Revue Romane, Bind 11 (1976) 2

Palle Spore: Italiensk Grammatik. Odense Universitetsforlag, Odense, 1975. 409 p. + bibliographie et index, 31 p.

Henrik Prebensen

Side 374

C'est un fait bien connu que, comparée à celle du français, l'étude de l'italien fait figure de parente pauvre; on ne trouve que peu de monographies ou d'études traitant de points particuliers de grammaire et de syntaxe; les manuels existants sont loin de valoir ceux dont disposent étudiants et enseignants de français. En publiant sa Grammaire italienne, Palle Spore, de l'Université de Odense, s'est donc proposé de remplir une lacune.

Remplissage provisoire, l'auteur a soin de le souligner dans sa préface. Provisoire par sa typographie: imprimé d'après un manuscrit dactylographié - d'une correctiond'ailleurs excellente -, ce manuel est en effet d'une lecture assez fatigante ; en revancheil est bon marché. Provisoire égalementpar sa documentation: les exemples sont tirés de six textes seulement, complétés,il est vrai, d'un certain nombre d'exemples de journaux et de citations prises dans diverses études grammaticales. Provisoire aussi par son contenu: l'auteur,

Side 375

qui se rend bien compte de l'énormité du travail, de l'étendue des terrains qu'il faut défricher, invite ses lecteurs à lui signaler tout ce qui leur paraîtra susceptible d'amélioration.

Il ne peut donc être question de porter un jugement définitif. Cet ouvrage ne constitue qu'une étape intermédiaire dans un travail de longue haleine. Cette réserve étant faite, je me permettrai cependant de dire qu'en lisant cette grammaire, je me suis souvent demandé s'il n'aurait pas été possible de faire mieux, même dans un ouvrage provisoire.

Ce que j'ai regretté en lisant cette Grammaire italienne, c'est que l'auteur n'ait pas suffisamment centré son ouvrage sur les règles grammaticales. A mon avis, une grammaire est avant tout un ensemble de règles. Pour formuler une règle, il faut poser des catégories. Seulement, ces catégories n'ont rien d'absolu. Elles doivent être établies uniquement en fonction de leur utilité par rapport aux règles. Elles ont le caractère de conjectures.

Une règle grammaticale peut être considérée sous deux aspects. D'un point de vue théorique, elle est une hypothèse sur la construction d'un ensemble de phrases. En tant qu'hypothèse, elle est susceptible de falsifications: elle peut prédire l'existence de phrases qui ne sont pas acceptables. D'un point de vue pratique, essentiellement celui de l'apprentissage d'une langue étrangère, une règle est avant tout un précepte, une instruction stipulant ce qu'il faut faire pour aboutir à des phrases acceptables.

Les deux points de vue ne s'excluent pas. Un des buts de la linguistique théorique est de trouver des règles théoriquement valables et utilisables pratiquement. Mais c'est souvent un inconvénient de nos manuels de grammaire universitaires qu'ils doivent, à la fois, initier les étudiants à une approche théorique des phénomènes nomèneslinguistiques et leur servir d'outils de travail dans l'apprentissage de la langue étrangère. Ces deux exigences ne sont pas toujours faciles à harmoniser. Il arrive souvent qu'une règle, hautement intéressante pour comprendre le fonctionnement d'une langue, soit dépourvue d'intérêt pratique, les règles d'intérêt pratique étant souvent étroitement associées aux seuls domaines où la langue maternelle et la langue étrangère contrastent entre elles.

Quel que soit le poids que l'on veuille donner à l'un ou à l'autre de ces deux aspects, le concept de règle doit, à mon avis, être au centre. On introduira d'abord les catégories adéquates et nécessaires à la formulation d'une règle, ensuite la règle même, et enfin une précision du domaine d'application de la règle, précision qui prendra souvent la même forme tripartite: introduction de nouvelles catégories, énonciation d'une nouvelle règle qui limite la première, précision de son domaine d'application. En introduction à la grammaire entière, on pourra présenter l'ensemble des catégories et concepts qui serviront globalement, telles, par exempie, les catégories de l'analyse syntaxique.

Puisqu'on ne postule pas une existence absolue pour les catégories, on n'est pas contraint à une discipline sévère à leur égard, comme celle qu'impose le structuralisme, qui attribue une existence réelle, objective à ses catégories. On peut considérer, par exemple, les catégories sémantiques comme aussi «sûres» que les autres. Elles n'exigent pas de tests particuliers, tels que l'épreuve de commutation. Elles seront retenues ou rejetées selon que les règles qu'elles permettent de formuler fonctionnent plus ou moins bien.

Un dernier point important: Si une grammaire doit servir à des tins pratiques, on devra se demander, à propos de chaque problème, où sont les difficultés réelles pour ceux qui l'utiliseront. Plus l'idée de

Side 376

ce public est diffuse, plus il est difficile
de se servir d'un tel ouvrage.

Ces considérations générales me permettront de préciser pourquoi le manuel de Grammaire italienne de Palle Spore ne m'enthousiasme pas, malgré la somme considérable de travail que l'auteur a fournie et malgré le fait qu'il n'existe, actuellement, aucun manuel sérieux comparable à celui-ci.

Je trouve d'abord que Spore attribue une valeur trop absolue à ses catégories, aux classifications, à la terminologie et aux analyses qui en découlent. Et cela aux dépens des règles, auxquelles, à mon avis, il aurait fallu subordonner tout le reste. La systématique ici est parfois sa propre fin ; souvent, elle est peu adéquate ou constitue même un obstacle insurmontable à la formulation de règles claires qui renseignent le lecteur sur ce qu'on peut dire et ce qu'on ne peut pas dire en italien.

Souvent, par crainte sans doute de s'aventurer dans l'«incontrôlable», les considérations sémantiques avant tout, Spore s'arrête à mi-chemin dans son travail, laissant le lecteur sur sa faim ou, ce qui est pire, l'induisant en erreur en lui donnant l'impression que lorsqu'on a affaire à deux possibilités, l'une et l'autre sont également valables là où, de toute évidence, ce n'est pas le cas.

Dans un souci - louable en soi - d'être complet, Spore nous traîne dans certains chapitres à travers une poussière de cas, sans distinguer ce qui est important et ce qui ne l'est pas, sans présenter, dans un ordre hiérarchique, les cas généraux et les cas particuliers. En retravaillant le livre, il lui faudra aussi, à mon avis, se demander, à propos de chaque chapitre et de chaque paragraphe, où réside la difficulté réelle. Car il arrive que plusieurs pages soienteonsacrées à des questions mineures, et que les vraies difficultés soient passées sous silence.

Malheureusement, on rencontre aussi pas mal de passages où Spore a travaillé un peu trop vite, de sorte qu'il lui arrive de s'exprimer en des termes sibyllins, de se contredire ou de se tromper dans l'analyse de ses exemples, ce qui ne peut que rendre perplexes les lecteurs débutants ou encore peu sûrs de leur propre compétence.

J'ai pris soin de faire dès le départ ces réserves d'ensemble afin d'éviter que les points de détail que je critiquerai par la suite soient pris pour des broutilles dans un texte autrement irréprochable. Je n'ai pas voulu chercher la petite bête, mais présenter des exemples qui sont, à mon sens, représentatifs de la facture générale de l'ouvrage.

Mais j'ai aussi voulu souligner par là le caractère nécessairement relatif de mon jugement. Je n'ai pas la même conception de la grammaire que Spore. J'évalue son manuel en appliquant un étalon qui n'est pas forcément celui de tout le monde. Par ailleurs, si j'ai consacré un compte rendu aussi long au livre de Spore, c'est à la fois parce qu'il offre une bonne occasion d'examiner ce que doit être une grammaire, et parce que nous avons grand besoin d'une bonne grammaire de l'italien. Le volume que nous avons sous la main n'est pas cette grammaire, mais on peut espérer que l'édition révisée, promise par l'auteur, le sera.

Je commencerai par la terminologie. Je me suis demandé pour quelle raison Spore appelle déterminants, non seulement les articles dans les syntagmes nominaux, mais aussi les indices di, da, a devant les syntagmes infinitifs. Un tel choix terminologiquepostule qu'il s'agit d'une seule catégorie ou d'une seule fonction syntaxique,alors que les règles concernant la détermination du syntagme nominal n'ont rien à voir avec celles qu'il faut formuler

Side 377

pour l'emploi des indices. La terminologie fait donc croire à une généralisation qui est théoriquement et pratiquement irréalisable.En effet, il a bien fallu deux chapitresséparés pour traiter de l'emploi de ces «déterminants» (ch. 4 et 5).

11 y a des exemples où le problème est inverse. Ainsi, par exemple, Spore introduit le terme de syntagme verbal en lui donnant une application si étroite que les analyses syntaxiques et les règles qui en dépendent deviennent obscures. L'étroitesse du terme est à deux dimensions. 1 ° Le terme de syntagme verbal s'applique uniquement aux chaînes: (verbe auxiliaire) - verbe principal - (complément adverbial de verbe): ho mangiato lentamente. Selon moi, il est douteux que de telles chaînes constituent des syntagmes (au niveau d'une syntaxe de la surface, en tout cas); je ne vois pas quelle fonction syntaxique spécifique un tel syntagme pourrait remplir. 2° Le terme de syntagme verbal est réservé à des chaînes contenant un verbe fini, uniquement (§ 24). Le syntagme infinitif'(§ 27) n'est pas un syntagme verbal, expressément: il comprend non seulement ¡'auxiliaire, 'e verbe principal, les compléments adverbiaux de verbe, mais aussi les compléments d'objet direct, indirect, datif et d'agent ainsi que l'attribut. L'idée que d'autres formes du verbe, participes et gérondif, puissent constituer des syntagmes verbaux, n'est même pas envisagée.

A mon avis, il faut généraliser l'emploi du terme syntagme verbal de façon qu'il comprenne le verbe fini ou infini accompagné de ses différents compléments: objet direct, indirect, etc. On distinguera alors syntagme verbal fini et infini, cette dernière catégorie se subdivisant en quatre sous-catégories: syntagme infinitif, participial {prcscnt',passc), gérondif On pourra ainsi formuler tout un ensemble de règles où le verbe et ses compléments entrent comme un élément invariable, expliquer les rapports de sens entre les propositions subordonnées et les constructions infinies, et analyser d'une manière cohérente certains membres de phrase.

La terminologie de Spore est inadéquate. Le terme syntagme verbal apparaît, je crois, (outre les paragraphes où il est introduit) dans trois paragraphes seulement:

Au § 76, où il est question de «l'ordre des mots». Là, il est inadéquat parce qu'il isole les compléments adverbiaux des autres compléments du verbe.

Au § 111, où il est question de l'accord. Là, je ne comprends pas que Spore puisse parler d'un accord entre «le noyau verbal» (c.-a-d. l'auxiliaire) et le participe. Cet accord est d'ailleurs qualifié d'«apparent, puisqu'en réalité l'accord se fait entre les deux formes verbales et le sujet» (§ 111, 1, a). Je me suis demandé ce que devient l'accord du participe dans le «syntagme infinitif» (qui n'est pas, on s'en souvient, un «syntagme verbal»). 11 semble bien que le lecteur qui voudrait suivre à la lettre la grammaire de Spore, devrait s'interdire de faire l'accord dans: ella crede essere amata da tutti, car il n'est dit en aucun endroit, sauf erreur de ma part, que l'accord se fait aussi dans ces cas.

Enfin au § 283, 3 d. (constructions comparatives): Spore paraît confondre proposition et syntagme verbal. En tout cas, dans si sente, più che non si veda, - non si veda est analysé comme une proposition, terme de comparaison, au § 280, 2, a, mais comme un syntagme verbal, terme de comparaison, dans le § 283.

Le terme de syntagme verbal, tel qu'il est défini par Spore, semble donc n'être d'aucune utilité pour la formulation de règles.

En revanche, parce qu'il a manqué la généralisation du concept. Spore aboutit à des analyses inacceptables et méconnaît certaines autres règles. Considérons par exemple la phrase: Costretta ad inviare le

Side 378

sue Armate su fronti assai lontani, non disponendoper protteggere le sue città e la vasta distesa délie sue coste che di mezzi assolutamente insufficienti, priva di materie prime e di uriindustriel di guerra moderna, insufficientemente aiutata dalla alleata Germania, Vltalia non poté resistere . . . (exemple cité au §261, mais sous forme tronquée). Selon le §261, costretta ... lontani est un participe passé verbal en fonction d'apposition. Selon le § 260, non disponendo . . . insufficienti est un complémentadverbial de phrase temporel ou causal. Selon le § 14, priva di . . . moderna est une deuxième apposition; insufficientemente. . . Germania en est une troisième. Cela n'est pas clair. Les quatre syntagmes ont tous le même sens temporel ou causal attribué au seul disponendo. Il n'est pas adéquat d'y voir des membres de phrase différents. Mais il y a pire. Si nous remplaçonsVltalia non potè resistere . . . par dovè capitolare anche Vltalia, -priva di . . . moderna (et probablement les deux autres «appositions» aussi) deviendrait un attributindirect (§ 14, rem. 1), disponendo . . . restant un complément de temps ou de cause. La seule analyse claire de la phrase y verrait quatre syntagmes verbaux infinis - l'un (priva di .. .) avec ellipse de essendo - compléments de temps ou de cause, donc équivalant à des propositions temporelles ou causales. Le problème n'est pas de pure théorie, puisqu'un Danois doit savoir qu'aux propositions temporellesou causales du danois peut correspondre,en italien, l'emploi adverbial du seul syntagme verbal de la proposition.

Il arrive que tout un ensemble de règles grammaticales soit passé sous silence, parce que l'auteur se concentre sur des problèmes de classification mineurs. Ainsi des prépositions, auxquelles Spore consacre sept pages seulement. 11 discute là de questions comme celle-ci: fra ou tra sont-ils des prépositions ou non? En revanche, vanche,le problème autrement important de l'alternance des prépositions: di¡da, di/con, dijper, etc. est curieusement passé sous silence.

Nombreux sont les passages qui aboutissent à des conclusions vagues, ou qui n'aboutissent pas du tout à une conclusion, lorsqu'il y a un choix entre deux ou plusieurs possibilités. Au §40, par exemple, qui traite de l'emploi de l'article partitif, nous apprenons d'abord que cet article n'est pas obligatoire en italien et que, pour un exemple avec article partitif, on en trouve entre 20 et 25 sans. Puis Spore aborde un examen laborieux de la distribution de cet article, sans essayer de dégager quelques principes généraux. Le paragraphe semble aboutir à une conclusion qui ne sera formulée qu'au début du paragraphe suivant: il y a des «cas où un syntagme nominal sans déterminant remplace un syntagme nominal déterminé par un article partitif» (§ 41, début).

II aurait été plus clair d'essayer d'expliquer la différence entre deux possibilités en disant que, d'une part, l'article partitif met en évidence le caractère «substantival» du noyau nominal et, de ce fait, individualise ou concrétise, et que, d'autre part, il introduit l'idée d'une quantification, donc d'un nombre limité. A ce propos, on peut se référer à la description d'Otto Jespersen: «on the whole, substantives are more special than adjectives

.. . The adjective indicates and singles out one quality, one distinguishing mark, but each substantive suggests, to whoever understands it, many distinguishing features»(Philosophy of Grommar, p. 75). Spore semble poursuivre la même idée lorsque, à propos des attributs, il commentel'exemple suivant: / palermitani sono dopo tutto degli italiani (§ 40,3) en disant: «sans l'article partitif, on risqueraitde comprendre le noyau comme un adjectif»; mais il déroute le lecteur dans

Side 379

la section de paragraphe suivante où il dit que l'adjectif peut être déterminé par l'article partitif, mais qu'il ne l'est pas normalement. Quelle est, après cela, la différence entre un adjectif et un substantif? Quant à l'autre principe, à savoir que l'article partitif introduit une idée de quantification,de nombre limité, il est indispensable,me semble-t-il, pour rendre compte d'exemples comme: poi credeva di aver delle visioni (exemple cité au § 40, 3, e) vs. poi credeva di aver visioni, ou custodiva cristiani sequestrati (ibid.) vs. custodiva dei cristiani sequestrati, ou passai dei brutti giorni (ibid.) vs. passai brutti giorni. De telles précisions auraient aidé considérablementle

Dans le § suivant (§ 41) sont traités les syntagmes nominaux sans déterminant qui ne «remplacent» pas une construction avec article partitif. La section sur les attributs est étrange: «Un attribut est sans déterminant si on peut sous-entendre un article indéfini {on = un Danois?): Il Lazio ... è regione antica. » Comme s'il n'y avait pas de cas où l'article indéfini est obligatoire: Questo è un cane, L'ltalia è una Repubblica democratica fondata su! lavoro, ni de cas où il est obligatoirement omis : fu ministro della Pubblica Istruzione. Comme s'il n'y avait pas la possibilité d'avoir un jeu de sens sur les deux constructions (cf. la remarque de Jespersen): Corrado Govoni .. . fu soprattutto poeta fecondo, generoso, se pur discontinuo (Donadoni, Breve storia, 1964, p. 381) - // pericolo di questa poetica ... è che il sistema si faccia sofisma, puro giuoco del- Vintelligenza. Ma, fortunatamente, Pirandello è un poeta (ibid. p. 415). Il faudrait donc distinguer entre la qualification et la classification, respectivement sans déterminant et avec déterminant.

Je n'aboruerai pas ici la question très compliquée de l'emploi de l'article défini dans les constructions prédicatives; je ne ferai que signaler la règle que nous donne Spore et qui me paraît être une tautologie: «si l'attribut exige un article défini, celuici doit être exprimé obligatoirement» (§ 41, 2, a).

La grande faiblesse de ces paragraphes est, je crois, due à ce que Spore refuse absolument de considérer les différences de sens. Cette faiblesse est encore accentuée par le fait qu'il y a, sous-jacente à ses analyses, référence implicite tantôt au français, tantôt au danois, et par le fait qu'il tente d'appliquer des critères de distribution qui n'ont que peu d'incidence sur les phénomènes étudiés. Les catégories utilisées ne permettent pas, à mon avis, de formuler des règles claires.

Le chapitre 9, sur la place de l'épithète, illustre une autre tendance. Là, dans un souci d'être complet et systématique, l'auteur enfouit les problèmes véritables sous un amoncellement de renseignements sans grande utilité.

Dans l'introduction à ce chapitre, au lieu de nous proposer une règle générale claire, Spore, seion moi, nous plonge dans le brouillard: «en règle générale, il faut, pour déterminer la place de l'épithète par rapport au noyau nominal, décider lequel des deux est le plus «fort», ce qui veut dire qu'il faut considérer, en principe, non seulement la valeur de l'épithète par rapport au noyau, mais aussi la valeur du noyau par rapport à l'épithète. » (§ 80). Spore n'explique pas ce qu'il faut entendre par «force», et «valeur». N'aurait-il pas fallu dire qu'en règle générale, l'épithète est postposée si elle a une valeur distinctive, antéposée dans le cas contraire ? Puis donner des règles plus détaillées qui préciseraient ou modifieraient l'application de la règle générale?

Au lieu de procéder ainsi, Spore examinelaborieusement et à tour de rôle les différents noyaux possibles (nom propre, nom de nombre, pronom, nom commun), ensuite les différents épithètes possibles

Side 380

(participes, pronom, nom de nombre, syntagmeprépositionnel, proposition subordonnéeet - enfin (§ 92 ss) - les adjectifs). Il en résulte des règles superflues, des reditesen grand nombre, un désordre gênantlorsqu'on veut consulter ce chapitre pour apprendre ce qu'il faut dire dans un cas concret. Examinons le § 82: Le noyau est un nom de nombre, où Ton trouve la règle suivante: «si le noyau nominal est un nom de nombre, l'épithète est toujours antéposée» et trois exemples à l'appui de cette règle: nel lontano 1936; le altre quattro;alcune famiglie sono emigrate nel 17. Arrondissement. .. altri(?) nel moderno 16. La règie est superflue: il n'est pas besoin d'une règle speciale pour les dates; elles se comportent comme les autres noms propres. Si l'emploi distinctif d'une épithèteest possible dans des conditions spéciales,l'emploi non distinctif est le plus fréquent; cf. Veterna Italia/Tltalia medievale.Même remarque pour // moderno 16. Etant un nom propre, // 16. suit la même règle: moderno antéposé est non distinctif (épithète de nature, si l'on veut), il 16. moderno serait distinctif et présupposerait donc ¡'existence de deux XVIe. Enfin, selon le § 87, 3 d, altro est toujours antéposé. Sa position n'ayant rien à voir avec le caractère du noyau, il n'est pas à sa place ici. La règle ne s'applique à aucun des trois exemples.

Elle est de surcroît incorrecte. Lorsqu'il y a ellipse d'un nom, un nom de nombre peut certainement constituer le noyau du syntagme. Mais, dans ce cas, il est possible aussi d'avoir une épithète postposée, si celle-ci a une valeur distinctive nette : ne ho comprate cinque, due rosse, tre verdi (ellipse de p.ex. mele). Ce qu'il yade spécial - et que Spore ne semble pas avoir remarqué -, c'est que lorsqu'il y a ellipse du nom, c'est normalement l'adjectif qui est compris comme constituant le noyau. Ainsi dans l'exemple cité par Spore (§ 135, 3, a) - mais sous forme tronquée : nel maggio, gio,la spedizione dei Mille volontari agli ordini di Giuseppe Garibaldi, partiva da Quarto {Questa è Vitalia, p. 13), c'est volontari et non Mille (comme le veut Spore) qui devient le noyau nominal.

C'est seulement à partir du § 92 qu'on trouve des renseignements intéressants sur la position de l'épithète (car qui aurait l'idée d'antéposer une proposition relative?). Mais ce sont alors des listes interminables d'adjectifs, qui, à mon avis, ne sont pas suffisamment groupés, concentrés et hiérarchisés. 11 est difficile de manier un ensemble de règles aussi fragmenté.

Pour finir, je commenterai assez brièvement le chapitre sur le mode (le subjonctif) (ch. 23). C'est un des exemples où la classification entrave la formulation de règles au point de rendre douteuse l'utilité du chapitre.

Le point de départ se trouve au § 53 et au § 163, qui semblent poser comme axiome qu'il existe une seule classification vraie des propositions subordonnées: «La grammaire moderne constate que les critères sémantiques ne sont utilisables que lorsque d'autres ne suffisent pas . . .C'est pourquoi il faut procéder à une classification fonctionnelle et structurale, lesquelles sont les seules catégories réellement grammaticales.» (§53). - «D'ordinaire, on traite les pronoms relatifs et interrogatifs séparément. La linguistique moderne a cependant prouvé qu'une telle distinction est insoutenable et inadéquate pour ce qui est des langues romanes». (§163).

Je trouve très téméraire d'affirmer avec une telle assurance un consensus entre les linguistes à mon avis tout à fait imaginaire. Quant aux résultats auxquels Spore parvient sur ces prémisses, ils sont plutôt surprenants.

La classification des propositions subordonnéesaboutit,
entre autres, à la
division en deux compartiments de l'ensembledes

Side 381

sembledesinterrogatives indirectes. Celles introduites par un pronom (chi, che, etc.) ou par un adverbe (quando, come) seront classées avec les relatives indépendantes, celles introduites par se seront seules des interrogatives indirectes.

Il en résulte que dans le chapitre sur les modes, le § 211 traitera du mode dans les interrogatives indirectes introduites par un pronom, mais pêle-m:le avec les problèmes de mode des relatives indépendantes, lesquelles suivent des règles différentes. Cela est confus. (La confusion s'accroît du fait que Spore se trompe parfois dans ses analyses.) Les interrogatives indirectes introduite* parróme sont traitées au §213, avec les comparatives. Les interrogatives indirectes introduites par se, enfin, se trouvent au § 220. La systématique est inadéquate.

Mais ce qui m'a le plus étonné, a été de voir que les règles n'étaient pas les mêmes dans les trois ca> ; qui, parfois, elles étaient même contraires. Selon le §211, par exemple, le subjonctif est obligatoire dans non so che cosa volessero dire i gerani, à cause de la négation. Suivant le § 220, I'indicauf serán ie mode ic pías frequent, le subjonctif presque une exception avec non so se ... D'après le § 211, le subjonctif est obligatoire si une interrogative indirecte introduite par chi (une «relative indirecte interrogative» (§211,2, a)) est antéposée par rapport au verbe. Dans le § 220, la position ne semble jouer aucun rôle si une interrogative est introduite par se. De telles erreurs auraient pu être évitées si toutes les interrogatives avaient été traitées dans le même paragraphe.

Pour les autres cas, ces trois paragraphes semblent aboutir à la conclusion que, au passé, on met les deux modes au petit bonheur. Je ne comprends pas pourquoi Spore n'a pas repris les conclusions auxquelles arrive J. Schmitt Jensen : Subjonctif et hypotaxe en italien (1970) et à partir desquelles il aurait été possible de formuler mulerdes règles suffisamment précises pour guider le lecteur.

De même, je ne comprends pas pourquoi, en ce qui concerne le paragraphe sur le subjonctif dans les relatives, Spore n'a pas utilisé - outre celui de Schmitt Jensen - les ouvrages de Noordhof sur la Construction relative en italien (1937) et de L. Carlsson sur les constructions relatives après un superlatif (1969). Il aurait pu éviter ainsi l'erreur monumentale qui consiste à dire que si l'antécédent est sans déterminant ou déterminé par un article indéfini, la relative épithète est au subjonctif (§212, 1), règle qui est d'ailleurs contredite par différents exemples se trouvant dans d'autres paragraphes du livre. Ces relatives ne sont au subjonctif que si le syntagme nominal dont elles font partie est non-spécifique. Les règles de Noordhof et de Carlsson (citées d'ailleurs par Schmitt Jensen), concernant le subjonctif après un superlatif, sont également plus claires que les remarques relativement vagues de Spore, (§ 212, 2 et 3).

Copenhague