Revue Romane, Bind 10 (1975) 2

Réponse à Ebbe Spang-Hanssen:

John Pedersen

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II me tient à cœur de remercier très sincèrement Ebbe Spang-Hanssen pour les remarques pénétrantes qu'il a consacrées à mon livre. Sa critique me permet de mesurer combien il est difficile de s'exprimer avec précision et netteté, car il me paraît évident que je n'ai pas réussi, dans mon livre, à me faire comprendre, sans malentendus, de Spang- Hanssen. J'en profiterai ici pour discuter quatre points précis de son exposé remarquablement net, et l'on verra alors que, à mon avis, Spang-Hanssen se trompe, dans les quatre cas, sur mes intentions. Ma réponse permettra peut-être de déterminer, dans chaque cas, lequel d'entre nous est dans l'erreur.

1. La délimitation de /'époque. Spang-Hanssen ouvre la discussion en affirmant que les historiens de la littérature qui se servent du concept de baroque sont unanimes à classer Théophile, TSaint-Amant et Tristan comme poètes baroques. Je ne suis pas d'accord avec Spang-Hanssen là-dessus, et les pages 11 ss. de mon livre offrent d'autres arguments permettant de les ranger ensemble. Du reste, les pages 315-18 contredisent également l'affirmation de Spang-Hanssen. Notre désaccord à ce propos me paraît significatif, car Spang-Hanssen veut, à tout prix, que je me sois efforcé de prouver l'existence d'une période baroque couvrant les cent ans allant de 1550 à 1650, et, dans ce cas, mes «groupes de contrôle» ne seraient pas, bien entendu, une garantie suffisante pour une telle preuve. Comme le constate Spang-Hanssen, les neuf poètes étudiés se ressemblent trop. J'en conviens, mais c'est que mon propos était tout autre. Le concept d'une période baroque existe depuis déjà longtemps dans l'histoire littéraire, mais les querelles que ce concept a provoquées s'expliquent par l'incertitude générale relative aux critères fondamentaux d'une telle périodisation. Voilà pourquoi j'ai voulu étudier la poésie de l'époque dans une optique précise, et c'est pourquoi, aussi, mes «groupes de contrôle» ont pour seul but de permettre une mise en perspective englobant la période entière. Il me semble, d'ailleurs, que mon examen des images de La Fontaine permet de distinguer ce qui sépare le baroque et sa technique rhétorique de ce qui suivra.

L'idée d'étudier, à ce propos, la poésie de J.-B. Rousseau me paraît très intéressante,
mais il ne faut pas oublier que les poètes imitateurs, qui ne font que prolonger une
tradition, feront toujours obstacle aux tentatives de périodisation littéraire. Il est,

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au demeurant, fort possible que les caractéristiques que j'ai relevées dans la poésie baroque se retrouvent dans celle de Rousseau. L'essentiel reste cependant le dosage et la fonction de ces traits dans les textes, et c'est là-dessus que devrait porter une comparaison entre J.-B. Rousseau et les poètes baroques.

2. L'évolution des images. C'est ici que j'ai le plus de difficultés à suivre Spang-Hanssen. Partant d'une citation qui dit, à propos de la comparaison telle qu'on la trouve au XVIIe, qu'elle «semble être désormais un procédé naturel qui a trouvé le mode et la place particulière qui lui conviennent dans le discours poétique» (p. 225), Spang-Hanssen s'en va-t-en guerre, m'accusant de considérer, dans l'ensemble, l'évolution des images poétiques du XVIe au XVIIe comme un progrès permanent et de réduire les poètes du XVIe siècle au rôle peu flatteur de primitifs! Mon livre, qui s'inscrit dans la série d'ouvrages destinés à réviser la vue traditionnelle du «siècle de Louis XIV», serait done, en partie, «dupe de l'illusion classique»? Le contresens serait de taille, et Spang-Hanssen ne m'en voudra pas de lui renvoyer la balle: n'est-il pas dupe ici, lui, de sa prédilection pour des poètes comme Ronsard et d'Aubigné? II sait pourtant que c'est une prédilection que je me félicite de partager avec lui. J'ajoute que mon livre n'est nullement censé refléter mes préférences littéraires; en effet, mon système descriptif ne comporte pas de réflexions sur la valeur esthétique des différents types d'images.

3. Les trois profils. Spang-Hanssen constate que l'idéologie de l'époque n'a pas été étudiée. C'est vrai, et c'est d'ailleurs conforme à mes propres déclarations. Mais, selon Spang-Hanssen, j'aurais été trop loin en caractérisant, à la fin du chapitre VI, mes trois poètes par les termes de «réalisme passionné », «réalisme concret » et «idéalisme». Je reconnais que j'ai trop négligé de prendre mes précautions en m'exprimant ainsi. C'est que je pensais résumer et non pas, par ces formules, circonscrire de nouveaux domaines, encore moins prétendre faire une étude de «l'idéologie de l'époque ».

Je suis d'accord avec Spang-Hanssen quand il dit que la connaissance de certaines structures ne dispense pas d'un examen des idées ; cependant, je me méfie quelque peu de l'image d'un «champ nébuleux qui sépare (les) structures textuelles de la signification»: la signification, aux yeux de Spang-Hanssen, aurait-elle sa propre existence en dehors des structures qui permettent de la dégager? Je ne crois pourtant pas que la distance qui nous sépare ici soit grande. En revanche, mon désaccord avec Spang- Hanssen est très net s'il veut dire que mes conclusions au chapitre VI sont, en partie, des conclusions portant sur les idées du XVIIe siècle. Il s'agit, à la page 165, de quelques remarques succinctes ayant pour but de résumer les impressions que laisse l'étude du style individuel des trois poètes, dont la technique rhétorique reste au centre de mon analyse.

4. La substitution. A propos de la métaphore, Spang-Hanssen m'attribue un point de vue proche de celui d'Aristote: je serais un partisan, malgré moi, de la théorie qui veut que la métaphore soit une substitution. Ma formule (p. 25) dit pourtant A est comme B, ce qui devrait rendre impossible l'inteipréiation de Spang-Hanssen: «Corinne est Corinne». Il me semble, en outre, que j'ai exprimé (p. 27) mon accord avec les arguments de Richards et de Max Black au sujet de ce qu'ils appellent «the substitutionview». Enfin, pour reprendre une formule volontairement simpliste, je me suis

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efforcé d'étudier ce que disent effectivement les poètes, non pas de réfléchir sur les 'matrices' de ces structures de surface. En effet, l'idée que s'est faite Spang-Hanssen me semble pouvoir s'expliquer par la légère méfiance qu'en bon transformationaliste il éprouve à l'égard de ce quine relève pas de la structure profonde. Mais qui est-ce alors qui réduit à autre chose la parole du poète? qui est-ce qui «traduit les métaphores»,qui est-ce qui substitue"7.

Ici, comme dans les autres parties de la discussion, j'ai cependant l'impression que
la distance qui semble me séparer de Spang-Hanssen est moins grande que ne laissent
supposer son intervention et ma réponse.

C'est pourquoi ma réponse a pris plusieurs fois le ton de l'innocent: vraiment, je me sens obligé de plaider non coupable quand Spang-Hanssen me prête des intentions ou des vues qui ne sont pas les miennes. Le lecteur fin et averti qu'est Spang-Hanssen a cherché, dans mon livre, autre chose que ce que j'ai voulu faire; ne le trouvant pas, il en tire les conclusions qu'on aura lues, conclusions qui montrent plus d'une fois que l'écart, en fait, n'est pas très grand entre les idées qu'il présente et les miennes. En revanche, me semble-t-il, un désaccord essentiel persiste entre mes idées et celles qu'il me prête. Je le regrette d'autant plus que mon livre n'aurait probablement jamais vu le jour sans l'inspiration et l'encouragement que m'a valus, durant de longues années, l'amitié de Spang-Hanssen. J'aurais dû, afin qu'il saisisse mes intentions, lui soumettre un texte plus clair. Qu'il se console, au moins, à l'idée que ses commentaires, une fois de plus, auront été pour moi une leçon dont je m'efforcerai à l'avenir de tirer parti.