Revue Romane, Bind 11 (1976) 1Maurice Clavel: Ce que je crois. Grasset, Paris, 1975. 318 p.O. Brabant
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Du «Ce que je crois» de Maurice Clavel, le douzième de la collection après le «Ce queje crois» de Jacques Duelos, je retiens surtout ici, à des fins littéraires, le récit de conversion. Il n'occupe qu'une place restreinte dans le livre (les premières pages). Mais, on s'en doute, il «commande » tout le reste, dix ans après l'événement qui a eu lieu un certain jour de mai 1965. La bibliographie sur le phénomène de la conversion est énorme: pour la seule Bibliothèque Nationale de Paris, celui qui s'intéresse à la question doit consentir à passer quelques jours devant les fichiers des matières. Qui voudrait se rendre compte de la complexité du phénomène et des multiples approches dont il a fait l'objet, n'aurait qu'à lire le remarquable article (sans aucun doute le meilleur du genre) de P. Hadot dans Encyclopedia Universalis. Cependant, je ne crois pas que les sémiologues aient encore étudié les structures narratives des récits de conversion au même titre et par le même éclairage que d'autres récits, tels que les récits bibliques (cf. les travaux collectifs des Séminaires de Greimas et de Barthes). Il y aurait là de quoi satisfaire les sourciers du texte les plus avides. Le récit que Clavel fait de sa conversion, constituerait une pièce de choix à verser au dossier. Sans préjudice des nombreux points de vue déjà bien connus des sciences humaines, philosophiques et théologiques (pourquoi ne pas prévenir tout de suite les susceptibilités inutiles), les récits de conversion (politique ou religieuse; dans le cas de Clavel, religieuse) relèvent du discours (autre chose serait de dire «la conversion est un discours » et surtout «n'est qu'un discours»;. Discours au sens où Roland Barthes l'entend quand, pour le langage amoureux (sujet d'un de ses derniers séminaires), il distingue discours et écriture: «Je parlerais, dit Barthes, d'un discours amoureux, mais jamais d'écriture amoureuse. Le discours, c'est un ensemble de figures, c'est-à-dire des configurations de raisonnements, d'images qui sont à cheval entre un contenu et une forme, mais ce n'est pas du pur signifiant comme dans l'écriture. Le discours amoureux, c'est une structure d'énonciation où se rassemblent les différentes possibilités qu'a le sujet humain pour se placer dans ce qu'il dit» (Entretien exclusif, dans Le Figaro Littéraire, 5 juillet 1975). De ce point de vue, le récit de Clavel, comme tous les autres récits d'ordre politique ou religieux, présente un intérêt certain. Le familier de cette littérature y reconnaît sans peine «l'ensemble de figures» dont parle Barthes. En voici les plus fréquentes auxquelles le récit de M. Clavel ne fait pas exception (cf. p. 9-12): rinstantané et la violence du phénomène bien localisé (vers une heure et demie de l'après-midi, prenant un café «ur le divan, mai 65): «Je peux dire ce que j'ai fait, ce qu'on m'a fait, non ce qui m'a fait ... lorsqu'on me demande quelle fut mon aventure spirituelle, je réponds: Je fus décapé comme un évier priant qu'on imagine les sensations d'un évier sous un décapant» (p. 264); la sensation physique de ce qui se passe («la foudre»); Vambiguïté du mode de connaissance («Dois-je dire la foudre?»; «Je ne suis même pas sûr que j'aie vu l'éclair»; «Je fus soulevé, lancé au loin, écrasé. J'en eus du moins le sentiment ... comme si ... »; «Pendant - faut-il dire pendant?». La locution hypothétique «comme si» est typique de cette forme de récit. LTne perception différente du réel, une certaine irréalité dans la réalité, où l'irréel, comme l'invisible dans
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le visible, se joint au réel non pour l'annihiler Enfin, le récit de sa conversion, il le fait plutôt dans le sens du « confiteri-enuntiarevitam-suam» augustinien, et non à titre d'agrégé de philosophie. Récit à l'origine d'un projet («le premier . . . depuis . . . dix ans», p. 17), d'un projet altruiste sans intention de tout prosélytisme s'il faut en croire l'auteur, ayant un double souci (p. 22-23): libérer Dieu pour mieux libérer l'homme mais aussi «reprendre humblement, après deux siècles, à de nouveaux frais, l'effort de Kant, tel qu'il nous l'a résumé dans la Critique» (cf. p. 16 où Clavel énonce sa thèse). C'est là l'objet du «Ce que je crois» de M. Clavel lequel, selon lui, tient dans le Credo (p. 17). - Un dernier élément important à souligner concernant le récit et tout le livre, on le trouve dans Y Avertissement du début: «... la forme de cet ouvrage, méditation ininterrompue, familière, intime, presque parlée, en tout cas rédigée sans documents, avec des citations de mémoire.. .» (p. 8). J'ai dit que je m'en tiendrais ici à mettre en relief les éléments du récit que Clavel fait, après tant d'autres, de sa conversion. En dépit des remarques préventives de l'auteur et compte tenu de ses caractéristiques propres, ce récit de conversion est bien dans la tradition littéraire du genre. Bien entendu, pour la plupart des lecteurs,le «Ce queje crois» de Clavel n'est pas d'abord exercice sémiologique. Le premierintérêt du livre est ailleurs. Je laisse à d'autres le soin de discuter ou de mettre en exergue les nombreux thèmes de réflexionqu'offre cette sorte d'autobiographie,bien particulière, conçue et située dans l'immense contexte de l'histoire de la pensée occidentale. Car - mis à part l'événement de la conversion, point à la fois central et culminant de la vie de Clavel - c'est bien dans cette perspective d'ensemble que l'auteur évoque quelques
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traits de ce qu'il est convenu d'appeler la petite histoire. A partir du «Ce que je crois », les biographes n'auront pas de mal à construire un Maurice Clavel: l'étudiant à Henri IV et à Normale Sup., le professeurde philosophie, le romancier, l'auteurde théâtre, l'essayiste, le journaliste - sans oublier les petits couplets de sexualité, par-ci par-là - mais aussi le militant politique (ses rapports avec de Gaulle), l'«annonciateur», puis le contestataire de mai 68 (cf. p. 227-229, 233-237: la significationultime qu'il en donne ne ralliera pas tout le monde, mais tel n'est pas son but!), le disciple-critique de Kant, Pascal, Kierkegaard, l'ennemi de tout dogmatismede la pensée quel qu'il soit, de gauche, de droite, du centre. Enfin et surtout le converti, le croyant au-delà de toute raison. Après cela, faut-il s'étonner de sa sympathie, de sa ferveur même (mais ... toujours critique) pour Michel Foucault (cf. p. 122 ss, 140 ss, 206)? Avec Les Mots et les Choses, tout redevientpossible: recommencer à penser (p. 123). La citation qui suit donne à le croire tout en ramenant le lecteur à l'intentioninitiale de Clavel au moment d'écrire son «Ce que je crois» (p. 31: après SimoneWeil et plus loin qu'elle, «nettoyer la religion chrétienne non pas par mais de la philosophie ») : « Michel Foucault fait naître, condamne à mort et fait mourir devant nous, au long d'un siècle et demi, en son architecture anarchique ou plus précisément son anarchie architecturée, cette mixture freudo-marxisto-husserlo-sartro - heideggeriano - logistico - structuraliste, que, pour ma part j'avais trouvée là, sans plus, et comptais réfuter élément par élément et à plat. C'est donc bien, comme chez Kant, l'extirpation radicale - par la racine - de toutes les philosophies précédentes, et sans doute de toute philosophie possible. Mais c'est peut-être mieux que chez Kant. Ou du moins je distingue deux différences qui doivent tenir à la date des deux ouvrages, à la place des deux penseurs dans l'Occident. Ce déracinement, chez Kant, est une réfutation, cependant qu'il suffit à Foucault, pour détruire, de décrire et d'engendrer au long de l'Histoire: on voit naître, mal naître, et mourir les doctrines. C'est donc presque plus parfait» (p. 130-131). Parmi les critiques «de lancée» (selon l'expression de Barthes), le titre le plus suggestif aura sans doute été: «Un nouveau Pascal» (Le Monde). Les collectionneurs de «pensées» se plairont à découvrir des phrases lapidaires. A leur intention, quelques points de repère: p. 18, 25, 30, 61, 86-87, 95-96, 98, 101, 106, 301-303, Une chose est sûre: le livre de Maurice Clavel qu'on dirait écrit d'un seul souffle, avec une âme de feu, dans un spasme retenu depuis longtemps par quelque force à la fois étrangère et personnelle et qui arrive enfin à s'exprimer, ce livre ne laisse personne indifférent, soit pour «accrocher», soit pour irriter. L'auteur en est bien conscient (cf. p. 13 et 23). Copenhague |