Revue Romane, Bind 11 (1976) 1

Tendances actuelles de la terminologie technique en français 1

par

Jacques Qvistgaard

Que recouvre le terme de «langue technique»? Au lieu d'opposer langue technique à langue courante, il serait peut-être plus judicieux de parler d'un certain nombre de langues de spécialité et de classer celles-ci par rubriques : technologie, physique, chimie, mathématiques, médecine, psychologie, etc. en procédant, au besoin, à des subdivisions.

En général, les langues juridique et commerciale ne sont pas considérées
comme langues techniques, mais leur place parmi les langues de spécialité
serait tout indiquée.

Il existe évidemment de nombreux empiétements d'un domaine sur l'autre, mais également maintes expressions qui relèvent d'un domaine bien défini et qu'on ne trouve dans aucun autre (ou, du moins, avec un sens différent). Il se produit aussi des recoupements entre langue courante et langues de spécialité pour la bonne raison que les langues de spécialité procèdent en grande partie du langage courant et que les phénomènes liés aux domaines spécialisés font de plus en plus partie intégrante de la vie quotidienne ; des termes comme congélateur, concasseur d'ordures, vide-ordures, etc. se rencontrent donc de manière tout aussi justifiée en iangue courante qu'en langue technique.

Les pages qui suivent n'ont pas pour objet d'essayer de délimiter systématiquement les langues de spécialité, et le terme de « langue technique » sera grosso modo utilisé ici au sens général et plutôt vague de «phénomènes linguistiques relevant surtout de la technologie et des sciences techniques».



1: Le présent article a paru en 1967 en danois (Afhandlinger fra Handelshojskolen i Kobenhavn, Copenhague 1967, pp. 391-409). Plusieurs recherches ont approfondi depuis certains des problèmes qui y sont évoqués et que nous aurions posés aujourd'hui d'une manière différente. Toutefois, puisqu'il s'agit de la première ébauche d'une étude en cours, nous avons préféré en conserver la forme primitive et présentons ici une simple traduction. (Note de l'auteur).

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Quel intérêt présente la langue technique française d'un point de vue linguistique?

La syntaxe en est à peine differente2 de celle de la langue courante; ce n'est pas le lieu d'en faire la preuve, car il faudrait pour cela procéder à une vaste analyse de textes techniques français. Une telle analyse révélerait probablement une grande concordance dans l'inventaire des structures, avec la seule différence peut-être que certaines structures apparaissent plus fréquemment en langue technique qu'en langue courante. La syntaxe ne pose donc aucune espèce de problème aux autochtones, qui sont familiarisés avec les structures de la langue courante. Il n'en va pas de même pour les étrangers, qui, possédant une moins bonne connaissance basale de la langue courante, sont enclins à concevoir les structures comme particulièrement «techniques ». Il est, par exemple, bien connu que les descriptions techniques de phénomènes tels que l'espace, les dimensions et les déplacements, causent des difficultés aux étrangers, parce qu'il est rare que les textes essentiellement littéraires qu'on utilise dans l'enseignement pour les débutants offrent des descriptions précises de ce genre. Il serait donc théoriquement possible de faire une «introduction élémentaire à la structure syntaxique du français technique », mais on n'y trouverait guère de phénomènes syntaxiques qu'un Français non-expert en la matière ne connaisse déjà.

Il en va différemment pour ce qui est du secteur lexical technique: le lexique augmente avec une rapidité foudroyante, au rythme des acquisitions de la technologie. Le premier problème est donc le grand accroissement des désignations qui s'appliquent aux matières nouvelles, aux nouveaux procédés, ou aux nouveaux objets (machines, pièces, etc.) et à leur fonctionnement.

Le second problème, plus important encore, est l'existence d'une énorme
interférence linguistique due à l'influence d'autres langues, nombre de découvertes
et d'inventions nouvelles étant le fait de pays non-francophones.

Une première répartition grossière des termes nouveaux en français
technique conduirait à l'établissement d'une liste des types principaux suivants

1) mots étrangers empruntés directement3

2) mots étrangers adaptés au français (et qui présentent certaines ressemblances
par ex. avec des dérivés français)

3) mots étrangers à préfixe ou suffixe purement français



2: La langue juridique et la langue commerciale font donc ici formellement exception.

3: Les problèmes posés par le genre, la flexion et la prononciation ne seront qu'exceptionnellement traités dans cet article.

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4) mots français déjà existants, à contenu sémantique nouveau

5) nouveaux dérivés et nouveaux mots composés français.

Pour un Français, l'interférence linguistique est très souvent déconcertante. Pour un étranger, un Danois, par exemple, qui doit traduire vers le français, elle peut présenter des difficultés presque insurmontables. Une infinité de mots nouveaux ne se trouvant pas dans les dictionnaires, il n'est pas possible de savoir si le français (à supposer qu'on le compare au danois, par exemple) s'est approprié un terme anglais sans le modifier, de même qu'il est impossible de prévoir avec certitude la nature d'une éventuelle adaptation.

Il serait intéressant d'établir dans quelle mesure les termes étrangers sont empruntés directement (ou - légèrement - adaptés), mais ce problème se refuse en partie à une étude systématique4. La «vraie» langue technique ne contient cependant pas un nombre extraordinaire de termes d'emprunt. Ceux-ci semblent beaucoup plus fréquents dans la langue technique «commerciale», c'est-à-dire surtout lorsqu'il s'agit de noms de produits, destinés à un vaste public et favorisés par un certain snobisme qui veut que l'on désigne les objets par un mot ou un nom étrangers. Dans la langue technique purement professionnelle, les emprunts de termes étrangers sont très certainement fréquents au moment de leur apparition, mais il n'en survit qu'un nombre relativement restreint, dans la mesure où beaucoup d'entre eux sont peu à peu remplacés par des «traductions». Enfin, il peut s'agir par exemple d'une invention faite en France, ce qui signifie que la désignation sera d'emblée française.

La majeure partie des nouvelles expressions techniques françaises apparaissent
de ce fait comme de véritables expressions françaises (ou ayant
en tout cas une allure française).

Ce sont:

1) les dérivés

2) les mots composés

3) les syntagmes prépositionnels.

Une tendance semble se dessiner, qui vise à donner au mot, qu'il soit
d'origine française ou «traduit», une forme aussi abstraite que possible (en



4: Surtout parce que la langue comporte toujours de nombreuses expressions utilisées par les experts sans que ces expressions soient par ailleurs répertoriées.

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ce qui concerne les syntagmes prépositionnels, ceux-ci se rapprochent souvent
de la définition abstraite).

Toutefois, une question se pose naturellement à propos des dérivés, des mots composés et des syntagmes prépositionnels : c'est de savoir si le système de la langue courante opère aussi dans le cas de ces néologismes, et si ce système est suffisamment clair en soi pour créer l'univocité souhaitable. Peut-on par ailleurs se fier à la connaissance intuitive qu'ont les Français du système en question pour considérer que ces néologismes sont d'une formation «correcte»? Il existe en effet de nombreux exemples qui montrent que les Français eux-mêmes interprètent de manière erronée le contenu sémantique d'un suffixe, par exemple, et établissent de fausses analogies à partir d'un terme isolé qu'ils connaissent comme objet ou notion sans avoir besoin de l'information sémantique donnée par le suffixe. (En ce qui concerne -rama, -orama, voir Lebende Sprachen 1966 n. 6, p. 170.)

On aimerait disposer d'une analyse détaillée des principes de la dérivation et de la formation des mots composés en français, mais, à notre connaissance, cette analyse n'existe pas. Même les grandes grammaires modernes, qui accordent beaucoup de place, par exemple, à la présentation systématique des préfixes et suffixes, ne fournissent que de vagues explications sur leur emploi (voir par exemple Knud Togeby : Fransk Grammatik (§ 939) : «-eur, -euse désignent souvent des personnes mais la forme -euse peut en outre s'appliquer à une machine»; (§ 946): «-age est un suffixe très actif qui peut s'ajouter à n'importe quel verbe», «-age s'utilise beaucoup dans la langue technique»; (§ 950): «-ation évoque davantage la fonction verbale que -ment», etc.).

Le présent article se donne pour objectif de mettre en évidence quelquesuns
des problèmes qui se posent lorsqu'on étudie la formation des mots en
français technique moderne.

Notre étude se fonde sur deux séries de néologismes techniques français, recueillis et publiés par le «Comité d'Etude des Termes Techniques Français»(appelé ci-après CETT)S. Ces matériaux ont été considérés comme adéquats pour plusieurs raisons: d'une part, ils sont relativement limités - environ 600 termes et expressions en tout ; d'autre part, dans presque tous les cas, le CETT prend pour point de départ des termes anglais ou américains(344), ce qui laisse supposer qu'il y apparaît de nombreux néologismes français; le choix des termes est en outre fortuit: il faut entendre par là que



5: Fiches du CETT, I, édition définitive, décembre 1958; Fiches du CETT, 11, édition définitive, mars 1963.

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les termes ne sont pas choisis en fonction de critères particuliers et qu'ils sont publiés selon un ordre dépendant uniquement du temps qu'il a fallu au CETT pour les traiter à fond; à cela s'ajoute que l'on dispose de deux séries indépendantesl'une de l'autre, et les tendances éventuelles qui se retrouveraient dans les deux se révéleraient par ce fait même d'une importance particulière. Enfin, bien qu'élaborées par une équipe qui compte parmi ses membres maints linguistes éminents, ces propositions font tout autant la part du «technicien» que de la création linguistique normative, les termes ayant circulé depuis plusieurs années parmi les experts et dans la presse spécialisée, et ayant été soumis à l'appréciation des hommes du métier; c'est la preuve qu'il s'agit là véritablement de termes vivants et pas seulement d'«élucubrationsen chambre ».

Ces matériaux ne sont pas sans présenter certains inconvénients: ainsi une large adhésion à un terme de la part des techniciens ne garantit pas nécessairement son adoption par le grand public. On peut nourrir des doutes quant aux chances d'avenir de boutoir, par exemple, terme proposé en remplacement de bulldozer, déjà passé dans la langue. D'un autre côté, même en danois, le mot bulldozer ne semble plus être une expression purement technique: dans l'index de Ingenierens indkobsbog («Le livre d'achats de l'ingénieur») de 1967, on trouve au mot bulldozer: «voir matériel utilisé pour les travaux de terrassement», et le terme bulldozer ne figure pas dans les annonces. Cette désignation ne se trouve pas davantage dans la Teknisk revy 66 (« Revue technique 66 »), par exemple, où sont pourtant décrits de nombreux engins du même genre.

Il existe cependant tellement de néologismes proposés qui sont déjà entrés dans le Grand Larousse Encyclopédique, qu'il est légitime de considérer ce vocabulaire dans son. ensemble comme étant représentatif de ia langue technique française moderne.

Pour rendre les matériaux plus accessibles et fournir en même temps une idée numérique de la représentation de chaque type de termes, nous avons d'abord groupé ceux-ci selon des critères qui apparaissent dans le tableau ci-dessous. Les termes du CETT I et du CETT II ont été recensés séparément. La catégorie «termes déjà existants» se compose de termes qui se trouvent dans l'édition 1954 du Petit Larousse6. Les termes qui ne sont pas des mots



6: Un dictionnaire technique de la même année aurait peut-être fait état d'un nombre encore plus grand de termes, mais cela n'a guère d'importance, la date à laquelle les termes ont été adoptés par la langue n'ayant aucune incidence déterminante sur notre analyse.

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composés (entre autres les dérivés), ainsi que les expressions qui forment une entité possédant une signification particulière (mots composés, combinaisons substantif + adjectif, combinaisons substantif + préposition + substantif) sont groupés séparément. Les termes déjà existants qui entrent dans une des catégories de combinaisons mentionnées ci-dessus, ne font pas l'objet d'une catégorie séparée; par contre, les mots nouveaux qui, bien qu'entrant dans une combinaison, pourraient également être isolés (avec contenu indépendant)ou entrer dans d'autres combinaisons, ont en outre été placés dans les groupes c) à g), ainsi que j) et k). Les verbes et adjectifs, qui, d'après ces lignes directrices, doivent faire l'objet d'une catégorie spéciale, sont si peu nombreux que, néologismes ou termes déjà existants, ils ont été groupés sous les rubriques j) et k). Cet article ne donne pas les termes des groupes a) et b) dans leur totalité, car ils ne présentent qu'un intérêt statistique. Il en va de même, à cause de la place limitée, pour la plupart des expressions relevant des groupes h), i), j) et k). (Le lecteur est invité à se référer aux séries du CETT.)

Comme on l'a fait remarquer plus haut, la présente analyse a pour but essentiel de souligner quelques-uns des problèmes qui pourraient surgir dans le cadre d'une étude plus poussée de la formation des mots en français technique. Nous avons voulu axer la discussion sur les points suivants :

1. La répartition numérique des types de termes et des combinaisons lexicalisées
les plus importants révèle-t-elle une quelconque tendance dans les
matériaux dont nous disposons ?

2. Parmi les mots étrangers qui sont adaptés à l'aide d'un suffixe «français »,
en existe-t-il qui soient en contradiction avec le système français (ex.
élevori) ?

3. Les nouveaux substantifs composés qui contiennent des éléments combinatoires
grecs ou latins présentent-ils des problèmes particuliers ?

4. Comment se répartit l'emploi des différents préfixes et suffixes à l'intérieur du groupe des nouvelles dérivations françaises, et peut-on poser, à partir des exemples donnés, que la fonction syntaxique de la racine, par exemple, ou que d'autres éléments influent sur le choix (ex. -age, -ment, -ationy -eur, -euse, etc.) ?

5. Les nouveaux mots composés avec des éléments combinatoires français
présentent-ils des problèmes particuliers ?

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Chaque groupe sera commenté dans l'ordre alphabétique, et, si besoin est,
la discussion portera également sur les critères qui ont décidé du mode de
classement.

Les tableaux ci-dessus montrent que les matériaux dont nous disposonsse
composent presque exclusivement de substantifs (parfois avec adjectifcoordonné


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jectifcoordonnéou syntagme prépositionnel); cela ne peut, bien entendu, être considéré comme typique pour la répartition en classes des termes de la langue technique, bien qu'il soit évident que les termes désignant des objets (machines, outillages, dispositifs) et des actions (procédés) apparaissent obligatoirementen grand nombre.

Dans de nombreux cas, cependant, un substantif est dérivé d'un verbe ou peut lui-même être la racine de verbes ou d'adjectifs dérivés. La plupart du temps, toutefois, les verbes peuvent être dérivés immédiatement du substantif; quant aux adjectifs, ils peuvent soit être dérivés d'un substantif, soit être remplacés par un syntagme prépositionnel (en particulier de ou à 4substantif). Nous supposons que c'est pour cette raison que le CETT n'a cité de verbes et d'adjectifs que dans très peu de cas (et même le plus souvent sous le couvert d'un commentaire). Les lignes qui suivent sont donc avant tout une analyse des substantifs (et des combinaisons substantives) en langage technique français.

Une nette tendance à la limitation des néologismes semble se dessiner, qu'il s'agisse de mots étrangers ou de dérivés. Le groupe le plus important est celui des substantifs qui sont déjà introduits dans la langue (environ 33%) et dont plus de la moitié sont utilisés dans une acception nouvelle. Puis, en deuxième place figurent les substantifs 4- élément prépositionnel (25,5%), et, en troisième position, les combinaisons substantif 4- adjectif (12,8%). Ces deux catégories, où le substantif est en général également «ancien», pourraient même être réunies en une seule, puisqu'elles représentent toutes deux le type «définition» qui marque sans doute une réaction de la langue contre la création de mots nouveaux plus ou moins difficiles à déchiffrer. Ces groupes sont également très apparentés en ce que les combinaisons prépositionnelles sont de la même nature que le groupe substantif 4- épithète (le syntagme prépositionnel pouvant souvent être remplacé par un adjectif). En quatrième place on trouve le groupe des nouvelles dérivations purement françaises, d'après un modèle connu (12%). A l'intérieur de ce groupe c'est la dérivation avec suffixe qui domine et à nouveau les suffixes -age, -eur, -euse, alors que -ment, par exemple, n'est employé, contre toute attente, que dans deux termes. Les groupes a) et b) contenant de nombreux dérivés, il est évident que si ceux-ci étaient inclus dans la catégorie f), on obtiendrait une image sensiblement différente de la représentation absolue des dérivés dans le vocabulaire global; mais notre objectif est essentiellement d'étudier la distribution des termes nouveaux dans le vocabulaire.

Il serait inconsidéré de croire que les pourcentages obtenus ici puissent
être appliqués exactement au vocabulaire technique dans son ensemble, mais

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ils indiquent sans aucun doute une tendance générale. C'est ainsi qu'un décompte-test des combinaisons prépositionnelles formées seulement avec à et avec de qu'on a relevées dans une liste originale de termes comportant environ 6000 expressions d'aéronautique, a pour résultat: (a) 359 + (de) 1258 = 1617, c'est-à-dire 26,9%; les chiffres correspondants sont ici: 32 + 102 - 135 (sur 623), c'est-à-dire 21,5%.

Discussion des problèmes se rattachant aux divers groupes:

Termes déjà existants à emploi nouveau (groupe b)

Ce qui a principalement amené le CETT à s'atteler à cette tâche, est, cela va de soi, le fait que de nombreux termes anglo-saxons sont utilisés ou l'ont été en français technique. Il est difficile de dire quelle aurait été la durée de leur survie sans l'intervention du CETT, de même qu'il n'est pas encore possible de déterminer la survie de certains d'entre eux malgré les propositions du CETT. C'est ainsi que de nombreux termes qui se rangent sous les catégories a) et b), remplacent des termes qui sont déjà enregistrés dans la dernière édition du Larousse (ou une édition antérieure) comme, par exemple, spoilers (aéronautique) > barrièrel, looping (aéronautique) > boucle, (le) flash (photo et plusieurs autres domaines) > éclair, dispatching > répartition, casing > gaine, enveloppe. Ce dernier cas a d'ailleurs cela de particulier que gaine est proposé comme réservé à l'industrie pétrolière (revêtement intérieur de puits de forage), tandis qu'enveloppe doit s'employer dans d'autres domaines où casing est en train de s'introduire (= boîtier, carter, bâche) (exemple: «le casing (= enveloppe) métallique d'un dépoussiéreur électrostatique»; gaine ayant également de nombreux autres sens, on propose par ailleurs aussi cuvelage).

Les groupes a) et b) comprennent également des termes qui ont ceci de commun avec ceux de c) et d) qu'ils sont très proches de termes anglais, mais avec cette différence que les termes correspondants existent déjà en français; ainsi roquette (vieux français) < rocket (projectile non guidé), réversion (aéronautique) < reverse (— mise des hélices au pas inverse), flottement (aérodynamique) < flutter, cure < curing (traitement spécial du béton), conversion< (angl.) conversion (industrie du gaz: procédé de dissociation des



7: Le signe > signifie « remplacé par». Le signe < signifie «remplace».

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molécules du gaz, terme qu'on a proposé pour le différencier de reformage
< (angl.) reforming, conversion, qui désigne un autre procédé chimique
employé dans l'industrie du pétrole).

Termes qui ont subi l'influence de l'anglais (groupes c) et d))

Le nombre de termes anglais inexistants en français, que l'on propose de
faire entrer avec ou sans modification dans le vocabulaire français (et qui de
ce fait y sont adoptés définitivement), est relativement très faible:

I et II c): 1. caterpillar, 2. container, 3. dragline, 4. duse, 5. H iron, 6. manifold,
7. pipeline, 8. scale free, 9. tab, 10. Karman.

IetIId): 11. clame < (angl.) clamp, 12. complétion < (angl.) completion, 13.
élevon < (angl.) elevon, 14. gazole < (angl.) gas oil.

Dans le cas de 5. et de 8., il s'agit de dénominations de procédés déposés; 10. est le nom de l'inventeur (cf. par exemple cardan) et 1. une marque spéciale (le terme générique en français est «véhicule à chenilles »); le CETT propose de conserver 2. dans la terminologie des chemins de fer, où il est déjà admis (dans d'autres cas, on emploie conteneur); 11. clame (dispositif destiné à maintenir accolées les extrémités des tubes durant le soudage) pourrait être considéré comme un néologisme superflu, puisqu'aussi bien clamp et clampe existent déjà en français (Dauzat, Larousse), mais on s'est apparemment ici incliné devant la déformation du terme apparue sur les lieux de travail ; du point de vue du système linguistique français, cette forme est d'ailleurs tout aussi difficile à identifier que 4. duse, et ni l'un ni l'autre ne sera ressenti comme anglicisme.

les n° 3. dragline, 7. pipeline, !4, gazale ci 13. élevon, qui ressemblent à des dérivés français à suffixes typiques, présentent un intérêt particulier. Le suffixe -ine est normal en français: a) diminutif (du latin -ina) par exemple: bottine, ou bien pour les noms propres: Joséphine; b) suffixe dans une série de termes relevant de la branche textile, par exemple: mousseline, lustrine, percaline(peut-être par analogie avec étamine (du latin staminea, dans lequel -ine a d'ailleurs remplacé la terminaison étymologiquement juste -igne)); c) suffixe (international) dans une longue série de termes désignant des produits chimiques ou pharmaceutiques, par exemple glycérine, végétaline, brillantine. Ni dragline ni pipeline ne se rangent donc sous les catégories habituelles de significations, pas plus qu'ils ne s'inscrivent par ailleurs dans le système, puisque la signification anglaise de Une disparaît si les termes sont considérés comme dérivés, ce qui est naturel pour un non-anglophone;

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par égard pour la systématisation linguistique, on aurait pu souhaiter l'adoptionde
l'élément français -ligne, lequel aurait fait apparaître nettement les
termes comme des composés.

Gazole, par analogie avec pétrole (-oie de -oleum), ne présente aucun problème particulier, alors qu'élevon est un néologisme curieux composé de (angl.) elevfator, -f (ailer)ow (aileron: expression d'aéronautique = volet articulé, gouvernail de gauchissement; élevon — volet remplissant à la fois le rôle d'aileron et de gouvernail de profondeur dans un appareil sans empennage horizontal); -on est habituellement un diminutif (dans le terme aileron également) ou un augmentatif (ballon, caisson) et il n'est ajouté en général qu'à un substantif (rarement à un adjectif) ; en outre -on (neutre grec) s'emploie dans la langue publicitaire comme «marque de prestige», destinée à conférer une allure savante à un nom (voir Bieri)B : Aspiron (aspirateur), Recordon (magnétophone). Le sufrixe -on ajouté au radical d'un verbe ne se trouvant que dans cette dernière catégorie, élevon, terme technique sérieux, donne l'impression d'être linguistiquement apparenté à ces appellations publicitaires à l'élégance quelque peu douteuse.

Mots dérivés et mots composés (groupes e, f et g)

Pour ce qui est des groupes e), f) et g), on se heurte en outre à des problèmes analogues et à d'autres qui sont liés à la systématisation linguistique. Cependant, la première pierre d'achoppement est ici constituée par la nature des critères qui déterminent la répartition en mots dérivés et en mots composés.

Si, pour la répartition de ces termes, on prend comme point de départ la définition que Diderichsen donne des dérivés dans sa Elementœr dansk grammatik («Grammaire Danoise Elémentaire»), p. 76: «On parle de dérivationlorsqu'un terme peut se décomposer en une racine que l'on retrouve comme terme indépendant (ou comme radical dans d'autres dérivés) et un ou plusieurs autres éléments qui ne peuvent avoir eux-mêmes de fonction propre (ou apparaître comme radical dans d'autres dérivés) et qui ne sont pas non plus considérés comme morphèmes de flexion», il se pose un problème dans le cas des éléments «savants» latins et grecs.Togeby9, qui donne en gros la même définition que Diderichsen, est amené à considérer les combinaisonsavec



8: Jean Bieri: Ein Beitrag zur Sprache der Franzôsischen Reklame, Schweiz 1952, p. 131.

9: Fransk Grammatik, 1965, p. 796-797.

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binaisonsavecprépositions latines comme des dérivés (par opposition aux mots contenant une préposition française, qui sont de véritables mots composés). A l'instar de maints grammairiens, il ne prend pas vraiment position quant au classement des nombreux autres éléments étrangers qui peuvent intervenir dans la formation des termes en français. On pourrait objecter que cela découle de la définition, mais le problème n'est pas si simple. Les mots en -graphe, par exemple, peuvent, bien entendu, selon la définition partant d'une analyse synchronique, être considérés comme des mots composés, puisque graphe apparaît comme racine dans graphie; ou on peut les classer simplement comme composés grecs; mais les mots nouveaux en -graphe formés par analogie avec géographe (ou autres empruntsde même type) sont-ils ressentis aujourd'hui comme mots composés ? La question devient encore plus épineuse quand on aborde par exemple les termes en -ode. Si cet élément n'apparaissait que dans électrode (du grec elekîr- + hodos (voie)), terme inventé par Faraday en 1834 (Bloch et Wartburg),on pourrait le tenir pour un suffixe, éïectr- existant en tant que racine dans un terme «purement français», ce qui, jusqu'à présent, n'est sûrement pas le cas pour -ode; mais que penser alors de anode (du grec ano (mouvementascendant) + hodos), de cathode (du grec kata (mouvement descendant)+ hodos) - ces deux termes apparaissent d'ailleurs déjà en grec = voie montante et voie descendante - ou des emprunts épisode (emprunt grec) et exode (du latin exodus < grec éxodos) ? A ces termes s'ajoute aujourd'hui le néologisme entrode (distance d'éclatement), -ode ne peut ici être considéré comme suffixe, car dans ce cas entrode ne pourrait pas s'inscrire dans le système linguistique français ; par contre, il n'y a certainement pas beaucoup de techniciens qui pensent à «voie, chemin» lorsqu'ils emploient le terme: ils le conçoivent plutôt comme entre \ abréviation de élccirudc, dont iis ne connaissent pas les éléments de composition. Une solution comme celle que laisse entrevoir Marchandlo ne semble guère satisfaisante. Il remarque (p. 87) qu'hyper- dans hyper sensitive est un préfixe, mais pas dans hypertrophy,puisque trophy n'est pas un terme. Sa conclusion portant sur les nombreux radicaux étrangers, en particulier dans le langage technique: «They offer a purely dictionary interest in any case», peut également donner matière à discussion; tant qu'ils existent et qu'ils sont utilisés chaque année dans de nombreux néologismes, ces éléments peuvent bien offrir un intérêt morpho-syntaxique.



10: H. Marchand: The Catégories and Types of Présent Day English World-Formation, Wiesbaden 1960.

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Nous dépasserions le cadre de la présente étude si nous nous mettions à traiter tous les aspects de ces problèmes, et, au lieu d'essayer d'aboutir à une prise de position définitive quant à la classification, nous avons utilisé, pour classer en rubriques les termes étudiés et fournir une vue d'ensemble, une répartition «pratique», selon laquelle les termes qui comportent un élément de composition (mot ou racine de mot) latin ou grec, sont considérés dans l'ensemble, ainsi chez Grevissell, comme un genre particulier de mots composés. Ceux-ci sont groupés dans la catégorie e) (tout près des autres mots étrangers de c) et d)), tandis que les dérivés que tous les grammairiens s'entendent à considérer comme tels, sont réunis en f); les mots composés purement français sont groupés en g).

Nouveaux mots composés comprenant un élément grec ou latin (groupe e)

letll e) : 1. granoduc, pulpeduc, feuillogène, entrode.

2. ai/iobasculeur, autocabrage, owio-égaliseur, pétrolochimie, pré\\rage, reVrochargeuse, reïrodiffraction, reirodiffusion, refrodispersion, rai//obalise, radioborne, radioralliement, supercarburant, thermoforage,

3. agrotechnie, cinégramme, cinégraphe, cinégraphie, cinéscope, magnétoscope,
extensomètre, visiophone.

Dès que l'on essaie de compléter les catégories, on s'aperçoit que le critère choisi pour ce groupe principal (et ses subdivisions) est très peu satisfaisant et soulève de nouveaux problèmes. A titre expérimental, nous avons placé ici des termes à éléments de combinaison qui ne figurent pas comme tels chez Grevisse, par exemple granoduc, puipeduc, tous les termes composés avec radio- et ciné- ainsi que agrotechnie et v/¿>AY?torpillage. Mais est-ce que cela se justifie ? Quel est le critère formel qui détermine quand un élément de combinaison(mot ou racine) doit être considéré comme grec ou latin et quand il faut le considérer comme français? Est-ce que visio-, par exemple, dans visiophone (proposé en remplacement de l'anglais videophone) est une variante de vision ou l'élément latin visio? Est-ce que grano- est une variante de grain + voyelle de liaison -o- (voir Galliotl2, p. 303, sur l'emploi d'une telle voyelle) ? -mètre peut très bien être ressenti comme français (à cause de sa forme) dans extensomètre, mais faut-il classer métro- (métromanie, métronome)parmi les termes grecs? Si l'on veut étudier ce type de mots (en ce qui



11: Grevisse: Le bon usage, 1959 (§§ 145-49, composition savante).

12: M. Galliot: Essai sur la langue de la réclame, Toulouse 1955.

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concerne, par exemple, leurs combinaisons possibles, la relation entre les éléments, le genre et la flexion des mots, etc.), sans devoir en premier lieu les tirer de catégories différentes, il serait peut-être souhaitable, malgré les difficultés inhérentes à cette sorte de recherche, de trouver des critères plus solides pour leur classement que ceux utilisés jusqu'à présent.

Parmi les exemples relativement peu nombreux qui se présentent dans le groupe e), on a déjà traité en détail entrode. Les autres semblent être formés par analogie et s'apparentent à des mots déjà existants (pulpeduc aqueduc, radiobalise radiophare, etc.). Pétrolochimie est proposé àla place de pétrochimie, déjà bien établi, parce que pétro-, abréviation de pétrole, est une source de confusion dans le mot composé (il s'agit d'une science qui s'occupe du pétrole et non de pierres). Cinégraphe est assez curieux. Ciné- peut très bien être ressenti comme élément de mot composé, puisqu'il existe de manière autonome et également comme racine dans de nombreux dérivés français {cinéaste et bien d'autres termes de l'univers filmique). C'est en effet la raison donnée par le CETT pour proposer ce mot (il s'agit d'un appareil spécial destiné à la transposition de la télévision au cinéma) ; mais ciné-, dans les dérivés cités, constitue déjà une abréviation du mot cinématographe, qui renaît ainsi sous une forme nouvelle et avec un sens partiellement nouveau.

Dérivations (groupe f)

If):!.-

2. (-age) boulettage, brumisage, cokage, craquage, listage, mélangeage, reformage, zonage; (-at) soutirât; (ration) automatisation, formulation, frigélisation, granulation, planification; (-eur) brumiseur, congélateur, conteneur, enrichisseur, contracteur, formulateur, granulateur; (-euse) enrobeuse, pelleteuse, profileuse, sondeuse, taluteuse, trancheuse; (-ier) butanier, méthanier; (-//) havrit; (-té) ouvrabilité;

3. feuil;

4. automatique, denses, éclairci, épaissi, fines, légers.

II f): 1- -

2. (-âgé) breffage, dépistage, drayage, fluage, grenaillage, marsouinage, pierrage, poissage, serpentage, stripage; (-ation) commercialisation, fluidisation, pressurisation; (-eur) ancreur, capteur, computeur, dégazolineur, épuiseur, renforçateur, surpresseur; (-euse) dessoucheuse, graivllonneuse, remblayeuse; (-ité) brossabilité, fiabilité; (-ment) buffètement,

3. -

4. dégagé, pointé, réactif.

(Certains mots qui ont aussi un préfixe se trouvent dans le groupe f) 2 et

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non dans le groupe f) 1 parce qu'on peut les concevoir comme dérivation suffixale d'un dérivé verbal connu (ex: défonceuse), ou parce qu'on ne peut pas les décomposer en préfixe -f dérivé (ex: dégazolineur, du terme parasynthétiquedégazoliner) ; les nouveaux dérivés à préfixe ne semblent d'ailleurs pas très nombreux).

Outre plusieurs dérivés de verbes connus, entrent dans cette catégorie une certaine quantité de termes apparentés à un mot anglo-saxon déjà existant et qui présentent de ce fait certaines particularités ; ces dérivés n'ont pas été placés dans le groupe c) parce qu'ils ne sont pas tirés directement de l'anglais, ni dans le groupe e) parce que (à l'encontre de clame, par exemple", qu'il ne faut pas nécessairement considérer comme dérivé) ils sont à dessein formés sur le modèle de dérivés français connus. Dans certains cas, on trouve la racine anglaise dans un substantif ou un verbe français, et le néologisme donne l'impression d'être purement français : cokage < coking, craquage <^ cracking, reformage < reforming, zonage < zoning, conteneur < container, computeur < computer, bujfètement < bujfeting; dans ce dernier cas, on reprend un vieux mot français buffet (= soufflet, claque, gifle) par l'intermédiaire de l'anglais; dans d'autres cas, on a traduit la racine et il semble qu'on ait alors fabriqué (ou prévu) pour la circonstance une dérivation verbale qui puisse être transformée en substantif: brumisage (brumiser)l3 < fogging, frigélisation (*frigeliser) < winterization, breffage (*brejfer) < briefing, dessoucheuse (dessoucher) < roo ter; stripage < stripping (scission de deutérons) est un autre exemple qui a l'air de présupposer le verbe striper (ou le substantif strip), à l'allure peu française (bien que le Petit Larousse, édition de 54, comporte pont stupeur (genre de grue dans la sidérurgie)) ; on dirait ici que l'on a voulu éviter, par l'emploi d'un seul -p-, toute confusion avec le verbe stripper et le substantif stripping (qui se trouvent tous les deux dans le Grand Larousse, mots relatifs à un procédé chimique particulier) ; on propose par ailleurs de remplacer ces termes par des dérivés de extraire, laver, dégazoliner.

Bien que toutes ces dérivations ne soient pas issues de mots déjà existants, il est naturel de les incorporer au groupe, parce que, dans tous les cas, naîtront sans doute rapidement des dérivés verbaux ou nominaux, qui combleront les blancs du système. Conformément au système de classement adopté, on ne rencontrera dans le groupe f) que des suffixes nominaux. Ceux-ci ne semblent pas offrir de traits caractéristiques particuliers pour ce qui est des catégories lexicales auxquelles ils sont ajoutés. Par contre, il pourrait être intéressant,



13: Brumiser est par exemple déjà entré dans le Grand Larousse.

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dans les cas où plusieurs suffixes peuvent s'ajouter à la même catégorie lexicale, d'étudier pour quelle raison on a choisi tantôt celui-ci, tantôt celuilà.Les matériaux dont nous disposons sont trop restreints pour être traités statistiquement, mais on peut faire quelques observations. Ce sont surtout les substantifs en -age, -ation et -ment qui retiennent l'intérêt, étant donné qu'ils expriment tous (ici) une action (ou un état?) et que tous semblent présupposerun verbe. Il est très difficile de grouper ces verbes, soit parce qu'ils n'existent pas, soit parce qu'ils ne sont pas accompagnés d'exemples illustrant leur emploi.

Cependant, dans les deux exemples avec -ment, on pourrait avoir l'impressionque le suffixe de dérivation est ajouté à un verbe intransitif et à un verbe employé intransitivement; comme cela est naturel, ce type de dérivationapparaîtra toujours avec ce que Schibsbyel4 appelle «relation-sujet». Un génitif ajouté sera un génitif subjectif, et si le mot est seul, le sujet est implicite; par contre, selon les exemples donnés, -age s'ajoute, de toute évidence, surtout à des verbes transitifs, et les dérivés ont tous une «relationobjet»dominante; le sujet a une importance secondaire, un génitif ajouté sera en général un génitif objectif et, sans adjonction, c'est l'objet qui est implicite ; le principe ne semble cependant pas suivi partout puisque, par exemple,serpenter (intransitif) entre dans serpentage, qui, de manière tout à fait parallèle à buffètement, exprime le comportement d'un avion dans des conditionsdéterminées (respectivement vibration et frémissement) (cf. par exemple le terme correspondant de «tangage» pour le mouvement d'un bateau). D'autre part, il peut se révéler difficile de démontrer que dans pilonnement on présuppose que pilonner est employé intransitivement {pilonnement: bruit des pneus de voiture sur une route accidentée), alors que pilonner s'emploie normalement à la forme transitive ; ou bien a-t-on simplement voulu éviter toute confusion avec pilonnage, qui existe dans une acception différente. En étudiant les autres dérivations, on peut rapidement se convaincre que la tendance qui se dessine dans les exemples cités, n'est représentative que d'un seul aspect des faits réels. Il serait peut-être possible d'établir un parallèle avec les dérivés en -ment à signification «concrète» (fondement) et les dérivés de verbes employés à la forme réfléchie (engagement dans: son engagement, par exemple), où le sujet et l'objet ne font qu'un ; mais engagement s'utilise également comme non-réfléchi avec une «relation-objet» très nette (engagementdes bijoux). L'emploi de -ation, qui sert aussi à la formation de substantifs d'action, n'est pas non plus très clair, en dehors du fait que tous



14: Knud Schibsbye: Engelsk synonymik, Kobenhavn 1950.

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les exemples cités semblent formés à partir de verbes transitifs. Il est peutêtreexact que les dérivés en -ation ont un caractère plus «verbal»ls que les dérivés en -ment (cf. surtout le terme citépilonnement dans le sens de «bruit»), mais ce n'est sans doute pas la seule différence. Il ne fait aucun doute que la nature de l'état réalisé joue un rôle (en d'autres termes: «le mode d'action» du verbe présupposé), bien que ce soit sûrement un hasard qu'aucun des deux exemples en -ment ne conduise à un état fini.

Les dérivés cités en -eur et -euse désignent tous des appareils, dispositifs ou machines, et le choix qui a été fait de l'un ou de l'autre de ces deux suffixes semble renforcer la théorie de Galliot, selon laquelle -euse s'emploie en général dans les cas où l'on pense à «machine», et -eur dans les cas où l'on pense à «appareil». Dans presque tous les cas on peut remonter sans difficultés de la racine à un verbe (on a affaire à des machines ou à des appareils qui exercent une action). Dans un seul cas, cependant, le verbe ne peut pas être présupposé : trancheuse. Il s'agit là d'une machine qui creuse des tranchées; on doit, en l'occurrence, remonter delà racine à un substantif, trancher ne pouvant signifier «creuser des tranchées». Par contre, la dérivation n'est pas sans ambiguïté, l'absence de contexte pouvant laisser supposer qu'il est question d'une machine qui sert à couper des tranches et non d'une excavatrice (machine qui creuse des tranchées).

Les autres suffixes, ou bien sont trop faiblement représentés pour faire l'objet d'un commentaire, ou bien ne posent pas de problèmes particuliers. Dans le dernier groupe f) 4.) il peut être difficile, pour ce qui est de certains termes, de discerner s'il s'agit de changement de catégorie lexicale (adjectif -^ substantif) ou de dérivation (à suffixe ou régressive), mais à l'exception de feuil (mase.) f) 3.), qui semble être une dérivation régressive de feuille (fém.), il ne s'agit certainement que de changement de catégorie lexicale (même pour un terme comme éclairci par rapport au terme déjà existant éclaircie), car ces termes semblent être apparus par abréviation d'un hypotagme; il semble partout possible d'interpoler un substantif: (fonctionnement) automatique, (matière) dense, (agent) réactif etc.

Mots composés français (Groupe g)

I g): brûleur-jet, courant-jet, essai-témoin, mur-rideau, navire-jumeau; métallisation
Schoop; sous-charge, sous-cote, sous-diamètre, sur-cote, sur-diamètre,
sur-dimension, sur-multiplication



15: cf. Togeby: Fransk Grammatik.

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II g): benne trépan, cartouche furet, tube queue, brosseuse-vernisseuse, moteurboxeur, posé-décollé; contact grande intensité, relais grosse intensité; simulateur Link; surfactif; brise-air, guide-air, tate-ferraille; entrefer, surchloration,

La plupart de ces mots composés sont formés sur le modèle courant (cf. par exemple Togeby: Fransk grammatik p. 825-32), et bien que le CETT ne prenne pas expressément position à cet égard, il faut supposer, quant à leur flexion, qu'ils suivent les règles habituelles des vrais et faux mots composés. Deux des exemples cités présentent toutefois un intérêt particulier sous ce rapport (où il s'agit d'examiner si un terme nouveau s'écarte du système, ou s'il peut prêter à confusion). Le premier est posé-décollé (lorsqu'un avion effleure la piste d'atterrissage et décolle à nouveau immédiatement). Cette forme est très peu courante; nous n'avons pas réussi à trouver d'autres exemples de ce type, qui doit être considéré comme une variante des paratagmes avec «et», comme par exemple: {le, les) va-et-vient (invar.), (les) allées et venues (pi.), et qui est censé prendre la même flexion que ce dernier terme. Le second exemple original est surfactif (détergent de synthèse) ; hors contexte, et même dans le contexte, il est très difficile de voir qu'il s'agit d'une abréviation de surface -\- actif (une substance agissant sur la tension de surface de l'eau) et non de sur + factif (qui pourrait être ressenti comme un dérivé de «faire»).

Groupes h-k)

Les néologismes sont représentés en si petit nombre parmi les verbes j) et les adjectifs k) que cela n'aurait guère de sens de les traiter ici. Quant aux constructions formées de substantif + adjectif i), elles ne posent guère de problèmes qui ne puissent se rapporter soit à la forme du substantif, soit à celle de l'adjectif: c'est pourquoi elles ne feront pas non plus l'objet d'une discussion. Les constructions du groupe h) (substantif -f préposition + substantif) méritent, elles, par contre, un commentaire particulier.

Dans l'introduction, nous avons mentionné qu'en ce qui concerne les problèmes syntaxiques, la langue technique française s'écartait très peu de la langue courante. Ce qui précède semble montrer que cela vaut aussi et très nettement pour la morphologie, et ce n'est pas moins valable pour les groupes substantif -f préposition + substantif, dont la problématique se rapporte souvent à la syntaxe de la phrase ou est identique à cette dernière. Cependant, les questions essentielles telles que: quand doit-on employer une préposition (et laquelle) et quand emploie-t-on un article (et lequel) devant

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le deuxième élément, n'ont pas encore reçu de réponse définitive, quoique Ebbe Spang-Hanssen, dans son livre: Les prépositions incolores (1963), ait jeté sur bien des aspects de ces problèmes un éclairage nouveau et ait, par là, contribué largement à leur apporter une solution. Ces constructions sont également abordées dans la grammaire française de Knud Togeby (parmi les paragraphes traitant de l'emploi des articles, de la formation des mots et des prépositions). Une question susceptible de rendre intéressante une étude plus développée du langage technique, est de savoir dans quelle mesure on arriverait à en dégager une tendance à exploiter particulièrement les possibilitésd'univocité existant dans la langue, et quels sont les facteurs qui, le cas échéant, garantissent l'univocité; il serait, en outre, peut-être possible de mettre en évidence des applications inhabituelles de prépositions et/ou d'articles sous l'influence éventuelle d'autres langues. Les matériaux dont nous disposons semblent toutefois convenir moins bien à une analyse, qui, de toute façon, nous mènerait trop loin dans cet article. Le fait que ces groupes apparaissent dans les listes du CETT hors de tout contexte, constitueune lacune considérable, surtout en ce qui concerne l'emploi de l'article; on est, de ce fait, dans l'impossibilité de constater une influence éventuelle d'autres membres de phrase.

Un nombre considérable des exemples ne sont pas compliqués; cela vaut surtout, comme on pourrait s'y attendre, pour les combinaisons relâchées avec en, entre, par, pour et sur (mise en lit, distance entre électrodes, torpillage par vibration, boutoir sur pneus, etc.), mais également pour la plupart des constructions avec à. Là où le premier élément est un substantif verbal, il semble qu'on emploie partout la préposition (+ l'article) que le verbe correspondant exigerait avec un complément circonstanciel (conduite à la mer, extraction au gaz, déblocage à l'explosif, etc.). Ce principe conduit par contre à une construction telle que «procédé au mortier colloïdal» (procéder à), qui ne semble pas tellement évidente, l'expression étant définie comme «méthode destinée à la fabrication de mortier colloïdal». Un seul exemple s'écarte du principe: c'est «triage à main», qui s'oppose à l'expression habituelle «à la main»; de nombreux exemples avec de sont des génitifs objectifs, par exemple «inversion de pas», «retenue ¿/'eau», etc., et on peut se demander pourquoi «poussée J'eau» (génitif subjectif) (procédé consistant à faire sortir du pétrole d'une conduite ou autre canal par la pression de l'eau) est apparue comme suffisamment univoque à ceux qui l'ont proposée.

Le fait que la plupart des exemples, sinon tous, puissent se rattacher à
des types connus, ne rendrait donc pas inutile une analyse qui viendrait
peut-être compléter les études existantes en mettant l'accent sur des facteurs

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différents; mais les matériaux choisis sont, bien entendu, par trop insuffisantspour permettre de procéder à une analyse de chaque type et de déterminersi, de manière générale, la langue technique préfère certains types à d'autres.

Conclusion

L'objectif de cet article a été décrit (p. 141) comme une tentative «pour mettre en évidence quelques-uns des problèmes qui se posent lorsqu'on étudie la formation des mots en français technique moderne». Certains de ces problèmes ont été soulignés au cours de l'examen des matériaux choisis, qui sont cependant trop minces pour qu'on puisse en tirer une véritable conclusion. Il semble toutefois que se dessine une propension à limiter l'introduction de mots nouveaux en français technique, et, dans les cas où de nouvelles découvertes et autres facteurs de la vie moderne imposent la création de termes nouveaux, la préférence va aux dérivés formés sur un modèle connu ou aux groupes en forme de définition : substantif -+- préposition + substantif ou substantif + adjectif. Les problèmes liés à la formation des mots sont à peu près les mêmes que pour la langue courante, mais des considérations particulières (parmi lesquelles peut-être les impératifs de l'univocité) semblent pouvoir entraîner une répartition numérique des divers types d'expressions qui sera autre dans le langage technique que dans la langue générale.

Jacques Qvistgaard

Copenhague