Revue Romane, Bind 10 (1975) 2François de La Chaussée, Initiation à la phonétique historique de rancien français. Paris, Klincksieck, 1974 (Bibliothèque française et romane. Série D: Initiation, textes et documents, vol. 7), 232 p. Henri Bonnard, Synopsis de phonétique historique. Paris, S.E.D.E.S., 1975, 47 p.B. Munk Olsen
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Il semble que la phonétique historique soit maintenant à la mode en France: tandis que des générations d'étudiants ont peiné sur le Précis de phonétique historique d'Édouard Bourciez, dont la première édition remonte à 1889 mais qui a été revue et améliorée dans les nombreuses éditions successives, notamment par les soins de Jean Bourciez, voici que paraissent coup sur coup, à moins d'un an d'intervalle, deux manuels de phonétique historique adaptés aux exigences de l'enseignement supérieur en France. Dans son Initiation, François de La Chaussée ne prétend pas faire œuvre originale: sa seule ambition, comme il le souligne modestement dans la préface, a été de rendre accessibles les résultats des recherches de Georges Straka; comme celui-ci n'a jamais consenti à donner un exposé d'ensemble de sa doctrine, ces résultats se trouvent dispersés dans de nombreux breuxarticles de revues ou de mélanges, qui ont été publiés de 1953 à 1970 et qui couvrent une bonne partie du domaine de la phonétique historique du français. Il eût été utile que F. de La Chaussée en fournisse une liste complète au lieu des quelques indications vagues et sibyllines qu'on trouve çà et là entre parenthèses dans le texte et qui ne facilitent guère les recherches des étudiants désireux de s'informer plus amplement en remontant aux sources. Les travaux du savant strasbourgeois sont énumérés, cependant, dans la bibliographie insérée au début du premier tome de Phonétique et linguistique romanes. Mélanges offerts à M. Georges Straka, Lyon et Strasbourg 1970; il n'y manque que le dernier en date: A propos des traitements de •icu et -ica dans les proparoxytons français, in: Travaux de linguistique et de littérature, t. VIII, 1 (1970), p. 297-311 («Mélanges Albert Henry»). Le manuel est divisé en trois parties: la première expose les notions indispensablesde phonétique générale, la seconde traite des changements phonétiques classés d'après les différents types d'évolutions (sonorisations et spirantisations, palatalisations,affaiblissement et renforcement articulatoires, dilation, nasalisations et épenthèse) ou d'après les sons concernés (latérales, vibrantes, évolutions vocaliques et w)\ la troisième partie, enfin, reclasse les faits étudiés dans leur ordre chronologiquedu latin vulgaire (considéré commeune période) jusqu'à la fin du XIIIe siècle. Cette partie, absente ou réduite à une brève liste dans la plupart des manuels, est très utile, mais on regrette qu'elle ait pris un caractère un peu dogmatique et qu'il soit souvent difficile de savoir commentl'auteur est arrivé à ces datations en général assez précises; même la chronologierelative (qui constitue peut-être la contribution la plus importante de Georges Straka) et ses rapports très délicatsavec la chronologie absolue ne font
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l'objet d'aucune explication d'ensemble bien que l'auteur se serve, à plusieurs reprises,de «chaînes» pour établir la successiondans une série de faits interdépendants. D'une manière générale, l'exposé se caractérise par une certaine abstraction et par une optique assez étroitement phonétique: les exemples tirés des textes en ancien français sont très parcimonieusement distribués (surtout quelques renvois aux inscriptions pompéiennes, aux Serments de Strasbourg et à la Chanson de Roland), les graphies (et les rapports entre les phonèmes et ¡es graphies) ne sont pratiquement jamais mentionnées, et les renseignements sur les dialectes, qui jouent pourtant un rôle primordial dans les textes médiévaux en langue vulgaire, sont peu systématiques et ne permettent guère au lecteur de se faire une idée des particularités dialectales. Bien que l'auteur se propose de faciliter aux débutants «l'approche des états anciens de la langue » (p. 8), il me semble que le livre n'aide guère les étudiants dès qu'ils sont aux prises avec les formes d'ancien français intermédiaires entre le latin et le français moderne, et il ne leur sera certainement pas toujours facile de retrouver les mots concrets des textes dans les transcriptions phonétiques (exprimées dans la notation de Rousselot- Guilléron, qu'affectionnent les phonéticiens français). Malgré le titre, où les mots «ancien français» figurent en bonne position, on a l'impression que l'auteur vise plutôt à la formation générale du «futur professeur de français», de l'honnête homme du XXe siècle, dont la vaste culture doit faire une place de choix à la phonétique et surtout à la phonétique historique considérée comme une science éminemment positive («un radiofilm, un palatogramme, ne s>e contestent pas», p. 7): cela est parfaitement juste, à condition toutefois que le futur professeur possède à fond le latin classique et de préférence férenceaussi le latin vulgaire, ce qui n'est peut-être plus toujours le cas. II va de soi qu'un manuel qui se veut surtout pratique ne peut pas présenter des théories révolutionnaires ou discuter en détail chaque évolution en rassemblant les données du problème et en résumant tout ce que les spécialistes en ont dit au cours des âges; la plupart des changements phonétiques, en effet, sont décrits avec une rassurante certitude; cependant, l'auteur attire honnêtement l'attention sur un certain nombre de problèmes pour lesquels il s'est tenu jusqu'à plus ample informé à des hypothèses; les doutes qui subsistent concernent notamment la «sonorisation du groupe kr» (le groupe kr s'est-il sonorisé ou non en gr?, p. 45), les étapes de l'amuïssement de t final primaire («spirantisation en 6 d'abord, désarticulation ensuite, ou désarticulation directe à partir de t?, p. 48), l'évolution de kdevant ou « (p. 56-57) et le sort de w après consonne dans les parfaits forts (p. 145-46). Même les discussions ne sont pas absentes du livre; parfois elles se font avec un «on» assez vague («quoi qu'on ait dit »)• le problème du groupe sk(îl a pas eu d'interversion; connais < conosco, etc. s'explique par des analogies, p. 47), la «prétendue dilation par yod», qui a eu «la vie dure» («quoi qu'on ait pu dire, ley n'exerce pas d'action métaphonique à distance», p. 126-27); souvent c'est le regretté Pierre Fouché qui en fait les frais: l'évolution du groupe òr (le groupe aboutit partout à r, p. 54), le passage du suffixe -ariu en -ier, qui a fait couler beaucoup d'encre (p. 119-20); même la «loi de Fouché», pourtant bien commode, sur l'abrègement de voyelles longues latines dans certaines conditions, est mise en pièces et remplacée par des explications ad hoc (flottements dans la quantité et l'accentuation, assimilations et dissimilations, influences analogiques et réfections, p. 123-24).
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La Synopsis de Henri Bonnard, qui est la refonte d'un aide-mémoire plus ancien d'une présentation plus modeste et d'une diffusion apparemment assez restreinte, se signale par sa clarté et sa brièveté ; l'auteur a réussi à y condenser les notions essentielles en une quarantaine de pages avec quatorze tableaux donnant, dans une excellente présentation typographique, les principales évolutions phonétiques des différents sons dans un cadre chronologique; les datations sont en général conformes à celles de Georges Straka (telles que de La Chaussée les a exposées dans son Initiation). Le livre est sans doute difficile à utiliser sans une initiation préalable ou sans les explications d'un professeur, mais, comme aide-mémoire, il pourra certainement rendre de grands services, et en tout cas il complète avantageusement le manuel de F. de La Chaussée, qui reste, malgré les efforts louables de l'auteur, assez touffu et assez compliqué - comme la matière même qu'il traite. Copenhague |