Revue Romane, Bind 11 (1976) 2

Jean-Pierre Colignon: La ponctuation, art et finesse. Paris, 1975 (en vente chez l'auteur, 25 avenue F.- Buisson, Paris 16e, 15 FF). 97 p.

François Marchetti

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Voici une plaquette fort utile, bien plus: indispensable. Le petit traité pratique La Ponctuation, art et finesse, de Jean-Pierre Colignon, vient à point nommé prendre la relève d'un certain nombre de manuels vieillis, voire périmés, dont la plupart remontent à la seconde moitié du XIXe siècle. Hormis les aperçus (toujours trop brefs) qu'on trouve dans quelques grammaires, le Traité moderne de ponctuation de J. Damourette était, que je sache, l'ouvrage le plus récent sur la question. Or il date de 1939, et il est infiniment plus épais, plus touffu que l'opuscule de J.-P. Colignon, qui a, entre autres avantages, celui d'être exhaustif (ou presque) dans le moins d'encombrement possible. Une manne pour les étudiants, les professeurs, les écrivains - bref pour qui fait du français écrit un usage quotidien et a besoin d'être renseigné rapidement et sûrement.

On objectera - et J.-P. Colignon en est parfaitement conscient, qui le dit dans sa préface - que la ponctuation est affaire de goût personnel. D'aucuns sont allés jusqu'à écrire des romans entiers sans le moindre signe de ponctuation. N'empêche que, comme disait Fernand Gregh, «la ponctuation est la respiration de la phrase » et que, pour être fonction du style de celui qui l'adapte à son gré, elle n'en reste pas

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moins soumise à un certain code, dont le respect est une marque de politesse à l'égard du lecteur. J.-P. Colignon le sait bien: ne cherchant pas à jouer les puristes, il nous offre un traité raisonné et raisonnable,fruit d'une longue expérience de correcteur au journal Le Monde.

Le livre comprend 13 chapitres, chacun consacré à l'étude d'un signe de ponctuation. Les chapitres sont eux-mêmes subdivisés en courts paragraphes numérotés, qui traitent des divers comportements dans la phrase du signe étudié. L'exposé est clair, précis, méthodique: l'usager s'y retrouve d'autant plus vite que la présentation est aérée, le? caractères typographiques suffisamment variés. Les exemples, en italiques, témoignent d'un choix réfléchi: juste répartition entre emprunts à la littérature, aux journaux et à la langue quotidienne. Je soupçonne J.-P. Colignon d'avoir lui-même forgé plus d'un exemple, ce dont je ne saurais trop le féliciter. Pourquoi perdre du temps à trouver chez un écrivain une phrase que tout un chacun prononce journellement? Croit-on que la référence fasse plus sérieux?

Les exemples choisis par J.-P. Colignon sont généralement simples, courts - donc faciles à retenir - et dénués de toute intention moralisatrice ou édifiante, Dieu merci! Dans chaque paragraphe, il y a souvent deux exemples, le second pour corroborer ou infirmer la ponctuation du premier; parfois un troisième, voire un quatrième, pour indiquer une autre ponctuation imposée par une règle ou un changement de sens.

J'ai particulièrement apprécié les chapitres consacrés respectivement à la virgule et aux guillemets. La virgule est le signe de ponctuation le plus fréquent. C'est aussi celui dont la place varie le plus à l'intérieur d'une langue et dune langue a l'autre. Est-il besoin de rappeler qu'en allemand, par exemple, la virgule est obligatoire entre propositions dans des cas comme principale-complétive introduite par dafi, principale-relative, principaleconjonctive, etc.? On sait combien le maniement de la virgule est délicat en français, où, en dehors des cas où elle s'impose (ainsi devant la relative parenthétique), elle doit n'être utilisée qu'à bon escient. «Il suffit du déplacement d'une virgule pour dénaturer le sens de ma pensée»: cette phrase de Michelet est judicieusement mise en épigraphe par J.-P. Colignon, qui rappelle que l'emploi de la virgule est avant tout une affaire de bon sens et qu'il est donc généralement soumis aux règles de l'évidence. Quant au chapitre sur les guillemets, il est abondamment développé, l'auteur passant en revue presque tous les cas possibles: par ex., citation dans une citation, elle-même citation.

Une curiosité: le très bref chapitre dévolu au défunt point d'ironie, création du publiciste Alcanter de Brahm, compromis entre le point d'interrogation et le point d'exclamation. En revanche, plusieurs pages instructives sur les abréviations et les sigles, occasion pour l'auteur de proposer une unification de la graphie des Mgies. Rica que cette semaine, j'ai lu dans trois journaux parisiens : O.T. A.N., OTAN et 0.t.a.n.!

Je ne ferai que deux petits reproches -
d'ordre terminologique - à J.-P. Colignon

Pourquoi écrit-il au § 30 qu'il faut mettre la virgule quand, dans une phrase, il y a inversion du complément circonstanciel de temps (et de donner comme exemple: Aujourd'hui, il fait beau)? L'inversion est un phénomène qui ne touche que la place du sujet, de l'attribut ou du complément d'objet par rapport au verbe. Il eût fallu, en l'occurrence, parler de «complément de temps antéposé ou en tête de phrase ». Le §29, portant sur les indications Je lieu, est parfaitement formulé à cet égard, l'auteur utilisant là le seul terme d'inversion pour désigner l'inversion verbe-sujet, alors

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qu'au § 30, il est obligé de préciser en touteslettres inversion verbe-sujet pour avoir juste avant parlé d'inversion du complémentcirconstanciel de temps (!?). Cette disparate est regrettable, mais il sera facile d'y remédier dans une prochaine édition. Et, de toute façon, les exemples sont assez explicites pour que l'exposé ne prête pas à confusion.

Bien plus grave me semble l'usage fautif du terme «incidente» au §40. Une propoli.ion incidente, ou incise, est une proposition parenthétique enchâssée sans mot subordonnant dans une autre proposition. C'est donc une catégorie grammaticale parfaitement définie. Or J.-P. Colignon entend par proposition incidente proposition relative - ce qui n'est pas du tout la même chose. L'erreur est d'autant plus frappante qu'ailleurs, J.-P. Colignon emploie «incidente» dans sa juste acception. L'auteur aurait eu tout intérêt à distinguer simplement entre relatives déterminatives (ou restrictives) et relatives explicatives (ou mieux: parenthétiques). Heureusement, là encore, les exemples permettent à l'usager de corriger lui-même les défaillances de l'exposé.

Mais bagatelles que ces quelques erreurs
de tir! L'ensemble est un fort beau
«carton».

Il me reste à souhaiter à ce précieux petit manuel, d'une lecture facile et stimulante, de connaître l'heureux sort des «best-sellers». Nul doute qu'il ferait œuvre de salubrité publique.

Copenhague