Revue Romane, Bind 11 (1976) 1

Denis Girard: Les langues vivantes. Larousse, coll. «Enseignement et pédagogie», Paris, 1974. 207 p.

O. Brabant

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Un petit livre qui pourrait bien servir de «vade-mecum» dans l'enseignement et l'apprentissage des langues vivantes (p. 8, 31). Un «vade-mecum» avec son bagage d'information et d'érudition bien au point au moment de sa parution. «Vade-mecum^. oui ... mais selon l'esprit de l'auteur, qui met en garde contre «le danger qu'il y aurait de rester à la remorque de telle ou telle théorie linguistique ou psychologique» chologique»et sur la nécessité «d'être à l'affût de toutes les découvertes... » (p. 197). Livre donc très éloigné des cahiersrecettes à fin soi-disant «pédagogique».

Livre situé dans le temps et l'espace: les trois dernières décennies en Amérique et en Europe, plus particulièrement aux U.S.A., en Angleterre, en France. La riche bibliographie, répartie à la fin de chaque chapitre, témoigne du caractère plurinational de l'ouvrage. Toutefois, si l'auteur a le mérite d'avoir, dans son étude, dépassé les frontières françaises, on peut regretter qu'il n'ait pu rendre compte de ce qui se fait dans les pays de l'Est.

L'objet du livre: un bilan (et non seulement un inventaire.) (cf. p. 124) des théories, des expériences et des recherches sur les «données du problème» (p. 11-64), sur la «méthodologie 'moderne* des langues vivantes» (p. 67-146), sur les «perspectives d'avenir» (p. 149-195).

II est facile d'en dégager les priorités et les convictions de l'auteur, pédagogue et chercheur averti, sur des questions toujours actuelles. J'en souligne ici un certain nombre, sans vouloir être exhaustif, d'après un ordre qui exprime des préoccupations personnelles sans trahir, me semble-t-il, l'intention de D. Girard. Schématiquement:

1. Une claire conscience de ce qui relève de trois tâches distinctes: acquérir une langue (langue maternelle ou langue I), apprendre une langue (langue étrangère ou langue II), enseigner une langue (I ou II). Cf. p. 8, 18, 31. Cela en regard du triple système phonologique, lexical, syntaxique (p. 13-14).

2. La situation «triangulaire» ou les trois composantes de l'enseignement et de l'apprentissage : élève (groupe d'élèves), professeur, méthode (p. 48).

3. Rôle capital du professeur (p. 51, 54,
128); nécessité de sa formation théorique

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et pratique (qui est, faut-il le rappeler, bien autre chose que l'information et la documentation) «sans laquelle les meilleuresméthodes ne donneront jamais les résultats escomptés» (p. 144, 187-189, 191).

4. Problème de Yaptitude aux langues
étrangères (p. 170, 182): le problème existe,
comme pour d'autres aptitudes.

5. Enseigner DANS la langue plutôt que SUR la langue. Problème de la «traduction»: ne pas mêler la langue I et la langue II (p. 42, 50, 78-79).

6. Question des niveaux (p. 171) à étudier en rapport avec les objectifs poursuivis (p. 41, 50, 177, 193-194). Eviter les disparités excessives (p. 178). Question, bien entendu, quina rien à voir avec une fausse démocratie: que penser de ces écoles pour adultes où l'on groupe les élèves sans aucune autre distinction que celle des catégories habituelles («débutants», «avancés», etc.) sans tenir compte de leurs objectifs respectifs?: «Il est certain que l'étude d'une langue étrangère au niveau universitaire ne correspond pas aux mêmes exigences, suivant que l'étudiant se destine à l'enseignement de cette langue ou à une tout autre utilisation. Une spécialisation trop tardive, comme celle que l'on observe le plus souvent aujourd'hui, ne peut avoir que de fâcheuses conséquences» (p. 193).

7. L'importance des motivations (p. 37): question proche de la précédente. Au sujet des motivations, on trouve, à la page 51, un brin de philosophie, inhabituel dans un te! ouvrage, mais combien fondé: «L'ouverture à l'autre, à l'étranger, écrit D.G., est la condition première d'une ouverture à la langue étrangère». L'idée frôle l'utopie quand on songe à la plupart des occasions qui ont donné l'essor à l'enseignement et à l'apprentissage des langues vivantes: guerres, dominations, impérialisme, périalisme,colonialisme de tous ordres. . . Dans cette optique, D.G. met en rapport «langue vivante et culture» pour rappeler que la littérature n'est pas la seule forme de culture.

8. Les moyens audio-visuels: moyens non magiques, beaucoup l'ont expérimenté. .. souvent jusqu'à douter de leur utilité ou de leur efficacité, et cela, après y avoir investi des sommes considérables sans se préoccuper de la formation du personnel (et, je le répète, non seulement «l'information ») pour utiliser à bon escient ces moyens. Une idée à souligner; préférer pour chaque professeur un équipement léger à portée de la main à un équipement lourd, difficilement accessible; en conséquence, aménager en très grand nombre des locaux pour l'enseignement et l'apprentissage des langues vivantes (la page 131 serait à citer entièrement). Pas plus que le tableau noir, les moyens audiovisuels ne doivent être considérés comme «extraordinaires ».

9. La recherche en pédagogie est obligatoirement
pluridisciplinaire (p. 188).

10. L'importance de la psycholinguistique
et de la sociolinguistique: l'aspect social
de l'apprentissage (p. 101-102).

11. Le caractère déterminant mais relatif des apports de la linguistique (Saussure, Chomsky), de la psychologie et de la technique moderne. Entre le «behaviorisme skinnérien» et l'«innéisme outrancier» (p. 22).

12. Le problème de Y évaluation des trois variables: élève, professeur, méthode. Nécessité, mais aussi difficulté. Les types de tests. Bien distinguer entre l'aspect pronostique et l'aspect diagnostique des tests. Ne pas mêler apprentissage et ... évaluation: l'élève n'est pas un «cobaye» (p. 176-186).

Pour l'enseignement et l'apprentissage des
langues vivantes, il n'y a pas de solution

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magique: en bref, ce serait le mot de la fin de l'auteur. Selon lui, le sentiment de malaise est général (p. 149, 167) malgré les efforts des trente dernières années. Constat d'échec de la discipline ?... ou plutôt point de repère pour un nouvel élan? L'optimisme l'emporte, malgré tout, optimisme lucide centré - c'est l'objet du dernier chapitre - sur la «formation des professeurs avec le seul encouragement des succès partiels enregistrés au passage et la conviction profonde que nous sommessur la bonne voie» (p. 198).

L'ouvrage de Denis Girard est à recommander sans hésitation à tous les «usagers» de l'enseignement et de l'apprentissage des langues vivantes, professeurs et étudiants, qui veulent réfléchir sur leur fonction respective. Excellente façon de «faire le point».

Copenhague