Revue Romane, Bind 11 (1976) 1

Irène Bessière: Le récit fantastique. La poétique de l'incertain. Coll. «thèmes et textes », Larousse, Paris, 1973. 256 p. Jean Decottignies : Prélude à Maldoror. Vers une poétique de la rupture en France 1810-1870. «Etudes romantiques». Colin, Paris, 1973. 230 p.

Michèle Simonsen

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C'est devenu un lieu commun de la critiquemondaine que de voir dans l'extraordinairevogue du fantastique qui sévit depuis plusieurs années (et ce vocable alors très lâche recouvre tout ce qui va de Superman à Dracula en passant par la Science-Fiction) la marque d'une libérationde l'imagination et l'expression bienvenue d'une Contre-Culture. Ce phénomènene doit pas être confondu avec le renouveau d'intérêt que manifeste depuisune dizaine d'années la Nouvelle Critique pour la littérature fantastique, renouveau marqué dès 1967 par une décadeà Cerisy-la-Salle, et pour lequel l'ouvragede "Izvetan Todorov: Introduction à la Littérature fantastique (Paris, Seuil,

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1970) a certainement joué un rôle déterminant.Ce livre désormais «canonique» a donné ses lettres de noblesse à un genre réputé mineur, réservé jusque-là à la curiositémarginale de quelques universitairesisolés, dont le plus connu restait sans doute Pierre-Georges Castex: Le conte fantastique en France de Nodier à Maupassant, (Paris, Corti, 1951). Témoignantd'un grand souci de rigueur dans sa définition du genre, Todorov marquait une date tournante en essayant d'établir une typologie du fantastique qui classait les différents motifs non plus selon leur «nature», mais selon leur fonction dans le texte; c'est-à-dire que l'auteur restait fidèle à ses principes structuralistes bien connus. D'autre part, en insistant sur le fait que le conte fantastique est avant tout un récit, il inscrivait les réflexions qu'il suscite dans le cadre plus général d'une Poétique. Il a inspiré par là bien des écrits sur le fantastique parus depuis, soit que ceux-ci s'en réclament directement, soit qu'ils s'écrivent en partie contre lui. En effet, cet ouvrage, qui alliait à une étude formelle une approche thématique atemporelle,a été très discuté. Deux ouvrages récents, très différents l'un de l'autre par le sujet, l'envergure et les méthodes, me semblent chacun à leur manière relancer de façon très fructueuse le débat sur la littérature fantastique, en ancrant délibérémentcelle-ci dans son contexte socioculturel.Il s'agit de: Le récit fantastique, d'lrène Bessière (désigné par IB ci-après) et de Prélude à Maldoror, de Jean Decottignies(JD).

Le petit livre d'lrène Bessière est fidèle aux principes de la collection «thèmes et textes», qui cherche à lire les œuvres littéraires en relation étroite avec les sciences humaines. L'auteur cherche à faire un tour exhaustif de la question, étudiée sous tous ses aspects, en même temps qu'elle énonce une conception originale du fantastique. En 250 pages compactes, pactes,dans une langue extrêmement abstraite et parfois quelque peu embarrassée, il faut le dire, elle propose à la fois une définition du fantastique, une histoire et une esthétique du genre, et un chapitre final sur le statut du fantastique (Fantastique et monde social, Fantastique et univers mental, etc.). L'histoire du genre va de sa genèse à la fin du XVIIIe siècle avec Cazotte (Le Diable amoureux) et Potocki (Le manuscrit trouvé à Saragosse), jusqu'au renouvellement du fantastique au XXe siècle avec Julio Cortázar et Jorge-Luis Borges, en passant par le roman noir anglais, le fantastique allemand, Romance et fantastique américain (Hawthorne, Poe, etc.). IB traite donc du fantastique d'après un corpus nettement plus étendu que celui de Todorov. Le survol historique du chapitre 3, le plus long, est nourri d'analyses substantielles de textes concrets, étudiés à la lumière des autres chapitres, plus théoriques.

Prélude à Maldoror représente la publicationséparé et remaniée d'une partie d'une thèse de doctorat sur «l'expansion de la fantasmagorie dans la littérature» : La poétique de Cauchemar en France à Vépoque romantique (1970). Dans cet ouvrageplus général, Decottignies avançait l'idée que les Romantiques ont cherché à donner droit de cité à une réalité psychique,celle du rêve, de l'onirisme, du délire, qui, d'épisodique qu'elle était dans la littératureclassique (cf. le songe prophétiqued'Athalie, la folie d'Oreste, etc.), cherche avec eux à envahir tout le champ du réel; mais les Romantiques se sont livrés à une entreprise paradoxale: «incorporeraux structures romanesques traditionnelles,la production de la pensée déréelle - celle qui s'énonce à rencontre de toute intelligibilité, excluant la cohérenceet la continuité du discours». Poussé à ses conclusions logiques, cet envahissementdu champ de l'expérience par l'onirisme devrait amener le rejet de toute

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discursivité narrative. C'est ce que réaliserafinalement Lautréamont. Mais les Romantiques ont gardé inchangés les principes esthétiques traditionnels: règle de la vraisemblance narrative, qui exige un solide enchaînement des causes et des effets, et préjugé humaniste, qui fait prévaloirles déterminations psychologiques dans l'économie du récit. Les Romantiquescherchent cependant à procéder à une mutation du héros, c'est-à-dire «à concevoir un type humain capable d'assumerles péripéties d'une affabulation fantastique». C'est cette attitude intermédiaire,de compromis, des Romantiques qui intéresse Decottignies, d'où le titre du présent ouvrage: Prélude à Maldoror; ce n'est qu'au tout dernier chapitre, le plus court, que l'auteur traite directement de Lautréamont, pour montrer l'étape ultime - au-delà du Romantisme - de cette poétique de la rupture qui devient logiquement«la rupture de toute poétique». Or, suivant en ceci Pierre Macherey {Pour une théorie de la production littéraire, Maspéro,1966;, JD définit la poétique comme les lois, «les nécessités qu'imposent à toute parole l'existence et le fonctionnement simultané du discours culturel au sein duquel elle se produit» (p. 12). Le «horstexte»des écrivains de l'époque romantiqueserait l'ensemble des doctrines onirologiquesen vigueur à l'époque. «Toute onirologie se propose, plutôt que de donnerle sens des rêves, d'inscrire ceux-ci dans un univers cohérent, c'est-à-dire d'établir une formule particulière d'équationentre le rêve et le rêveur ». Or, l'époque romantique voit s'affronter plusieurs discoursculturels concernant - entre autres choses - l'onirologie: le discours théologiqueséculaire, le discours positiviste issu des Lumières, et un troisième discours, représentépar le dé\eloppement des théoriesmagnétiques issues des travaux de Franz Mesmer et la théorie de la «mystiquenaturelle». Prélude à Maldoror s'attache à l'étude de ces théories magnétiqueset à leurs répercussions dans les récits des écrivains romantiques.

Les théories de Mesmer et de ses disciples sont extrêmement mal connues. Il règne d'ailleurs la plus grande incertitudeet la plus grande confusion dans la terminologie de l'occultisme, et ce n'est pas le moindre mérite de JD que de clarifier, dans la mesure permise par l'extrêmecomplexité et diversité des réflexions de l'époque, des termes comme: magnétisme,somnambulisme, spiritisme, hypnotisme,d'une part, théosophie et illuminisme,d'autre part. Selon JD, les doctrinesmagnétistes représentent un mouvementde pensée neuf, qui semble contester à la fois théologie et positivisme. Tous les phénomènes inouïs, les pouvoirs surhumains,la force des songes et des délires, bref tout ce qui est nié par le positivisme comme contraire aux lois naturelles, est reconnu par le magnétisme. Mais contrairementà la pensée théologique, le magnétisme ne fait pas relever ces phénomènesde la Surnature, mais de la Nature elle-même. Malgré leurs divergences, les magnétiseurs sont d'accord sur un petit nombre de principes naturalistes et s'accordentsur le postulat de la primauté de la matière. Il importe donc de noter que les doctrines magnétistes, sous leur forme première de «somnambulisme» puis plus tard de «spiritisme», s'opposent radicalementà celles de l'illuminisme, avatar de la pensée théologique. Toutes cautionnent l'insolite, et tendent à déposséder la raison de sa primauté, puisque les manifestations de l'insolite sont mises en doute par la raison. Mais les magnétiseurs considèrent que dans le délire, la raison est oblitérée, et que le psychisme voit l'expansion d'autres pouvoirs personnels, donc natureh;pour les illuministes, au contraire, le délire produit un vide dans le psychisme humain, qui le rend alors ouvert aux manifestationstranscendantes de l'au-delà,

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donc de la Surnature. JD étudie minutieusementles écrits des divers magnétiseurs de l'époque, et l'inscription de ce nouveau discours culturel subversif dans la poétiqueromantique. Ce cheminement est articulé selon deux lignes de force qui constituent les deux chapitres médians de l'ouvrage: la théorie de la force psychique et la promotion de l'individualité (la puissancegenerative du moi et son expansion dans la «vie poétique»); la théorie de l'harmonie universelle et la dépression de l'individualité.

Malgré leur démarche et leur sujet différents, IB et JD ont du fantastique une conception commune, en ce qu'ils en font l'un et l'autre l'affrontement de discours culturels concurrents: Le discours fantastique se présente comme le lieu d'affrontement de plusieurs discours culturels (positiviste, théologique, magnétique), amenant une situation dialogique, c'est-àdire que «les antinomies ne sont pas des accidents du discours mais sa substance même» (JD, p. 14). - «II n'y a pas de langage fantastique en lui-même; selon l'époque, il se lit comme l'envers du discours théoîûgique, illuministe, spiritualiste ou psycho-pathologique; et n'existe que par ce discours qu'il défait de l'intérieur» (18, p. 13). - «Le fantastique correspond à la mise en forme esthétique des débats intellectuels d'un moment, relatifs aux rapports du sujet au supra-sensible et au sensible: perception essentiellement relative des convictions et des idéologies du moment» (18, p. 11). IB et JD ont d'ailleurs d'autres points communs: un même souci d'enraciner la littérature fantastique dans un contexte culturel, une même sensibilité à la mise en question des pouvoirs de la raison qu'elle manifeste, une même préoccupation pour les implications poétiques des prémisses intellectuelles de cette littérature.

IB est sévère à l'égard de Todorov. Elle refuse de voir en lui une coupure dans l'histoire de la réflexion critique sur le fantastique. Selon elle, Sade, W. Scott, Nodier «avaient déjà proposé une histoire et une typologie selon une démarche qui n'a rien perdu de son actualité»; et Nodier avait, de plus, déjà remarqué «la parenté du fantastique avec la fracture historique», et «interprété celui-ci comme une inaptitude à décrire le quotidien dans ce qu'il a d'original». D'autre part, IB voit toutes les définitions du fantastique avancées jusqu'ici - celles de Jean Bellemin-Noël et de Todorov, comme celles, plus traditionnelles, qui les ont précédées, marquées par un anti-rationalisme premier. Qu'il s'agisse de décrire un insolite conçu comme objectif, naturel, ou d'explorer l'inconscient, le côté sombre de la psyché humaine, il s'agit toujours de «faire du fantastique l'approche de quelque certitude», de «réduire arbitrairement la duplicité de ces récits, pour les réduire à un contenu sémantique unique: la peur devant l'inconnu» (celui-ci fût-il, comme chez Bellemin-Noêl, les profondeurs de l'inconscient; cf. l'article intitulé «Des formes fantastiques aux thèmes fantasmatiques», Littérature, N° 2, mai 1971). Pour 18, «il semble plus pertinent de lier le fantastique à une enquête, conduite d'un point de vue rationaliste, sur les formes de la rationalité» (p. 59).

On sait que Todorov, après un long préambule théorique sur la notion de genre, faisait du fantastique la ligne de partage entre les deux genres voisins du merveilleux et de l'étrange. Il le définissait par l'hésitation du lecteur quant à l'explication,rationnelle ou irrationnelle, à donner aux événements relatés; par une technique de récit «modulante», qui maintenait le lecteur dans cette incertitude,en permettant notamment de lire le texte, et au sens propre, et au sens figuré; enfin par une certaine thématique. L'auteurcherchait

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teurcherchaitpar là à traiter, non un contenu, mais une organisation, et délimitaitdeux réseaux de thèmes, ceux du Je, du regard, concernant la structure du rapport perceptif et cognitif de l'homme au monde, et ceux du Tu. du discours, concernant les rapports de l'homme à autrui, à son inconscient, à son désir. Cette distinction, outre qu'elle est formuléeen des termes qui se révèlent à l'usage poser d'énormes difficultés d'ordre pédagogique, me paraît extrêmement contestable, d'autant plus que l'auteur semblait définir en partie ces deux réseaux de thèmes par leur incompatibilité au sein d'une même œuvre: hypothèse que le seul examen d'un texte de son propre corpus suffit à démentir. Dans la Morte amoureusede Gautier, il semble s'agir d'une pathologie (d'une transgression) de la perceptionau moins autant que d'une transgressionde la loi morale et de la sexualité. Même dans le temps de la narration, pourtantbien postérieur à celui de l'aventure, Romuald doute encore s'il a vraiment vécu ses amours avec la femme-vampire, s'il a été ou non le jouet d'une illusion. IB récuse la définition différentielle de Todorov, tout en insistant sur la confusionqu'il fait entre surnaturel et invraisemblable.Il est clair en effet que le surnaturelconstitue aussi un vraisemblable à un moment culturel donné, comme l'indiquentassez les traités de demonologie et les consignations devant notaires d'apparitionsde fantômes encore fréquentes au XVIIIe siècle. De fait, «le fantastique ne résulte pas de l'hésitation entre deux ordres, naturel et surnaturel, mais de leur contradiction dans le texte, et donc de leur récusation mutuelle et implicite» (18, p. 55). Il montre donc l'inaptitude de chaque code culturel à rendre compte de toute la realue. L'hésitation entre merveilleux et étrange n'est, selon 18, qu'une conséquence de l'antinomie constitutivedu titutivedufantastique, la conjonction du thétique et du non-thétique (en langage sartrien: thétique = «qui pose la réalité de ce qu'il représente»), pour pouvoir alors indiquer en creux l'absolument inouï, l'indicible.

Sur ces prémisses, IB élabore une esthétiqueet une écriture du récit fantastique. Historiquement et typologiquement, celuicine se comprend que par opposition au conte merveilleux dont il est issu. Le conte merveilleux est non-thétique, il fonctionne au niveau de la parabole, comme une manière de placer les valeurs qu'il exprime sous le signe de l'absolu. «Le conte merveilleuxs'impose parce qu'il y a désaveu du présent, conçu comme l'accidentel. Il impose - sans la discuter - la loi qui régit l'événement» (p. 17). Le fantastique, au contraire, par son mélange d'irréalité première et de réalisme, a pour ressort le problème de la nature de la norme, de la loi. «Le fantastique substitue, au merveilleux,moyen de la distance, l'étrange et le surréel toujours proches parce qu'ils contraignent à une décision (...) il efface tout article de loi. Il pose un problème de jugement: il faut apprécier et le fait et la norme» (p. 18). Mais l'esthétique du récit fantastique s'oppose aussi à celle du roman, du récit des «realia». Dans ce dernier, c'est l'agissement qui prévaut; la conquête du réel va toujours de pair avec la connaissance de soi, et l'événement est considéré par rapport à l'individu. Le récit fantastique inverse cette perspective. Il est orienté vers la vérité de l'événement, et non celle de l'agissement; un personnagesouvent passif s'interroge sur les événements pour en tirer des conséquences sur le statut du sujet. « L'étrangement inquiétant(cf. Freud: das Unheimliche) n'est pas le moi, mais l'occurrence, indice de la deregulation du mondes (p. 15). «Le roman réaliste place le monde sous le double signe de la nécessité et de la

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facticité: il y a une économie du réel et de l'histoire, et une liberté du personnage. La narration fantastique généralise la facticitéde l'univers, compris comme le surnaturelet le naturel».

Précisant, à la suite de Bellemin-Noël (article cité), les remarques de Todorov sur la technique narrative du récit fantastique et notamment sur la question du narrateur à la première personne, IB lie le double statut du héros à l'ambiguïté constitutive du fantastique, qui n'est donc pas seulement d'ordre réflexif. Le narrateur comme héros rend l'irréalité vraisemblable, mais, paradoxalement, le héros comme narrateur devient le garant de ce qui suscite le doute et l'incrédulité. Le héros, comme acteur, avoue avoir connu l'improbable, l'indicible, mais à nous entretenir de son cas, il essaie nécessairement de justifier son aventure, de l'intégrer partiellement dans un système de références connues. Le récit fantastique a donc nécessairement une structure discontinue (chap. 4).

De cette ambivalence constitutive du récit fantastique, IB tire des conclusions concernant son écriture. Elle remarque que, pour prêter quelque objectivité au fantastique et donner une existence verbale à ce qui n'en a pas, l'écrivain ajoute parfois à la discontinuité du discours (narration personnelle portant les marques de son énonciation), les marques stylistiques du récit (narration impersonnelle): imparfait, passé simple et leurs formes composées (p. 174).

IB redonne une fonction à la peur dans le récit fantastique - élément que, depuis Todorov, la critique avait banni de toute définition du fantastique, répugnant à fonder un genre sur les réactions subjectives du lecteur. Mais pour 18, le double statut du héros fantastique, chargé à la fois de voir et de dire, indique déjà une manière de lire le récit. La non-intégration des différents niveaux de la narration est constitutive; l'inscription de la peur est, en l'absence de signification, d'une unité impossible à établir, «le substitut de celle-ci, le vrai sens qui circule»; «c'est le manque de sens qui effraye, et cette frayeur est tout ce que le texte a à nous proposer» (p. 199).

Tels sont, selon 18, le sens et la raison d'être du fantastique. «Il récuse que les pouvoirs perceptifs et cognitifs de l'homme puissent suffire à appréhender la réalité, et que l'individualité soit une notion, épistémologique ou morale, recevable».

Chacun à leur manière, Irène Bessière et Jean Decottignies ouvrent des perspectivestrès fructueuses sur la littérature moderne.Malgré la citation donnée plus haut (p. 192), il me semble que JD reste très équivoque quant au statut culturel du magnétisme. Dans la mesure où la «mystiquenaturelle» est une attitude, non de conciliation, mais de subversion, par rapportaux discours culturels théologique et positiviste, on conçoit qu'il constitue toujours,sur le plan réflexif tout au moins, une contestation (encore qu'à l'époque contemporaine, celle-ci soit surtout operativeà l'égard du positivisme, la pensée théologique ayant de toute évidence perdu du terrain depuis l'époque romantique). Cependant, dans le domaine littéraire, il semble bien que ses conséquences pour la poétique aient été de nos jours pleinement réalisées. La matière onirique a consommédepuis longtemps la dislocation de la forme romanesque qu'elle exigeait. Si la poétique nouvelle, désormais devenue bien commun, peut effectivement être reliée à un système de pensée dont l'origineremonte au magnétisme, il faut alors accepter le fait que ce discours culturel n'est plus relativisé, mis sur le même plan que les autres discours culturels et donc récusé par eux, mais qu'il les a remplacés. En ce cas, le «magnétisme» - et derrière ce terme désuet c'est tout le système

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cognitif et perceptif contemporain qui se profile - a bel et bien dépassé l'opposition séculaire entre Nature et Surnature. Bellemin-Noëln'aurait sans doute pas tort de noter que «la mort du fantastique est plutôt le signe d'une dilution dans la problématiquegénérale de l'écriture après les révolutions opérées par Proust, Joyce et le Surréalisme» (art. cité, p. 118). C'est sans doute ce qui explique que les analysesd'lrène Bessière seraient inadéquates à rendre compte de nombre de textes fantastiques contemporains. Dans la mesureoù ceux-ci cautionnent l'insolite tout en confirmant son caractère naturel, et sont l'expression d'une surréalité une, issuede Lautréamont puis du Surréalisme, et non plus la confrontation de plusieurs discours culturels mutuellement exclusifs, ils s'inscrivent évidemment dans le champ de la révolution poétique générale annoncéepar Decottignies, mais ils échappent au statut plus restreint de la «littérature fantastique», définie magistralement par Irène Bessière.

Copenhague