Revue Romane, Bind 11 (1976) 1Gérard Moignet : Études de psychosystématique française. Éditions Klincksieck, Paris, 1974. 273 p.Gerhard Boysen Le prestige dont jouit, surtout dans les pays francophones, l'école linguistique guillaumienne, s'explique sans doute, dans une large mesure, par le fait que les élèves de Gustave Guillaume ont su contribuer puissamment, par leurs ouvrages, à la description et à la solution de bon nombre de problèmes linguistiques concrets, notamment dans le domaine de la syntaxe française. On peut citer des noms comme Jean Stéfanini, Robert Martin et Marc Wilmet, mais le meilleur représentant de cette tendance fructueuse à réunir la théorie et la pratique, parmi les guillaumiens, est sans doute Gérard Moignet, professeur de linguistique française à la Sorbonne et auteur de toute une série de monographies sur la syntaxe française (les principaux: Essai sur le mode subjonctif en latin postclassique et en ancien français, Paris-Alger 1959; Les signes de Vexception dans l'histoire du français, Genève 1959; Le pronom personnel français, Paris 1965). Dans ces ouvrages, Gérard Moignet se fait l'avocat zélé de la doctrine linguistique guillaumienne, mais leur intérêt ne se limite pas là: grâce à une documentation tres solide et à de minutieux examens de détails, ces études sont précieuses, voire indispensables, pour quiconque - guillaumien ou non - désire ¡/occuper de ces chapitres de la syntaxe française. A côté des ouvrages cités, Moignet est également l'auteur d'un grand nombre d'études plus brèves, sur différents sujets grammaticaux. Dans le présent volume, on a eu la bonne idée de réunir quatorze de ces articles, en y ajoutant une étude inédite «La 'conjonction de subordination' dans le système de langue» (p. 244-73). Il s'agit de quatorze études publiées, au cours de la période 1960-72, dans diverses revues et collections, écrites, comme dit l'auteur dans un avant-propos, «au fil des années, sans plan bien délibéré au départ, et non sans qu'interviennent les hasards qui surgissent au cours d'une vie universitaire et d'une carrière scientifique» (p. 7). Dans la disposition des articles, qui n'est pas chronologique, il est cependant possible d'entrevoir les grands sujets qui ont surtout retenu l'attention de Moignet, et qui sont souvent les mêmes que ceux des études citées, auxquelles ces articles servent alors de complément et de précision: 7 articles réunis autour du thème «Le verbe et la phrase», deux articles sur l'adverbe, 5 articles sur «Nominalisation et subordination ». La lecture de ce recueil d'articles confirme,pour
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sionqu'ilretire souvent des écrits d'inspirationguillaumienne: on reste sceptique devant les développements théoriques, difficiles à suivre, en raison de leur caractèrehautement spéculatif, mais, par là même, également malaisés à réfuter. Les interprétations des faits syntaxiques paraissentparfois assez gratuites: ainsi, lorsque l'absence du pronom // est prise à témoin (p. 66) pour illustrer la sémantèse particulière des verbes unipersonnels :/««/ le faire, on se demande s'il ne s'agit pas d'une omission qui est possible, avec la plupart des verbes, unipersonnels ou non, dans une certaine couche stylistique (type Connais pas!). Mais, à côté de ces démonstrations théoriques difficiles à pénétrer, une foule de renseignements nouveaux, appuyés sur de nombreux exemples, sont communiqués, qui comblent plus d'une lacune de la syntaxe française, moderne et historique. Dans «La suppléance du verbe en français» (p. 13-35) (1960) et «La suppléance anticipative du verbe en français» (p. 36-44) (1963), Moignet prend son point de départ dans un article de Hjelmslev sur la nature du pronom, pour discuter la notion de «pronom verbal» ou «proverbe», en apportant un grand nombre de précisions sur la syntaxe de faire dans ia fonction de verbum vicarium, par exemple sur l'emploi de le: la Jordanie se soulèvera comme Va fait ¡"Irak, dans une perspective diachronique (p. 22). «Le verbe VOICI-VOILA» (p. 45-58) (1969) est une mise au point, où l'auteur résume, en douze points, les particularités syntaxiques des «présentatifs», pour proposer, à son tour, d'y voir un verbe, conclusion proche de celle qu'avait tirée Togeby. «Personne humaine et personne d'univers. Contribution à l'étude du verbe unipersonnel» (p. 59-70) (1970) et «Verbe unipersonnel et voix verbale» (p. 71-86) (1971) apportent une contribution, d'inspiration spirationguillaumienne, à la solution de ce problème syntaxique que constituent toujours, malgré plusieurs études récentes, les verbes unipersonnels: ceux-ci sont caractérisés comme des verbes dont la sémantèse ne peut sortir de la personne d'univers, ce qui expliquerait, par exemple, l'absence, pour la plupart de ces verbes, de la forme en -ant. Dans «Sur le système de la personne en français » (p. 87-97) (1972), Moignet approfondit encore cette notion de «personne d'univers » pour reconnaître à la troisième personne, contrairement à ce qu'avait fait Benveniste dans un article célèbre de 1946, le statut de personne. Dans «Esquisse d'une théorie psycho-mécanique de la phrase interrogative» (p. 98-113) (1966), il montre comment la linguistique guillaumienne interprète différents types d'interrogation comme résultant de saisies plus ou moins tardives du mouvement de pensée. «L'incidence de l'adverbe et l'adverbialisation des adjectifs» (p. 117-36) (1963) est une contribution importante à un chapitre mal éclairé de la syntaxe française. L'auteur y propose des règles sur les restrictions, tant sémantiques que morphologiques ou syntaxiques, dans l'aptitude des adjectifs à se combiner avec -ment («inaptitude sémantique» et «inaptitude formelle»). «L'adverbe dans la locution verbale» (p. 137-59) (1961) traite des constructions du type j'ai très faim. Dans «Le système du paradigme QUI/ QUE/QUOI» (p. 163-83) (1967), l'auteur résume, à l'aide des notions psycho-systématiquesde tension et actuel/virtuel, les fonctions de ces pronoms, pour rechercher,dans «Systématique du mot QUE» (p. 184-211) (1968) l'unité de que, en y intégrant aussi les emplois non-pronominaux,et en interprétant la proposition comparative comme un cas particulier de la proposition relative («La place en systèrnede
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tèrnedeQUE comparatif» (p. 212-21) (1970)). Et dans «Français QUE, italien CHE; esquisse d'une systématique comparée»(p. 222-43) (1971), écrit sans que l'auteur ait connu la thèse de Jorgen Schmitt Jensen: Subjonctif et hypotaxe en italien (Odense 1970), Moignet interprète en termes guillaumiens le fait que «Le signe italien che manifeste une bien plus large capacité d'interprétation linguistique que le français que» (p. 241). L'alliance de la conviction théorique et de l'étude des détails précis par laquelle nous avons caractérisé, au début de ce compte rendu, les grandes monographies de Gérard Moignet, est également présente partout dans les études de ce recueil. Nous avons déjà dit notre scepticisme devant l'appareil théorique de la psychosystématique, mais nous voudrions souligner que cela n'enlève rien à la valeur pratique de ces études, qui témoignent d'une grande compétence dans des domaines si divers de la syntaxe française. Àlborg |