Revue Romane, Bind 11 (1976) 2

Il doit y avoir — *il faut y avoir A propos de la «montée du sujet»

par

David Gaatone

On connaît l'existence, en français, d'un nombre assez important de verbes et de locutions verbales dits «essentiellement impersonnels» (VEI). Ces verbes, tels que il pleut, il neige, il fait beau, etc verbes dits «météorologiques», ainsi que // y a* il faut, il s'agit, il s'ensuit, il convient, etc. se caractérisent sur le plan syntaxique par leur incompatibilité avec tout autre sujet grammatical (sujet superficiel) que le pronom non-substitut ill. En fait, ils sont souvent décrits comme de véritables expressions figées à l'intérieur desquelles ne peuvent intervenir que les changements de la forme verbale liés au temps, à l'aspect et au mode. Plus particulièrement, le pronom sujet il apparaît comme inamovible, même dans les contextes où les pronoms personnels «ordinaires» sont supprimés, ou du moins peuvent l'être, comme, par exemple, en contexte de coordination:

la. II vous connaît et il vous aime,

lb. Il vous connaît et vous aime.

2a. Nous avons besoin de Paul et nous savons où le trouver

2b. Nous avons besoin de Paul et savons où le trouver.

3a. II faut des gens capables et il y a des gens capables.

3b. *I1 faut des gens capables et y a des gens capables.

4a. Il fait soleil et il pleut en même temps.

4b. *I1 fait soleil et pleut en même temps.3

Une forme verbale non-finie (donc incompatible avec un pronom sujet)
telle que le participe présent, n'est pas concevable pour ces verbes :



1: Alternant quelquefois avec ça en français populaire {ça pleut) ou simplement supprimé à ce même niveau de langue (y a du monde, faut voir etc.). Le fait que le français populaire ne traite pas de la même façon, en ce qui concerne le pronom, les verbes météorologiques et les autres, semble indiquer que les deux séries ne sont pas saisies comme identiques et qu'il est sans doute abusif de les grouper dans une même classe de VEI (cf. à ce sujet G. Moignet, 1974, p. 77).

2: II semble qu'il faille faire une exception pour le cas de il ne pleut ni ne vente (Le Robert).

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sa. Comme il flairait le danger, le rat s'enfuit.

sb. Flairant le danger, le rat s'enfuit.

6a. Comme il était tard, il fallut prendre congé.

6b. *Etant tard, il fallut prendre congé.

Cela est vrai également dans le cas des participiales dites «absolues», dont
le sujet sous-jacent est différent du sujet principal :

7a. Comme les nuages s'amoncelaient, Louis préféra rester.

7b. Les nuages s'amoncelant, Louis préféra rester.

Ba. Comme il pleuvait, Louis préféra rester.

Bb. * Pleuvant, Louis préféra rester.3

Ces exemples sont cependant d'une espèce différente. En effet, une participiale
absolue exige la présence d'un sujet nominal, par définition exclu pour
les constructions impersonnelles.

On pourrait s'attendre aussi à ce que cette autre forme verbale non-finie
que constitue l'infinitif soit impossible pour les VEI. Effectivement, diverses
structures à infinitif sujet ou complément sont exclues pour ces verbes :

9a. Manger des légumes est indispensable.

9b. *Pleuvoir est indispensable.

10a. Avoir beaucoup d'argent facilite les choses.

10b. *Y avoir beaucoup d'argent dans la caisse facilite les choses.

L'agrammaticalité de 9b et 10b ne semble pas découler d'une quelconque
incompatibilité sémantique entre les deux constituants immédiats de ces
phrases, lesquelles deviendraient possibles sous la forme suivante :

9c. Il est indispensable qu'il pleuve.

10c. Ça facilite les choses qu'il y ait beaucoup d'argent .

Comparons d'autre part :

lia. Paul demande qu'on introduise les témoins,

llb. Paul demande d'introduire les témoins.

12a. Paul demande qu'il y ait des témoins.

12b. *Paul demande d'y avoir des témoins.



3: Là encore, une exception est à signaler: s'agissant de ... (cf. G. Moignet, 1974, p. 66).

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La phrase 12b est exclue, bien que remplissant, du moins en apparence, la
condition exigée d'un infinitif complément de demander, à savoir un sujet
sous-jacent différent du sujet principal4 comme dans 11.

D'autres types de phrases à infinitif complément sont également interdites
avec des VEI:

13a. Ces bijoux que je savais appartenir à Marie ...

13b. *Ces bijoux que je savais y avoir dans le tiroir .

On aurait cependant tort de croire que le phénomène illustré ci-dessus ne caractérise que les VEI. Les verbes dits «accidentellement impersonnels» ou, si l'on préfère, les constructions impersonnelles dérivables de constructions personnelles, se comportent en effet de la même manière :

14a. Il est venu trop de gens et il en résultera des ennuis.

14b. *I1 est venu trop de gens et en résultera des ennuis.

15a. Il est possible de s'installer ici et il semble souhaitable de le faire.

15b. *I1 est possible de s'installer ici et semble souhaitable de le faire.

16a. Le peuple demande qu'il soit procédé à des élections.

16b. *Le peuple demande d'être procédé à des élections.

C'est donc le pronom non-substitut il en général, et pas seulement celui des VEI, qui résiste à l'effacement dans les contextes où cet effacement est possible pour d'autres pronoms. En effet, dans la plupart des cas mentionnés plus haut, la possibilité de supprimer un pronom semble clairement liée à sa coréférence avec un nom ou un autre pronom dans le contexte. Pour il impersonnel il ne peut y avoir coréférence puisqu'il n'y a pas référence (cf. à ce sujet N. Ruwet, 1975, p. 106), et la simple identité formelle de deux éléments ne paraît pas constituer une condition suffisante pour la suppression de l'un d'eux.

On sait cependant que, contrairement à ce qui a été dit jusqu'ici, les verbes impersonnels (VI) peuvent apparaître à la forme infinitive derrière toute une série de verbess. Face aux expressions il ya,il faut, il s'agit, il vient du monde, il est possible de..., on peut rencontrer (Sandfeld, 1928, T.1.p.58):



4: On sait que, pour ce verbe, ce n'est là qu'une possibilité parmi d'autres et qu'un infinitif complément est également possible sous condition d'identité des deux sujets, auquel cas la subordonnée conjonctive correspondante serait impossible et l'infinitif obligatoire. La phrase llb est donc ambiguë.

5: On laissera de côté le cas d'une construction factitive telle que Dieu fait pleuvoir, acceptée sans hésitation par tous les informants interrogés, et celui de je regarde pleuvoir (cf. N. Ruwet, 1972, p. 67), que beaucoup n'acceptent pas.

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17. Il (va, vient de, doit, peut, etc. ...) y avoir, etc. .

Avons-nous donc affaire précisément à un cas d'effacement du pronom sujet
de l'infinitif qui serait identique à celui du verbe fini ? Autrement dit, pourrait-on
comparer les phrases du type 17 à celles du type 18:

18. Je crois savoir son adresse.
(= je crois que je sais son adresse)

La phrase 18 peut s'expliquer au moyen d'une suppression facultative du
sujet du verbe subordonné, suppression impossible s'il n'y a pas identité
des deux sujets :

19a. Je crois que tu sais son adresse.

19b. *Je te crois savoir son adresse.

Mais il faut noter que, dans 18, la séquence verbe + infinitif ri'est possible
que sous condition de compatibilité du sujet avec les deux verbes à la fois.
D'où l'agrammaticalité de 20b et 21b découlant de celle de 20a et 21a:

20a. *Pierre comporte plusieurs parties.

20b. *Pierre croit comporter plusieurs parties.

21a. *Cet ouvrage croit (quelque chose).

21b. *Cet ouvrage croit comporter plusieurs parties.

alors que les phrases suivantes sont grammaticales:

20c. Pierre croit (quelque chose).

21c. Cet ouvrage comporte plusieurs parties.

En revanche, pour les exemples du type 17, le sujet ne doit être compatible
qu'avec l'infinitif (cf. M. Gross, 1968, p. 77-79; N. Ruwet, 1972, p. 64-66).
Parallèlement à 20a et 21a, on aura:

20d. * Pierre (va, doit, peut, ...) comporter plusieurs parties.

21d. *Cet ouvrage (va, doit, peut, ...) croire (quelque chose).

Mais à 20c et 21c correspondent les phrases grammaticales suivantes

20c. Pierre (va, doit, peut, ...) croire (quelque chose).

21c. Cet ouvrage (va, doit, peut, .. .) comporter plusieurs parties.6



6: Bien entendu, il peut y avoir aussi incompatibilité entre les deux verbes: *Cet ouvrage vient de comporter plusieurs parties.

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Comme l'a déjà montré N. Ruwet (ibid.), quel que soit le type particulier
de sujet qu'exige l'infinitif, c'est ce même sujet qui sera de rigueur dans
les phrases du type 17:

22a. Il s'agit de vous. *Ça s'agit de vous.

22b. Il va s'agir de vous. *Ça va s'agir de vous.

23a. Ça va mal pour nous. *I1 va mal pour nous.

23b. Ça va aller mal pour nous. *I1 va aller mal pour nous.

Une chose est donc claire: le il impersonnel n'a pas été supprimé dans ce type de phrases ; il a été simplement séparé de son verbe par un verbe intermédiaire (ou, éventuellement, plusieurs) dont il apparaît comme le sujet grammatical puisque c'est ce verbe, fini, qui s'accorde avec lui.

La liste des verbes susceptibles de recevoir une expansion infinitive impersonnelle (toujours sous condition de compatibilité sémantique ; cf. note 6) comprend entre autres: aller, venir de (auxiliaires de futur proche et de passé récent), venir à, commencer, se mettre à, finir, s'arrêter, cesser, tarder, continuer, être en train de, sembler, paraître, avoir Vair, être censé, s'avérer, devoir, pouvoir, avoir failli, avoir manqué, risquer, menacer,... Il se trouve qu'une bonne partie de ces verbes appartiennent également à une classe que N. Ruwet (1972, ch. 2) propose de caractériser par une propriété syntaxique très particulière, la MONTÉE DU SUJET (abrégé dans une étude récente (1975) en MSS). Les verbes de cette classe sont dépourvus de sujet en structure profonde et sont soumis à une transformation, facultative ou obligatoire, qui déplace le sujet profond de leur subordonnée en position de sujet principal. Ainsi, la phrase :

24. La porte de la cathédrale semble être fermée.

serait dérivée à partir d'une structure profonde dans laquelle le verbe sembler serait précédé d'un sujet vide et suivi d'une subordonnée ayant comme sujet le syntagme nominal (SN) de 24 et comme syntagme verbal (SV) être fermée :

25. [p A semble [p [sn la porte de la cathédrale] [sv être fermée]]]

MSS s'applique facultativement à 25, déplaçant le sujet de être fermée devant semble pour donner la phrase 24. Si la transformation n'est pas applicable, on obtiendra une structure plus proche de 25 avec un sujet impersonnel :

26. Il semble que la porte de la cathédrale soit fermée.

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Dans le cas d'une phrase telle que 27 (type 17):

27. Il doit y avoir ...

on aurait affaire à une structure profonde ne différant de 25 que par le
sujet vide de la subordonnée :

28. [p A doit [p [sn A] [sv y avoir ...]]]

L'application, ici obligatoire, de MSS donnerait 27, où le // impersonnel est la réalisation en structure superficielle du sujet vide de la subordonnée et non de celui de doit. Autrement dit, 27 est structurellement identique à 24 et non à 26, avec lequel il a pourtant en commun un sujet superficiel impersonnel.

Dans la démonstration de N. Ruwet, MSS permet de rendre compte d'un comportement, en apparence aberrant, du substitut en par rapport à certaines séquences verbe -\- infinitif, mais cette règle a quelques incidences intéressantes dans d'autres domaines. Tout d'abord, comme on vient de le voir, elle ramène à un même modèle des phrases telles que 27 et 29 :

29. Tu dois avoir ...

L'existence d'une forme infinitive des verbes impersonnels se trouve du même coup expliquée et n'apparaît plus comme un cas particulier. Par ailleurs, et c'est peut-être là l'aspect le plus intéressant du problème, les verbes soumis à MSS deviennent ipso facto, dans cette optique, des verbes sans sujet propre, c'est-à-dire, en somme, des verbes essentiellement impersonnels en structure profonde. Ceux-ci, cependant, se distinguent très nettement des VEI traditionnels, lesquels refusent systématiquement une expansion infinitive impersonnelle (cf. M. Salkoff, 1973, p. 20):

30a. *I1 faut pleuvoir.

31a. *I1 est temps de pleuvoir.

32a. *I1 est question d'y avoir ...

33a. *U est dommage de pleuvoir, d'y avoir ...

Ces phrases ne paraissent pas pouvoir être exclues sur une base sémantique.
Les structures complexes correspondantes, avec une subordonnée conjonctive,
sont en effet parfaitement grammaticales :

30b. Il faut qu'il pleuve.

31b. 11 est temps qu'il pleuve.

32b. Il est question qu'il y ait ...

33b. Il est dommage qu'il pleuve, qu'il y ait ...

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D'autre part, les verbes en question n'excluent pas, en principe, une expansion

34. Il faut y aller.

35. Il est temps de partir.

36. Il est question de faire des réformes.

37. Il est dommage de gaspiller son temps.

Notons à nouveau que la contrainte n'est pas limitée aux VEI, mais touche
tout verbe impersonnel, qu'il soit en position de verbe principal, de verbe
subordonné ou des deux à la fois. Comparons :

38a. Il devrait être obligatoire de travailler.

38b. Il faudrait soitde travailler.

qu'il obligatoire
38c. *ïl faudrait être obligatoire de travailler.

39a. Il peut venir beaucoup de monde.

39b. Il est possible qu'il vienne beaucoup de monde.

39c. *U est possible de venir beaucoup de monde.

40a. Il suffit qu'il passe un train.

40b. *I1 suffit de passer un train.

Nous sommes donc en présence de deux ensembles de verbes admettant
une expansion infinitive. Le premier {devoir, pouvoir, etc....) accepte n'importe
quel sujet compatible avec son infinitif, et n'importe quel infinitif (de
verbe personnel ou impersonnel). Le second (VI) n'admet comme sujet que
le pronom non-substitut // et comme expansion infinitive exclusivement des
verbes non impersonnels. Cependant, si l'on accepte la thèse de N. Ruwet,
les uns et les autres ont en commun d'être dépourvus de sujet profond,
c'est-à-dire qu'ils forment une vaste classe de VEI qui se répartirait, par
rapport à MSS, en trois sous-classes (cf. aussi N. Ruwet, 1975, p. 101):

1. Verbes soumis obligatoirement à MSS, c'est-à-dire n'ayant jamais d'autre
sujet superficiel que celui de l'infinitif {aller, venir de, pouvoir, devoir,
etc )

2. Verbes réfractaires à MSS, c'est-à-dire n'ayant jamais d'autre sujet superficiel
que il. Ce sont les VEI traditionnels {il faut, il s'agit, etc.... )

3. Verbes soumis facultativement à MSS, c'est-à-dire ayant pour sujet
superficiel, soit il impersonnel, soit le sujet sous-jacent de l'infinitif
{sembler, paraître, etc....)

Dans le cas de sembler, le sujet de l'infinitif déplacé par MSS peut être
vide, d'où il découle que les phrases :

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41. Il semble y avoir ...

42. Il semble qu'il y ait ...

n'ont pas, en dépit des apparences, le même sujet. Dans la première, le
sujet est déterminé par l'infinitif, d'où la possibilité ou plutôt la nécessité
d'un autre sujet dans certains cas :

43. Ça semble aller très mal.

Le sujet de la seconde, en revanche, est la réalisation superficielle du sujet
vide de sembler, indépendant de l'infinitif suivant, d'où l'impossibilité de
tout autre sujet:

44. *Ça semble que ça va mal.

Le caractère obligatoire de MSS pour les verbes de la première sous-classe ne semble pas dû au hasard. Il s'agit en effet de verbes qui, pour un sens donné, n'admettent pas de complémentation du type que P (subordonnée complétive). On peut comparer :

45a. Je crois savoir.

45b. Je crois que je sais.

46a. Je dois savoir.

46b. *Je dois que je sais.

47a. Je peux savoir.

47b. *Je peux que je sais.

Or, ces verbes n'ayant d'autre part pas de sujet propre, la solution alternative
à MSS n'aurait pu être, toujours à partir de la structure profonde
proposée par N. Ruwet, que la suivante:

46c. *U doit que je sais.

47c. *I1 peut que je sais.

C'est-à-dire des phrases où MSS ne s'étant pas appliquée, le sujet subordonnéreste à sa place et le sujet vide de devoir, pouvoir, se réalise comme // impersonnel. Mais pareille solution est, comme on l'a vu plus haut, exclue,par suite de l'incompatibilité de ces verbes avec que Pl. Dès lors, la subordonnée ne pouvant être réalisée sous forme de phrase doit l'être comme expansion infinitive du verbe principal (ou supérieur), ce qui impliquel'identité



7: Cette incompatibilité disparaît avec il se peut (N. Ruwet, 1972, p. 64), qui, en revanche, n'admet pas d'expansion infinitive. Pour une explication des rapports entre pouvoir, devoir et // se peut, il se doit, en termes guillaumiens, cf. G. Moignet (1974, p. 81).

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pliquel'identitéde son sujet, soit avec le sujet principal, soit avec un complémentdu
verbe principal, selon l'un des deux modèles suivants:

48a. Paul prétend qu'il sait.

48 b. Paul prétend savoir.

49a. Paul demande à Louise qu'elle l'attende.

49b. Paul demande à Louise de l'attendre.

Mais les verbes de la première sous-classe n'admettent pas de complément,
ce qui exclut la seconde possibilité :

50. *I1 me doit savoir.

51. *I1 me peut savoir.B

Comme ces verbes n'ont pas non plus de sujet propre, la première possibilité est également exclue, et le sujet de la subordonnée, ne pouvant être effacé par coréférence avec un sujet ou un complément du verbe principal, ne peut se réaliser autrement que comme sujet de ce verbe. Le caractère obligatoire de MSS découle donc automatiquement d'autres propriétés des verbes de la première sous-classe: sujet vide, interdiction de que P, absence de complément.

La règle de MSS, utilisée au départ par N. Ruwet pour rendre compte du comportement de en dans certains contextes, nous fournit donc également une explication de la possibilité ou de l'impossibilité d'une expansion infinitive impersonnelle. Tout verbe soumis à la règle entraînera, d'une part, le rattachement de en, issu d'un complément du sujet, devant l'infinitif, jamais devant le verbe principal9 :

52a. La porte semble en être fermée, (en = de la cathédrale)

52b. *La porte en semble être fermée.

et, d'autre part, la possibilité d'une expansion infinitive impersonnelle:

53. Il semble y avoir .

Pour qu'il s'agisse vraiment du même phénomène, il faudrait que l'inventairedes
verbes susceptibles d'apparaître dans des contextes du type 52 soit



8: Comparez avec: II m'est nécessaire de savoir. Il m'est possible de savoir.

9: Pour de nombreux exemples, cf. N. Ruwet (1972, p. 50-51).

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identique à celui des verbes pouvant fonctionner dans des structures du type 53. Cela ne semble malheureusement pas être le cas. Parmi les exemples de N. Ruwet, on trouve des verbes tels que mériter, promettre, exiger, être susceptible delo, qui n'admettent pas de complément impersonnelll:

54. *I1 promet de pleuvoir.

55. *I 1 est susceptible d'y avoir des ennuis.

56. *I1 mériterait d'y avoir plus d'activités culturelles.

En d'autres termes, le sujet superficiel de ces verbes n'est pas restreint uniquement par l'infinitif. Ce fait est évidemment contradictoire avec l'hypothèse d'une même structure profonde pour des verbes tels que menacerl2 et promettre, par exemple:

57. [p A menace/promet [p Ay avoir]]

L'application de MSS devait normalement aboutir à 54 comme elle aboutit
à 58:

58. Il menace de pleuvoir.l3

Manifestement, les verbes en question ne peuvent être considérés comme essentiellement impersonnels en structure profonde. Pour qu'une telle hypothèsesoit plausible, il faut non seulement qu'elle permette de rendre compte du comportement syntaxique, mais aussi que le sens du verbe, ou l'un de ses sens possibles, la rende «naturelle». La syntaxe de pouvoir nous en fournitune bonne illustration. On sait que ce verbe peut désigner aussi bien



10: Dans le sens qu'ils possèdent avec un sujet non-animé.

11: D'autres, qui admettent un tel complément, ne figurent pas dans les exemples proposés par N. Ruwet. Il est possible que l'auteur les aurait inclus dans une liste exhaustive. En tout cas, la vérification de la compatibilité de ces verbes avec les structures 52 paraît bien difficile, sinon tout à fait impossible, étant donné la grammaticalité souvent douteuse de beaucoup de ces exemples.

12: Dans le sens que ce verbe possède avec un sujet non-animé. Remarquons en passant que les verbes menacer et promettre semblent avoir en commun les mêmes traits sémantiques (paraphrase approximative: laisser prévoir) excepté un seul: quelque chose de bien ou de mal. Il suffirait, pour s'en rendre compte, de comparer: La lecture de ce roman menace d'être mortelle. La lecture de ce roman promet d'être passionnante.

13: La phrase 58 n'appelle pratiquement pas d'objections alors que 54 (*ll promet de pleuvoir) est assez généralement rejetée. Il se trouve pourtant quelques rares informants pour l'admettre. En revanche, les phrases avec mériter (56) et être susceptible (55) sont unanimement rejetées.

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l'éventualité que l'autorisation et la capacité (M. Gross, 1968, p. 77; J. Dubois,1969,
p. 119). J. Dubois (ibid.) a noté que la phrase:

59. Pierre peut partir ce soir.

est ambiguë. En fait, elle peut être approximativement paraphrasée de trois
façons différentes:

60a. Il est possible que Pierre parte ce soir.

60b. Pierre est autorisé à partir ce soir.

60c. Pierre est capable de partir ce soir.

Mais une phrase impersonnelle avec pouvoir ne désignera jamais que l'éventualité
et, sans doutel4, l'autorisation, mais non la capacité :

61. Il peut y avoir un empêchement.

62. ?I1 peut être accordé un dernier délai aux retardataires.

Ce fait n'a rien d'étonnant si l'on admet que ce dernier sens est nécessairement «accroché» àun sujet profondls. En revanche, les deux sens de devoir (probabilité et nécessité) sont compatibles avec un sujet profond vide et subsistentl6 dans les phrases impersonnelles :

63. Il doit y avoir un malentendu.

64. Il doit absolument pleuvoir cette semaine.

Le test de la complémentation infinitive impersonnelle semble donc définir une liste de verbes à sujet profond vide plus conforme à l'intuition sémantique.A vrai dire, l'hypothèse même d'un sujet profond vide ne va pas de soi, en particulier lorsqu'il s'agit des verbes de la première sous-classe, c'est-à-dire de ceux que N. Ruwet considère comme soumis obligatoirement à MSS. S'il paraît plausible de postuler un tel sujet pour des verbes comme pleuvoir, faire beau, etc., verbes désignant des procès sans agent, patient, siège, etc., cela semble bien moins admissible pour devoir, pouvoir, aller, venir de, etc., lesquels ne peuvent constituer des prédicats par eux-mêmes, en ce qu'ils ne représentent aucun procès mais uniquement des spécificationsdiverses (temps, aspect, modalité) du verbe suivant (ou peut-être de



14: Pour J. Dubois (1969, p. 120), seul le sens «éventualité» subsiste dans ce cas.

15: Dans quelle mesure cette différence de sens se reflète également dans la syntaxe de en, n'est pas clair.

16: Là encore, pour J. Dubois (1969, p. 120), seule l'interprétation «probabilité» subsisterait.

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la phrase entière). Les grammaires ont toujours vu dans ces derniers verbes des auxiliaires ou des semi-auxiliaires et en ont donné des listes plus ou moins longues, et, en général, divergentes, parce que fondées la plupart du temps sur des critères sémantiques. Mais si l'on tient compte à la fois de leurs propriétés sémantiques et de leur sens, on pourra établir une liste de verbes jouissant sans aucun doute d'un statut spécial que le terme «auxiliaire»l7 résume assez bien. Dans la mesure donc où, pour un sens donné, ces verbes sont des auxiliaires et n'ont pas d'existence indépendante de l'infinitif suivant,auquel ils ne font qu'ajouter une certaine nuance de sens, exprimable quelquefois par une simple désinence {je vais partir, je partirai; il a dû se tromper, il se sera trompé) ou un adverbe (// a failli tomber; il est presque tombe), on ne voit aucune raison particulière de leur attribuer un sujet sous-jacent, fût-il vide, comme on n'en attribuerait pas un aux auxiliaires d'aspect être et avoir. On pourrait alors suggérer à la phrase:

65. Le train va arriver.

une structure sous-jacente à un seul sujet et sans subordonnée

66a. [p [sn le train] [sv va arriver]]

plutôt qu'une structure complexe à deux sujets :

66b. [p [sn A] [sv va [P [sn le train] [Sv arriver]]]]

Aller est ainsi introduit comme un élément du groupe verbal, à la manière
de être et avoir, le lexème verbal étant représenté uniquement par l'infinitif
(comme il l'est par le participe passé dans les formes composées), ce qui
rend compte des restrictions de sélection existant entre le sujet et l'infinitif.
_ __ —^. ~. ww .iw jujvl 11 d jju.o piua ut aiguiiiccuiou a. ce poini Q.Q
vue que celui de avoir ou de être avec le sujet du verbe composé. Cette
description permet aussi d'éviter que l'infinitif avec son sujet ne soit représentécomme
un complément du verbe fini, ce qui aurait, entre autres
conséquences indésirables, celle de devoir décrire ce verbe comme transitiflß.



17: Cf. aussi à ce sujet M. Gross (1968, p. 79) et J. Dubois (1969, p. 119, et 1970, p. 105).

18: Que cette conséquence soit indésirable me paraît suffisamment évident pour que je ne cherche pas à m'attarder plus longtemps là-dessus. Cependant, parmi les arguments qu'on a pu avancer à l'appui de cette idée, celui qui se fonde sur l'impossibilité de pronominaliser l'infinitif derrière nos verbes auxiliaires me paraît appeler des réserves. En effet, s'il est vrai que sont exclues les phrases: *Jean le doit bientôt. *Vous le pouvez. *Il l'a failli. correspondant à : Jean doit arriver bientôt. Vous pouvez vous tromper. Il a failli tomber. il est non moins vrai que l'impossibilité de pronominaliser un infinitif semble caractériser d'autres verbes à expansion infinitive obligatoire dont on n'aimerait pas faire des auxiliaires, car ils ne sont pas, comme les verbes ci-dessus, indifférents à la notion même de sujet profond, par exemple, daigner, se dépêcher, etc.

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Elle permet en outre d'éviter toutes sortes de complications dans la formulationdes correspondances entre phrases personnelles et impersonnelles, d'une part, actives et passives, de l'autre. On sait par exemple qu'à toute phrase personnelle à verbe intransitifl9 correspond en principe2o une phrase impersonnelleutilisant les mêmes éléments lexicaux. Mais l'on ne comprendrait pas l'existence d'une correspondance telle que :

67a. Des invités peuvent encore venir.

67b. Il peut encore venir des invités.

à moins de considérer peuvent venir comme un groupe verbal dont l'élément central n'est pas le verbe fini mais l'infinitif, dont la syntaxe est conforme aux restrictions sur la transformation impersonnelle. D'autres séquences verbe + infinitif peuvent ne pas avoir de constructions impersonnelles correspondantes même si l'infinitif est intransitif:

68a. Des espions se sont infiltrés dans le gouvernement.

68b. Il s'est infiltré des espions dans le gouvernement.

69a. Des espions ont essayé de s'infiltrer dans le gouvernement.

69b. *I1 a essayé de s'infiltrer des espions dans le gouvernement.

De même, la restriction sur la transformation passive (verbe transitif direct)
se vérifie, pour les groupes verbaux à auxiliaire, sur l'infinitif et non sur
le verbe fini :

70a. Un chien a mordu notre chat.

70b. Notre chat a été mordu par un chien.

71a. Un chien a failli mordre notre chat.

71b. Notre chat a failli être mordu par un chien.



19: Intransitif de façon inhérente {venir, arriver, etc.) ou par transformation (forme verbale passive ou pronominale passive).

20: On laisse ici de côté d'autres restrictions quine portent pas sur le verbe (nature du déterminant, etc.).

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72a. Un chien a voulu mordre notre chat.

72b. *Notre chat a voulu être mordu par un chien.2l

Certes, le parallèle établi ici entre les séquences aller, devoir, etc. + infinitif et les séquences avoir, être -f- participe passé n'est pas parfait. On peut objecter, par exemple, qu'il ne rend pas compte des différences de comportement des pronoms conjoints dans les deux structures:

73a. J'ai vu le jardin. Je l'ai vu.

73b. Je vais voir le jardin. Je vais le voir.

En d'autres termes, il y aurait une différence fondamentale dans le degré de cohésion interne des deux séquences, l'une interdisant une insertion pronominale, l'autre, au contraire, l'exigeant. Mais il faut noter que cette différence s'explique assez aisément si on la relie à la différence entre participe passé et infinitif. Celui-ci admet des pronoms conjoints (devant lui), celui-là les refuse22. En revanche, le pronom sujet en inversion se comporte de façon identique ici et là, puisqu'il s'accroche uniquement à un verbe fini.

Si cette analyse est correcte, il s'ensuivrait que la syntaxe des verbes de la première sous-classe peut s'expliquer sans MSS, à l'aide de la notion d'auxiliaire. Les verbes en question devront naturellement être marqués dans le lexique pour cette propriété, aussi longtemps du moins que les preuves manqueront pour dériver automatiquement le trait syntaxique d'auxiliarité de certains traits sémantiques. Il existe, par exemple, des locutions verbales telles que être sur le point de ou être loin de23 qui s'intégreraient assez bien sur le plan sémantique à l'ensemble des auxiliaires, mais dont le comportement syntaxique n'est pas concluant :

74. ?*II est sur le point de pleuvoir.

75. ?*II est loin d'y avoir autant de millionnaires qu'on le prétend, (cf. cependant
P. Attal, 1972, p. 32)

En réalité, l'argumentation en faveur d'une règle de MSS tire sa force de la
syntaxe des verbes de la troisième sous-classe (sembler, paraître, etc )



21: Cette phrase est évidemment possible, mais avec un sens tout à fait différent. Si l'indifférence à la notion de sujet profond est l'une des caractéristiques des auxiliaires véritables, vouloir n'en est pas un.

22: De ce point de vue, on peut dire que l'infinitif (ainsi d'ailleurs que le participe actif) conserve plus de traits verbaux que le participe passé.

23: On pourrait y ajouter avoir beau, qui semble plus facilement accepté dans les constructions impersonnelles: ?Il aura beau pleuvoir tout Vhiver, les récoltes ne pourront plus être sauvées.

Side 259

plutôt que de la première. L'existence d'une paire de phrases telles que 24 et 26, comportant les mêmes éléments lexicaux et considérées comme paraphrasesl'une de l'autre, engageait à postuler une structure profonde unique, susceptible de rendre compte à la fois de la variante avec subordonnée et de celle avec infinitif. Reprenons ces phrases:

24. La porte de la cathédrale semble être fermée.

26. Il semble que la porte de la cathédrale soit fermée.

Dans 26, la porte de la cathédrale, sujet superficiel de 24, forme avec être fermée une phrase enchâssée. Dans 24, ces deux constituants se trouvent séparés par sembler. Pour relier ces deux structures, il ne fait pas de doute que le meilleur moyen (peut-être le seul dans cette optique) était de postuler, comme l'a fait N. Ruwet, une structure profonde avec une phrase enchâssée sous sembler, lequel verbe recevra comme SN un sujet vide (cf. plus haut, 25). Dès lors, MSS devenait nécessaire pour extraire le sujet de la subordonnée et le placer en tête de la phrase afin d'obtenir 24. En dépit de son élégance, cette solution présente au moins une difficulté majeure : les phrases du type 24 et celles du type 26 ne sont pas nécessairement synonymes. Les exemples suivantes éclaireront peut-être mieux ce fait :

76a. Pierre n'est pas venu au travail ce matin ; il semble qu'il soit malade.

76b. * Pierre n'est pas venu au travail ce matin; il semble (être) malade.

L'agrammaticalité24 de 76b découle du fait que la seconde partie ne peut
être déduite de la première comme c'est le cas pour 76a. Voici un autre
exemple :

77a. Les clients n'achètent pas ce tableau; le prix en semble exagéré.

77b. Les clients n'achètent pas ce tableau; il semble que le prix en soit exagéré.

Dans 77a, la seconde partie énonce la cause connue du fait exposé dans la première; dans 77b, elle n'énonce que la cause supposée. Certes, cette différence de sens peut s'estomper dans certains contextes jusqu'à en devenir quasi imperceptible, mais elle n'en caractérise pas moins l'opposition de base des deux constructions, et il est nécessaire d'en tenir compte. Il est également nécessaire de tenir compte des diverses structures dans lesquelles sembler peut apparaître:

78a. Louis (me) semble fatigué.

78b. Louis (me) semble être fatigué.



24: Unanimement reconnue par les informants interrogés.

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78c. Louis (me) semble comprendre.

78d. II (me) semble y avoir du nouveau.

78e. Il me semble comprendre (// = impersonnel).

78f. Il (me) semble que vous compreniez (ou: comprenez).

Je propose de distinguer deux verbes sembler. Sembleri est un verbe à expansion infinitive obligatoire. 78a, où il n'y a pas d'infinitif, doit être considérée comme une réduction synonymique de 78b par suppression facultative d'un élément purement grammatical. Cette hypothèse bien connue (M. Gross, 1968, p. 130) permet par ailleurs de reconnaître une même structure dans 78a, b et c, la différence étant uniquement dans le caractère ineffaçable de l'infinitif en c. Remarquons d'ailleurs que être n'est pas toujours

79a. Jean semblait (être) un génie.

79b. *Jean n'est pas le génie qu'il semblait.

79c. Jean n'est pas le génie qu'il semblait être.

Comparons aussi:

80a. L'erreur a été et reste de faire appel à Jean.

80b. ""L'erreur semble d'avoir fait appel à Jean.

80c. L'erreur semble être d'avoir fait appel à Jean.

Ces exemples montrent, par ailleurs, qu'il est incorrect de grouper sembler,
paraître, avoir l'air2s, etc. dans une liste commune de verbes dits «attributifs»
avec être, devenir, rester, etc., dont le comportement est différent.

De par son sens, sembleri, comme par exemple pouvoir, peut être, ou lié nécessairement à un sujet profond, et dès lors il n'est pas un auxiliaire, au sens où nous l'avons vu pour les verbes de la première sous-classe (ex. 78a, b, c), ou ne rien prédiquer d'un sujet profond, auquel cas il pourra avoir, comme tout autre auxiliaire, n'importe quel sujet admis par l'infinitif suivant(78d



25: La substitution de en à l'attribut direct de avoir l'air est une confirmation supplémentaire de cette différence de statut: al. Est-ce que François est (reste, devient) sérieux? a2. Oui, il l'est (reste, devient). bl. Est-ce que François a l'air sérieux? b2. Oui, il en a l'air. Ce en ne peut s'expliquer que par une préposition de sous-jacente, laquelle est ellemême conditionnée par un infinitif sous-jacent:

b3. Oui, il a l'air (d'être) sérieux.

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vant(78d)26. Quant à sembler^, il appartient aux VEI27 et a une expansion phrastique obligatoire, soit sous forme de subordonnée complétive (78b), soit sous forme d'infinitif s'il y a identité entre le sujet sous-jacent de celui-ci et l'objet indirect de sembler2 * (78e). On remarquera que dans cette optique, 78d reste différent de 78e et 78f en dépit d'un sujet apparemment identique. Comme on l'a déjà montré plus haut, le sujet de (d) est conditionné par l'infinitif. La situation est quelque peu différente dans le cas de paraître. On a affaire cette fois-ci à trois paraître différents, dont deux il paraît que (= on dit que) et il paraît à SN29 (= il semble) sont des VEI. Cette différence de sens entre les deux formes impersonnelles est sans doute à l'origine des différences syntaxiques qui se manifestent entre paraître et sembler. Ainsi la phrase :

81. ?*II paraît y avoir beaucoup de monde.

est d'une grammaticalité au moins douteuse pour la plupart des informants,
alors que:

82. Il me paraît y avoir beaucoup de monde.

ne suscite aucune objection. La séquence il paraît... (il = impersonnel) a
tendance à être interprétée préférentiellement dans le sens de on dit, incompatibleavec



26: II est très difficile de dire dans quelle mesure un sujet personnel n'entraîne pas toujours pour le verbe la nuance de sens précédente. Les choses paraissent un peu plus nettes avec risquer: a. Pétula risque d'arriver en retard à son rendez-vous (= elle court le risque). b. Pétula risque d'arriver d'un moment à l'autre (et nous prendra en flagrant délit; c'est nous qui courons le risque).

27: Peut-être n'est-il pas inutile de spécifier qu'une construction est dite essentiellement impersonnelle si elle ne peut être mise en parallèle avec une construction personnelle de même sens dont les constituants immédiats sont dans l'ordre inverse: al. Il est venu un étranger. a2. Un étranger est venu. bl. Il semble que ce soit vrai. b2. *Que ce soit vrai semble. Le fait que sembler puisse avoir un sujet personnel ne change donc rien à l'affaire.

28: Cette syntaxe est à comparer avec celle de il faut: II faut que je parte. Il me faut partir. La forme avec infinitif appartient sans doute à un niveau de langue plus soigné.

29: II me parait que . . . est restreint à un niveau de langue soigné.

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compatibleavecun infinitif, ce qui n'est plus le cas pour Urne paraît que..
Par ailleurs, la phrase :

83. *I1 me paraît comprendre (il — impersonnel).

est agrammaticale, alors que la phrase correspondante avec sembler (78e) est correcte. Paraîtrez (à SN), essentiellement impersonnel, n'admet donc pas, comme sembler, aussi bien l'infinitif que la subordonnée. Ce fait peut à son tour être rattaché au caractère douteux sinon entièrement agrammatical d'une phrase complexe à sujets identiques telle que :

84. ?*II me paraît que je comprends.

Il faut peut-être voir une confirmation supplémentaire du statut essentiellement impersonnel de sembler que et de paraître que dans le fait que leur subordonnée peut être pronominalisée en le, contrairement à ce qui se passe pour les expansions des verbes accidentellement impersonnels et conformément à ce qui se passe pour il faut (cf. à ce sujet F. Sorensen, 1975, p. 169, et D. Seelbach, 1970, p. 235):

85. Cette vision n'est pas aussi spontanée, aussi fraîche qu'il pourrait le sembler
à première vue.

86. Mais les dirigeants militaires pouvaient-ils éviter de céder aux revendications
populaires? Il ne le semble pas. (Le Monde)

87. Simples épisodes devenus des habitudes? Pour trois raisons, il ne le semble
pas. {VExpress)

88. Si tel est le cas, comme il le paraît ...

89. Selon lui, la situation n'est point si mauvaise qu'il le paraît pour la France.
(LlExpress)

90. L'U.R.S.S. a retrouvé les normes de la paix civile. Mais pas autant qu'il ne
le paraît à première vue. (L'Express)

Notons cependant que l'interprétation de on dit que pour // paraît que disparaît dans ces exemples. Enfin, avoir l'air, en dépit de sa parenté sémantique avec les deux précédents, ne fonctionne que comme auxiliaire et non comme essentiellement impersonnel :

91. *I1 a l'air qu'il ya beaucoup de monde,

92. Il a l'air d'y avoir beaucoup de monde.

On doit donc s'attendre à ce que la phrase correspondant à 78e soit impossible,
comme pour paraître, et à plus forte raison encore; effectivement,
elle l'est:

93. *I1 m'a l'air de comprendre (;7 = impersonnel).

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Remarquons que ces faits, à savoir l'agrammaticalité de 93 et de 83 face à la grammaticalité de 78e, auraient paru difficilement compréhensibles sans référence à l'existence ou à la non-existence d'une forme de base impersonnelle.

Cependant, la syntaxe de sembler, paraître, avoir Pair soulève un problème
supplémentaire, illustré par les phrases suivantes, dans lesquelles le verbe
peut indifféremment être l'un des trois (avec à SN en plus pour paraître) :

94a. Il semble y avoir beaucoup de monde.

94b. *I1 semble normal (d')y avoir beaucoup de monde.

94c. Il semble normal qu'il y ait beaucoup de monde.

D'où vient l'agrammaticalité de 94b, où l'on a pourtant le même sembler que dans 94a, lequel est, comme on l'a vu, compatible avec une expansion impersonnelle à l'infinitif? Comment se fait-il que sembler possible fonctionne àla manière des VEI (*il faut y avoir) plutôt que comme sembler! Cette bizarrerie syntaxique s'explique assez aisément si l'on se souvient que sembler, auxiliaire, a toujours un infinitif comme expansion obligatoire. 94b est donc la réduction de:

94d. *I1 semble être normal (d')y avoir beaucoup de monde.

de même que 95a est la réduction de 95b (cf. aussi 78a et b) :

95a. Il semble possible de se réunir.

95b. Il semble être possible de se réunir.

Le sujet impersonnel de ces phrases est donc en réalité celui de être, explicite ou implicite. Dès lors, une expansion infinitive impersonnelle est impossible, puisqu'elle exigerait l'effacement d'un pronom impersonnel (*ilfaut y avoir). En revanche, 95a et b sont possibles puisque l'expansion infinitive n'est pas un verbe impersonnel. Cela nous permet aussi de comprendre pourquoi 96b est grammatical alors que 96a ne l'est pas :

96a. *I1 a l'air qu'il y a beaucoup de monde.

96b. Il a l'air normal qu'il y ait beaucoup de monde,

La différence n'est pas imputable à un changement de syntaxe de // a Vair,
dont on a vu qu'il n'admet pas que P, mais à un être effacé.

On a essayé, tout au long de cette étude, de proposer une description de certains faits liés aux constructions impersonnelles qui ne fasse pas appel à une règle de MSS. L'agrammaticalité de *il faut y avoir ressort de l'interdictionde compléter un verbe impersonnel par l'infinitif d'un autre verbe

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impersonnel, interdiction liée sans doute à l'impossibilité d'effacer un pronomimpersonnel. La grammaticalité de // doit y avoir découle de l'existence de certains verbes qui ne sont que diverses modalités d'un autre verbe ou de la phrase et qui n'ont donc pas de sujet propre. On peut certes se demander si MSS ne reste cependant pas indispensable pour expliquer correctement les faits très particuliers qui sont liés à la syntaxe de en, tels qu'ils ont été exposés par N. Ruwet (voir plus haut). L'auteur part d'une longue liste d'exemples dont je ne reprendrai ici qu'un seul (déjà cité plus haut, 52a et b):

97a. La porte de la cathédrale semble être fermée.

97b. *La porte en semble être fermée.

97c. La porte semble en être fermée.

Pour rendre compte de la place de en, issu d'un complément du sujet, devant l'infinitif et non, comme on pourrait s'y attendre, devant le verbe principal (ou plutôt fini), il faut postuler une structure profonde à sujet vide telle que celle de 25, mais où figure PRO au lieu de de la cathédrale :

98. [P A semble [P [sn la porte de PRO] [sv être fermée]]]

A cette structure s'appliqueront, dans l'ordre, une règle EN-AVANT, qui attache de PRO au verbe suivant, puis MSS, qui détache ce qui reste du sujet pour le placer devant semble, ce qui donne 97c. Tous les exemples proposés comportent un verbe fini suivi de être à l'infinitif (la plupart de ces verbes ont été décrits ici comme auxiliaires). Mais la remarque qui s'impose, c'est qu'aucun de ces verbes, dans les structures données, n'accepte de pronom conjoint quel qu'il soit, leur unique «complément» étant précisément l'infinitif suivant, à l'exception du pronom datif {me, te...) pour sembler et les verbes apparentés, ainsi que le substitut en, issu d'un complément circonstanciel de cause, celui-ci n'étant pas lié à la transitivité du verbe. La place devant l'infinitif était donc la seule possibilité pour en issu d'un complément de sujet ou pour tout autre substitut issu d'un complément à l'intérieur du syntagme verbal. L'exemple que N. Ruwet (p. 57) oppose à cette façon de voir, même s'il était acceptable3o, ne change rien à cette situation:

99. La solution en a failli en être publiée.



30: II ne s'est trouvé aucun informant pour accepter cette phrase. Par ailleurs, lorsqu'elle devient acceptable avec un seul en (de cause), c'est plutôt devant être qu'on rencontre ce en : ça s'est passé si brusquement que jai failli en être surpris.

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où le en devant a failli serait un complément de cause (= de ce fait) et l'autre un complément du sujet (= de ce problème). Le complément de cause, on vient de le dire, ne dépend pas de la transitivité du verbe. Il me paraît en être de même pour d'autres exemples mentionnés par l'auteur:

100a. ?L'auteur en a oublié d'être à l'heure (en = de ce livre).

100b. *L'auteur a oublié d'en être à l'heure.

101a. ?Le chef en a daigné être magnanime (en = de la révolte).

101b. *Le chef a daigné en être magnanime.

L'argument tiré de ces exemples est que, les phrases a étant, sinon très bonnes, du moins meilleures que les phrases b, en, complément de sujet, ne se place pas toujours nécessairement devant l'infinitif; que, d'autre part, ce n'est pas être qui «attire» en, et, enfin, que la place de en dépend du verbe principal (sujet vide ou non). Ce qui est gênant dans ces exemples, c'est que, dans la mesure très réduite où ils sont acceptables, en y est toujours interprété par les informants comme un complément de cause3l. Il n'est pas certain, d'autre part, que la règle plaçant en, substitut d'un complément de sujet, devant le verbe, puisse être formulée comme une simple règle de mouvement, sans autres spécifications. Il semble plus plausible qu'une règle de cette espèce place en devant le verbe auquel se rattache le sujet, c'est-àdire, dans notre cas, devant l'infinitif, de même que la règle plaçant les substituts de divers compléments dans le syntagme verbal doit rattacher ces substituts aux verbes qu'ils complètent et non pas à n'importe quel verbe précédent. Quoi qu'il en soit, la solution du problème posé par la place de en ne paraît pas non plus, de toute évidence, exiger une règle aussi «curieuse» que MSS.

David Gaatone

Tel-Aviv

Résumé

On essaie, dans cette étude, de comparer le comportement de certains verbes en français par rapport à la possibilité d'une expansion impersonnelle sous forme d'infinitif. On se demande d'autre part si la propriété en question peut et doit être reliée à la règle de «montée du sujet» postulée par la grammaire transformationnelle pour expliquer certains phénomènes syntaxiques dans diverses langues, dont le français. Une réponse affirmative obligerait à admettre, pour un grand nombre de verbes par ailleurs très différentsles uns des autres, l'existence d'un sujet profond vide. On s'efforce de montrer



31: II semble que la place de en, complément de cause, dans les séquences verbe -j- infinitif, dépende de la nature du verbe fini (auxiliaire ou non).

Side 266

que les phénomènes étudiés admettent une explication fondée sur la notion d'auxiliaire, et que la règle de «montée du sujet» ne paraît pas nécessaire pour en rendre compte, pas plus qu'elle ne paraît seule en mesure de rendre compte d'un autre phénomène syntaxique avancé pour en justifier l'existence, à savoir la place particulière du substitut en dans certaines constructions.

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