Revue Romane, Bind 11 (1976) 1

Le genre des noms désignant les professions et les situations féminines en français moderne1

par

Else Boel

Introduction

De nos jours, les femmes exercent dans une mesure croissante des professions qui étaient autrefois le monopole des hommes. Cette évolution, liée à un processus d'industrialisation rapide, pose un problème linguistique: comment désigner les femmes qui exercent de telles professions ?

En français, on distingue généralement deux genres : le genre masculin et le genre féminin. A priori on attendrait donc que les noms désignant des personnes du sexe masculin fussent du genre masculin, tandis que ceux qui désignent des personnes du sexe féminin seraient du genre féminin. Or, c'est loin d'être le cas.

La base de l'analyse présente est une étude empirique de l'usage de la
langue française contemporaine dans le domaine du genre des noms indiquant
les professions et les situations féminines.

Les situations et les professions seront examinées parallèlement. Ce sont



1: La base du présent article est un mémoire de maîtrise intitulé «Etude sur le genre des noms désignant les professions et les situations féminines en français moderne» et soutenu par l'auteur à la Sorbonne (Université de Paris IV, Faculté des Lettres) pendant la session d'octobre 1973. Les annexes au texte original de ce mémoire de maîtrise comprennent quinze réponses (non reproduites ici), quelquefois très complètes, à un questionnaire contenant des questions destinées à éclaircir davantage certains points problématiques et auxquelles nous avons demandé à des Français venant d'horizons divers de répondre. Nos conclusions ne reposent pas sur les réponses au questionnaire mais sur notre enquête visant les mass media. Les grandes variations entre les réponses individuelles confirment cependant une des conclusions de cette enquête, à savoir que bien souvent l'usage hésite et vacille, reflétant ainsi un sentiment d'incertitude face à une évolution sociale qui va très vite. En outre, les réponses apportent des réactions et des commentaires personnels qui complètent et approfondissent notre exposé, en contredisent parfois les conclusions, jettent une lumière nouvelle sur tel ou tel aspect des problèmes examinés. Dans ce sens, on pourrait dire qu'il existe une sorte de rapports dialectiques entre notre texte et les réponses annexées.

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les professions qui provoquent des difficultés et créent des problèmes. Au sujet des situations - pour lesquelles les problèmes se posent fondamentalementde la même manière depuis toujours - on peut dire qu'en principe, on forme le féminin sans complications particulières, conformément aux règles décrites ci-dessous (I).

Certains aspects et prolongements du sujet ne seront pas abordés. Par
exemple, nous ne traiterons pas des noms qui ont des formes complètement
différentes au masculin et au féminin (ex: père/mère, oncle/tante, frère/sœur).

Dans ce domaine comme dans d'autres, la langue se trouve dans un processus d'évolution constante. Des formes nouvelles sont toujours nécessaires pour exprimer les changements qui surviennent et les développements qui s'accomplissent.

Notre enquête est tournée vers l'usage contemporain et les tendances qui s'en dégagent. Par conséquent, nous avons fondé nos recherches sur la presse écrite et audiovisuelle, indépendamment des contributions antérieures au sujet. Les mass media, plus proches que la littérature de la langue quotidienne contemporaine, traduisent mieux et plus vite que celle-ci une évolution sociale continue. Il s'agit donc d'une enquête systématique sur l'usage du français contemporain tel qu'il se manifeste dans certains journaux français à grand tirage (notamment Le Monde, Le Figaro, UExpress, Le Nouvel Observateur et Elle) et à I'O.R.T.F. (surtout les informations sur la première et la deuxième chaîne de télévision) pendant une période allant de 1970 à la fin de 1973.

A chaque forme féminine citée dans le texte correspondent au moins un et souvent un grand nombre d'exemples trouvés dans les mass media. Pour des raisons pratiques nous nous sommes limitée à reproduire des citations jugées significatives ou instructives. La classification suggérée diverge parfois de la classification systématique des manuels traditionnels: elle a de toute façon été établie indépendamment de ceux-là et en fonction de la documentation

D'autre part, nous avons employé la technique dite de l'interview. Nous avons demandé à un certain nombre de Français venant d'horizons divers de répondre à un ensemble de questions destinées à éclairer davantage certainspoints litigieux. La rédaction de ces questions n'a pas seulement pour but de constater ce que diraient les personnes interrogées dans certaines situations,mais aussi de mettre en évidence let> raisons de leur choix entre des expressions différentes et les nuances de signification attribuées à plusieurs termes possibles. Il ne s'agit évidemment pas d'un sondage d'opinion en

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miniature. L'avantage de la méthode employée est, à notre avis, qu'elle permetd'obtenir une impression plus nuancée et plus approfondie de ce que ressentent les Français en utilisant une forme donnée de préférence à une autre, que ne le ferait une approche fondée exclusivement sur une étude de textes.

Disons pour terminer qu'une comparaison avec les études antérieures sur le sujet fait surtout ressortir les changements intervenus dans l'usage. En particulier, le livre de Walther Stehli : Die Femininbildung von Personenbezeichnungen im neuesten Franzôsisch (1949), très bien documenté, est en grande partie dépassé par l'évolution ultérieure.

I. Caractéristique normale du féminin

D'une façon générale le féminin est marqué par rapport au masculin : dans
la langue parlée, il y a une consonne de plus. Dans la langue écrite, on ajoute
un -e final. Dans les deux cas, il y a un suffixe au féminin.

A. La terminaison normale: -e

(1) Les noms formés sur des adjectifs et des participes présents et passés.

Pour les noms formés d'un adjectif, d'un participe présent ou d'un participe
passé, la terminaison normale au féminin : -e est un prolongement du fait que
les adjectifs ajoutent un -e au féminin.

On substantive souvent les adjectifs qui caractérisent les personnes (un
bourgeois/une bourgeoise, un campagnard/une campagnarde).

Voici des exemples de formes féminines de noms dérivés de participes
présents :


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Ex.:

«... quelques centaines seulement de ces délinquantes ont la malchance d'être
poursuivies.» (Le Monde, iy/20-11-72)
«M. Pierre Messmer, parlant à Strasbourg devant les militantes gaullistes du
Centre féminin d'étude ...» (Le Monde, 28-11-72)
«Les W.a.c. savent tirer le meilleur parti de leurs coiffes et leurs uniformes. La
deuxième classe casquée, Vadjudante chapeautée ...» (Paris-Match, 23-12—73)
(Commentaire: adjudant provient d'un participe espagnol, et l'analogie avec le
participe français est toute naturelle).

Les formes féminines données ci-dessous sont des exemples de noms formés
à partir du participe passé et qui ont le féminin en -e:


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Ex.:

«Je ne pensais pas que cela arriverait si vite et qu il s'agirait de 1 Upera de Pans.
Je suis une grande privilégiée. » (Journal du Dimanche, 8-4-73)
«Groupe Pharmaceutique Français recrute Délégués (ées) pour visite Cliniques
et dentistes.» («Petites Annonces», Le Figaro 12-7-72)
«Notre envoyée spéciale Eléana de la Souchère a pu s'entretenir avec un des nationalistes
basques.» (Journaldu Dimanche, 6-12-70)

Selon les dictionnaires, il n'y aurait pas de forme masculine correspondant au nom féminin prostituée, qui vient du participe passé du verbe prostituer. Or, dans la pratique, le masculin, existe comme cela ressort de la phrase suivante extraite d'un compte rendu de film: «Les vingt-quatre heures de la vie d'un prostitué homosexuel y> (L'Officiel des Spectacles, 13/19-9-73). Le masculin est ici formé selon les règles mais, inversement, en partant du féminin et en supprimant le -e féminin.

Il s'agit ici d'un phénomène d'ordre plus général, qui consiste à former le
masculin correspondant par analogie avec les noms qui, primitivement,
n'existaient qu'au féminin. La formation du nom masculin ww/illustre aussi


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ce phénomène. Ce n'est qu'au XVIe siècle qu'on a créé le masculin veuf sut le modèle d'autres noms (et adjectifs) qui se terminent en -/au masculin et qui changent le -/en -v au féminin devant le -e, ex.: juif/juive - sportif/ sportive - neuf/neuve. Seulement, ici, on est allé en sens inverse, de veuve à veuf, cf. G. Paris, Romania XV, p. 440.

(2) D'autres cas typiques

Ci-dessous, nous donnons des exemples d'autres groupes typiques qui, conformément
à la règle générale, ajoutent un -e au féminin.

Des noms qui se terminent en -ent comme: adolescente, cliente, concurrente,
confidente, parente, présidente et régente:

Les adolescentes, dont l'une portait des vêtements maculés de sang, s'étaient
présentées à l'hôpital de Villefranche ...» {Le Figaro, 12-7-72)
«Elle fut pour lui plus qu'une concurrente: un danger, une menace permanente. »
{Elle, 25-1-71)

Des noms qui se terminent en -ard comme : banlieusarde, campagnarde, communarde,
dreyfusarde, vieillarde:

«Pour le centenaire de la Commune, le nouveau roman de Cécil Saint-Laurent:
La Communarde.» (Le Monde, 31-10-70)

Des noms qui se terminent en -at comme: avocate, candidate, lauréate et
soldate. Ex.:

«L'avocate d'André Hénin, Me Annette Bellanger, a déposé une requête auprès
du juge des enfants ...» {Nouvel Observateur, 15/21-3-71)
«Le choix de la candidate de la majorité contre M. Jean-Jacques Servan-Schreiber
provoque des remous à I'U.D.R.» (Le Monde, 6-12-72)
«Le prix de littérature Hachette-Larousse a été attribué à Mme Gonul Pultar . . .
La lauréate consacre le montant de son prix (8.000 F.) à travailler en France à
une thèse ...» {Le Monde, 23-10-70)
«Vif intérêt pour les soldâtes et les sous-mariniers.» (Le Figaro, 15-7-71)

Soldate: L'emploi de la forme féminine soldate est depuis longtemps courant dans l'Armée du Salut. Au fur et à mesure que l'Armée française s'ouvre aux femmes, l'expression soldate devient plus acceptable là aussi, bien que la forme femme-soldat on femme soldat soit beaucoup plus fréquente.

Des noms qui se terminent en -in comme: benjamine, citadine, copine (le
masculin s'écrit copain), gamine, orpheline et voisine.

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Des noms qui se terminent en -ain comme : Américaine, châtelaine, contemporaine,
puritaine, riveraine, souveraine et vilaine.

Des noms gui se terminent en -ois (et qui indiquent souvent la nationalité
ou l'origine) comme: bourgeoise, Chinoise, Clermontoise, Danoise, Niçoise,
Strasbourgeoise, Suédoise et villageoise.

Des noms qui se terminent en -ais (et qui indiquent souvent la nationalité)
comme : Anglaise, Finlandaise, Française, Hollandaise, Irlandaise, Portugaise.

Des modifications de la règle générale

1° Redoublement de la consonne finale

Parfois il y a redoublement de la consonne finale devant le -e féminin. Tl
s'agit surtout de noms se terminant en -en et en -on. Voici des noms en -en
illustrant ce phénomène :


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Ex.:

Comme historienne elle a étudié avec prédilection la Commune, réhabilitant les
Pétroleuses ...» (Le Monde, 10-12-70)
«L'Académie Française a fini par élire une physicienne, Mme Marguerite Perey,
comme correspondante, il est vrai ...» (Le Monde, 16-10-70)
«Mme Gandhi est une politicienne redoutable.» (Le Monde, 7/8-11-71)
«Bien sûr, en politique étrangère, c'est une tacticienne hors pair, a-t-il ajouté
...» (Le Figaro, 4-8-71)

Ces noms en -en indiquent parfois la nationalité comme: Algérienne, Australienne,
Bohémienne, Egyptienne, Israélienne, Italienne, Norvégienne et
Ukrainienne.

Voici des noms en -on : baronne, championne, espionne, garçonne, patronne
et, dans l'argot scolaire, pionne.

Le redoublement de la consonne finale a lieu aussi dans d'autres cas. Ainsi


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les noms en -el font leur féminin en -elle {criminel!criminelle). Les noms en
-et redoublent le -/ devant le -e féminin {cadette, coquette, minette, muette,
sujette).

On trouve d'ailleurs des noms féminins en -ette sans un masculin correspondant
en -et. Ex. : fillette, levrette, majorette, marmette, snobinette, soubrette,

2° Des modifications de la voyelle finale

Parfois il y a des modifications de la voyelle finale du masculin (les noms en -er). La prononciation passe de e fermé à e ouvert. Dans la langue écrite, ces noms prennent par conséquent au féminin un accent grave sur le e précédant le r. Ex. :


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Notons en passant que le nom jardinier/jardinière a des significations différentes
au masculin et au féminin. D'un homme qui travaille dans un jardin
d'enfants on dit «enseignant» {Le Figaro, 2-1-74).

Nous donnons ci-dessous des exemples de l'emploi de quelques noms de ce
type:

«Je dédie cette chronique modestement pratique à cette fille de vingt ans, bachelière
littéraire, dont j'ai la lettre sous les yeux ...» (Elle, 14-12-70)


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« Peut-être parce que la chàtélaine-bistrotière constitue déjà à elle toute seule un
spectacle assez pittoresque ...» (Le Figaro, 15-7-70)
«Miss France 72 est, aussi, bonne cavalière.» (France-Soir, 9/10-1-72)
«Les Parisiens ont perdu leurs chaisières. Il ne coûte plus rien de s'asseoir dans
les jardins publics.» (France-Soir, 29-3-72)
«Une tendance nouvelle, où les équipières fidèles pourront être à leur tour chef à
bord.» (Le Figaro, 15-1-73)
« Mettant en épigraphe des vers de Paul Eluard et d'Alain Bosquet, la préfacier
e cherche à dégager certaines tendances constantes ...» (Le Monde, 26-3-71)
«Postières amateurs» (Texte accompagnant photo dans L'Express, 2/7-2—71)
«Qui sait ce qu'elle serait devenue sous son vrai nom de Gertrude Zelle? Peutêtre
rentière à Monte-Carlo, inscrite à la Sécurité Sociale ...» (Le Figaro,
15-12-70)
«Le Groupe, dont le succès fut international, a fait de Mary McCarthy une
romancière très connue.» (Journal du Dimanche, 18-6-72)
«... nous comptons dans notre bureau une secrétaire adjointe, la trésorier e et
son adjointe ...» (L'Express, 21/27-9-70)

3° Des modifications de la consonne finale

Parfois il y a une modification de la consonne finale du masculin. Ainsi les
noms qui se terminent en -/ changent le -/ en -v devant le -e féminin (Juif/
juive, sportif/sportive, veuf/veuve).

De la même façon, les noms en -x changent le -x en -s devant le -e féminin
(époux/épousé).

B. Des terminaisons spéciales

Certaines terminaisons spéciales (-eur/euse, -teur/trice, -esse) sont très courantes.

-eur/-euse

Les noms masculins en -eur ont régulièrement le féminin en -euse. Le plus
souvent (mais pas toujours, cf. p. ex. farceurjfarceuse) il s'agit de noms
dérivés de la racine d'un verbe:


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2: Anglicisme de date récente formé sur le modèle fixé par la règle -eur¡-euse.

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Voici des exemples de l'emploi de ces noms :

«Comme toutes les clientes en parlaient, dit la coiffeuse à ma femme, j'avais l'air
bête de ne pas être au courant. » {Le Figaro, 11-5-73)
«Les Canadiens-Français n'en finissent pas de zigouiller cette emmerdeuse de
Maria Chapdelaine qui a cassé les pieds de plusieurs générations ...» {Nouvel
Observateur, 31/12-73-6/1-74)
«II y a de même plus de fumeuses à Paris .... que dans les petites villes .... »
{Le Monde, 7/8-3-71)
«Dialogue de sourds au tribunal où l'on rejugeait la guérisseuse de Bourges.»
{France-Soir, 9-2-73)
«On trouve dans «La Lanceuse de couteaux» une perfection formelle qu'il est
rare de rencontrer chez un débutant ...» {L'Express, 17/23-5-71)
«Je suis devenue monteuse à 18 ans parce que j'avais besoin d'argent. A 20 ans,
j'avais écrit mon premier scénario ...» {Elle, 20-9-71)
« Une jeune montreuse de serpents mordue par un crotale. » {Le Figaro, 24-5-71)
«... elle .. . commande des plieuses de parachutes.» {Le Figaro, 31-7-71)
«A Abtenau au cours d'un slalom géant disputé par les skieuses et les skieurs
autrichiens ...» {Le Monde, 30-12-72)
«... pour justifier bon nombre d'ostracismes à l'égard des travailleuses.» {Le
Figaro, 14-6-71)
«... peu de personnes s'étaient préoccupées de ces voyageuses du petit jour.»
{Elle, 30-11-70)


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2: Cf. note 2, p. 23.

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«Voici comment vit une convoyeuse du Club Méditerranée.» (Journal du Dimanche,

D'une façon générale nous avons constaté que l'emploi du suffixe -eurj-euse est plus populaire que l'emploi du suffixe -teurj-trice. De plus, le suffixe -eurj-euse se rapporte plus fréquemment aux situations qu'aux professions et évoque alors l'idée d'une personne qui accomplit l'action décrite par le verbe qui est à l'origine du nom {baigneur¡baigneuse, bridgeur ¡bridgeuse, menteur ¡menteuse, rêveur ¡rêveuse, voyageur¡voyageusé). Plusieurs occupations sportives sont désignées par des noms en -eur¡-euse (basketteur/basketteuse, danseur ¡danseuse, joueur ¡joueuse (p. ex. de tennis), lanceur ¡lanceuse, nageur ¡nageuse, patineur ¡patineuse, skieur ¡skieuse). Dans les cas où les noms en -eurj-euse signifient des professions, il s'agit le plus souvent d'un travail manuel, d'un service ou d'une profession assumée depuis longtemps par les femmes (coiffeuse, contrôleuse, serveuse, sondeuse, travailleuse, vendeuse).

Certains noms en -eur n'ont pas de forme féminine: assureur, censeur,
chercheur, connaisseur, graveur, metteur en scène, vainqueur, etc., voir
plus bas (II).

Certains autres noms en -eur ont le féminin en -eure. Il s'agit des comparatifs
pris substantivement (supérieure, inférieure).

Un petit nombre de noms en -eur font leur féminin en -eresse (demandeur/
demanderesse, vengeur ¡vengeresse.)

-teurl-trice

Beaucoup de noms en -teur ont le féminin en -trice. Voici des exemples :


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Voici des exemples de l'emploi de quelques-uns des noms de cette liste :

«Parmi eux, nous avons rencontré Christine Fabréga (vedette du film de Melville
... et animatrice de Jeux télévisés)». (Elle, 8-2-71)
«Mariée, mère et aviatrice, Anne-Marie a réussi sa vie professionnelle et sa vie
familiale.» (Le Figaro, 17/18-2-73)
« Créatrice autour des années 30 de la célèbre maison de couture Maggy Rouff,
Mme Pierre Besançon de Wagner est morte ...» (Le Figaro, 9-8-71)
« Mme Jacqueline Rigaud (directrice de cours privé), candidate d'Ordre Nouveau
...» (Le Monde, 19-5-70)
«Traditionnellement, rélectrice est considérée comme plus conservatrice que
l'électeur.» (Le Figaro, 12-7-72)
«L'exploratrice américaine Louise A. Boyd est morte le jeudi 14 septembre à San
Francisco ... ». (Le Monde, 19-9-72)

-esse

De nos jours, cette terminaison joue un rôle moins important qu'autrefois.
Nous donnons ci-dessous une liste de noms féminins en -esse recueillis au
cours de notre enquête :


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Voici des exemples :


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«La dame Danessin, née Wirbel, demeurant a Merlebach, 75 rue Civray, demanderesse
(...) contre le sieur Danessin (...) actuellement sans adresse connue,
défendeur ... La demanderesse assigne le défendeur à comparaître ...» {Journal
Officiel, 12-3-71)
«L'Américain à la fleur de l'âge, beau gosse (...) brimé par sa femme, une élégante
ivrognesse ...» {France-Soir, 26/27-7-70)
«Liv Ullmann, une des interprètes favorites d'lngmar Bergman, tourne ...
un film inspiré par le personnage mythique de La Papesse Jeanne (...) Il a
plutôt Tair d'assimiler la «papesse» à une sorte de Jeanne d'Arc ...» {Le
Figaro, 4-5-71)
« Va y est: les Suissesses voteront comme les hommes.» (France-Soir, v-2-ll)
«La voilà la traîtresse qui a pondu l'œuf de Nouakchott. » {Le Canard, 17-2-71)

Certains des noms cités méritent des commentaires :

chasseresse :

La forme féminine normale de chasseur est chasseuse. Chasseresse s'emploie
surtout dans un contexte poétique.

hôtesse :

Hôtesse, le féminin de hôte, désigne la personne qui reçoit chez elle. De nos jours, cette forme féminine est très usitée. Son emploi s'étend à toutes les femmes professionmellement chargées de «recevoir», dans le sens: aider, rendre service, donner des renseignements. Ex. :

«Le cauchemar de Mlle Margit Sommer, l'hôtesse de la compagnie Air Canada
qui était restée détenue pendant près de vingt-quatre heures, à bord d'un DC-8
...» {Le Monde, 28-11-72)
«Ce métier attire un grand nombre de candidates et cependant il ne constitue
pas une véritable carrière, car après 30 ans, une hôtesse d'accueil peut difficilement
exercer sa profession.» {Les Carrières féminines, Denoël 1969, p. 142)
«Le «restoroute» est aussi un relais touristique. ... La jeune hôtesse du Relais-
Top de Nemours estime que son bureau de tourisme ne suffit plus à sa tâche. »
{Le Monde, 21-7-72)
«La compagnie a 3 à 5 hôtesses par navire, et leurs tâches sont diverses. Elles
servent d'interprètes mais ont également à répondre au standard téléphonique,
faire les appels sur le navire, s'occuper des enfants, accompagner les touristes
durant les escales, fleurir le bateau, accueillir et placer les passagers dans les
salles ...»{Elle, 10-5-71)


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D'autre part, dans les banques, les bureaux de postes, les grandes entreprises, chez les grands coiffeurs, partout on trouve des hôtesses qui s'occupent des clients. Nous avons l'impression générale que la forme féminine hôtesse a un certain prestige et peut servir à rehausser (rendant plus « chic ») des professions qui autrement seraient triviales. Par ailleurs, elle est perçue comme correspondant à une conception traditionnelle du rôle de la femme.

Plus bas (II), nous commenterons la forme féminine hôte.

poétesse

Selon les dictionnaires, la forme poétesse aurait une signification ridicule ou péjorative. Nous avons constaté que cela n'est pas toujours le cas, voir les exemples suivants trouvés dans les biographies du Dictionnaire des Femmes Célèbres (Larousse), lequel emploie systématiquement la forme poétesse :

« Monroe (Harriet), poétesse américaine. »
« Mistral (Lucila), poétesse chilienne. »

Au Cimetière de Passy on peut lire :

«Ici repose la grande poétesse Renée Vivien.»

De la même façon, on trouve dans le Dictionnaire des Lettres Françaises:

« Marie de France, poétesse qui vivait au XTTe siècle- »

Notre enquête tend cependant à montrer que la forme couramment employée
par la presse française pour désigner une femme poète n'est pas poétesse mais
un ou parfois une poète. Ex. :

«Catherine Pozzi ... ce grand poète toujours méconnu ...» {Figaro Littéraire,
1/7-2-71)
«Line Hachgar, poète et libraire.» {Le Figaro, 23-7-71)
«Nicole Eysseric est net poète.» {Le Figaro, 25-3-71)

En conclusion, on peut dire que l'emploi du suffixe -esse se fait plus rare et que les noms qui se terminent en -esse ont souvent une résonance un peu vieux jeu, un peu ridicule, même un peu péjorative. (On se rappelle le mot antiféministe de Valéry qui, par un crescendo dans l'horreur, rangeait les femmes en trois catégories: «les emmerdeuses», «les emmerdantes» et «les emmerderesses ».)

Cette observation s'applique plus encore aux noms qui se terminent en

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-resse {doctoresse, mairesse, ministresse, peintresse, etc.). On préfère dire
docteur, la femme du maire, la femme du ministre, femme peintre ou peintre.

Dans la chronique de La Reynière (Le Monde, 23-6-73), nous avons
toutefois trouvé l'exemple suivant d'un emploi de peintresse qui n'a rien de
péjoratif:

«M. Solnicki, heureux propriétaire de ces deux maisons (et d'une si gentille
femme,peintresse américaine qui les a décorées ...), met aussi en vedette ce qu'il
appelle ...»

Il faut dire que la langue de La Reynière recherche des effets stylistiques
fondés sur l'emploi de termes anciens.

L'évolution est illustrée par le fait que beaucoup de formes en -esse, -eresse, mentionnées par Nyrop: librairesse, menteresse, etc. (voir Nyrop, Grammaire Historique de la Langue Française 11, 1924, §§ 425-29) ne sont pas employées dans le français contemporain.

Les deux domaines où aujourd'hui on rencontre typiquement le suffixe -esse sont la langue juridique avec ses tournures souvent un peu solennelles et conservatrices (demanderesse, défenderesse) et l'argot: gonzesse, emmerderesse.

«Pouget n'aime pas les gonzesses à lunettes de soleil.» (Libération, 8/9-12-73)

-ine

Les noms qui forment leur féminin en ajoutant le suffixe: -ine sont rares et
d'origines diverses. Nous pouvons citer les exemples suivants:

héroïne (d'origine latino-grecque) laborantine (d'origine allemande) speakerine (d'origine anglaise) tsarine (d'origine slave)

laborantine

Le nom féminin laborantine est un néologisme. Selon Bloch et Wartburg (Dictionnaire étymologique de la Langue Française, Paris 1964), ce nom a été introduit dans la langue française en 1934. Il est emprunté à l'allemand: eine Laborantin, formé d'après Laboratorium (laboratoire). On sait que le suffixe -in est tout à fait courant en allemand pour former le féminin. Par exemple: eine Àrztin, eine Schülerin, eine Verfasserin, eine Journalistin, eine Laborantin, eine Malerin, sont formés à partir de: Arzt, Schiiler, Verfasser, Journalist, Laborant et Maler.

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Voici des exemples de l'emploi de cette forme féminine:

«Impte Usine produits chimiques Banlieue Est recherche Laborantines . . . » (Petites
Annonces - Le Monde)
«En qualité de laborantine industrielle vous effectuerez des analyses sous le contrôle
d'un ingénieur chimiste ...» (100 Carrières féminines, édition UNIECO
1970)
«Labo Analyses Médicales, 15e, recherche LABORANTINE polyvalente ou hématologiste,
temps partiel ou plein temps ...» (Petites Annonces, Le Figaro
11-1-74)

W. Stehli (op. cit.) indique que la forme masculine du nom laborantine n'existe pas en français. C'était vrai en 1949. Plus tard encore, en 1964, Grevisse (Le Bon Usage édition 1964, § 247, rem. 3) dit, de même, que certains noms ne s'appliquant qu'à des femmes n'ont pas de forme masculine, et il donne comme exemple, entre autres, laborantine. Pour désigner un homme qui exerçait le travail d'une laborantine on se servait alors d'expressions comme : préparateur, garçon de laboratoire, assistant de laboratoire, etc. Notre enquête a cependant montré qu'entre-temps on a créé le masculin laborantin, à partir du féminin laborantine. Ce néologisme est conforme aux principes normaux concernant la formation du féminin, mais le processus va en sens inverse, c'est-à-dire qu'on supprime Y-e de la forme féminine laborantine pour obtenir la forme masculine laborantin. Cette forme masculine, qui figure dans Le Petit Robert (édition de 1967), est aujourd'hui en usage même dans la langue officielle. Ex.:

«Un concours public en vue de pourvoir 18 postes de laborantins et de laborantines
de la Préfecture de Paris aura lieu le ler juin 1973.» (Extrait d'une affiche)

II. Les exceptions

Nous allons maintenant examiner certains groupes de noms par lesquels on
désigne les professions et les situations féminines selon d'autres principes
que ceux décrits ci-dessus (I).

Il s'agit notamment de noms de genre épicène, c'est-à-dire des noms où
on emploie un même genre - soit masculin, soit féminin-pour désigner les
deux sexes3.



3: Gustave Guillaume (et avant lui Hjelmslev) distingue deux classes de noms qui désignent respectivement Vanirne et Yinanimé. La classe de l'inanimé est embrassée par le neutre (soit le masculin, soit le féminin, fonctionnant comme genre neutre). Dans la classe de 1 anime Uuillaume distingue deux genres - le masculin et ie féminin - et il introduit en outre une distinction entre le sexué et l'épicène. Le genre épicène est celui de l'espèce dans la classe de l'animé. Le neutre réunit donc la classe de l'inanimé et - dans la classe de l'animé - l'épicène. Le tableau ci-dessous illustre ce schéma: classe espèce genre r , [masculin sexué i . . . . I féminin animé < l épicène j *¦ >neutre inanimé Dans cette optique, il n'y a pas lieu, en français - contrairement à ce qui est le cas dans certaines autres langues - de faire une distinction entre deux sous-classes de l'animé: «l'animé humain» et «l'animé animal». Car, dans les deux cas, il y a en français des noms sexués et des noms épicènes. Le «genre vrai» se caractérise par l'alternance, pour une même notion, entre le genre masculin et le genre féminin.

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(1) Les noms épicenes masculins: même forme, même article (au masculin)

Dans la grande majorité des cas, c'est le genre masculin qu'on emploie pour
désigner les deux sexes. Voici quelques exemples de cette catégorie de noms :


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Pour illustrer l'emploi des noms de ce groupe, nous allons donner quelques
exemples.

agent. Ex.:

«Mme Bouron (Colette) (...) est nommée agent technique de bureau stagiaire
à la direction interdépartementale des anciens combattants. » (Le Journal
Officiel, 25-3-73)
«Karin Schubert, la reine d'Espagne dans (...) et ragent de police parallèle dans
«l'Attentat»». (Marie-Claire, février 1973)
«Mlle Marie-Fernande Monnot (...) agent des P.T.T. à Hirson.» (Le Monde,
2-6-71)
«Alice Tepper a débuté sa carrière comme agent de change à Wall Street.»
(Elle, 12-4-71)
«Agent de renseignement touristique. » (100 Carrières Féminines, Unieco, Rouen
1970, p. 77)

Nous avons trouvé un seul exemple de l'emploi du féminin :

«Le Président envoie son agente de liaison séduire les adversaires du quinquennat.»
(Titre dans Paris-Match, 13-10-73)

Plus loin dans le texte, le masculin est utilisé à propos de la même personne:

«Le Président de la République a chargé Pierre Messmer et Marie-France Garaud,
son agent de liaison, de mobiliser et de convaincre le petit monde parlementaire.

Le fait qu'on ait confié une tâche politique importante à une femme - une
fois n'est pas coutume - est mis en relief par l'emploi du féminin dans le
titre de l'article.

amateur. Ex. :

«Je ne suis pas un amateur du style Moyen-Age.» (Remarque d'une femme
dans un restaurant de style Moyen-Age)
« Mme Céline Vence n'est ni amateur ni pédante, et que ce soit les vingt recettes


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de Bourgogne, Bresse, Lyonnais, ... elles sont réalisables pour la ménagère. »
(Le Monde, 8-11-70)

Reconnue par l'Académie, la forme féminine amatrice n'a pas été admise
par l'usage.

amiral. Ex.:

«... des femmes pourront devenir contre-amiral ...» (Le Monde, 27-3-73)

Notons qu'on emploie le féminin amirale dans le sens : 'femme d'un amiral'.

ange. Dans la langue familière on emploie couramment l'article féminin
{tu es une ange), voir Nyrop, op. cit. IL § 435 et Grevisse, op. cit. § 247, 10.

assassin. Ex.:

«Susan Atkins (...) est l'un des assassins de Sharon Tate. Elle révèle tout.»
(Elle, 15-4-71)

II est rare qu'on se serve du nom masculin assassin pour une femme. On dit
plutôt : meurtrière, bien que ce mot n'implique pas la préméditation comme
le mot assassin.

assureur. Ex.:

«Mme X., licenciée en Droit, épouse d'un pharmacien, elle est assureur.»
(Femme pratique, février 73)

auteur. Ex.:

«Edith Thomas, aussi excellente conteuse qu'excellente histrionne, s'intéresse
à leur sort ... Spirituelle et pleine d'humour, Vauteur réhabilite ses héroïnes
...» (Le Figaro Littéraire, novembre 70)

« Rose Vincent est, avec «Le Métier de mère », le neuvième auteur de cette collection
...» (Elle, 20-9-71)

cadre. Ex.:

«La consommation de tabac chez les femmes est liée au contexte socio-professionnel:
ce sont les cadres supérieurs qui fument le plus, suivis par les ouvrières
et (...) les agricultrices.» (Le Monde, 7/8-3-71)

«D'après une enquête de I'INSEE, les ouvrières gagnent 33% de moins que les
hommes, les cadres moyens 25%, les employées 23%, les cadres supérieurs 35%. »
(France-Soir, 3-9-73)

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chauffeur. Ex.:

«Marie est chauffeur de taxi.» {Elle, 9-10-72)

Exceptionnellement, on rencontre la forme féminine chauffeuse qui, normalement,
signifie: «une chaise basse pour se chauffer près du feu». Ex.:

«Les chauffeurs (et les chauffeuses car leur proportion n'est pas négligeable) de
taxis m'ont paru étrangement mélancoliques.» (Elle, 9-10-72)

Selon un renseignement reproduit par Stehli, op. cit. p. 57, le mot usuel
dans l'armée d'Afrique pendant la seconde Guerre mondiale était une chaufferette.

chef. Ex.:

«Le chef Au gouvernement israélien, MmeGolda Meir . . . » {Le Monde, 26-12-72)
«Voici le premier chef d'orchestre en jupon .. . Catherine Cornet.» {Journal du
Dimanche, 8-4-73)
«Madame, êtes-vous oui ou non le chef de famille?» {Elle, 9-10-72)
«... le chef Au rayon parfumerie, une jeune femme, a délibérément choisi de ne
pas vendre des pâtes dentifrices à bon marché. » {France-Soir, 8-9-72)

Dans la langue parlée, on emploie assez souvent l'article féminin, surtout
dans la combinaison la chef de rayon. Par contre, dans la langue écrite,
l'emploi du féminin est extrêmement rare.

Comme on va le voir plus bas, il y a une forte tendance générale à employer
le masculin quand il s'agit de postes de direction. Que chef soit toujours
au masculin a en quelque sorte valeur de symbole.

Notons que la forme féminine cheftaine signifie: «jeune femme responsable
d'un groupe de scouts, de guides, d'éclaireuses ».

Nous n'avons pas rencontré la forme féminine chefesse (ou cheffesse) signalée
par Grevisse, op. cit. § 244, 2°.

chevalier. Ex.:

«La comédienne Alice Tissot . . . était chevalier de la Légion d'Honneur.» (Le
Monde, 7-5-71)

Quand il s'agit de titres fixés par une loi ou un règlement, on emploie en général le masculin (fonctionnant dans le texte de la loi comme une sorte de genre neutre ou non-marqué), aussi pour désigner la femme possédant le titre. Dans la plupart des cas, ces titres étaient au début réservés aux hommes.

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chroniqueur. Ex.:

«Auteur ... essayiste et chroniqueur au Figaro, Mme Françoise Parturier a
adressé ... sa candidature.» {Le Monde, 16-10-70)

connaisseur. Selon Le Petit Robert, le nom existerait sous deux formes: connaisseur-connaisseuse, mais ce même dictionnaire admet que la forme féminine est rare. Nous n'avons trouvé aucun exemple de connaisseuse dans la presse écrite, mais nous avons souvent entendu dire par des femmes : «Je ne suis pas connaisseur».

cordon-bleu. Ex.:

«Madame l'ambassadeur, fin diplomate, est aussi un cordon-bleu confirmé.»
{France-Soir, 15/16-10-72)

Les noms composés formés d'un substantif masculin et d'un adjectif et
employés au sens figuré pour désigner une personne, restent au masculin,
qui devient épicène.

défenseur. Ex.:

« ... les gens ont en elle un défenseur.» {Le Figaro Littéraire, 26-2-71)

député. Le nom député est un cas particulier qui mérite quelques commentaires. Bien que, sur le plan étymologique, un député ne dérive pas du participe passé du verbe députer (c'est plus tard, au contraire, que ce verbe a acquis le sens de «envoyer comme député», sous l'influence de l'existence du nom députe), la forme féminine une députée semble correspondre à la règle générale et être analogue à celles, dérivées des participes passés, que nous avons étudiées ci-dessus. Aussi W. Stehli prévoyait-il, en 1949, une évolution tendant vers l'emploi généralisé de la forme féminine une députée. A l'appui de sa thèse, il citait des exemples trouvés dans la presse de l'époque.

Or, notre enquête montre que, de nos jours, on dit normalement un député
quand il s'agit d'une femme. Ex. :

«Parce qu'elle est député de Sarcelles, Solange Troisier (UDR) est écoutée.»
{Femme-Pratique, février 73)
«Ancien député communiste de Milan, fondatrice et codirectrice de la revue
italienne d'extrême gauche «II Manifesto», Rosana Rossanda exprimait ... son
désaccord ...» {Nouvel Observateur, 10-8-70)
«Mme de Hauteclocque, présidente du Conseil de Parii, député UDR.» {Le
Monde, 15-9-72)

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«Il s'agit d'un député social-démocrate, Mme Birgitta Dahl ...» {Le Monde,
11-12-70)
«Le député communiste sortant, Mme Vaillant-Couturier ...» {Journal du Dimanche,

Nous n'avons pas recueilli un seul exemple de la forme féminine une
députée. Si l'on veut souligner qu'il s'agit d'une femme et que cela ne ressorte
pas du contexte, on ajoute le mot femme. Ex.:

«Mais, faute de place, la troisième femme député de la majorité siégera à la
commission des Affaires culturelles et sociales.» (VExpress, 9/15-10-72)

II est difficile de dire pourquoi la prévision de M. Stehli ne s'est pas réalisée. Tout au plus peut-on constater que le nombre de femmes députés a beaucoup diminué depuis 1949, date de la publication du livre de M. Stehli (de 59 en 1949 il est tombé à 8 en 1973).

Dans les milieux parlementaires, on dit parfois sur un ton de plaisanterie
une députette, ce qui montre qu'on a conscience du dilemme linguistique
sous-jacent.

Sans changer la forme du nom député, on emploie parfois l'article féminin ;
voir plus loin.

diplomate. Ex.:

« ... Madame ¡'Ambassadeur, fin diplomate ...» (France-Soir, 15/16-10-72)
«Les Etats-Unis vont peut-être perdre leur plus joli diplomate: Ellanor Hicks,
29 ans, consul à Nice.» (L'Express, 31/12-73-6/1-74)

Par le choix d'un adjectif (joli) lié à l'idée traditionnelle de la féminité, on
réussit ici à souligner le sexe de la personne en question, contrebalançant
ainsi l'impression produite par l'emploi de la forme masculine le diplomate.

docteur. Selon Nyrop (op. cit. p. 304), la forme doctoresse remonte au XVe siècle mais a trouvé dans la langue moderne, grâce au mouvement féministe, un emploi général pour désigner une femme médecin. Notre enquête montre cependant qu'il existe de nos jours une forte tendance à préférer le nom masculin docteur pour désigner une femme médecin. De toute façon, même si en parlant d'une femme médecin on dit doctoresse, on dit toujours docteur en s'adressant à elle.

Interrogées là-dessus, plusieurs femmes docteurs ont d'ailleurs déclaré
qu'elles préfèrent être appellées docteur. La citation suivante, provenant du

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Figaro (10-5-73), montre d'une façon frappante l'incertitude qui règne dans
l'usage de la langue à cet égard :

«Une doctoresse grenobloise inculpée pour avortement clandestin ... Un médecin grenoblois, la doctoresse Annie Ferret-Martin-Arizo, 37 ans .. „ a été inculpé. Le jeune médecin n'a pas agi par intérêt ... C'est une affaire banale qui a permis de connaître l'activité du docteur Ferret ... La doctoresse a reçu ensuite la visite de ... Le docteur Ferret-Martin assistait àce meeting auquel participaient plusieurs centaines de personnes ...»

Plus la forme doctoresse perd du terrain, plus elle tend à paraître recherchée - comme si on la mettait dans le texte pour obtenir un effet stylistique solennel, un peu vieillot, voire légèrement péjoratif4. Que la terminaison -esse soit associée mentalement avec les formes féminines de titres de noblesse, comme par exemple comtesse, duchesse, princesse, a peut-être contribué à renforcer cette tendance. Enfin, il faut bien admettre que doctoresse fait un peu long, un peu lourd. Ajoutons que, signifiant des grades ou des titres universitaires, docteur reste toujours au masculin (docteur es lettres, docteur es sciences, docteur en droit, docteur d'université, etc.)

écrivain. Ex.:

«Puisque j'étais un écrivain et non une femme d'action ...» {Elle, 30-11-70,
interview de Françoise Parturier)

gourmet. On n'emploie presque jamais la forme féminine gourmette. Nous avons pourtant recueilli l'exemple suivant de l'emploi de cette forme dans Le Monde du 16-6-73: «Jamin propose au dessert les crêpes qui réjouiront les gourmettes».

greffier et huissier. Le formalisme de la langue du Palais contribue à expliquer le fait que greffier est un nom épicène. D'autre part, il est assez rare qu'un greffier soit une femme. Les deux mêmes explications s'appliquent à huissier, autre nom épicène. Ex. :

« Mme Dupont, le greffier en chef, établit le bilan de ses malversations. » (Le
Figaro, 26-3-71)



4: Parlant de «rendement fonctionnel et valeur» J. Dubois dit (Grammaire Structurale du français: Nom et Pronom, Larousse 1965, p. 57): «Or, on sait par ailleurs que lorsqu'une unité voit son rendement diminuer, son utilisation se modifie et les valeurs qui lui sont attribuées ne sont plus les mêmes. »

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«Une femme huissier va comparaître en cour d'assises ... Monique Duval,
ex-huissier de justice à Saint-Dizier, qui avait déjà été condamnée par contumace
le 25 juin 1969 ...» (Le Figaro, 25-3-71)

L'exemple suivant indique cependant la possibilité d'une évolution dans ce
domaine:

«En fin de soirée, le juge Alain Bernard a décidé de se transporter de nouveau
sur les lieux avec sa greffière sans doute pour faire un nouveau constat de
l'état des lieux.» (Le Figaro, 8/9-12-73)

leader. Ex. :

«C'est parce qu'elle est devenue la figure de proue, le leader et la théoricienne
du fameux Women's lib ... » (Elle, 27-9-71)

magistrat. Ex. :

« Devenue premier magistrat de la commune, elle manifesta des tendances autoritaires
...» (Journal du Dimanche, 18-7-71)

maire. Pour désigner une femme qui exerce la fonction de maire, on emploie
toujours la forme masculine.

«Mme le maire ... 48 ans, grande, blonde, active, vivante - en est à sa troisième
campagne. » (Journal du Dimanche, 25-2-73)
«Mme Brigitte Gros, maire de Meulan, candidate du mouvement réformateur.»
(Le Monde, 27-3-73)
«Mme Chonavel, député-maire de Bagnolet . . „ Mme Belot, maire-adjoint de
Grenoble ...» (Le Monde, 12-9-71)
«Nous avions, grâce à ce résultat, explique Mme le maire, de nouvelles bases de
travail.» (Elle, 30-11-70)

La forme féminine mairesse s'applique à l'épouse d'un maire. Nous avons vu que l'emploi de la forme féminine mairesse diminue à la fois parce que les noms en -resse ont souvent une résonance un peu vieux jeu, un peu ridicule, même un peu péjorative, et parce que l'habitude de désigner une femme en fonction de la position de son mari est devenue moins fréquente.

maître. Dans certaines significations, maître reste au masculin aussi pour
désigner des femmes. Il s'agit surtout, mais pas exclusivement, de titres honorifiques,
universitaires ou autres («Me Gisèle Halimi, avocat àla Cour »):

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«Mme Geneviève de Peslouen, maître-assistant de sociologie à l'université de
Rouen ...» {Le Monde, 3-7-71)
«Maître Béatrix X., du conseil de l'Agence Juive ...» (entendu à la Télévision,
dans les informations, à 19 h 45, le 9-1-73)
«Aujourd'hui, un rapport de Mme Nicole Questiaux. maître des requêtes au
Conseil d'Etat ...» {Le Point, 10-12-73)
«Paraissant souvent poursuivre une méditation triste, le regard absent, elle est
passée maître dans l'art d'écouter.» {Le Monde, 8-11-71)

La forme féminine maîtresse a une signification particulière (i. e. 'une femme qui s'est donnée à un homme sans être son épouse'). Dans d'autres cas, elle correspond, du point de vue de la signification, au nom masculin maître auquel le suffixe -esse est ajouté au féminin. Ex. :

« Bonheur pour la toute jeune maîtresse de maison qui trouve la les meilleures
recettes ...» {Journal du Dimanche, 17-10-70;
« Une façon judicieuse, quand on est chien, de concilier l'attente de sa maîtresse
et l'utilité des antiquaires. » {France-Soir, 23-7-70)

On dit maîtresse d'école, maîtresse de piano, maîtresse de jardins d'enfants, maîtresse de danse. D'une institutrice de l'école primaire on dit maîtresse d'école. Dans les écoles secondaires, on dit professeur. A l'université, on emploie la combinaison de maître (et non point maîtresse) et d'une forme tantôt féminine tantôt masculine, sans que l'usage semble guidé par aucun principe ferme : maître-enseignante, maître-assistant ou maître-assistante.

Sauf dans les cas où le contexte ne présente aucun risque de confusion
avec le nom maîtresse dans le sens premier, on remarque que la forme féminine
s'emploie toujours avec un complément.

major. Ex.:

«Ci-contre: le major Anne Chopinet en cape et tricorne. » (légende de photo, Le
Figaro, 10-11-72)
«Anne Chopinet est «major» ...» {Journal du Dimanche, 6-8-72)

Les guillemets du dernier exemple sont intéressants parce qu'ils traduisent
un sentiment d'incertitude face à l'emploi du masculin. Nous avons en effet
recueilli un exemple du nom major avec l'article au féminin ; voir plus loin.

mannequin. Ex.:

« Louise est ... un des mannequins juniors français les plus demandés en ce moment.»
{Elle, 10-5-71)
«Un jeune et joli mannequin, Florine ... est amoureuse ...» {Le Figaro, 23-11-7?)

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marin. Ex.:

«Avant elles, d'autres femmes avaient su être de grands marins.» (Le Figaro,
15-1-73)

L'emploi de la forme féminine est exclu vu que le mot la marine a une signification
importante et tout à fait différente.

Pendant la Guerre, les femmes appartenant à la marine étaient appelées
les marinettes.

médecin. Ici, d'une façon analogue, l'emploi de la forme féminine normale a été rendu impossible par l'existence d'un mot (la médecine) qui a une signification importante et différente. D'ailleurs, médecin est dérivé de médecine. Ex.:

«... France Spijola .. . médecin et descendante d'une illustre famille .. .»
(L'Express, 21/27-12-70)

Si on veut faire ressortir qu'il s'agit d'une femme on dit femme médecin -
forme très usitée - ou, ce qui est beaucoup plus rare, on emploie le nom avec
l'article féminin : une médecin ; voir plus loin.

metteur en scène. L'emploi de la forme féminine normale (metteuse en scène) est contre-indiqué, peut-être parce qu'il y aurait des associations déplaisantes (entremetteuse). A ceci s'ajoute le fait que le suffixe -euse comporte parfois une nuance légèrement péjorative.

Nous avons trouvé un exemple où l'article est au féminin («la metteur en
scène»); voir plus loin. Mais normalement on emploie le masculin. Ex.:

«Le metteur en scène, Liliane Cavani, vient à peine de se faire connaître . . . »
(U Express, 8-14 mai 72)

ministre. Ex.:

«A Jérusalem, la Knesset a approuvé le mercredi 26 juillet la déclaration du
premier ministre, Mme Golda Meïr. » (Le Monde, 28-7-72)
«Mme Binh a célébré ... le second anniversaire du GRP . . . dont elle est le
ministre.» (Le Monde, 4-6-71)
«Mme le premier ministre plus populaire que le général Dayan. » (Le Figaro,
2-6-7'l)
«On ne badine pas avec Madame le Premier Ministre.» (Le Figaro, 4-8-71)
«Mme le ministre ...» (dans la bouche d'un interviewer s'adressant à Mme
Golda Meïr à la Télévision, 28-9-72)

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«II y a quelques jours, Mme Fourtseva, ministre soviétique de la culture, avait
affirmé que Soljénitsyne était dans une situation plutôt aisée ... De surcroît le
ministre avait proclamé que ...» {Le Monde, 19-12-72)

Nous avons rencontré quelques rares exemples de l'emploi de l'article féminin
devant ce nom.

officier. Ex. :

«... mais on comprend qu'il y ait des dépressions nerveuses dans les rangs
de mesdames les officiers de Police.» {Le Figaro, 7-5-71)
« Mme veuve Sylvain Guénancia ... institutrice honoraire, officier d'académie
...» {Le Monde, 17-7-70)
« Les officiers et sous-officiers féminins des armées visés à l'article 1 ... sont
répartis dans le corps ci-après ... ». {Le Journal Officiel, 25-3-73, p. 3259)

La forme féminine officier e existe, mais avec une signification spéciale : femme
remplit certaines fonctions religieuses '.

orateur. Ex. :

«Considérée comme une personnalité promise à un avenir brillant, excellent
orateur, elle gravit rapidement les échelons de la hiérarchie. » {Le Monde,
27-10-72)

Nous avons trouvé un seul exemple de l'emploi de la forme féminine oratrice,
mais entre guillemets dans le texte.

pasteur. Ex. :

«L'Eglise Réformée de France, qui a décidé en 1966 ... que les femmes pourraient
être pasteurs ... en compte actuellement 12.» {Le Monde, 13-4-73)
«Mais, dans l'ensemble, «Madame le pasteur» a été facilement adoptée.» {Le
Monde, 13-4-73)

Nous n'avons rencontré aucun exemple d'une forme féminine (soit «pastoresse » soit «pastrice »). Les deux formes, surtout pastrice, semblent ridicules et, paraît-il, se disent seulement pour plaisanter à la campagne en parlant de la femme du pasteur.

piéton. Selon les dictionnaires il n'existe aucune forme féminine du substantif.
L'adjectif piéton a cependant le féminin piétonne.

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porte-parole. Ex.:

«... Beckctt, Dubillard, trouvent en elle le plus efficace des porte-parole. » (Le
Figaro, 14-12-72)
« ... la liste presque sérieuse, d'un gouvernement entièrement féminin, dont
Françoise Giroud serait le porte-parole.» (VExpress, 29/1-4/2-73)

Formé d'un verbe et d'un complément d'objet direct (un substantif féminin),
porte-parole est un nom composé du type épicène masculin.

professeur. Ex.:

« Cette enseignante avait été licenciée par sa directrice .. . le professeur avait
épousé un divorcé.» (Le Monde, 9-1-72)
«Plusieurs protestations nous sont parvenues au sujet de la sanction prise contre
un professeur de philosophie du Lycée Rodin à Paris, Mme Do Chi Cuong, qui a
été suspendue avec maintien de son traitement ...» (Le Monde, 24/25-6-71)

Qu'il n'existe aucune forme féminine s'explique peut-être, d'un côté par le fait que les formes possibles (professeuse, professoresse) sont contre-indiquées pour des raisons euphoniques, de l'autre par une considération d'ordre plus général: le facteur de prestige lié à l'emploi du masculin aux yeux de femmes luttant pour être acceptées dans les professions en question, voir ci-dessous (V). Dans la langue familière, on dit quelquefois la professeur, ce qui, en argot scolaire, devient: le ¡la prof. Ex.:

«Elle est comme moi, la prof...» (Cabu: Le grand Duduche, Edition du Square.
N° 29, Paris 1973)

Nous n'avons pas rencontré d'exemple de la constellation «femme professeur».

reporter. Ex.:

«Oriana Fallaci, de l'Europeo, est à coup sûr l'un des plus grands reporters (un
mot sans féminin) de ce temps.» (Le Monde, 12-2-71)

Dans la langue parlée, on rencontre parfois l'emploi de l'article féminin (une
reporter).

sculpteur. Ex. :

«La démarche chez Chana Orloff. Ce qui frappe avant tout chez ce sculpteur,
c'est la solidité de ses recherches ...» (Le Figaro, 28-1-71)

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«Epouse du sculpteur japonais Fumio Yoshumura, sculpteur elle-même à ses
heures, Kate Millett, comme beaucoup de personnalités explosives, a l'abord
modeste.» (Le Monde, 2-4-11)

On peut penser qu'il existe un rapport entre l'absence de la forme féminine
et le fait qu'il y a très peu de femmes qui soient sculpteurs.

sénateur. Ex. :

« Sa mère, Marie Spaak, était sénateur. » {Le Figaro, 1-8-72)
« Mme Devaud ... qui, lorsqu'elle était sénateur, fit voter la sécurité sociale des
étudiants. » {Femme Pratique, février 73)

(2) Quelques exceptions du groupe (1): parfois l'article au féminin.

Parfois on utilise l'article féminin devant un nom masculin du genre épicène.
Voici des exemples:

la bébé: « Moshe Weinberg, trente-trois ans, entraîneur des lutteurs, marié et père
d'une bébé d'un mois. » {Le Monde, 7-9-72)
la député: «Ainsi en ont décidé les autorités qui espèrent apaiser la colère des
partisans de la jeune député catholique. Celle-ci a donc le droit (...) de rencontrer
dans sa cellule (...) un groupe de personnes ...» {France-Soir, 23-7-70)
«La nouvelle du mariage de la plus petite - 1 m 53 - et de la plus jeune député
du Parlement britannique {...) a causé une certaine surprise.» {France-Soir,
25-4-73)
la contrôleur des impôts: «... il a refusé de laisser prêter le serment des nouveaux
fonctionnaires à une jeune contrôleur des impôts, pourtant strictement vêtue
...» {Le Figaro, 9-5-73)
la major: «A l'issue de cette brève manifestation, M. Debré en compagnie de la
major de l'Ecole polytechnique ...» {Le Figaro, 29-12-72)
la médecin: «Laboratoires Hoechet recherchent pour leur Centre d'information
et de documentation (Paris) un ou une jeune médecin (...) Le poste conviendrait
à un ou une jeune médecin ayant un à deux ans d'expérience ...» {VExpress,
30/8-5/9-71)
la metteur en scène: «Dirigés par la jeune metteur en scène américaine de la
création new-yorkaise ...» {Nouvel Observateur, compte rendu de la comédie
musicale «Godspell», 1972)
la ministre: «Comme «la ministre» de la culture soviétique, Mme Fourtseva, venait
de féliciter Jacques Duhamel de sa nomination ...» {Nouvel Observateur,
25-1-71)

Cet usage est tout à fait inhabituel. Le journaliste trahit bon hésitation en
mettant la ministre entre guillemets. Dans la langue parlée, nous avons rencontréd'autres
exemples de l'emploi de l'article féminin, comme par exemple

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la chef, la peintre, la professeur, la poète, la reporter. Il faut souligner que, dans le groupe que nous examinons, cet usage est exceptionnel. On dit normalementle chef, le peintre, etc. même en parlant d'une femme. Un journalistedoit souvent composer rapidement un article. On conçoit que l'emploi de l'article féminin dans les cas cités puisse être commode pour lui s'il veut faire ressortir qu'il s'agit d'une femme. Ecrire une metteur en scène est une forme d'expression plus économique que de dire une femme metteur en scène. On gagne du temps en écrivant une médecin, une professeur au lieu de dire une femme médecin, une femme professeur, expressions d'ailleurs peu utilisées. Sans attacher une importance exagérée à ce phénomène, il faut le constater. On peut se demander si nous nous trouvons en présence d'une évolution vers le groupe des noms épicènes du double genre (voir ci-dessous), dont la forme reste la même mais dont l'article alterne.

(3) Les noms épicènes féminins : même forme, même article au féminin

Nous avons enregistré les exemples suivants de noms féminins du genre
épicène: dupe, étoile, marionnette, recrue, star, vedette, victime, vierge. Ex.:

«... la mort, le lundi 24 décembre 1973, d'une jeune recrue du 6e régiment du
génie, à Angers, M. Jean-Marie Fleury ...» (Le Monde, 2-1-74)
« Mais Henry Fonda n'est pas une star comme les autres. » {Journal du Dimanche,
8-4-73)
«Ralph Nader: une star ou un prophète?» (Le Figaro, 7/8-10-72)
«Le Hollandais fut l'une des grandes vedettes du Salon, et, en 1905, il exposa
auprès de Matisse ...» (Journal du Dimanche, 12-11-72)
«Au cours d'un grand «show» télévisé dont il était la vedette, Nixon a impressionné
tout le monde ...» (Le Figaro, 19-11-73)
«C'est M. Laureano Lopez Rodo, principale victime du remaniement ministériel,
qui avait plus que tout autre préparé le renforcement de la position du prince. »
(Le Monde, 5-1-74)

(4) Les noms au double genre: même forme et article alternant

Certains noms désignant des professions ou des situations changent de genre sans changer de forme. La plupart de ces noms se terminent par un -e. Les noms se terminant en -iste s'emploient toujours dans les deux genres. Kathleen Connors caractérise -iste comme «the ambigeneric suffix». (Voir K.C. : «Studies in Féminine Agentives in Selected European Languages». Romance Philology, Vol. XXIV nr. 4, May 1971).

Les noms qui se terminent en -aire, -(olo)gue, -que, se comportent en principede

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cipedela même manière. Dans aucun de ces cas l'emploi du féminin ne
comporte de connotation péjorative.

Nous avons recueilli les exemples suivants des terminaisons en -iste :

(a) Terminaisons en -iste


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Dans notre siècle, la terminaison -iste est typiquement associée à des professions et à des situations qui supposent, soit un entraînement spécialisé (artiste, chimiste, dentiste, linguiste, pianiste), soit un alignement philosophique (communiste, conformiste, féministe, pacifiste, royaliste, terroriste).

(b) Terminaisons en -aire

Voici des exemples de la terminaison en -aire:


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(c) Terminaisons en -gue (-ologue), -ique

Voici des terminaisons en -gue {-ologue), -ique:


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(d) D'autres terminaisons en -e

Ci-dessous, nous donnons une liste d'autres terminaisons en -e:


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capitaine. Les dictionnaires donnent capitaine comme nom existant uniquementau
masculin. Notre enquête montre cependant que la forme féminineexiste
et qu'elle gagne du terrain. Ex. :

«Un peu de fièvre a marqué hier ... la répétition générale du défilé du 14 juillet,
du moins en ce qui concerne le personnel féminin des armées. «Nous allons être
ridicules», soupirait une capitaine.» {Le Figaro, 14-7-72)
« Quand il est question de l'avenir de l'équipe de France de basket, sa capitaine
Jacqueline Delachet exprime un point de vue optimiste.» {Le Figaro, 18-10-72)
«Olaf veut faire débarquer sa fiancée Maria, la capitaine, en pleine mer. » {France-
Soir, 3-9-73)

Cet usage est pourtant loin d'être fixe. On rencontre aussi le masculin pour
désigner une femme. Ex. :

«On salue la receveuse-hôtesse, on la connaît, on lui parle. Elle est là comme une
maîtresse de maison ou comme un capitaine, maître à bord. » {Le Monde,
23-1-71)
«Le capitaine Geneviève Creurer, la première femme commandant l'école de
Dieppe ...» {Le Figaro, 31-7-71)

hôte. Un/une hôte: dans l'acception de: 'un invité '/'une invitée'. (Signifiant
une personne qui reçoit chez elle, la forme féminine de ce nom est: une
hôtesse).

pirate. Selon les dictionnaires, pirate serait un nom masculin. A propos
d'une affaire récente, la presse écrite et parlée a cependant employé l'article
féminin (lapirate):

«la ... pirate de l'air a gardé sous la menace d'une carabine 22 long rifle le
commandant de bord ...» {Le Monde, 10-10-73)
«La pirate de l'air, dont on ignore encore l'identité, serait âgée de ...» {Le
Monde, 19-10-73)
««La pirate» de l'air était soignée pour dépression nerveuse.» {Le Figaro,
19_10-73)

Dans ce dernier exemple, les guillemets autour de la pirate révèlent une certaine
hésitation chez le journaliste en face du problème du genre.

En résumé, on peut dire que, si le genre des noms désignant des êtres animés apparaît, d'une façon générale, dans la forme même de ces noms, voir ci-dessus (I), cela n'est pas le cas en ce qui concerne le groupe de noms que nous venons d'examiner. Dans ce groupe, qu'on pourrait appelerdes noms «neutres» ou «non-marqués» {artiste, dentiste, millionnaire, psychologue, etc.), c'est l'article qui, au lieu de s'adapter au genre du substantif,en

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tif,endéfinit le genre (ex. : le dentiste, la dentiste). Il s'agit d'un groupe très important, les noms se terminant en -e appartenant en règle générale à ce groupe. (Exceptions parmi d'autres: cadre, diplomate, juge, ministre, notaire, peintre, pilote).

(e) D'autres terminaisons

En dehors des exemples cités, qui se terminent tous en -e, ce groupe comprend
encore les cas suivants: un/une enfant, un/une snob et (en argot scolaire)
un/une prof:

«Jeanne Moreau, prof de dessin un peu démodée. » {Nouvel Observateur, 18/24-9-72,
9)

(5) Les noms qui n'existent qu'au féminin

Nous avons relevé des exemples, mentionnés ci-dessous, de noms qui n'existent
qu'au féminin. Ces noms désignent des professions et des situations
spécifiquement féminines :


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Mis à part les cas où le problème ne se pose pas pour des raisons évidentes (ex. : avortée), on peut se demander comment, le cas échéant, on désigneraitdes hommes occupant les situations ou les professions auxquelles se réfèrent les noms cités ci-dessus. A priori on dirait que l'alternative serait,


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5: Dans son Recueil de chansons populaires 111, 54, Roland traduit le nom danois alf (être surnaturel de sexe masculin) par la forme masculine fé, cf. Nyrop, op. cit.§ 380.

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soit d'employer le nom féminin existant comme genre épicène, soit de former un masculin correspondant à partir de ce nom féminin. Notre enquête nous permet de signaler des points de repère pour élucider ce problème et les mécanismes linguistiques et sociologiques qui entrent en jeu ici.

Selon des renseignements qui nous ont été fournis par un réalisateur de la Télévision, on appelle la personne responsable des coupages et des collages dans le montage d'un film (travail normalement exécuté par une femme) une monteuse. Il arrive de plus en plus souvent que ce travail soit effectué par un homme. Pour désigner cet homme, on emploie en général la forme féminine monteuse. Selon le réalisateur en question il y aurait méanmoins actuellement une tendance à passer à la forme masculine monteur. Autre exemple qui va dans le même sens: une ouvreuse signifie une femme chargée de placer les spectateurs dans un cinéma ou un théâtre. Ce travail est traditionnellement exécuté par des femmes, et, selon les dictionnaires, la forme masculine ouvreur a une signification différente (' celui qui ouvre le jeu, ou engage le premier une mise au poker'). Il paraît cependant que cet état de choses soit en train de changer. Nous avons relevé dans Pariscop un reportage où des questions concernant le comportement du public dans les salles de cinéma sont posées à un certain nombre d'ouvreuses mais aussi à un ouvreur (Pariscop du 3/8-1-74).

Sous le même angle, nous allons commenter la combinaison femme de
ménage. Aujourd'hui il y a aussi des hommes qui gagnent leur vie en faisant le
ménage.

Dans les petites annonces de journaux figurant dans la rubrique «Offres d'emplois», on utilisait jusqu'à une date relativement récente des périphrases du genre : « Cherche homme sachant faire le ménage ...» Aujourd'hui, on rencontre des annonces comme celle-ci : « Cherche homme de ménage parlant français » {Le Figaro, 23-11-73). On peut rapprocher cet exemple d'autres combinaisons commençant par homme ou femme. La différence est que dans les exemples donnés ci-dessous on est parti du masculin, tandis que dans l'exemple homme/femme de ménage on est allé dans le sens inverse : un homme d'action/une femme d'action, un homme d'affaires/une femme d'affaires, un homme d'esprit ¡une femme d'esprit, un homme de le tires ¡une femme de lettres.

Ex.:

«Puisque j'étais un écrivain, et non une femme d'action, une politique, un médecin
ou une infirmière, la seule action qui me convenait était d'entrer a l'Académie
française.» {Elle, 30-11-70)

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«Mme Jean Westwood, une femme d'affaires de 48 ans, a été nommée ...»
(Journal du Dimanche, 16-7-72)
«... femme d'esprit comme sa sœur, Louise de Vilmorin, elle était moins douée
pour l'invention romanesque ...» (V Express, 8/14-1-73)
«Christiane Rochefort, femme de lettres ...» (Le Figaro, 8-10-70)

(6) Combinaisons avec «femme»

Devant le problème créé par l'absence d'une forme féminine pour désigner certaines professions ou situations, on a trouvé une solution simple et couramment utilisée, qui consiste à juxtaposer le mot femme et le nom en question appartenant au genre épicène. Cette formule permet de signaler «le genre vrai » sans créer une forme féminine spéciale.

femme devant le nom :

Le plus souvent, on place femme devant le nom qui est alors pris adjectivement.

«Les femmes officiers supérieurs revendiquent plus de responsabilités.» (Le
Figaro, 14-11-73)
«... une seule et unique femme ministre, Marie-Madeleine Diénesch ...» (Le
Figaro, 18-12-72)
«C'est à nouveau le commissariat, à nouveau la mère en pleurs, et à nouveau
la femme-magistrat.» (Elle, 10 10-73)
« Une femme huissier va comparaître en cour d'assises ...» (Le Figaro, 25-3-71)
«Doroihéa Tanning. Gravures, illustrations, collages, peintures par la plus célèbre
des femmes peintres surréalistes ...» (Pariscop, 12/18-5-71)
«65 femmes officiers de police face aux misères de la région parisienne.» (Le
Figaro, 7-5-71)
«J'ai lu et beaucoup apprécié votre article sur «les femmes conseillers municipaux»
...» (Elle, 24-5-71)
«Jusqu'à 40 ans, la moitié tes femmes-ingénieurs, quel que soit leur âge, perçoivent
le même salaire.» (Le Figaro, 8-9-71)
«Trente-deux de ces pays sonts représentés par sept cents femmes médecins au
congrès de leur Association internationale ...» (Le Monde, 5-9-72)
«. . . il n'existe pas de femme-mineur ...» (France-Soir, 11-1-71)
«Le vrai livre, l'œuvre de la narratrice, est le dernier d'une femme écrivain
(Nella), qui fit de l'écriture la raison d'être ...» (Le Monde, 7-5-71)
«Marie-Claude Beaumont, la seule femme pilote des «24 heures»: du charme et
un talent indiscutable de conductrice.» (Journal du Dimanche, 13-6-71)
«Les femmes diplomates et le Vatican.» (Le Monde, 29-1-70)
« Une femme soldat a été égorgée dans la nuit de vendredi à samedi dans un
wagon de l'express ...» (Journal du Dimanche, 6-1-74)

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Dans les exemples mentionnés ci-dessus, on a juxtaposé femme à des noms
du genre épicène au sens strict du terme. De plus, nous avons relevé de nombreux
cas de combinaisons avec des noms à double genre, voir ci-dessus. Ex. :

«La dame Florence d'H., présidente du Centre féminin d'études et d'information
des femmes gaullistes. » {Le Canard Enchaîné, 1 7-1—73)
«Groupe Assurances recherche pour place stable: femme aide comptable.» {Le
Monde, 29-5-69)
«Née en Roumanie, la présidente de l'Union des femmes architectes y passa ses
diplômes ...» {Le Figaro, 28-4-71)
«... le beau titre d'un livre ... écrit par deux jeunes femmes journalistes ...»
{Le Figaro Littéraire, 1/7-2-71)

Quelquefois, femme est placé en apposition après le nom. Ex. :

" Important laboratoire recherche chimiste femmp.y* <[p Monde. Petites Annonces,

«... alors qu'il y avait à cette date 32 députés femmes ...» {Les Carrières
Féminines, Denoël, Paris 1965, p. 35)

On peut se demander s'il y a une nuance de sens entre le cas où femme est placé avant le nom et le cas où il est placé après le nom, et, dans l'affirmative, quelle est cette nuance. C'est l'un des points de notre questionnaire. Les réponses révèlent à ce sujet une incertitude considérable.

Des 13 personnes qui ont répondu à cette question, 4 pensent qu'il n'y a aucune différence, 5 répondent qu'en mettant femme devant le nom on souligne le fait qu'il s'agit d'une femme, et 4 estiment au contraire qu'on obtient cet effet en plaçant femme après le nom.

Pour nous, la réponse se déduit du fait que la fonction d'un adjectif est d'ajouter quelque chose - un qualitatif supplémentaire - au fond de signification du nom dont il est l'apport (et qui est son support). Donc, si la combinaison commence avec femme (ce mot occupant la place normale du nom), on souligne qu'il s'agit d'une femme (ex.: une femme député). Par contre, si le mot femme vient après le nom désignant la profession et fonctionne comme adjectif (ex. : un député femme), l'accent est plutôt mis sur la profession. Cela dit, il n'est question que d'une nuance.

III. Les cas limites

Nous avons vu qu'en général les noms désignant les situations et les professionsont
une forme féminine particulière (I). Nous avons étudié les noms
qui n'ont qu'une seule forme, fonctionnant comme genre épicène (II). Tl y

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a cependant des noms qui ne se laissent pas ranger dans ce schéma : s'agissantdu même nom, on emploie tantôt la forme féminine, tantôt le masculin comme genre épicène pour désigner les situations et les professions féminines. Par exemple, on dit une inspectrice d'entreprise, mais «les femmes peuvent maintenant devenir inspecteur des Finances»; on dit «une femme a été nomméeambassadeur», mais «les ambassadrices de la mode française». Dans certains cas l'usage vacille, hésite et semble refléter un sentiment d'incertitudeface à une évolution sociale rapide. La question qui se pose est de savoir dans quelles circonstances on emploie la forme féminine et dans quelles conditions on emploie le masculin. Sur la base de notre enquête, nous allons étudier un certain nombre d'exemples caractéristiques, tirés de la presse écrite et parlée, en les interprétant individuellement, afin d'arriver à des conclusions générales.

adjoint - adjointe. Quand il s'agit d'un poste administratif officiel, on reste
dans le masculin. Ex. :

«Adjuint au maire de Bordeaux, ses préoccupations vont tout naturellement vers
l'action sociale. Si elle était candidate, elle se battrait ...» {Femme Pratique,
février 73)
«Denise Prouvost .. . adjoint au maire de Roubaix ...» {Elle, 25-1-73)

Pour désigner des postes dans le secteur privé, on emploie la forme féminine.
Ex.:

«Adjoint{e) à directeur d'agence.» (tiré des «Petites Annonces» Le Monde,
17-9-70)
«... nous comptons dans notre bureau ... la trésorière et son adjointe. »
{VExpress, 21/27-9-70)
«Entrée au syndicat Force Ouvrière, elle est devenue membre du bureau fédéral
après avoir été dix ans adjointe au secrétariat général. » {Marie-Claire, février 73)

ambassadeur - ambassadrice. Notre enquête a confirmé qu'on emploie d'une
manière générale le masculin pour désigner le chef d'une mission diplomatique.

«Mlle Marcelle Campana, conseiller des affaires étrangères de lère classe, 3e
échelon, est nommée ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de la République
française à Panama, en remplacement de M. Jean Deciry.» {Journal
Officiel, 14-10-72)
«Pour la première fois dans l'histoire de la diplomatie française, une femme a
été nommée ambassadeur en poste effectif.» {L'Aurore, 14/15-10-72)

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«Après une femme ambassadeur verrons-nous bientôt des femmes inspecteurs des
Finances ...» {Journal du Dimanche, 26-11-72)
«La catholique Mrs. Clara Booth Luce, accréditée comme ambassadeur des
Etats-Unis ...» {Le Monde, 29-1-70)
«Madame l'ambassadeur, fin diplomate ...» (France-Soir, 15/16-10-72)

L'usage de la langue n'est cependant pas complètement fixe sur ce point.
On rencontre aussi la forme féminine dans le sens indiqué ci-dessus:

«Mademoiselle la première ambassadrice de France, Marcelle Campana, vient
rejoindre au palmarès des conquêtes féminines la première «mairesse» de Paris,
Nicole de Hauteclocque ...» (France-Soir, 15/16-10-72)

S'agissant de désigner une personne chargée de remplir une mission donnée,
on dit ambassadrice. Ex. :

«Déléguée comme ambassadrice de ces fleurs, la speakerine Danielle G. a connu
une série d'émotions.» {France-Soir, 15-7-72)
«Jacqueline Huet, ambassadrice d'une rosé impériale. » {France-Soir, 15-7-72)
«Le Danemark nous avait délégué (...) une de ses plus charmantes ambassadrices.
En effet, la jeune vedette danoise, Dorthe, a conquis les spectateurs. »
{Le Télégramme, 14-7-70)
«Je suis en quelque sorte Vambassadrice de l'aviation française. » {Elle, 7-12-70)

Traditionnellement, la forme féminine ambassadrice désigne la femme d'un ambassadeur. Selon une personnalité très bien placée pour connaître l'usage dans les milieux diplomatiques français, il n'est pas correct de dire Y ambassadrice en parlant de la femme d'un ambassadeur. Il convient de dire : «Mme X., épouse de l'Ambassadeur de France à Y.» Il n'y a plus que les domestiques qui disent «l'ambassadrice» en parlant de la femme d'un ambassadeur.

Une autre réponse à notre questionnaire croit pouvoir signaler ici une distinction subtile. Selon cette réponse, dire «la femme de l'ambassadeur», lorsque le mari ala dignité d'Ambassadeur de France (ler échelon dans la hiérarchie française), serait une impropriété. On devrait obligatoirement dire: «Madame l'Ambassadrice». A contrario, ce serait une impropriété de dire « Madame l'Ambassadrice » pour l'épouse d'un chef de mission diplomatique qui n'a pas la dignité d'Ambassadeur de France.

Dans l'optique de notre enquête - orientée vers la langue de tous les jours - il faut cependant souligner qu'on trouve souvent l'expression ambassadrice dans la presse écrite et parlée pour désigner la femme d'un ambassadeur.

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attaché - attachée. Nous avons constaté que, d'une manière générale, on
emploie le masculin quand il s'agit de postes dans l'Administration, y
compris la diplomatie. Ex. :

«Attaché parlementaire: Mlle Coutard. » (tiré de «Composition du Gouvernement
et des Cabinets Ministériels», publié par le Secrétariat Général du Gouvernement.
Edition datée du 20-6-73)
«Nous avons reçu de Mme Malek Mansour, attaché de presse à l'Ambassade
d'lran ...» {Le Monde, 4-1-72)
«Mlle Miller, Attaché commercial h l'Ambassade de France à Londres.»
«Mme Marger, Attaché Culturel à l'Ambassade de France à Londres.» (Les
deux derniers exemples sont tirés de la liste diplomatique à Londres).

Nous avons repéré cependant des exemples qui démontrent qu'on n'observe
pas toujours ce principe:

«Attachée parlementaire: Mlle Coutard.» (tiré de «Les Cabinets Ministériels»,
publié par SIRLO, Edition datée du 15-6-73)
«Grande amie de la France, ancienne attachée culturelle auprès de l'Ambassade
britannique à Paris, Miss McLead a écrit une œuvre ...» {Le Figaro, 26-2-71)

A l'inverse, on emploie couramment la forme féminine pour désigner des
postes dans l'industrie et le commerce. Ex. :

« Filiales Touristiques du crédit hôtelier recherchent Attaché{e) commerciale)
connrmé(e) ...» «Société textile (...) recherche attaché{e) direction ...»
(Les deux exemples sont tirés des Petites Annonces du Monde, 21-6-69)
«Les cours d'assistant(e) d'Attaché{e) de Presse.» (Publicité reçue avec le courrier
de l'Ecole Supérieure des Carrières Modernes).
«Attachée de Presse. Elle va créer, animer et coordonner une équipe chargée de
toutes les opérations de relations publiques de Ted Lapidus International.»
{L'Express, 26/11-2/12-73)

auditeur - auditrice. S'agissant de postes dans l'Administration, on utilise
le masculin. Ex. :

«Comme l'explique Mlle Chandernagor, auditeur au Conseil d'Etat major de la
promotion 69: ...» {Journal du Dimanche, 26-11-72)

Si, au contraire, on veut indiquer une situation, on emploie la forme féminine
auditrice. Par exemple, on peut devenir auditrice libre à l'Ecole du
Louvre.

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avocat - avocate. S'agissant de titres comme avocat à la cour ou avocat au
barreau, on emploie toujours le masculin. Ex. :

«Mme Suzanne Blum est avocat à la cour de Paris.» (Nouvel Observateur,
15/21-3-71)
«Anne-Marie Page, avocat au barreau d'Amiens ...» (Elle, 9-11-70)
«Mme Germaine Sénéchal, avocat à la cour.» (Le Monde, 21-10-72)

En parlant d'une femme qui est avocat à la cour, on dit maître avocate
(communication orale de M. Beuve-Méry). Cependant, dans la presse française,
on rencontre aussi la forme maître avocat. L'usage n'est pas stable.

Dans les autres cas, on dit avocate. Ex. :

«J'étais à San Francisco lorsque son avocate (...) est venue me voir. » (L'Express,
20/8 5/9-71)
«L'avocate d'André Hénin, Me Annette Bellanger, a déposé une requête. »
(Nouvel Observateur, 15/21-3-71)
«Le 17 octobre, à Amiens, un procès d'assises, le procès Tavernier, révélait une
avocate: Anne Marie Page.» (Elle, 9-11-70)
« Mlle Eliane Perrasso, jeune avocate marseillaise ...» (L'Express, 29/1-4/2-73)

conseiller - conseillère. Pour désigner des postes dans l'Administration, y
compris la diplomatie, on emploie en principe le masculin comme genre
épicène. Ex.:

«Je suis conseiller technique (surtout ne dites pas conseillère) au cabinet du ministre
pour tout ce qui concerne le livre, précise-t-elle. » (Le Figaro Littéraire,
26-2-71)
«Là encore, dit Mme le Conseiller, j'ai une mission ...» (ibidem)
«... la nomination de Mme Elisabeth Muller comme conseiller à l'Ambassade
d'Allemagne ...» (Le Monde, 29-1-70)
«Conseiller technique à l'Elysée, Marie-France Garaud siège dans le bureau
même de Pierre Juillet ...» (Nouvel Observateur, 17/23-7-72)
«Par décret du Président de la République en date du 24 août 1973, Mme Pipien
(Marcelle), conseiller hors classe au tribunal administratif de Versailles ...»
(Journal Officiel, 28-8-73)
« Mme Brigitte Gros, conseiller général et maire de Meulan, propose la création
... d'une maison de détente ...» (France-Soir, 9-2-71)
«Devenue conseiller de programme de la troisième chaîne ...» (Le Monde,
16-6-73)

Même dans ces cas-là, il y a une légère hésitation. Le principe indiqué n'est
pas toujours observé. Ex. :

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«C'est très simple, explique Christiane, notre conseillère municipale ... le préfet
a interdit le bal.» (L'Express, 8/14-1-73)
«Eliane Perasso ... Conseillère municipale dans le 5e arrondissement, elle se présente
cette année.» (Elle, 29/1-4/2-73)

Dans d'autres cas - et typiquement pour signifier des postes dans le secteur
social, postes presque exclusivement occupés par des femmes - on dit conseillère.

«Mme A.8., conseillère conjugale de l'Association française des centres de consultation
conjugale.» (Elle, 9-11-70)
« Conseillère-animatrice du Planning familial, elle représente le mouvement Jeunes
Femmes au Comité du travail féminin. » (Femme Pratique, février 73)

contrôleur - contrôleuse. L'usage mis en lumière par notre enquête semble correspondre à des critères se rapportant à la hiérarchie sociale. Pour signifier un travail supérieur {contrôleur des Finances, contrôleur des contributions, contrôleur des impôts), on emploie la forme masculine, éventuellement combinée avec l'article au féminin. Se référant à un travail inférieur, peut-être de routine {contrôleuse de métro, contrôleuse d'autobus), on se sert du féminin. Ex.:

«... une jeune contrôleur des impôts strictement vêtue ...» {Le Figaro, 9-5-73) «Sans compter, pour certaines carrières qui leur sont juridiquement ouvertes, les limitations du nombre des candidates. C'est le cas ... des contrôleuses des PTT.» {Le Point, 15-1-73)

directeur - directrice. Cet exemple est intéressant à plusieurs égards. D'abord, c'est un des rares exemples de poste élevé dans la hiérarchie sociale pour lequel on emploie couramment la forme féminine, s'il est occupé par une femme. Ex.:

«Mlle Madeleine Grawitz, directrice du département de sciences sociales de
Paris I ...» (Le Monde, 30/31-7-72)
«Directrice: Françoise Giroud.» (Organigramme de l'Express)
«Jacqueline Baudrier, directrice de la première chaîne.» (entendu souvent dans
les informations télévisées)
«Le Parquet poursuivait Mme Régine de Deforges, directrice des éditions: L'Or
du Temps ...» (Le Monde, 10-3-73)

Pour les sommets de la hiérarchie sociale, c'est quand même le masculin qui
l'emporte. On dit : Président-directeur général. Ex. :

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«Mme Nicole Frenkel s'est expliquée sur son rôle comme président-directeur
général de la COFRAGIM ...» {Le Monde, 19-8-71)
De même, on dit directeur général:
«La Société . . . Fipp, que préside Mme Gilberte Beaux, d'autre part directeur
général de la Banque occidentale ...» (UExpress, 23/2-1/3-70)

Ensuite - comme le montrent les exemples concernant Mme Baudrier et
Mlle Grawitz - nous avons là un cas où la forme féminine s'emploie même
pour désigner des postes élevés dans la fonction publique.

Le contraire existe ; en voici des exemples :

«Mlle Simone Ségur, Directeur de VAction sanitaire ...» (Composition du
Gouvernement et des Cabinets Ministériels, édité par le Secrétariat Général du
Gouvernement, édition datée du 20-6-73)
« Mme Eliane Salomon, sous-directeur. » (dans la direction des Finances et des
Affaires économiques). (Agenda du Conseil de Paris, édition Conseil de Paris,
Hôtel de Ville 73-74)

doyen - doyenne. S'agissant du titre de la première dignité dans une Faculté,
on emploie le masculin. Ex. :

«... Mme Françoise Moret-Bailly, déjà doyen de la faculté des Sciences.»
(France-Soir, 9 2 71)
«... elle y fut élue en 1967, première femme doyen de faculté.» (Marie-Claire,
février 73)

Pour désigner la femme la plus âgée d'un groupe de personnes ou la femme
qui est le plus ancien membre d'un corps, on dit la doyenne. Ex. :

«Elle est la doyenne des retardataires.» (Elle, 27-11-72)

inspecteur- inspectrice. Quand il s'agit de postes dans l'Administration ou de
titres officiels, on emploie en principe le masculin. Ex. :

«Les femmes peuvent maintenant devenir des inspecteurs des Finances.» (entendu
àla Télévision 19-11-72, lère chaîne, actualités de 19 h 45)
«Mais sortie de l'Ecole des impôts, ancien inspecteur du fisc, elle est parfaitement
équipée pour ...» (Marie-Claire, février 73)

Les tendances ne sont pourtant pas nettes. Même dans le secteur public on
constate l'emploi de la forme féminine, surtout pour désigner des postes pas
très élevés dans la hiérarchie. Ex. :

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«L'inculpation d'une inspectrice à la jeunesse et aux sports ... L'enquête
ouverte . . . vient d'aboutir à l'inculpation de Mlle Le Cozic . . . inspectrice départementale
à la jeunesse et aux sports.» {Le Monde, 11-12-70)
«Sans compter, pour certaines carrières qui leur sont juridiquement ouvertes,
les limitations du nombre des candidates. C'est le cas des inspectrices des impôts
...» (Le Point, 15-1-73)
«.Inspectrices du travail. Leur tâche consiste à assurer l'exécution des dispositions
du Code du travail, notamment en matière d'hygiène et de sécurité. Elles
sont assermentées.» (Les Carrières Féminines, p. 154. Denoël 1969)

Même dans une liste officielle des collaborateurs du Secrétariat Général du Gouvernement {Répertoire permanent de V Administration française 1973. La Documentation Française, 32e édition. Secrétariat général du Gouvernement, Direction de la Documentation) nous avons rencontré cet exemple de l'usage de la forme féminine:

«Mlle Jacqueline de Laoge de Luguet, inspectrice technique et pédagogique»
(dans la direction de l'Action sociale).

maître - maîtresse. Voir ci-dessus (II)

patron-patronne. Notre recherche tend à démontrer que le masculin est aussi
employé pour désigner une femme dirigeant une activité politique ou intellectuelle.

«Chef du gouvernement et ... du parti de Nouveau Congrès, Mme Gandhi est
«lepatron» qui tranche toutes les questions essentielles.» (Le Monde, 7/8-11-71)

Notons que la forme masculine a été mise entre guillemets. Pour toutes les
autres acceptions du terme on emploie la forme féminine la patronne. On
parle, par exemple, de la patronne d'un café, d'un hôtel, d'un restaurant.

président - présidente. Ce cas est particulièrement intéressant parce que le champ d'application de ce nom comprend les postes de commande dans la société. Avec le titre le Président on peut désigner le chef de l'Etat dans une république: Le Président de la République Française, Le Président des Etats- Unis.

Nous avons posé la question hypothétique suivante dans notre questionnaire:«Si un jour une femme accédait aux plus hautes fonctions de l'Etat, diriez-vous en parlant d'elle : « le Président » ou « la Présidente » ? Les réponses se classent ainsi : parmi les personnes interrogées, six optent pour la Prèsidente,six

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dente,sixpour le Président et trois hésitent, tout en gardant une légère préférencepour
la forme masculine.

Depuis la rédaction de ces réponses, Madame Isabel Perón a accédé au poste suprême de l'Etat argentin. En parlant de Madame Peron, les massmedia français emploient presque sans exception la forme féminine (la présidente).

Mis à part ce cas particulier mais probablement significatif, nous avons
constaté que l'usage vacille. Nous donnons ci-dessous des exemples de
l'emploi de la forme masculine :

«Le président du Conseil, Mme Golda Meïr, a déclaré que ce procès ignominieux
rappelle les jours les plus sombres de l'ère stalinienne. » (Le Figaro, 26/27-12-70)
«Mme Golda Meïr, président du Conseil israélien ...» (L'Aurore, 8-1-73)
«Mme le président» (forme d'adresse à une femme qui remplit les fonctions de
vice-président de l'Assemblée Nationale, communication oraie de M. Jacques
Fauvet, directeur du Monde)
«Mme X., vice-président du Sénat.» (France-Inter, 26-9-71)
«Mme Nicole de Hauteclocque, Président, et les membres du Bureau du Conseil
de Paris prient M. X. de ... » (Carte d'invitation officielle, datée le 27-6-72)
«Rouen: Pour la première fois en France, une femme nommée président d'un
tribunal administratif. Un décret du ministre de l'lntérieur publié au «J.O. »
d'hier, nomme Mme Marcelle Pipien, président du tribunal administratif de
Rouen. » (Le Figaro, 30-8-73)

Notre enquête a cependant démontré qu'on emploie aussi souvent la forme féminine pour désigner des postes très élevés dans la hiérarchie, et même que parfois on fait alterner les deux formes pour désigner le même poste. Cidessous, plusieurs exemples illustrant l'emploi de la forme féminine :

«Mme de Hauteclocque, présidente au Conseil de Paris, député U.D.R. ...»
(Le Monde, 15-9-72)
«Une partie de la rue du Louvre ... a changé officiellement de nom ... Mme
de Hauteclocque, présidente du Conseil de Paris, l'a inaugurée hier. » (Le Figaro,
24-10-72)
«Mme de Hauteclocque, présidente du Conseil de Paris, a remis à Walter Spanghéro
(...) la médaille de vermeil de la Ville. » (Journal du Dimanche, 25-3-73)
«II s'agit de Mme Devaud, ancienne vice-présidente du Sénat, titulaire de très
officielles fonctions au Conseil économique et social ...» (Le Figaro, 14-6-71)
«Réélue hier à l'unanimité présidente de son parti .. „ Mme Gandhi a annoncé
ce matin la composition de son gouvernement.» (Le Figaro, 19-3-71)
« Une présidente pour le parti démocrate. Pour la première fois une femme présidera
un grand parti politique aux Etats-Unis. » (Journal du Dimanche, 16-7-72)
«Elue àla Présidence du Bundestag ... L'aile gauche a tenté de s'opposer hce
qu'elle accède au poste de présidente du Parlement.» (Le Figaro, 14-12-72)

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«Mme Golda Meïr en a jugé autrement. Elle a estimé qu'elle avait bien le droit,
en sa qualité de vice-présidente de l'lnternationale socialiste, de participer à la
conférence.» {Le Monde, 28-12-72)
«Etre Présidente de l'Université de Dijon, c'est un honneur qui vient d'échoir à
Mme Françoise Moret-Bailly, déjà doyen de la Faculté des Sciences.» {France-
Soir, 9-2-71)

Remarquons cependant que nous n'avons pas trouvé d'exemple de la
forme féminine du titre «président du Conseil» dans le sens de 'chef de
gouvernement'.

Nous avons constaté qu'en ce qui concerne le poste conférant le maximum de prestige dans le secteur privé -président-directeur général -, on maintient le seul masculin. Chose curieuse, nous avons trouvé la forme suivante dans la biographie de Mme Pierre Mendès-France: «Administrateur-directrice adjointe 1958, Président-directrice générale (1963)» (Qui est qui en France, 1973-74 Edition Lafitte).

Une autre conclusion qui se dégage de notre enquête est qu'on emploie toujours la forme féminine pour désigner des femmes qui président des associations, des sociétés, des réunions, etc. - des fonctions qui (soit dit entre parenthèses) ne sont pas nécessairement, tant s'en faut, aussi importantes pour le fonctionnement de la société que les postes dont nous venons de parler. Ex.:

«Ingrid Bergman, Présidente du jury international, elle aura peu de loisir ...»
{Le Figaro, 10-5-73)
« Mme Colette Mamy, vice-présidente du Planning Familial de Paris ...»
{L'Express, 23/29-4-73)
«J.Ch. ouvre le bal avec la très élégante Mme Fabre, présidente de la Fondation
...» {Jours de France, 31-10-72)
«Mme Espinoza, Présidente de /'Association des Parents ...» {J'Accuse, N° 1.
Janvier 71)
«Mlle Clara Lanzi, Présidente du Secours de France ...» {Le Monde, 20-12-72)
«Mme Bertrand, Présidente du Syndicat d'lnitiative.» {Bulletin Officiel Municipal
de Fouesnant, Juillet 72)
«Cependant M. Jean-Jacques Servan-Schreiber a fait .. . une importante déclaration
à la suite de la réunion .... du nouveau conseil d'administration de
l'Express ... Enfin le conseil a proposé ... Mme Françoise Giroud comme
présidente ...» {Le Monde, 15-6-71)
«.Présidente de la S.P.A. (i. e. Société Protectrice des Animaux), Mme Jacqueline
Thome-Patenôtre est la directrice du nouveau journal.» {Le Figaro, 28-4-71)

D'après notre enquête, président/présidente prend le caractère d'un cas particulierdans

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ticulierdansla mesure où, s'agissant d'un terme qui désigne des postes très élevés dans la hiérarchie sociale, l'emploi de la forme féminine est néanmoinstrès fréquent et presque jamais exclu. Ce phénomène appelle quelques observations.

D'abord, présidente est la forme féminine régulière, caractérisée par la prononciation de la consonne finale, inopérante au masculin. Ensuite, cette forme est tout à fait acceptable sur le plan de l'euphonie. Que la forme féminine soit si facilement acceptée pour désigner des postes élevés s'explique peut-être aussi, dans une certaine mesure, par l'apparition fréquente de cette forme pour désigner des femmes dirigeant des associations etc., en combinaison avec le fait que le nom, dans ce sens, comporte déjà un certain prestige, variable selon les circonstances. Autrement dit: par un effet de contagion.

A ceci s'ajoute le fait que l'emploi de la forme féminine pour désigner la femme d'un Président est maintenant en voie de disparition, c'est-à-dire qu'il n'y a pas de compétition de ce côté-là. M. Fauvet nous a dit: «Vous trouverez encore «la Présidente» dans Le Figaro, mais jamais dans Le Monde! »

secrétaire - secrétaire. La secrétaire a un sens bien défini. Dans la grande majorité des cas rencontrés, la forme féminine de ce nom désigne une employée capable d'assurer la rédaction du courrier, de répondre aux communications téléphoniques, etc., pour le compte d'un patron. Ex. :

«Société industrielle 5.000 personnes recherche pour Secrétariat général Secrétaire-sténodactylo, vive et expérimentée. » (Le Figaro, 1-9-70, Offres d'Emplois) «La blonde secrétaire de François Mitterand à la cité Malesherbes. » (Le Point, 10-12-73)

Pour d'autres significations et dans d'autres contextes, il y a une tendance à employer la forme masculine pour désigner les postes de l'Administration et de la Politique, les professions libérales et, surtout, pour désigner les membres du gouvernement. Ex. :

«Le secrétaire d'Etat: Mme Marie-Madeleine Diénesch.» (Composition du
Gouvernement et des Cabinets Ministériels, p. 45. Edité par le Secrétariat Général
du Gouvernement. Edition datée du 20-6-73)
«Pour Mme Castle, ancien secrétaire à l'emploi, qui parlait pour l'opposition
travailliste, les grèves représentent un phénomène international provoqué par
le malaise profond de notre société industrielle.» (Le Monde, 28-11-70, dépêche
sur un débat aux Communes à Londres)
«Mme Simone Veii, secrétaire général du Conseil supérieur de la magistrature.»
(L'Express, 29/1 4/2 73)

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«II faut adapter le caractère libéral de notre profession aux exigences et à l'évolution
de la société d'aujourd'hui, dit Mlle Humbert, secrétaire général du congrès.
» {Le Figaro, 21-5-71, reportage sur un congrès de sages-femmes)
«Mlle X., notre nouveau 3eme secrétaire -et non pas nouvelle, ce qui désignerait
une sténo-dactylographe ...» (Extrait d'une des réponses au questionnaire, à
propos du personnel d'une ambassade française).

Nous avons cependant constaté une incertitude bien nette, et notamment
une certaine inclination à employer la forme féminine dans la combinaison
secrétaire général. Ex. :

«Simone Veil occupe cependant un poste de haute responsabilité: elle est secrétaire
générale du Conseil supérieur de la magistrature.» {Marie-Claire, février
73, reportage de politique-fiction sur la composition hypothèque d'un gouvernement
comprenant exclusivement des femmes)
«C'est l'évolution même du travail des femmes qui a conduit le ministre à cette
décision, dit Claude du Granrut (...) ancienne élève de Sciences Po . . . nommée
au poste de secrétaire générale du comité.» {Le Figaro, 21-5-71)
«Mlle Marie-Eléonore Mathieu, docteur es lettres de l'université de Vienne,
secrétaire générale du Foyer du professeur français à l'étranger, ancienne secrétaire
générale de l'lnstitut français de Vienne ...» {Le Monde, 8-5-73, Le Carnet
du Monde)
«Nous avons un ordre. Il est regrettable qu'il n'existe pas un fichier national sur
lequel toutes les sages-femmes seraient tenues de figurer, constate Mme Caillard,
secrétaire départementale de l'Ordre.» {Le Figaro, 21-5-71)
«La secrétaire du syndic du Conseil de Paris promettait sa protection: inculpée.»
{Le Figaro, 11-9 72)
«L'épisode n'en a pas moins provoqué quelque étonnement, car il contredit la
«révolution» que constituait la présence de Mlle Rosemary Goldie comme
secrétaire adjointe du conseil des laïcs et de plusieurs femmes parmi les consulteurs
de différents organismes.» {Le Monde, 29-1-70)
«La secrétairerie d'Etat a d'ailleurs accepté qu'une secrétaire de l'Ambassade
des Pays-Bas près le Saint-Siège, Mlle Bartelds, jouisse pleinement du statut
diplomatique.» {Le Monde, 29-1-70)

Les exemples que nous venons d'examiner sont des cas problématiques. Nous nous trouvons ici dans le domaine où le langage vacille le plus, et où l'usage est souvent contradictoire. Après examen des cas individuels cités plus haut, nous sommes néanmoins en mesure de formuler certaines conclusions

Premièrement, il y a une tendance à employer le masculin pour désigner
les postes politiques ou administratifs et les professions libérales, définis
par la loi et les règlements (président du Conseil, secrétaire d'Etat, inspecteur

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des Finances, conseiller technique, avocat à la Cour). Ce principe comporte
pourtant des exceptions (Mme Peron, présidente de VArgentine; présidente
du Conseil de Paris, avocate, inspectrice des impôts).

Parallèlement, il y a une tendance à utiliser le seul masculin quand il s'agit de professions supérieures, bien rémunérées ou autrement prestigieuses {président-directeur général, patron, maître de recherches, contrôleur des Finances). Inversement, le féminin est employé pour les occupations inférieures («la blonde secrétaire de François Mitterand», la maîtresse de danse, ba contrôleuse d'autobus). Ce principe non plus ne va pas sans exceptions (nous avons vu qu'on dit couramment présidente, directrice par exemple).

Par ailleurs, nous avons trouvé les traces d'un décalage entre d'une part le langage officiel/écrit, d'autre part le langage quotidien/parlé. Par exemple, le titre officiel de Mme Baudrier est «directeur de la régie de la première chaîne de télévision », mais à la télévision ainsi que dans la presse écrite on dit «la directrice».

On emploie presque toujours la forme masculine conservateur pour désigner une femme qui occupe ces fonctions dans un musée. Par exemple: «Mlle X. conservateur du Musée d'art moderne» ...« Edith Thomas, conservateur d'archives »... « conservateurs au département des manuscrits de la Bibliothèque nationale, Mmes Y. et Z. », etc. (respectivement Le Monde, 28-4-71, Le Monde, 10-12-70, Le Figaro, 14-12-72)6. Or, il paraît, selon une source orale (Mme Bruguière, maître de recherches), qu'on dit couramment conservatrice dans la langue de tous les jours.

Autre exemple: la liste officielle des Cabinets ministériels («Composition du Gouvernement et des Cabinets ministériels», éditée par le Secrétariat général du Gouvernement, datée du 20 Juin 73) donne sans exceptions les titres au masculin, tandis qu'une autre liste publiée par une maison d'édition privée («Les Cabinets Ministériels,» liste éditée par Sirlo, 37, rue du Louvre, datée du 15-6-73) emploie la forme féminine {attachée parlementaire, chargée de mission).

Nous allons approfondir plus bas ces observations.



6: Nous avons toutefois enregistré cet exemple de l'emploi de la forme féminine: «Mme de Chambure, conservatrice du Musée des instruments anciens» {Journal du Dimanche, 17-9-72).

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IV. Les cas de conflit

Les rapports nom-nom, nom-adjectif et nom-pronom méritent un examen
approfondi qui dépasserait le cadre de l'étude présente. Nous ne pouvons ici
qu'effleurer ce sujet.

D'une manière générale, les noms (attribut ou apposition), les adjectifs (épithète, attribut ou apposition) et les pronoms s'accordent en genre avec les noms auxquels ils se rattachent ou auxquels ils renvoient. Cependant, l'accord ne peut avoir lieu dans tous les cas. Nous allons faire quelques observations sur ce problème dans la mesure où il entre dans le domaine de notre enquête, c'est-à-dire pour autant qu'il se pose quand les noms en question désignent des professions et situations féminines.

Plus haut (voir II), nous avons abordé les noms qui n'ont qu'une seule forme et qui n'existent que dans l'un des deux genres, mais qui s'emploient dans ce genre unique pour désigner les deux sexes. Dans les cas où un nom masculin de ce type (épicène)7 auquel d'autres noms, adjectifs ou pronoms se joignent ou renvoient, désigne une profession ou une situation féminine, il y a un conflit sous-jacent. L'emploi de la forme masculine pour indiquer les noms, adjectifs et pronoms se rapportant au nom support, rend encore plus flagrante la contradiction intérieure que constitue déjà l'emploi de la forme masculine du nom support pour indiquer une profession ou une situation féminine. Malgré cette contradiction, les éléments syntaxiques entre lesquels un rapport existe s'accordent normalement en genre. Autrement dit: il y a accord sur le plan sémiologique. Ex. :

«Le docteur Maryvonne Leclerc, 29 ans, est le vétérinaire du Zoo de Vincennes
...» {France-Soir, 10/11-12-72)
«Le premier ministre cinghalais (i. e. Mme Bandaranaike) sera accompagné de
M. Ratnavale ...» {Le Figaro, 12/13-9-70)
«La fiancée de M. Koodr, Véronique G., ancien mannequin qui se trouvait dans
l'appartement ...» (L'Aurore, 14-11-72)

Or, dans certains cas, le conflit devient au contraire, pour ainsi dire, ouvert.



7: II y a évidemment aussi le cas inverse, où le nom support est au féminin et où le nom attribut ou apposition - n'existant pas au féminin et/ou fonctionnant comme genre neutre - est au masculin. Ex.: «Avant elles, d'autres femmes avaient su être de grands marins.» {Le Monde, 30-5-70). «Mme Bandaranaike est le premier chef de gouvernement cinghalais à visiter la France.» {Le Figaro, 12/13-9-70).

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L'accord ne se fait pas sur le plan sémiologique ; le nom support est au masculin, mais les noms, les adjectifs ou les pronoms se rapportant à ce nom sont au féminin. En d'autres termes, «le genre vrai» se manifeste dans les apports :

«Ce document et les charges dont il accabla sa maîtresse, emportèrent son
acquittement, tandis que Vex-huissier était condamnée par contumace. {Le
Figaro, 25-3-71)
«M. Michel Debré a tenu à recevoir le nouveau major ... pour la féliciter de son
succès. » (Le Figaro, 3-8-72)

Nous allons maintenant examiner ce phénomène un peu plus en détail.

Rapports: nom/nom

Nous avons ici l'impression qu'il existe une tendance à exprimer «le genre vrai » même au prix d'un conflit. Cela semble refléter une différence caractéristique entre les noms - plus indépendants et complets par eux-mêmes - et les adjectifs, très influencés par le genre des noms auxquels ils se rapportent.

« Ces belles années sont celles où ce professeur règne en souveraine sur ses élèves,
à qui elle fait partager toutes ses idées sur l'amour et la politique. » (La Vie du
Rail, février 7!)
«Le docteur L.W.-H. est une spécialiste internationale.» (L'Humanité, 11-9-71)

Rapports: nom/adjectif

Grosso modo, notre enquête a démontré que plus intime est le lien ou le rapprochement entre l'adjectif et le nom support, plus forte est l'influence du genre de ce nom sur l'adjectif, et plus fréquent l'accord. Inversement, la tendance au conflit est plus grande dans la mesure où l'adjectif s'éloigne ou est séparé du nom. On peut distinguer les situations suivantes :

adjectif épithète :

Etroitement lié avec le nom auquel il se rapporte, l'adjectif épithète s'accorde d'une manière générale avec le genre du nom, surtout quand il est placé devant celui-ci. En effet, nous n'avons pas trouvé un seul exemple de conflit dans un tel cas :

«... Véronique G., ancien mannequin ...» (UAurore, 14-11-72)
« Un jeune et joli mannequin, Fiorine ...» (Le Figaro, 23-11-73)

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S'agissant d'adjectif épithète placé derrière le nom, nous avons trouvé des
exemples de conflit :

«Dans 30% des cas, les ingénieurs engagées étaient la première femme ingénieur
de l'entreprise ...» (Le Monde, 3-7-71)
«Une directrice de collège et deux professeurs placées sous ses ordres dont l'une
est une adepte passionnée du mouvement de la femme et une propagandiste
active. » (Le Figaro, 15-9-72)

adjectif attribut ou apposition :

Ici aussi il y a normalement accord, mais nous avons rencontré des exemples
de conflit:

«L'auteur, morte il y a deux ans, était une authentique vieille dame anglaise dont
l'œuvre est pleine de disputes ...» (Le Figaro, 11-5-73)
«Spirituelle et pleine d'humour, Vauteur réhabilite ses héroïnes ...» (Figaro
Littéraire, novembre 70)
«Un jeune et joli mannequin, Florine, est amoureuse ...» (Le Figaro, 23-11-73)

Ce dernier exemple est une bonne illustration de la thèse déjà avancée selon
laquelle la tendance au conflit est fonction de la distance qui sépare l'adjectif
du nom (joli au masculin, amoureuse - plus éloigné du nom - au féminin).

Rapports: nom/pronom

Les pronoms expriment presque toujours «le genre vrai» - même au prix d'un conflit entre le genre du pronom et le genre du nom auquel il renvoie. C'est dire que les pronoms, comme les noms, ont un comportement plus libre et plus indépendant que les adjectifs. Si le conflit ne choque pas tellement, c'est en partie parce que la distance entre le pronom et le nom auquel il renvoie est souvent assez grande. Voici des exemples :

«Le docteur Leclerc aime son métier, elle en parle en riant.» (France-Soir,
10/11-12-72)
«Le ministre en profita pour dépeindre ... ce Monsieur du 38e étage ... à qui
elle reprocha surtout ...» (Le Figaro, 12/1-9-70)
«... le premier ministre cinghalais a rappelé que son pays était l'un des fondateurs
du groupe des pays non-alignés et qu'avant la conférence de Lusaka, elle a participé
aux conférences au sommet ...» (Le Figaro, 12/13-9-70)
«Le ministre a d'autre part affirmé que les «sept points» quelle a présentés en
juillet sont parfaitement clairs.» (Le Monde, 30-4-71)
«Dans une lettre qu'elle a rendue publique, l'ancien ministre a déclaré avoir pris
sa décision afin de pouvoir mieux se défendre en justice contre la campagne dont
elle est l'objet. » (Le Monde, 19-9-72)

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Dans tous ces exemples le pronom fonctionne comme sujet. Mais nous
avons rencontré un exemple d'accord dans le cas où le pronom fonctionne
comme complément direct :

«... routeur [il s'agit d'une femme] s'est courageusement refusé la plupart des
facilités qui auraient pu la tenter.» (VExpress, 17/23-5-71)

Dans des constructions avec même nous avons enregistré des exceptions, où le genre du pronom concorde avec celui du nom auquel il renvoie sans exprimer «le genre vrai». L'intention ici est précisément de mettre en relief le nom auquel il renvoie. Voici des exemples :

«Père elle-même. Votre Excellence comprendra très bien que ...» (Communication
orale de M. de Beaumarchais, Ambassadeur de France)
«Le ministre lui-même, Mue Diénesch, résume bien la situation . . . // (L'Exprea,
1/7-2-71)

Les superlatifs relatifs

Si on veut comparer une femme avec tous les individus d'une catégorie donnée, on est obligé d'utiliser le masculin comme genre neutre. Si on emploie le féminin, la comparaison ne se réfère qu'aux femmes de cette catégorie. Voici des exemples :

«Sonia Delaunay, la petite Ukrainienne de Saint-Pétersbourg, compte en 1971
comme un de no<; plut grands artistes français.» (Elle, 20-9-71)
«Dorothéa Tanning. Gravures, illustrations, collages, peintures par la plus
célèbre des femmes peintres surréalistes.» (Pariscop, 12/18-5-71)

Nous avons repéré la construction suivante, qui semble assez originale :

«C'est la plus parisienne des écrivains américains. Mais Paris connaît mal Mary
McCarthy.» (VExpress, 5/11-6-72)

Dans ce dernier exemple, on a séparé le superlatif (au féminin) du nom (au masculin = neutre). Ainsi, tout en soulignant le superlatif, on réussit à préciser à la fois le sexe de la personne en question et le fait qu'on la compare avec tous les écrivains américains - et non seulement avec les femmes écrivains des Etats-Unis.

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V. Conclusions

Tout au long de notre enquête, nous avons été frappée par le fait que la
langue est en pleine évolution dans le domaine qui forme l'objet de notre
étude. Par conséquent, l'usage est souvent incertain.

D'une manière générale, on a souvent recours à des constructions qui permettent d'éviter l'emploi de l'article masculin dans les cas où une femme exerce une profession définie par un nom masculin. Très souvent, on utilise le nom désignant la profession (sans article, adjectivement) soit comme apposition («Mlle X., chauffeur du Ministre» au lieu de «le chauffeur du Ministre, Mlle X.»), soit comme attribut («Mme Y. était député dans la précédente Assemblée» au lieu de «l'ancien député, Mme Y.»). Dans d'autres cas, on interpose des expressions comme titre, rang, poste, grade: «Mme Z. a accédé au grade de conseiller d'Etat». Ou encore on utilise des périphrases du type: «la jeune femme qui a mis cette pièce en scène» au lieu de «le jeune metteur en scène, Mlle B. » Et si l'on veut éviter le masculin en parlant d'une femme qui est vainqueur d'une épreuve sportive, on paraphrase en disant, p. ex. championne. Si on le désire, on trouve toujours une tournure qui permet de contourner le problème.

Cela dit, certaines conclusions générales se dégagent de notre étude.

D'abord, on emploie souvent le masculin pour désigner les professions et les
situations féminines. Ce phénomène s'explique par un certain nombre de
facteurs qui contrecarrent la formation ou l'emploi du fémininB :

(1) On emploie toujours le masculin - fonctionnant comme genre neutre ou non marqué - au pluriel pour désigner un groupe mixte composé d'individus des deux sexes. De même que dans la grammaire française le masculin l'emporte dans les rapports noms-adjectifs («... de personnalités de la voile et, bien entendu, de navigateurs et navigatrices pleins d'intérêt,» Le Figaro, 15-1-73) et noms-pronoms («on voit souvent Chanel en compagnie du grand-duc Dimitri Pavlovich. Puis ils deviennent inséparables. » Elle, 8-2-71) dans les cas où des adjectifs ou des pronoms se rattachent ou renvoient à plusieurs noms de genre différent, de même le masculin prime largement dans la nomenclature des postes.



8: Pour d'autres études sur le même sujet, voir Kathleen Connors: «Studies in Féminine Agentives in Selected European Languages » {Romance Philology, Vol. XXIV nr. 4, May 1971) et Poul Heybye: L'accord en français contemporain (thèse de doctorat, Copenhague 1944).

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(2) On emploie le masculin quand il n'y a aucune raison particulière de préciser s'il s'agit d'un homme ou d'une femme ou - autrement dit - quand ce qu'on a dans l'esprit est en quelque sorte l'idée abstraite d'une profession ou d'une situation (le masculin tient pour ainsi dire lieu de genre neutre ou non marqué). Ex.: «Le docteur ne reçoit que sur rendez-vous ». De même, les articles du code pénal, les panneaux de la circulation, etc. emploient la forme masculine mais s'adressent et s'appliquent évidemment aussi aux femmes.

(3) Que le masculin s'emploie plus fréquemment que le féminin, a un effet
cumulatif.

Quand l'emploi du féminin devient pour ainsi dire l'exception, l'emploi de la forme féminine devient une sorte d'insistance sur le sexe de la personne en question, une façon d'attirer l'attention sur le fait qu'il s'agit d'une femme, cf. Jean Dubois (Grammaire Structurale du Français: Nom et Pronom, Paris 1965, p. 57). Cela tend à réduire encore l'emploi de la forme féminine.

(4) Parfois des considérations d'ordre euphonique empêchent ou rendent difficile la formation ou l'emploi de la forme féminine. Par exemple, il serai vraiment difficile de construire une forme féminine du nom professeur acceptable sur ce plan-là. Certains suffixes (-euse, -resse dans certaines combinaisons) ne flattent pas l'oreille. Cela ne veut pas dire que ees suffixes ne soient pas largement employés, mais il est intéressant de constater que les professions en -euse se trouvent souvent à un degré assez modeste de i'échelle sociale (brodeuse, vendeuse, masseuse).

(5) Parfois la forme féminine qu'on utiliserait normalement est déjà employée pour désigner par exemple une machine, un instrument, un récipient, un meuble ou autre chose qui a un rapport avec l'occupation définie par le nom masculin correspondant. Ex.: une chauffeuse, une matelote ('plat de poissons '), une cafetière.

(6) Dans certains cas, la forme féminine qu'on utiliserait normalement pour désigner une femme qui exerce une profession est déjà employée pour désignerl'épouse de l'homme qui exerce cette fonction. Ex. : la Maréchale {— 'femme d'un Maréchal'), la Générale (= 'femme d'un Général'), la Préfète (= femme d'un Préfet'), l'Ambassadrice (— 'femme d'un Ambassadeur'). Comme tant de femmes exercent maintenant une profession, l'habitude de désigner les épouses par le titre de leur mari est en voie de disparition,

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sauf dans des milieux très traditionalistes. Par conséquent, l'importance de
ce facteur est aujourd'hui fortement réduite.

(7) Les noms féminins indiquant des professions ont parfois une connotation
péjorative ou légèrement ridicule. Il y a là une raison supplémentaire
pour éviter la forme féminine9.

(8) Dans un contexte social où le travail supérieur, bien rémunéré, hautement qualifié, est le plus souvent effectué par des hommes, on voit dans certains cas que la forme masculine s'associe psychologiquement à l'idée du prestige, de la qualité, du sérieux, et cela constitue par conséquent aux yeux des femmes un motif - conscient ou inconscient - pour désirer être appelées par le titre masculinlo.

Les quatre premiers facteurs énumérés qui contrecarrent la formation ou l'emploi du féminin sont d'ordre purement linguistique. Les trois derniers facteurs agissant dans le même sens découlent du rôle de la femme dans la société actuelle.

Sur la base de notre enquête, nous sommes en mesure de formuler une deuxième constatation plus spécifique: Pour les postes de VAdministration et de la Politique, et pour les professions libérales, il y a une forte tendance à employer le masculin, surtout dans la langue officielle. A Vinverse, Vindustrie et le commerce acceptent plus facilement Vusage du féminin.

Au cours de notre enquête, on nous a souvent fait remarquer que la raison



9: La déclaration suivante faite récemment par un homme politique français éminent jette une lumière intéressante sur les idées associées dans son esprit avec le mot féminin: «L'O.R.T.F. est un milieu difficile, constamment agité, événementiel, je dirais féminin ... et qui a besoin d'un vrai patron».

10: Cette impression est confirmée par beaucoup d'entretiens engagés dans le cadre de la présente étude. Voir aussi F. Brunot: La Pensée et la Langue, Paris 1936, p. 90. Voici aussi un exemple concret: Interrogée, Mme X., qui possède un atelier de reliure d'art à Paris, explique qu'elle préfère qu'on l'appelle «relieur». La forme «relieuse» existe, mais, selon elle, les relieuses n'ont pas le droit de terminer la reliure, elles s'occupent seulement des stades préliminaires. Le travail le plus qualifié est exécuté par un homme - le relieur - et les relieuses travaillent pour lui. D'autre part, Mme X. trouve la forme féminine «relieuse» laide. Elle lui rappelle «vendeuse». - On voit que nous avons ici l'exemple d'une combinaison des facteurs 4 et 8 qui incitent tous les deux à préférer la forme masculine. Jean Dubois exprime un point de vue analogue (op. cit. p. 57): «Dans le lexique des noms de métiers, le féminin des substantifs est donc considéré comme péjoratif ou simplement dépréciatif, et c'est la raison pour laquelle on abandonne des dénominations comme doctoresse, cheffesse, etc. »

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pour laquelle le masculin l'emporte dans la nomenclature des postes de l'Administration ou de la Politique et dans les professions libérales, serait que ces postes sont définis dans des textes officiels (Constitutions, statut de la Fonction publique, de la Magistrature, etc.) qui, pour la codification de ces postes, emploient la forme masculine. Cette explication ne nous semble pas convaincante. Dans les textes en question, le masculin fonctionne comme genre neutre, ce qui normalement ne devrait pas exclure l'emploi de la forme féminine dans un cas individuel. Indirectement, on peut toutefois comprendre que l'ambiance générale propre aux milieux officiels qui sont enclins à s'exprimer d'une façon assez formelle, inspirée par des textes écrits, puisse inciter à l'emploi du masculin. L'existence d'un très grand nombre d'actes administratifs concrets (nominations, mutations, etc.) qui emploient d'une manière suivie la forme masculine pour désigner les postes officiels, agit aussi dans le même sens. Pour ce qui est des professions libéralesdéfinies par les règlements, il est possible que le fait qu'il s'agisse là de postes codifiés et en quelque sorte d'appellations protégées (ex. : Avocat à la Cour) ait un effet analogue.

Une troisième constatation qu'on peut faire à la lumière de notre enquête est qu'il existe une tendance à rester dans le masculin quand il s'agit de professions supérieures, bien rémunérées ou autrement prestigieuses. Inversement, on emploie le féminin pour désigner des occupations inférieures et moins bien payées; voir nos remarques précédentes au sujet des cas limites (III).

Ces constatations, il faut sans doute les mettre en rapport avec la situation réelle de la femme dans la société. Il est vrai que la proportion de femmes actives est plus élevée en France que dans d'autres pays de la Communauté Européennell, mais il est vrai aussi qu'elles sont moins bien payées que les hommes et qu'elles accèdent en général surtout aux postes de moindre responsabilité.Selon



11: La Communauté Européenne présente des disparités importantes quant au travail des femmes. «Faits et chiffres 1973 », publié par Le Nouvel Observateur, cite (p. 88) les chiffres suivants indiquant le pourcentage de femmes actives de 14 à 59 ans, par rapport à la population féminine: France 47% Allemagne 41% Italie 30% Belgique 34% Pays-Bas 27% On constate qu'il y a 75% de plu* de femmes âgées de 14 à 59 ans qui travaillent en France qu'aux Pays-Bas.

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ponsabilité.Selonun rapport officiel françaisl2, les salaires des hommes dépassenten moyenne de moitié ceux des femmes. Cet écart entre les salaires tient, pour l'essentiel, à des différences de qualification et de responsabilité. A ce sujet, le rapport en question fait la constatation suivante: «Le problème... semble donc être celui de l'accession des femmes à des postes et à des secteurs bien rémunérés plus qu'une question d'égalité de salaires à qualification et secteur identiques».

Que des femmes accèdent à des postes élevés dans la hiérarchie sociale est un phénomène relativement nouveau en France. Par exemple, la première nomination d'une femme au poste d'ambassadeur date de 1971. Aucune femme ne remplit les fonctions de préfet. Dans un seul cas une femme a été nommée sous-préfet. Seule une proportion infime des P.D.G. est de sexe féminin. Dans ces conditions, il est peut-être normal qu'il y ait un processus psychologique qui conduise à identifier les formes masculines désignant les postes élevés avec la fonction elle-même, indépendamment du titulaire. A ceci s'ajoute probablement un facteur de prestige social. La forme masculine d'un titre peut, dans certains cas, devenir synonyme de prestige et de qualité.

Devant le problème qui fait l'objet de la présente étude, deux thèses s'affrontent: d'un côté, le point de vue selon lequel l'égalité des femmes implique qu'on garde les titres masculins, surtout les plus prestigieux, tels quels, «sans utiliser des féminins approximatifs ni inventer des néologismes hasardeux» (argument extrait d'une des réponses au questionnaire). De l'autre, l'idée que la langue française, au contraire, se prête très bien à la formation de féminins différenciés, et que l'emploi de la forme féminine serait une expression tangible et normale des conquêtes de la lutte pour l'émancipation de la femme (cf. par exemple Damourette et Pichón: Des Mots à la Pensée. Essai de Grammaire de la Langue Française 1911-27, tome I, § 277).

Dans cette étude, nous nous sommes limitée à décrire la situation existante.



12: Collections de I'INSEE, série M (N° 21). Les conclusions principales du rapport sont résumées dans Le Monde du 27-12-73. Selon ce rapport, le salaire moyen des femmes O.S. ou manœuvres a été en 1973 de l'ordre de 1.000 F. par mois en moyenne, contre 1.300 à 1.400 pour celui des hommes. Le salaire des employées s'est élevé à 1.450 F., contre près de 1.900 pour les hommes de même qualification. Les cadres moyens ont gagné environ 2.400 F. s'il s'agit de femmes, et 3.300 F. quand ce sont des hommes. L'écart entre les deux sexes reste plus élevé pour les cadres supérieurs: 4.250 F. pour les femmes, plus de 6.500 F. pour les hommes. Seulement 0,1% des femmes - contre 1% des hommes - gagnent plus de 9.350 F. par mois.

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En même temps, nous avons essayé d'ébaucher des explications de l'usage observé. On peut se demander comment le problème va évoluer dans l'avenir.Si l'explication que nous venons d'esquisser est correcte - c'est-à-dire si la fréquence de l'emploi de la forme masculine pour désigner les postes élevés dans l'échelle sociale reflète une réalité sociale qui veut que de tels postes soient, de façon prédominante, détenus par les hommes - alors on peut formulerl'hypothèse de travail suivante : au fur et à mesure que les postes importants dans la société seront couramment occupés par des femmes, l'emploi de la forme féminine augmentera. Il est vrai qu'une telle évolution serait contrecarréepar des facteurs opérant au sein de la langue en faveur de l'emploi du masculin. Mais cet aspect de l'évolution future de la langue française sort du cadre de notre enquêtel3.

Else Boel

Bucarest

Résumé

Une étude empirique de l'usage du français contemporain tel qu'il ressort de la presse écrite et audiovisuelle permet de formuler certaines conclusions générales. On emploie souvent le masculin pour désigner les professions et les situations féminines. Pour les postes de l'Administration et de la Politique, et pour les professions libérales, il y a une forte tendance à employer le masculin, surtout dans la langue officielle. A l'inverse, l'industrie et le commerce acceptent plus facilement l'usage du féminin. D'autre part, on constate une tendance à conserver le masculin quand il s'agit de professions supérieures, bien rémunérées ou autrement prestigieuses. Inversement, on emploie le féminin pour désigner des occupations inférieures et moins bien payées.



13: Nous pensons que l'hypothèse de travail esquissée mériterait un examen approfondi. Nous avons l'impression - mais il ne s'agit là que d'observations isolées, qui n'autorisent pas des conclusions plus poussées - qu'il existe une tendance à employer la forme féminine plus fréquemment dans la langue parlée que dans la langue écrite, et qu'on peut observer le même phénomène dans la langue de tous les jours par rapport à la langue officielle. Ces observations sont intéressantes dans la mesure où la langue parlée est annonciatrice de changements dans la langue écrite.