Revue Romane, Bind 10 (1975) 2

Glanville Price : The French language: présent and past. E. Arnold, London 1971. xix + 283 p. Peter Rickard: A History of the French Language. Hutchinson University Library, London 1974. 174 p.

Svend Hendrup

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1. Comme ces deux manuels anglais d'histoire de la langue française, parus récemment - à quelques années d'intervalle - et écrits par des auteurs qui ont déjà prouvé leur compétence en la matière, se proposent le même but et se destinent plus ou moins au même public, il me semble opportun de les présenter en un seul compte rendu. Et comme il s'agit de deux 'manuels', il faut bien - avant de juger de leur utilité et de comparer leurs mérites ou leurs défauts - se faire une idée nette des renseignements qu'ils apportent et de la manière dont ceux-ci sont exposés. Je vais donc donner d'abord un résumé détaillé des deux ouvrages, avec les commentaires qui me semblent indispensables; puis j'en ferai un parallèle, en essayant aussi de juger de leur utilité.

2. Le livre de Glanville Price comprend 21 chapitres: introduction (chap. 1, p. 1-19), historique (chap. 2-5, p. 20-92), grammaire historique (chap. 6-21, p. 93-270); plus une courte bibliographie (p. xvi-xix) et trois petits index (p. 271-83).

2.1. L'introduction, From Latin to Modem French, est un petit aperçu de l'histoire de la langue française, depuis l'avènement de César jusqu'au XXe siècle. GP y retrace l'histoire de ces données extérieures de la langue d'une manière succincte, et ce petit chapitre se lira avec profit et avant et - surtout - après la lecture du gros du livre. On regrettera seulement que l'auteur n'ait pas cherché à situer le français par rapport aux autres langues romanes.

2.2. La phonétique historique, qui comprend73 pages, s'ouvre par un chapitre d'initiation: Pronunciation: Preliminaries, où GP explique quelques notions fondamentalesde phonétique, 'son', 'phonème', etc. On s'étonnera peut-être de voir exposéesici des données bien élémentaires,

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mais on ne peut que louer l'auteur de sa définition très claire de la notion de 'sound law' (p. 28-32), cette notion qui a provoquétant de malentendus.

Le chap. 3. (p. 34-54), Consonants, décrit les «isolative changes» (/h/, /r/, /w/), le sort des consonnes initiales-intervocaliques-finales, et la palatalisation. L'exposé est traditionnel, mais clair et correct, et le traitement de ce phénomène rébarbatif qu'est la palatalisation - véritable pierre d'achoppement de tout manuel - est digne de tous éloges.

Dans le chap. 4 (p. 55-90), Vowels, GP esquisse les systèmes vocaliqucs du latin classique et du latin vulgaire, puis décrit l'évolution des voyelles françaises en deux périodes: la première période, celle de l'ancien français, est caractérisée par la création des diphtongues, leur différentiation et finalement leur monophtongaison (p.ex. :s>uo>ue> 0); la deuxième, par la spécialisation des voyelles toniques en voyelle ouverte/fermée en syllabe fermée/ouverte (p.ex. :o[et o]). Cette évolution est convenablement et clairement tracée, comme le sont les deux petites subdivisions sur les voyelles nasales (p. 82-87) et sur la quantité des voyelles (p. 88-90).

Dans le très court chap. 5 (p. 91-92), Semi-consonants {or semi-vowels), GP se borne à discuter le statut phonémique de ces sons et à indiquer leurs sources historiques.

2.3. La troisième partie du livre de GP comporte trois sections: noms et pronoms avec particules, verbe, négation-ordre des mots-interrogation.

Le chap. 6 (p. 93-114), Nouns and adjectives, contient une description de la désintégration du système casuel, de l'évolution du flexif 'nombre' (qui insiste surtout, p. 100-05, ¡>ur la formation du pluriel en français moderne), et de la distinction du genre des adjectifs. Le paragraphe sur le système du nombre en français moderne est bien réussi, mais on se demande pourquoi l'auteur ne dit rien sur des points tels que le changement de genre de noms comme honor et pinus, et surtout pourquoi il néglige des faits de syntaxe tels que la syntaxe casuelle en ancien français (les quelques lignes qu'il y consacre, p. 96-97, sont vraiment insuffisantes), la survie du neutre de l'adjectif en ancien français, la position de l'adjectif (dont il ne dit rien non plus au chap. 20, Word order, contenant pourtant un très bel exemple: Dis blanches mules fist amener Marsilies (Roland), p. 259).

Après le petit chap 7 sur les articles (p. 115-20), GP passe aux pronoms - sans souffler mot des noms de nombre: rien pour l'étudiant qui se demande pourquoi on a, en français, second à côté de deuxième,soixante-dix en face de quatrevingts. - Le chap. 8 (p. 121-27), The Démonstratives,contient une belle descriptionde la transformation du système des démonstratifs (cf. l'article de l'auteur portantsur le même sujet et paru dans le ZRP 85-1969, p. 489-505); mais l'étudiant n'apprendra que peu de choses sur la syntaxe des démonstratifs en ancien français:l'opposition cestì'ce!, l'emploi des formes toniques cestuijeelui, le neutre ce. - Le chap. 9 (p. 128-31), The Possessives, se limite de même à une description des formes, description assez insuffisante d'ailleursen face de l'exposé passionnant que fait P. Guiraud dans Vancien français (Que sais-je 1056, p. 75-77). Pour la syntaxedes possessifs, l'étudiant doit se contenterd'un tout petit paragraphe de quatorzelignes! - Le chap. 10 (p. 132-40), Relatives and interrogatives, est en revanchepresque entièrement consacré à la syntaxe, c'est-à-dire la syntaxe du françaismoderne, avec juste quelques lignes sur l'évolution des formes et deux mots sur cui. Rien sur où, ni rien non plus sur comme. - Le chap. 11 (p. 141-55), Personal pronouns, est axé aussi sur les

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questions de syntaxe. Trois petits paragraphesesquissent ce problème, qui, tout comme celui de la palatalisation, est une véritable pierre d'achoppement. A mon avis, GP n'a pas réussi: pour ce qui est de l'évolution du pronom sujet et le problèmede jejmoi (tu/toi, etc.) l'étudiant lira avec plus de profit l'exposé de Wartburgdans son Einfiihrung, 1962 p. 72-75; il est regrettable que GP ne trouve rien à dire sur le problème de la construction cesuije (français moderne: cest moi, mais ce sont eux]); les deux ou trois pages qu'il consacre à l'étude de l'emploi des formes obliques, toniques et atones, sont bien insuffisantes.On lira pourtant avec plaisir les pages sur soi et sur les verbes pronominaux.

Le chap. 12 (p. 156-64) sur les particules est particulièrement court. Pour les adverbes, quelques pages peu claires sur la formation des adverbes en -ment, et deux mots pour «other adverbs», en bloc. - Une seule page pour les prépositions, et qui ne dit rien sur les séries sous/dessous, dans/dedans, etc., rien non plus sur l'emploi de à-en-dans. - Les trois pages que <jP accorde aTDTconj onctions sont mieux réussies; pourtant, puisqu'il rappelle que «the relationship between clauses was frequently not made as explicit in OFr as in ModFr» (p. 161), il aurait bien pu dire un mot ou deux sur l'enchaînement des phrases en ancien français et sur l'emploi de et/si (et mais/ainz).

Dans le premier des six chapitres consacrésaux verbes, chap. 13 (p. 165-67), Pr eliminane s, GP explique les notions de time, aspect et stage. - Le chap. 14 (p. 168-90) traite des Stems, infixes and endings.GP a eu une bonne idée en prévoyantce chapitre, mais il est à craindre que l'étudiant ne trouve l'exposé un peu trop compliqué: c'est vraiment bien trop de choses à digérer d'un coup. On peut accepter ou non l'analyse des signes que propose GP (une analyse plus simple

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pas plus de place à la syntaxe de l'ancien français et, partant, à la syntaxe historique,avec p.ex. quelques remarques sur les propositions interrogatives indirectes (anc.fr. je ne sai que face), sur les propositionscomparatives (anc.fr. je vos aim plus que vos ne faciès mi).

Le chap. 19 (p. 252-57), Négation, qui traite des problèmes de l'emploi de pas/ mie/point, ne¡ne-pasfpas et non/non pas/ pas, est clair et instructif. Le peu qui y est dit sut personne, rien, jamais, est pourtant bien insuffisant, et pas toujours correct: «rien has completely lost its positive value and likewise personne» (p. 256), mais que penser des expressions comme: sans rien dire, il en savait plus que personne, etc.? - Le chap. 20 (p. 258-64), Word order, traite presque exclusivement du problème de l'inversion dans les phrases affirmatives en ancien français et, surtout, en français moderne. - Le chap. 21 (p. 265-70), Interrogation, décrit rapidement les différents types d'interrogation, totale et partielle, dont dispose le français (moderne). GP aurait bien pu y glisser quelques remarques sur les réponses (totale*;): oui. non et si.

2.4. Voici enfin quelques remarques de détail. - P. 33: A propos des graphies étymologiques du XVIe siècle (vint ->¦ vingt, grant -> grand, etc.) qui permettent de distinguer entre homographes; ajouter qu'elles servent aussi à rapprocher les familles de mots (grand = grande, grandeur). - P. 39: capra > chèvre, labra > lèvre; ajouter: mais supra > sour(e), fabrica > forge; de même, à propos de tabula > table, ajouter: mais (aussi) tabula > tôle, parabola > parole. - P. 42, note 2: A propos de filius > fiz, GP remarque "this word illustrâtes the fact that [k] < [lj] also vocalized, probably first after becoming [l]: filius > filz [fiÂts] > [fits]..cL *tripulios > travailz [travaXts] >

travaux. » On voit bien que [X] s'est vocalisé dans travaux, mais fiz illustre quoi ? Il n'y a pourtant pas tant d'étudiants qui connaissent la forme picarde fius (fieus), que GP aurait dû citer pour son 'illustration'. -P. 57: «we shall not hère go into the principies determining the position of the main stress in ClLat» - mais pourquoi pas? Quand on traite en 35 pages le sort des voyelles, on pourrait bien esquisser en 35 mots les principes qui déterminent la position de cet accent! - P. 83: campum > [tjâmp], mais quinqué > [sînk] au lieu de [tsïnk]: est-ce une erreur, ou autre chose? -P. 162: «pource que 'because'», mais aussi 'pour que': pour ce que -+- md. — 'parce que'/ | subj. = 'pour que'. - P. 181: Les graphies a'tiens, aïiez qu'adopte GP pour le prés, du subj. 1. et 2. pers. plur. de avoir en ancien français ne me paraissent pas très heureuses, car elles pourraient faire croire à une prononciation disyllabique des désinences -iens et -iez (comme les désinences de l'imparfait). - P. 181: Au lieu de «-tiens, -ïiensv>. lire: -tiens, -tiez. - P. 191: Au lieu de «-e, -es, -s», lire: -e, -es, -e. - P. 229 : L'exemple cité du Charroi de Nîmes les enfanz. .. et traduit par the three children. . . doit évidemment être: les trois enfanz... (vers 883, de l'éd. CFMA). - P. 248: GP cite ici le vers 3724 de la Chanson de Roland, quidet H reis que el se seit pasmee, où le subjonctif serait employé «to convey a degree of doubt»; il est pourtant évident que le subjonctif exprime ici la 'croyance fausse' : Aude («el ») ne s'est pas évanouie, elle est bien et bel morte, et sur-le-champ! (vers 3721: sempres est morte).

3. L'ouvrage de Peter Rickard contient sept chapitres historiques de longueur plus ou moins égale - une vingtaine de pages chacun - plus un chapitre sur 'la défence du français' avec un appendice sur la distributiondu

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tributiondufrançais dans le monde', une
bibliographie et un index.

3.1. Les sept chapitres 'historiques' couvrent six périodes de l'histoire de la langue française - six, parce que la période du moyen français est répartie sur deux chapitres. La plupart des chapitres s'ouvrent par un court exposé des données historiques et socio-culturelles, suivi d'un aperçu succinct des caractéristiques linguistiques de la période en question.

Le premier chapitre (p. 11-28), Front Vulgar Latin to the récognition of the new vernacular, embrasse la période qui va de l'arrivée des armées de César en 57 av. J.-C. jusqu'au Concile de Tours en 813 où, pour la première fois, l'existence de la rustica romana lingua est reconnue officiellement. L'auteur y donne un rapide aperçu des caractéristiques du latin vulgaire, introduit en Gaule par les légionnaires romains, et du gallo-roman qu'est devenu ce latin vulgaire vers le Ve siècle; avec une esquisse des évolutions les plus importantes qui se sont produites entre le Ve et le IXe siècle (réduc4ie« ées proparoxytons, perte des syllabes finales atones, diphtongaison des voyelles toniques). L'apport linguistique des Gaulois et des Francs est succinctement inventorié, avec, pourtant, force détails sur les faits de vocabulaire.

Le chap. 2 (p. 29-45), The language ofthe earliest French texts, consiste essentiellement en une série d'analyses rapides mais fines de la langue des plus anciens textes, des Serments de Strasbourg à la Chanson de Roland, avec quelques remarques sur les nouveaux éléments de vocabulaire (emprunts du norrois et de l'arabe). Ce que l'auteur cherche à mettre en évidence, c'est comment la langue française s'est constituée, en tâtonnant, en face du latin, avant de s'épanouir pendant la période suivante comme la langue littéraire la plus importante du moyen âge européen. Une attention particulière est accordée aux efforts des scribes en face du problème: comment transcrire cette langue parlée avec le seul outil disponible, l'alphabet latin?

Dans le chap. 3 (p. 46-66), Old French: language or dialect?, PR examine la positionde cette nouvelle langue, appelée romanz ou franceis, et ce que veut dire le terme franeéis: 'français' ou 'francien'; et il cherche à élucider le problème que présentela langue, ou plutôt les langues, des textes, «the problem of variety versus common features» (p. 43 du chapitre précédent):exposé du plus haut intérêt, lucideet plein de bon sens. - Dans les dix pages qui suivent cet exposé, PR donne une description très serrée de la langue des XIIe-XIIIe siècles: orthographe - phonétique - morphologie - syntaxe - dérivation - vocabulaire. L'auteur avance à grande allure et le lecteur se trouvera bientôt à bout de souffle; marche à traverschamps, où l'on court plus d'une fois le risque de perdre pied: Est-il juste de ne pas commenter les noms qui ont un -z au lien d'un -s au nom.sing. et au obi. plur. (p.ex. porz - port - port - porz, soleuz - soleil - soleil - soleuz) parce que «from an early date final -z and final -s appear to be interchangeable» (p. 58)? Est-il vrai que grande, etc., au lieu de grant, etc., soit rare en ancien français (p. 58)? Y a-t-il aucune raison de donner ce paradigmepour le possessif atone: mis - mon - mi - mes (et de même tis- etc., sis- etc.), au lieu des paradigmes normaux mes-, tes-, ses- (paradigme 'normal', c'est-à-dire francien, et non a«g/o-normand). Est-ce qu'un lecteur non averti aura aucune chance de se retrouver dans la page serrée et bien confuse que PR consacre au problèmede l'ordre des mots (p. 61)? Et, est-il probable que ce lecteur non averti puisse tirer profit des remarques suivantes sur l'emploi du subjonctif: «Mood. There

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is already in O.F. morphology some measureof formai rapprochement between indicativeand subjunctive. The imperfect subjunctive was used in speech, and commonin both the protasis and the apodosis of conditional sentences. The subjunctive was normal after verbs of thinking and believing used affirmatively. » (p. 62-63)?

Le chap. 4 (p. 67-85), Middle French development, décrit l'évolution de la langue du milieu du XIVe à la fin du XVIe siècle. L'exposé est moins serré que celui du chapitre précédent et se lit bien plus aisément. A noter les pages très instructives sur l'orthographe et les principes qui ont guidé les scribes, la 'différenciation' et le 'rapprochement': l'ancien homographe pois récrit en pois -poids -poix et l'ancien grant récrit en grand (= grande, grandeur); les pages sur le vocabulaire qui insistent sur l'importance, reconnue dans tous les chapitres du livre, du latin comme source des emprunts; les pages sur la syntaxe et le style des traducteurs.

Le chap. 5 (p. 86-103), Progress and prestige in ihe 16th century, est un petit exposé sur les «attitudes towards language» (p. 86) che? les hommes de 1a Renaissance: la polémique «about the respective merits of French and Latin ... French and Italian» (p. 87), l'apparition des premiers dictionnaires et des premières grammaires du français. Sont traités aussi l'accroissement du vocabulaire par les emprunts (surtout de l'italien), l'orthographe et les tentatives faites pour la réformer, avec enfin un tout petit paragraphe consacré aux développements de la syntaxe au cours du XVIe siècle.

Dans le chap. 6 (p. 104-22), Codification and standardisation: classical andneoclassical French, PR décrit l'évolution vers l'absolutisme en politique et en langue: commentaires de Malherbe, remarques de Vaugelas, dictionnaire de l'Académie, grammaire de Port-Royal. Dans sa description de la langue classique, PR insiste surtout sur le vocabulaire, avec l'épuration au XVIIe et l'introduction des mots techniques au XVIIIe siècle, sur l'évolution du style de la prose, et sur la suprématie exercée par le français en Europe.

Le chap. 7 (p. 123-49), From the Révolution to the présent day, décrit l'unification linguistique de la France au cours du XIXe siècle et jusqu'à l'époque actuelle: le recul des langues non-françaises (l'allemand, le basque, le breton, l'occitan) et des dialectes (ou, plutôt, patois) français. Dans sa description de l'évolution interne de la langue, PR s'en tient surtout aux questions de phonétique ([k] > [j], etc.) et d'orthographe (échecs des différents projets de réforme) et sur le plan de la grammaire aux innovations en matière de syntaxe et de style (imparfait pittoresque, style indirect libre), avec un aperçu sur les particularités de la langue parlée (pas comme seule négation, que 'universel', etc.). Dans les pages qu'il consacre au vocabulaire, l'auteur se déclare être d'accord avec les puristes effrayés devant la poussée du 'franglais', en ajoutant que «purists would do well to remember that the adoption of an English word does not necessarily eliminate a French word: it often simply means that one of the meanings of a French word has a competitor » (p. 134) : test n'est pas toujours un synonyme d'épreuve, etc. ; comme réconfort, PR aurait pu alléguer aussi le fait que l'anglais, malgré une couche infiniment beaucoup plus importante de vocables français, est resté bien et bel anglais!

Le dernier chapitre (p. 150-55) décrit les mesures prises pour redonner au françaisla position qu'il occupait autrefois dans le monde: création de la méthode du français fondamental, de l'Office du vocabulaire français, des revues spécialisées,etc. Le ton de ce chapitre est aussi rassurant que celui du chapitre précédent, comme l'est la dernière phrase du livre: «A conscious linguistic policy, cultural

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contacts, educational standardisation, and the international availability of the printed and spoken word, ali contribute to an intense awareness and proud sensé of belongingto la Francophonie.» (p. 155).

3.2. Voici quelques remarques de détail. -P. 18: Esquissant les caractéristiques du latin vulgaire, PR note l'apparition de «a prothetic [e] before an initial [s] followed by a consonant: ¡sperare. . . »; mais pourquoi attribuer à cette voyelle prothétique une qualité aussi ouverte que celle de [e]? - P. 40: Commentant les vers 994-1016 de la Chanson de Roland, PR dit, entre autres choses: «Both thè definite and the partitive articles are used, but it will be noticed that they can also be omitted... ». Il est évident que l'article partitif peut être 'omis' en ancien français, mais où, dans l'extrait de Roland cité par PR, le voit-on 'employé'? Est-ce que PR pense au vers 994 Païen s"adubent des osbercs sarazineis ou au vers 997 Ceignent espees de l'acer vianeis ? mais ce des et ce del n'ont évidemment rien à voir avec l'article partitif du français moderne: il s'agit tout simplement des combinaisons de la préposition de et de l'article défini. - P. 50-51: « [tjâmbrg] or [tjetif] or [ketif]». Lire: [tjâmbra] or [kâmbra]; [tjetif] or [ketif]. - P. 75: «It might be pointed out hère that stressed forms of pronouns were normal in Mid. F. before the infinitive and the présent participle, though rare before finite verbs, e.g. pour moy abandoner; {en) soy hastant; but // se hasta. » II n'est que juste de signaler que le moyen français continue, dans une certaine mesure, la syntaxe pronominale de l'ancien français; mais pourquoi 'point ouf que la forme tonique est 'rare' devant un verbe fini ? des constructions comme toi aim je n'ont pourtant jamais été ordinaires. - P. 77: «foi, fus, fut become fus, fus, fut»; lire: fui, fus, fut, etc. - P. 83: 11 est peutêtre correct, historiquement parlant, de citer l'ancien français oant (oiant) tous (non: «oïant»), veant tous, comme des constructions basées sur l'ablatif absolu du latin. Mais, synchroniquement, il vaudrait mieux voir dans ces constructions de simples prépositions, témoin l'absence d'accord: on a veant toi et non veanz toz; cf. pendant, durant. - P. 84: «The causal use oí comme celui/celle qui. . . may or may not owe something to the Latin quippe qui.» Voici un exemple de la «Vie de saint Eustache en prose»: si covenoit que Placidas fust a cele grani feste, come cil qui estoit mestres des chevaliers (chap. 12,10), ce qui traduit le texte latin: oportet etiam Placidam suam festivitatem faceré presentem, quippe fuisset et magister militum. Ajouter que la construction n'est pas seulement causale, mais aussi concessive ('comme si'). - P. 126: PR dit à propos de la loi Deixonne (1951) et des activités qui s'en sont inspirées que «it is unlikely that such modest activity does very much to keep dialect alive». PR a peut-être raison, mais pourquoi ne souffle-t-il mot de la renaissance occitane de nos jours? -P. 135: Bonne mise en évidence de l'incohérence du vocabulaire français, où les familles de mots sont si souvent disparates et opaques pour le sujet parlant, qu'il soit français ou non: mûr ¡maturité, aveugle/ cécité, etc. (en face de l'ancien français meù'r/meù'rté, etc.).

4. Dans sa préface, GP dit: «The aim of this book is to show how the French languageas we know it today has emerged, after two thousand years of change and reconstructions, from the language once known as Latin in thè area once known as Gaul .. . My hope is that this book may in itself provide an adequate introductionto the subject for many students...»(p. xiii). - PR formule ainsi son but: «What were thè immediate Latin antécédents of French? What was the earliest French like? What were the circumstanceswhich

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cumstanceswhichfavoured the émergence,from a welter of dialects, of a language which gradually spread over the whole country, and was subsequently carriedto other continents ? What were the factors, internai or external, spontaneous or contrived, which shaped its évolution? What are its dominant characteristics today,viewed in the light of its past ? Thèse are the questions I hâve tried to answer, in the hope that this book may serve as an introduction to more detailed or specializedstudies in this field...» (p. 7).

Par les résumés donnés ci-dessus on aura pu déjà se faire une idée de la manière dont les deux auteurs ont tenté d'atteindre leur but qui est au fond le même, à en juger par les deux préfaces.

On a vu que l'ouvrage de GP traite surtout de la phonétique et de la morphologie, tandis que la syntaxe est quelque peu négligée et que les problèmes de vocabulaire ne sont même pas effleurés! La présentation est tout à fait traditionnelle: introduction - phonétique - grammaire, ce qui permet une consultation aisée du livre. Le style de GP est concis et clair, et quand il fait le détail d'un problème compliqué, l'étudiant suivra facilement l'exposé. Mais, l'introduction historique mise à part, l'ouvrage n'est pas tant une histoire de la langue française qu'une initiation à la langue de tous les temps; GP décrit moins une évolution qu'il n'expose l'état de la langue d'aujourd'hui, avec des références au passé («adding some historical détails», p. 243).

Le livre de PR est conçu d'une manière différente, mais toujours traditionnelle: au lieu de sections de phonétique, de grammaire, etc., on a ici des tranches chronologiques, qui présentent les faits caractéristiques d'un état donné de la langue et qui, superposées, permettraient à l'étudiant de suivre «the broad sweep of linguistic évolution» (p. 8). De la sorte, le livre de PR ne doit pas être 'consulté' mais lu d'un trait, pour qui en a le courage: l'auteur a beau prétendre ne pas entrer dans les détails, il réussit quand même à entasser tant de renseignements précis dans ses pages serrées sur le galloroman, sur l'ancien français, etc., que le lecteur est bientôt pris de vertige; et cela d'autant plus que PR est si pressé qu'il ne prend que rarement la peine de vous offrir quelques exemples concrets pour illustrer son exposé délirant. Néanmoins, on lui saura gré de ne négliger aucun aspect du langage: phonétique, orthographe, morphologie, syntaxe, vocabulaire, style, tout est là - pour qui en a le courage.

Les titres de nos deux ouvrages sont autant de variations sur les titres des manuels vénérés de M. K. Pope (From Latin to Modem French) et de A. Ewert {The French Language). Une comparaison entre les 'anciens' et les 'modernes' ne s'impose pourtant pas. Il est évident que GP et PR s'inspirent de ces deux modèles, il est évident aussi qu'ils ne se proposent pas de les remplacer: nos deux ouvrages sont plutôt des Pope et Ewert (avec leurs mérites et défauts) mis à la portée de l'étudiant d'aujourd'hui. - The French Language : présent and past de Glanville Price et A History ofthe French Language de Peter Rickard sont tous les deux, et chacun à sa manière, des ouvrages intéressants:tous les deux sont des mines d'informationet tous les deux sont insuffisants.Le livre de GP est un 'livre de référence'qui, visant l'étudiant moyen, présupposetrop peu de connaissances en français moderne pour pouvoir arriver à montrer en deux cent soixante-dix pages comment «the French language as we know it today has emerged». L'ouvrage de PR est un 'aperçu' qui exige vraiment trop de la part du lecteur moyen : à moins d'être un étudiant avancé ou alors un 'honnête homme' curieux et avisé, on ne peut digérer sans mal ces cent cinquantecinqpages

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cinqpageset suivre «the broad sweep of
linguistic évolution».

Donc, deux ouvrages intéressants et insuffisants. Lequel recommander? Mais tous les deux à la fois! Professeur d'ancien français à l'université, je dirais à mes étudiants: voici deux excellents manuels d'histoire de la langue française qui se complètent, et il faut les lire tous les deux!

Copenhague