Revue Romane, Bind 10 (1975) 2

Réponse à Morten Nojgaard:

John Pedersen

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Avant de répondre à quelques-unes des remarques très riches en suggestions que M. Nojgaard a bien voulu m'adresser, je tiens à préciser combien je me sens redevable envers lui pour l'intérêt qu'il a porté à mon travail depuis le premier jour où je lui en ai parlé. Le résumé qu'il communique ci-dessus de l'intervention qu'il a faite lors de ma soutenance, témoigne de cet intérêt aussi bien que de la grande compétence de M. Nojgaard dans le domaine que j'ai traité.

1. Théorie de Vimage. La manière dont MN rend compte de ma distinction entre images verbales et images non verbales ne correspond pas entièrement aux faits. S'il est possible, en effet, de considérer les images verbales comme des 'signes esthétiques', cela ne vaut pas pour la catégorie appelée images non verbales, qui, elle, n'est pas principalement fondée sur la signification (ou les transferts de sens), mais sur la combinaison de niveaux différents (IF p. 28).

Nojgaard n'aime pas les termes indice et réfèrent. C'est son droit, et j'ajoute que, personnellement, je ne tiens guère à ces termes, j'avoue cependant qu'il me paraît difficile de mesurer l'avantage que représenteraient ceux qu'il propose à son tour. L'essentiel n'est pourtant pas l'étiquette, mais la définition de la catégorie. Pour ce qui est de indice, je suis étonné de voir MN parler d'une valeur «toute secondaire» que connoterait ce terme. Cela ne m'était jamais venu à l'esprit, et une telle interprétationest

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tionesttotalement opposée à mes intentions, étant donné que je me refuse à toute
'valorisation' ou 'dévalorisation' dans ce domaine.

Plus importante, à propos de mon système de classification, est la critique que réserve MN à ma distinction entre images implicites et images explicites. Partant des exemples bouche de coral et le coral de sa bouche, MN arrive à des conclusions opposées aux miennes. Je me permettrai, à ce propos, deux remarques.

Quand, au sujet du second exemple, MN demande: «qui ne voit que la formule métaphorique (...) est précisément celle des images explicites?» je réponds à l'appel: j'avoue ne pas le voir, mais absolument pas! Tout à fait comme je persiste à considérer fleuve d'aise et flots de la peur comme exemples de deux procédés différents: le premier fournit une caractéristique globale, donc les deux termes se recouvrent, et nous avons une image explicite. En revanche, le second exemple n'offre pas une prédication au terme peur, mais indique son effet: les termes ne se recouvrent donc pas, et, selon mon système, le terme flots est à considérer comme une image implicite.

Voilà ce qui, pour MN, «reste tout arbitraire». Oui, certes, dans la mesure où les instruments de l'analyse immanente sont arbitraires (je me permets de renvoyer à M. Nojgaard : La Fable antique I, p. 10 (Copenhague, 1964)). C'est pourquoi je m'étonne de la mise à l'envers que commet MN à propos de mes chapitres sur les jeux de mots, chapitres qui, selon lui, sont «justifiés plutôt par la prédilection que nos libertins avaient pour ce genre de transgression que par la méthode de JP. » Est-il si difficile de faire accepter une méthode établie justement en fonction des «prédilections» des poètes que j'ai étudiés?

2. Les vues d'ensemble que je me suis permises sur les textes étudiés de chaque auteur font aussi l'objet de quelques remarques pénétrantes de MN. Il m'a paru amusant de constater que MN s'oppose aux conclusions que j'ai cru pouvoir tirer, presque chaque fois parce que celles-ci ne correspondent pas à la conception traditionnelle ou aux impressions générales de MN. Cela est valable notamment pour ses remarques a propos de Tristan (qui ne parlerait guère de la mort), de Ronsard (que je présenterais trop porté sur le désespoir) et de La Fontaine (dont je donnerais un éloge «bien exagéré»). Du reste, je n'ai pas «critiqué» Voiture, mais, conformément à mon plan de travail, je me suis contenté de constater le peu d'originalité que comporte, par rapport aux autres, son langage imagé.

3. La périodisation constitue un autre cas où MN me permet de profiter de sa critique. Il me semble, cependant, qu'il n'a pas tout à fait compris mes intentions dans ce domaine, ce qui reste, bien entendu, à la charge de l'auteur. Je m'efforcerai donc de préciser mes idées à ce sujet.

Tout d'abord, je n'ai jamais voulu que Ronsard soit le contemporain de Desportes, et encore moins, que La Fontaine soit celui de Malherbe! D'autre part, je vois, moi aussi, Ronsard et La Fontaine comme les deux termes extrêmes de la période (je crois même l'avoir dit à la page 297 et passim).

En revanche, je me trouve en désaccord avec MN à propos de son travail laborieux pour étiqueter les neuf poètes que j'ai examinés. Sur quoi MN se fonde-t-il pour parler des «grandes tendances qui ont marqué l'évolution de la poésie française entre 1550 et 1650»? Est-ce sur le style individuel? Est-ce, au contraire, sur la rhétorique d'un genre particulier? Ou bien, y a-t-il d'autres critères encore que pourraient englober

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ces «tendances»? A vrai dire, nous sommes toujours très loin d'une classification des problèmes concernant les critères de la périodisation littéraire. C'est pourquoi j'ai essayé, dans la dernière partie de mon livre, de me fonder sur trois niveaux hiérarchiques : celui de la fonction du langage, qui montre une différence très nette entre le XVIe et le XVIIe, celui de la technique rhétorique, qui, au contraire, permet de distinguer ce qui unit les deux siècles, au moins dans notre optique, et, finalement, le niveau du style individuel, qui risque d'embrouiller les diagrammes et les tableaux que l'analyse des deux premiers niveaux aura permis d'établir.

C'est que la périodisation littéraire est une entreprise moins simple que les tableaux de MN ont l'air de nous le faire croire. Il y a, par exemple, des liens étroits entre la poésie de Tristan et celle de La Fontaine; il y a des rapports entre Théophile et Saint- Amant; Desportes et Voiture ont des traits en commun et ainsi de suite. Bref, je ne crois pas à la tentative de MN de vouloir distinguer quatre groupes différents entre Ronsard et La Fontaine. Je n'y crois pas parce que les résultats auxquels je suis arrivé s'y opposent: il n'est pas vrai que la poésie française ne se fasse «sociale, galante et superficielle» qu'autour de 1660. La réalité me paraît plus complexe, et une classification nette et élégante ne résulte pas forcément d'une méthode rigoureuse.

En arrêtant ici cet échange de vues pour moi si fructueux, je ne puis m'empêcher de remercier cordialement Morten Nojgaard pour le travail impressionant qu'il a consacré à ma thèse. Critique, conseils et précisions, tout cela restera pour moi une inspiration durable.

Copenhague