Revue Romane, Bind 10 (1975) 2

Envoi

Svend Hendrup

Michael Herslund

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Nous avons présenté ci-dessus un petit choix de manuels d'ancien français et d'histoire de la langue française. Nous n'allons pas ici recommander tel ou tel de ces ouvrages: nos collègues sauront bien s'en charger. Mais nous aimerions bien conclure par quelques réflexions à propos des deux questions qui se dégagent inévitablement des comptes rendus soumis au lecteur : comment écrire un manuel d'ancien français et comment écrire un manuel d'histoire de la langue française?

«Aucune langue - présente ou passée - n'a sans doute fait l'objet d'observations, d'analyses, d'interprétations et d'études plus nombreuses, plus variées, plus détailléesque l'ancien français; et cependant nous le connaissons mal et j'ai souvent l'impression que tout est à reprendre, que tout reste à faire. » (P. Guiraud. Vancipn français, p. 113. Que sais-je? 1056, Paris 1968). Bien que nous estimions que le pessimisme de Guiraud doive être modifié par la parution de travaux tels que la grammaire de Moignet, il reste néanmoinsun problème très réel auquel nous allons consacrer quelques remarques en guise de conclusion. Comment en effet écrire une grammaire de l'ancien français? Quel que soit son point de départ méthodologique,le linguiste se trouve toujours devant un choix (et spécialement celui qui doit écrire un manuel destiné aux débutants):1. Ou bien établir un corpus et alors, en l'exploitant méthodiquement, fixer les règles qui rendent compte des faits relevés ; le résultat en sera nécessairementmoins une grammaire de l'ancien français qu'une grammaire des textes exploités.Faut-il passer sous silence une construction qui, par un simple hasard, ne figure pas dans le corpus, alors que son existence peut être amplement attestée ailleurs? C'est ce que semble faire par ex., et de façon très symptomatique, la Petite Syntaxe de L. Foulet. En faisant une comparaison des grammaires existantes, on s'aperçoit qu'il y a un stock d'exemples,puisés dans une trentaine d'oeuvres littéraires, qui reviennent dans tous les manuels, imposant des limites très contraignantesà notre conception de l'ancien français. - 2. Ou bien, par un effort d'abstraction,chercher

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traction,chercherà déceler, derrière la diversité superficielle des dialectes géographiqueset chronologiques, l'entité qui sera la structure propre de l'ancien français,donc faire une description plus «abstraite», en exploitant à la fois beaucoupde textes différents (ou, comme M. Wagner le note avec beaucoup de justessedans son nouveau livre, beaucoup de manuscrits) et le savoir qu'on a pu accumuler.

Le même choix s'impose évidemment pour quiconque veut écrire une grammaire d'une langue quelconque. Mais pour l'ancien français, la tâche est plus difficile que pour une langue vivante: tel tour de syntaxe relevé dans une œuvre du XIIIe siècle ne le devons-nous pas à un copiste du XIVe? L'écart entre langue écrite et langue parlée, qu'en savons-nous au fond, etc.? Mais il nous semble que la tâche est impossible si, au préalable, on n'a pas opté pour l'une ou l'autre des deux voies indiquées. Un livre comme celui de M. Wagner aide beaucoup à comprendre la nécessité de ce choix, cornptétant aînsî, de manière efficace, les manuels traditionnels (comme G. Raynaud de Lage, Introduction à Vancien français. SEDES, Paris 1966), et les ouvrages plus discursifs tels que celui de P. Guiraud cité ci-dessus.

Dans un petit article suggestif, le regretté Knud Togeby a tenté d'apporter une réponse à la question: Comment écrire une grammaire historique des langues romanes? (Studia Neophilologica 34, 1962, p. 315-20). Comme les conclusions auxquelles il aboutit sont valables aussi dans notre domaine, nous allons lui emprunter quelques-uns de ses arguments.

Un manuel d'histoire de la langue française, destiné aux étudiants de français, pour lesquels l'étude de l'ancienne langue et de l'histoire de la langue ne constitue qu'une partie peu importante du programme, ne peut pas viser à décrire toute l'histoire de la langue, dans tous ses aspects. Il faut donc que l'auteur de manuels se fasse des idées bien précises sur le but à atteindre et sur la manière d'y arriver en présentant le maximum de données indispensables dans un minimum de pages: Insister sur l'histoire interne ou sur l'histoire externe de la langue? Envisager tous les aspects de grammaire ou limiter l'exposé à quelques-uns de ces aspects? Présenter les faits de langue par tranches chronologiques ou bien suivre les parties du discours? Attacher ou non de l'importance à l'aspect géographique (la situation du français par rapport aux dialectes, aux autres langues romanes), etc. ?

Jusqu'ici personne n'a réussi ni même cherché à réunir dans un seul manuel universitaire tous ces aspects de l'histoire de la langue française - et, pourtant, dans une histoire de ia langue, tous ces aspects se tiennent. 11 se peut que cet idéal soit irréalisable, et ce n'est peut-être pas par hasard que les ouvrages que nous avons présentés se révèlent si différents les uns des autres bien que se proposant le même but. - Tt se peut aussi que la seuîe solutionsatisfaisante à apporter au problème consiste, pour le moment, à établir deux types de manuels. On aura ainsi, d'une part, 'le livre de référence' qui, à la manièredes manuels de Price et de Togeby, réduit au minimum les pages consacrées à l'histoire externe de la langue pour faire place à un maximum de renseignements concrets sur les aspects internes: phonétique,grammaire, vocabulaire; ce type de manuel sera le livre de base pour l'étudiant qui aborde l'étude des anciens textes et de l'histoire de la langue. Et, d'autre part, on aura des 'aperçus' qui, comme celui de Rickard, présentent les faits de langue, pour une période donnée, dans leur contexte historique et socioculturel;traçant les grandes lignes de l'évolution de la langue, un tel manuel présuppose une connaissance des donnéesconcrètes,

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néesconcrètes,il sera donc un supplément
indispensable, réservé aux étudiants avancés.

Copenhague