir, joindre de façon à estomper les différences, à former un tout; tomber vivement, descendre à vive allure, s'emparer brutalement' - significations en apparence arbitraires et différentes, mais susceptibles d'être réunies.

Oindre, lat. ungere, et poindre, lat. pungere, sont imperfectifs ou continus comme joindre, mais d'un caractère lourd ou complexe ('archaïque'). Le dernier a perdu le sens de 'piquer' (sauf dans le proverbe: «Oignez vilain, il vous poindra, poignez vilain, il vous oindra »), le premier implique une cérémoniesymbolisant une initiation. Le gérondif est appelé un 'adjectif, et le sens du verbe est un peu entouré d'obscurité : à la fois ce qui ne se complète jamais («je vis poindre un sourire sur ses lèvres », «je sens poindre un rhume », «on vit le bateau poindre à l'horizon») et ce qui est pénible à supporter,

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étreignant, oppressant, serrant («Une irritation lourde lui poignait le cœur») c.-à-d. poindre semble s'expliquer par des conditions restrictives, incomplètes, par une relation limitative, tandis que oindre semble indiquer, inversement, la relation intégrale (incorporation dans une totalité).

Les deux verbes du groupe rendre - tondre, pondre - sont perfectifs, et ils sont d'ailleurs aussi différents de fondre que les deux unités oindre, poindre de joindre. Pourtant, ils sont d'un caractère pratique, plus concret. Attachés à un domaine, ils rappellent des verbes comme coudre, moudre, indiquant un résultat - d'une manière partielle (tondre) ou totale (pondre 'produire un œuf, une œuvre littéraire').

Les verbes battre, foutre, perdre, sourdre, tordre, mordre (groupe rendre) désignent tous, chacun d'une manière particulière, l'action discontinue ou finie ou rompue: mordre intensif, tordre extensif (cf. danois, les participes intensifs: bidt, liât et les participes extensifs: vredet, redet). Des deux verbes statiques foutre, sourdre le dernier peut signifier 'résulter' («De cette affaire on verra sourdre de grands malheurs»). Il ne s'emploie plus que dans un style élevé et il est - comme foutre - défectif.

Les concepts primaires comme asymétrie/symétrie ou intransitivité¡transitivité servent à une première orientation - cf. les notions linguistiques classiques de « Ruhe/Richtung » (sym.jasym.), instruments utiles depuis longtemps. Il faut pourtant constater d'autres relations, et considérer aussi les quatre formes d'une relation: neutre, négative/positive, complexe. Et en plus penser à ceci : une unité individuelle (commeperdre) est soumise à une hiérarchie. Dirigée par le caractère du groupe - la discontinuité ('L'arbre perd ses feuilles') - l'unité n'est pas dispensée d'avoir la même relation comme trait individuel: c'est justement le cas avec perdre qui, évidemment, ne s'explique pas, dans le domaine de la continuité positive/négative, par le trait de groupe (continuité négative). En effet, ce qui caractérise ce verbe comme unité, c'est le concept complexe de la continuité. Sans jamais abandonner la discontinuité - le concept de rupture, de «perte», de la limite - ce verbe souligne, tantôt la discontinuité de l'action, tantôt la continuité, tantôt les deux. Cela explique l'élément extensif (la durée : ' L'enfant perd sa timidité en grandissant' 'avec l'âge on perd la mémoire' 'perdre sur ses concurrents', 'usage qui se perd ', ' la marée perd ', ' un fût qui perd ', ' le grain perd en vieillissant ' - surtout, mais pas exclusivement, sans complément direct.

De même, battre - discontinu, indiquant un résultat: 'battre l'ennemi' - a le plus souvent une sorte de prolongation (ou continuité), mais toute différente; il ne s'agit pas de la continuité vraie, mais d'une action itérative: c'est que battre est intransitif¡transitif.

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Rompre et vaincre se rapprochent de perdre et battre ('rompre, perdre une habitude') ('vaincre, battre un ennemi'), mais rompre n'est jamais continu et vaincre n'implique pas la durée: rompre une chose 'en empêcher la continuation', vaincre une maladie 'en venir à bout'. Rompre est limitatif: 'cesser, faire cesser' ('Après cette altercation ils ont rompu', 'rompre le silence' y mettre fin), vaincre au contraire est intégral (le résultat complet, le succès). L'inconnexité de perdre, rompre est différente de la même manière que l'est la connexité de battre/vaincre.


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CONTINU (groupe craindre)

Feindre, ceindre indiquent une direction, potentielle ou réelle ('faire semblant
de se proposer délibérément un but', 'mettre autour de').

1 eindre, peindre présupposent une base, potentielle (' bon teint ' '.ferme dans
ses opinions; imprégner) ou actuelle (exprimer, décrire).

Craindre, plaindre expriment à la fois une base (d'un sentiment) et une
direction, un versant (/''ennemi/le souffrant). Craindre souligne l'impression,
plaindre est expressif.

Geindre, vb. statique, est itératif (cf. Brandal Théorie des prépositions 73) :
'se plaindre d'une voix faible et inarticulée'.

Joindre se lève au-dessus des autres unités et de leurs oppositions internes.
Très éloigné, en particulier, des verbes complexes {poindre, oindre), ce verbe
exprime la relation du groupe de manière frappante.

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DISCONTINU (groupe rendre) (Complexe (inc/con. etc))

Ici, quatre verbes, d'une nature plus générale, attirent principalement l'attention : rompre, vaincre, fondre, rendre. Ils désignent tous le discontinu, mais d'une manière variée: ou comme séparant, limitatif {rompre), ou comme complétant, intégral {vaincre); ou, plus largement, comme un changement de connexité plus ou moins accéléré {fondre), ou un changement de cours et de base, qui indique un chemin nouveau, un caractère changé {rendre) : le retour, 'mettre sur la voie, re-former, restituer'.

Rompre, vaincre n'indiquent pas - comme perdre, battre - la durée, élément qui en apparence efface un peu le discontinu : perdre ' diminuer de valeur', battre 'donner des coups; parcourir', action répétée. Mais cet élément duratif est, dans perdre, dû à son caractère individuel de discontinu) continu, complication qui peut causer un procès parfois étendu ('un récipient qui perd', 'il perd son temps'), et, dans battre, il est dû à la complication

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intransi trans. : l'élément ponctuel conçu linéairement, la répétition - ce qui semble entraîner la continuité ('donner des coups'). Pourtant, la discontinuité,le résultat, est toujours là: ' battre le tapis, le fer' - en vue d'un résultat précis, 'se battre les flancs': se démener pour un mince résultat, 'battre le terrain, le pays' - pour retrouver ou explorer.

Fondre désigne à la fois l'inconnexité et la connexité, ce qui, en effet, réunit les sens divers du verbe. Le métal qui fond devient un corps qui coule, la solidité disparaît, et, parallèlement à l'opposition de l'inconnexité ('elle a fondu de dix kilos en trois mois'), il y a la connexité ('fondre deux livres en un seul', 'fondre deux sociétés pour n'en former qu'une seule'), relation qui est aussi rapprochement, la pesanteur, ce qui est opposé à l'éloignement, le site élevé (' fondre sur, descendre à vive allure ' : Tous les malheurs lui ont fondu dessus au même moment, Uépervier fondit sur sa proie). Tous les trois verbes tondre, pondre et fondre sont définis - outre le fait qu'ils ont un trait commun discontinu - par la forme complexe de la connexité : ' tondre une haie ' indique des fragments découpés d'une connexité, et 'pondre un œuf implique une totalité produite par un auteur et séparée de lui. Ce qui met fondre au-dessus des deux, c'est que fondre est neutre par rapport à la totalité - relation qui sépare tondre, partiel (totalité négative), de pondre, total (totalité positive).

Rendre, perfectif (« Cela rend !» fig. et fam. de tout ce qui donne des résultats), a une fonction générale ('faire devenir') et des emplois qui s'expliquent par les formes complémentaires de la symétrie {remettre, produire, restituer, céder, livrer, imiter, représenter) : ' Rends-lui ce billet ! ', ' les fleuves se rendent à la mer', 'ce mot ne peut pas se rendre en danois', 'rendre des livres empruntés', 'rendre dix francs sur un billet de cinq cents'. Dans ce verbe, qui a un caractère plus souverain que tendre, vendre, pendre, fendre, la discontinuité apparaît de façon évidente et marquée.

3. Aux groupes pluriels s'ajoutent les groupes singuliers prendre, mettre
- ce qui rassemble tous les groupes -re ayant une voyelle nasale.

En ce qui concerne la forme extérieure de prendre, mettre, le contraste nasale/orale - déjà observé dans les groupes pluriels - se retrouve ici. Les voyelles de prendre, mettre - nasale et e ouvert - sont caractéristiques de la conjugaison -re (cf. être, naître, paître, paraître, connaître), et la conjugaison -oir, conjugaison opposée {avoir etc.) n'a ni nasale ni e ouvert.

Parmi les nombreuses comparaisons des quatre groupes, il y a celle qui
consiste à analyser la voyelle des formes fondamentales du verbe:

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On verra l'identité des participes mis : pris et la différence totale, même
syllabique, de rendu : craint.

Dans les groupes pluriels, l'un (rendre) a des voyelles variables (rendre, fondre, vaincre, perdre, tordre, battre, foutre), à savoir : [â, 5, s, 8, o, a, u], c.-à-d. que sa voyelle est variable. L'autre (craindre) a la même voyelle [s] dans toutes les unités (craindre, geindre etc.), c.-à-d. que sa voyelle est constante: la voyelle appartient au groupe comme un «trait de groupe». Mais du point de vue des formes fondamentales du verbe - l'unité comme verbe dans sa particularité -on verra inversement Io que c'est le groupe rendre qui a la même voyelle dans toutes ses formes (rendre, rendant, rendu ou perdre, perdant, perdu ou vaincre, vainquant, vaincu, etc. - quel que soit le verbe), et 2° que c'est le groupe craindre qui a une voyelle variable dans les formes fondamentales (l'infinitif : voyelle nasale / le gérondif : voyelle orale).

On verra aussi que, dans les groupes singuliers, l'un (mettre) a toujours la voyelle orale (mettre/mettant), mais que l'autre (prendre) a et la voyelle orale (prenant) et la voyelle nasale (prendre). Dans les groupes pluriels, le groupe craindre a toujours, comme groupe, la voyelle nasale. Mais l'autre groupe (rendre) a et la voyelle orale (perdre, tordre, etc.) et la voyelle nasale (rendre, fondre, etc.).

On peut aussi étudier la consonne - mediale et initiale - des quatre groupes :


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Dans les groupes pluriels, l'un (craindre) a une ou deux consonnes initialement,mais
une seule médialement. L'autre (rendre) a toujours une seule

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consonne initialement, mais médialement une ou deux (rendre-battre . ..
contre perdre-mordre ... : d+r, ou t+r, ou p+r, ou &+r contre
rd + r).

Dans les groupes singuliers, prendre en a deux, mettre une, initialement.
Médialement prendre a ou î/ ou n, mettre seulement i.

4. Les groupes singuliers, prendre, mettre, ont un caractère plus abstrait que les groupes pluriels. Ils présentent une opposition complémentaire ou solidaire, désignant des notions fondamentales : la symétrie positive et négative, formes polaires.

Prendre, symétrique, implique l'inclusion, un rapport bilatéral (gr'greifen; grip, gripe, grope, grasp'). Mettre, asymétrique (lat. muter e envoyer'), la direction, un mouvement de tel ou tel côté (st- 'stellen' ; vx.all. = «stellen, richten, streben nach»): 'faire passer d'un endroit dans un autre' :

prendre une pierre, quelqu'un à la gorge, un enfant sur ses genoux, un ami dans
ses bras, le chemin le plus proche.

mettre le lapin dans un sac, quelque chose sur la terre, la main sur le front, le
cheval à l'écurie, se mettre à la fenêtre.

A ces exemples banals s'ajoute l'emploi non-spatial ('prendre les enfants par la douceur', 'mettre ses enfants au collège') ou relationnel d'une manière plus abstraile. La symétrie, base d'un mouvement, indique le commencement, le début d'une action ('prendre peur', 'prendre froid'). Et l'asymétrie, une tendance ('Je l'ai mis sur la question du mariage': «I set him to talk about .. »; 'Quand on le met à causer.. ': «Once you get him talking.. »).

Ces deux verbes abstraits n'ont pas d'autre ligne de démarcation. Il y a, le plus souvent, outre la symétrie, une division en transit ivi té négative/positive ou «supposition»/«réalisation». Mais les deux verbes s'emploient dans l'un et l'autre cas ('Prenons qu'il en soit ainsi', 'Mettons que vous ayez raison'; 'se prendre à pleurer', 'se mettre à pleurer'; s'y prendre, s'y mettre 'agir d'une certaine façon').

Prendre/mettre créent un grand nombre de locutions, ce qui est le signe d'un caractère abstrait, et forment par préfixation des verbes secondaires (re-mettre: ad-, sou-, dé', é-, corn-, pro-, per-, o-, trans-) (re-prendre: ap-, sur-, de-, com-, me-, è-).

Parmi les verbes préfixés - plus nombreux avec une relation négative - il
y a ceux dont la formation n'est pas 'particule 4- mot de base', mais un

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renforcement d'un «verbe élastique»: -cevoir {re-, per-, con-, dé-), constructionmassive
qui - en ce qui concerne nos quatre groupes - ne se trouve que
dans craindre ¡rendre:

(auxquels s'ajoutent dans le groupe craindre:contraindre, astreindre, restreindre
et dans le groupe rendre: semondrc, lat.class. submonêre, avec le changement de
conjugaison qu'on voit aussi dans répondre).


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5. Ce que l'on peut dire pour tirer des conclusions de notre exposé, c'est qu'il s'agit ou d'une certitude, ou d'une possibilité, ou d'une probabilité. Le calcul des probabilités, seul, - l'enchaînement de raisons déduites les unes des autres - mène à un résultat provisoire. L'attitude personnelle n'est qu'un sentiment, une connaissance plus ou moins claire obtenue d'une manière immédiate et fortuite. Les proportions discutées ici ne sont justes que si une condition secondaire se trouve remplie: à savoir qu'elles persistent ailleurs. Le mot fameux de Cuvier - le fémur qui montre tout l'animal - vaut pour les réflexions faites ici. Bornons-nous à ce qui concerne les conjugaisons -re: -oir:


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«A wood in which the trees are planted in rows looks regular when viewed along a row from one end of it, but may appear completely higgledy-piggledy when viewed on a slant. The same thing is true of a mathematical subject» (Bertrand Russell).

Alfred Bolbjerg

Copenhague

Résumé

Dans la conjugaison française en -re (consonne + -ré), les quatre groupes craindre, rendre - qui ont plusieurs unités - et prendre, mettre - qui n'en ont qu'une - ne sont pas différents d'une manière fortuite. L'uniformité du groupe craindre s'oppose à la variabilité du groupe rendre. Entre les groupes singuliers prendre, mettre, il y a aussi une différence, laquelle est de même nature que la différence structurale entre les deux groupes pluriels.

Intérieurement, la différence entre les verbes du groupe craindre et ceux du groupe rendre est une opposition analogue à celle qu'on trouve entre l'imperfectivité et la perfectivité, mais avec quelque chose de plus concret, c.-à-d. un contraste entre le continu (cf. joindre) et le discontinu (cf. rompre).

Il faut des «unités de mesure» pour distinguer les divers sens des mots - selon le principe du dénominateur. Sinon on n'aura qu'une description anecdotique. Ces unités sont les relations logiques (Leibniz, Brondal) : les mots sont spécifiés par une structure intérieure. Quoiqu'ils n'aient pas d'influence immédiate l'un sur l'autre, ils s'expriment mutuellement, comme être et avoir par exemple, l'un ayant concentré dans une parfaite unité tout ce que l'autre a dispersé dans la multitude. Cette vue, au reste, n'est pas absolument nouvelle, car la linguistique classique s'en est servie d'une manière approximative, très vague : les notions de RuheJßichtung en témoignent. La relation asymétrique indique la direction, l'unilatéralité, le versement (cf. mettre); la relation symétrique exprime, par contre, la balance, à certains égards le repos ou la bilatéralité (cf. prendre).