Revue Romane, Bind 10 (1975) 2

Le Misanthrope et l'anthropologie classique

par

Merete Gerlach-Nielsen

1. Anthropologie et portrait littéraire

Le portrait littéraire tel qu'il se présente dans le Recueil des Divers Portraitsl Ü659) dédié à Mademoiselle de Montpensier se prête particulièrement bien à une systématisation de l'anthropologie classique. La division tripartite (corps, esprit, âme), le principe d'exhaustivité, les formules stéréotypées permettent au chercheur d'élucider, par le jeu structural des similitudes et des contrastes, jusqu'aux moindres aspects du modèle anthropologique. Par anthropologie nous entendons Vensemble des assertions faites à un moment donné par les membres d'un groupe au sujet des membres de ce groupe. Si les genres mineurs (maxime, portrait, question d'amour, conversation morale) apportent aux études anthropologiques, telles que nous les concevons, par leurs innombrables distinctions, une contribution qui nous semble particulièrement féconde, c'est que les auteurs procèdent d'une façon analytique. Us construisent laborieusement leur bâtisse, superposant les éléments les uns aux autres. Les jeux de société qui leur servent de point de départ roulent, le plus souvent, sur des questions particulières et personnelles, et revêtent, pensons-nous, le caractère de commentaires ponctuels. Si les nombreuses abstractions de la littérature classique nous frappent, il importe de se rappeler que leur genèse est, la plupart du temps, d'ordre concret. Il s'agit de problèmes d'actualité personnelle ou contemporaine.

Nous avons choisi, comme base de notre étude anthropologique, un ensemble
de 59 portraits littéraires. Trois raisons ont guidé ce choix.

1. Seul le portrait nous expose, d'une manière systématique et détaillée, le
physique (corps) comme le moral (esprit, âme) de l'homme de 1659. C'est



1: au sujet desquels nous allons bientôt mettre sous presse une étude intitulée Anthropologie et typologie. Essai sur le portrait littéraire en France au XVIIq siècle. Les Divers Portraits réimprimés à la suite des Mémoires de Mademoiselle sont cités d'après l'édition d'Amsterdam (1735).

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ainsi qu'il permet une reconstruction d'un modèle anthropologique total.

2. Le corpus est assez complet pour permettre une analyse structurale
exhaustive, susceptible d'une vérification complète, ainsi que d'une contestation
partielle ou totale.

3. Quoique comptant des documents, dont certains d'un incontestable
intérêt historique et littéraire, le recueil dédié à Mademoiselle, groupant 59
portraits, n'a jamais été soumis à une analyse scientifique.

2. Anthropologie et idéologie

II s'agit maintenant de confronter anthropologie et idéologie. Si par anthropologie nous entendons l'ensemble des assertions faites à un moment donné par les membres d'un groupe au sujet des membres de ce groupe, nous entendons par idéologie une conception globale et systématique de Vexistence, comprenant Vhomme, la société, le monde. Une condition s'ajoute à notre définition: Vidéologie doit avoir atteint, dans la société en question ou dans les secteurs dominants de celle-ci, un niveau de conscience assez élevé ou s'y être assez insinuée pour diriger, sinon la totalité, du moins une partie du comportement moral de Vindividu. Au moment qui nous occupe, la fin des années 1650, et dans les milieux qui nous intéressent (les salons de l'aristocratie et de la grande bourgeoisie dont les aspirations sont identiques) se produit un tournant idéologique. Grosso modo: le néo-stoïcisme cède la place, chez les uns, au néo-épicurisme, chez les autres, au jansénisme. Plusieurs ouvrages critiques des dix dernières années se sont appliqués à cerner de près les grandes idéologies successives, pour les employer, par la suite, à élucider les œuvres classiques. Goldmann (Le Dieu caché, Paris 1959) étudie Pascal et Racine à la lumière de la vision du monde janséniste; Spang-Hanssen (Corneilles livsfilosofi, Copenhague 1964)2 et Maurens (La Tragédie sans tragique, Paris 1966) placent l'œuvre cornélienne sous les auspices du néo-stoïcisme. Louis Hippeau (Essai sur la morale de La Rochefoucauld, Paris 1967) rattache La Rochefoucauld et les années 60 au néoépicurisme. Les grandes idéologies de l'époque contemporaine sont mises au service de l'herméneutique.

3. Anthropologie et histoire des topoi

Le projet que nous avons conçu est à la fois plus modeste et plus ambitieux
que celui des critiques qui visent à étudier les œuvres littéraires à la lumière



2: Voir notre article, La critique cornélienne des dernières années {Revue Romane, numéro spécial 1, Copenhague 1967).

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d'une idéologie dominante. Avant de le définir, il s'agit de confronter anthropologieet étude synchronique des topoi ou loci communes. Par topoi nous entendons des formules fixes qui accompagnent fréquemment, à un moment donné, les thèmes majeurs, (cf. Curtius : Europàische Literatur und lateinisches Mittelalter, Berne 1948, 87-113, et Laugesen: Middelalderlitteraturen, en orientering, Copenhague 1966, 230). Le modèle anthropologique que nous avons établi a bien des points de rencontre avec un moment donné de l'histoiredes topoi (laquelle reste à écrire!). Exemples: Si, parmi les éléments physiques constitutifs du modèle anthropologique (taille, mains, bras, gorge, jambe, pied, contour du visage, cheveux, yeux, bouche, lèvres, dents, ris, nez, teint, air, mine), le chapitre consacré aux cheveux permet de conclure qu'on s'attribue volontiers à l'époque des cheveux blonds, il affirme égalementqu'une des grandes Conversations de Clélie, présentes à l'esprit de tous les membres du groupe, opposait la beauté blonde de Cîclie à la beauté brune de Lucrèce pour préférer la première à la seconde. Qui dit à l'époque beauté idéale, dit en même temps beauté blonde. Qui dit beauté blonde, dit beauté parfaite ou idéale. Dans le domaine moral (esprit, religion, amitié, galanterie, humeur, passions, vertus-vices, goûts et distractions), notre chapitre sur Vamitié permet de constater à quel point il importait de se qualifier ou d'être qualifié de bon ami, d'ami fidèle, ou d'ami tendre. Or, les multiples topoi qui accompagnent le concept de l'amitié, se dégagent tout autant de notre chapitre. Qui dit amitié insiste en même temps sur la rareté de la véritable amitié, sa supériorité sur l'amour, la préférence accordée généralement à l'amitié plutôt qu'au sens familial. L'anthropologie permet de donner des réponses aux questions suivantes : comment l'homme ou la femme des salons de 1659 se considèrent-ils physiquement et moralement ? Qu'est-ce qui leur permet de se qualifier de beaux ou de laids, de bons ou de mauvais? L'étude des topoi de 1659 fournirait des réponses aux questions suivantes: Qu'est-ce qui préoccupe les mondains? De quoi rient-ils? De quoi pleurent-ils ? De quoi parlent-ils ? A quoi pensent-ils ?

4. Anthropologie, histoire des topoi et grande littérature

Saisir l'homme sur le vif à un moment donné, telle est la première aspirationde notre projet anthropologique. Sans nier l'apport éminemment fructueuxde la critique historique, qui vise à élucider l'œuvre littéraire en la rattachant à une idéologie concomitante avec l'œuvre, nous osons toutefois avancer notre point de vue: Le bagage intellectuel et sentimental des mondains, groupés autour de Mademoiselle de Montpensier ou de Mademoisellede

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moiselledeScudéry, relève moins d'une des idéologies dominantes de l'époque qu'il n'est constitué de détails anthropologiques et de loci communes.Si les mondains sont pénétrés d'idéologie, chrétienne ou païenne, il s'agit sans doute de bribes idéologiques. Ce qui est certain, par contre, c'est que l'anthropologie et les topoi sont présents aux esprits, qu'ils sont débattus partout et par tous dans les milieux qui nous occupent. Ce sont les lois établies par l'anthropologie et par les topoi qui règlent les conventions d'un groupe.

Notre modèle anthropologique, auquel s'intègrent les topoi, une fois établi, une seconde aspiration vient s'ajouter à la première. Nous espérons que le modèle apportera à l'étude de la grande littérature de l'époque classique quelques données utiles.

5. Anthropologie, topoi et critique moliéresque

M. Mongrédien note judicieusement au sujet des Précieuses Ridicules qu'arrivantà Paris en 1659, Molière, cherchant un sujet d'actualité, se jette sur les précieuses en vogue. Sa première pièce parisienne est une «pièce d'actualité,presque une scène de revue» (Les Précieux et les Précieuses, Paris 1963, 9). Or, il semble que le modèle anthropologique que nous avons établi, et les topoi qui s'y joignent, permettent de constater que le Misanthrope (1666) garde cet aspect de revue amusée et critique à la fois. Cette interprétation changerait l'économie de Isl pièce. S'il est admissible de considérer le Misanthrope moins comme une comédie de caractère que comme une revue au cours de laquelle les topoi d'actualité se succèdent, l'intérêt du public et de la critique s'en trouverait déplacé. On insisterait moins sur les problèmes que posent les caractères d'Alceste et de Celimene. La critique ne cesse de se demander si les deux personnages s'aiment, s'ils sont sympathiques, si les rapports de l'atrabilaire et de la coquette médisante sont comiques ou tragiques. Il nous semble que c'est mal poser les questions. Voici quelques exemples tirés des ouvrages critiques les plus pertinents: M. Jasinski, analysant longuement les personnages, constate que «Celimene n'est pas bonne. Elle voit toute chose avec un incontestable esprit de dénigrement.» (Molière et le Misanthrope, Paris 1970, 175). Conclure sur la valeur morale d'un personnage à partir des prémisses de la raillerie, qualité qui s'impose aux mondains, nous semble hasardeux. Expliquer le caractère d'Alceste en identifiant celui-ci à Molière, ne résout pas davantage les problèmes.Avec toute son érudition, M. Jasinski pousse trop loin dans ce sens, retrouvant, après Jules Lemaître, Molière à la fois dans Philinte et dans

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Alceste. Il voit dans le Misanthrope «un des chefs-d'œuvre de la littérature
personnelle» (120) et constate avec regret que les «personnages secondaires
s'identifient moins bien» (118) que les protagonistes.

Il est vrai que depuis la lettre de Donneau de Visé (publiée en tête de l'édition originale du Misanthrope, 24 déc. 1666, cit. Mongrédien, Recueil des textes et des documents relatifs à la vie de Molière, 1 275-277), la critique a souvent souligné la satire des mœurs inhérente à la pièce. Vedel, Jasinski, Adam insistent tous sur cet aspect. Mais sans en tirer la conclusion, qui serait de renoncer à trop approfondir la psychologie des personnages. L'exemple de M. Adam {Histoire de la littérature française, Paris 1962) est caractéristique à cet égard: après avoir mis en relief la satire des mœurs et avoir même dénoncé la notion de comédie de caractère comme une «formule sans intérêt, mais non pas sans danger» (111 344), il passe en revue, en une dizaine de pages, toutes les hypothèses possibles sur le caractère des protagonistes.

6. L'auto-portrait d'Acaste

Acaste:

Parbleu! je ne vois pas, lorsque je m'examine.
Où prendre aucun sujet d'avoir l'âme chagrine.
J'ai du bien, je suis jeune, et sors d'une maison
Qui se peut dire noble avec quelque raison:
Et je crois, par le rang que me donne ma race,
Qu'il est fort peu d'explois dont je ne suis en passe.
Pour le cœur, dont surtout nous devons faire cas,
On sait, sans vanité, que je n'en manque pas,
Et l'on m'a vu pousser, dans le monde, une affaire
D'une assez vigoureuse et gaillarde manière.
Pour de l'esprit, j'en ai sans doute, et du bon goût
A juger sans étude et raisonner de tout,
A faire aux nouveautés, dont je suis idolâtre,
Figure de savant sur les bancs du théâtre,
Y décider en chef, et faire du fracas
A tous les beaux endroits qui méritent des ahs.
Je suis assez adroit; j'ai bon air, bonne mine,
Les dents belles surtout, et la taille fort fine.
Quant à me mettre hien. je crois, sans me flatter.
Qu'on serait mal venu de me le disputer.
Je me vois dans l'estime autant qu'on y puisse être,
Fort aimé du beau sexe, et bien auprès du maître (781-802).

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A propos des détails qu'énumère Acaste au début de l'acte 111, M. Jasinski note que «les jeunes fats qui ... tournaient autour d'Armande étaient vains de leur élégance ... mais pas moins de leur personne» et qu'il faut remarquer «l'ordre même de ses vantardises, la hiérarchie qu'il établit entre ses «mérites»» (206-207). Il semble oublier que Molière se moque là d'un genre et que le petit marquis fait de lui-même un véritable portrait. Si l'esprit goguenard de Molière vise les différents détails physiques et moraux de l'auto-peinture du vantard, il vise peut-être surtout l'idée même d'un étalage aussi méthodique de soi! C'est également sans souligner qu'il s'agit d'une parodie d'un genre à la mode que M. Guicharnaud, dans sa magistrale étude, note au sujet d'Acaste qu'il «dit la vérité sur lui-même. Rien ne nous autorise à penser qu'il ment, ni même qu'il se vante ... il se voit tel qu'il est, et il adore ce qu'il voit ... Acaste décrit ici une pose, et la décrit comme pose» (418-19). S'il est vrai qu'il s'agit bien d'une pose, il est certain que ce n'est pas une pose individuelle. C'est celle d'un groupe social bien défini. A la lumière de l'idée que tout un cercle se plaisait à se décrire et à s'entre-décrire, allant jusqu'à afficher la véracité des résultats obtenus, l'auto-peinture du petit marquis s'enrichit d'une double dimension comique.

C'est l'alignement des qualités intellectuelles, morales et physiques qui nous a mise sur la piste de l'auto-portrait parodique, l'accumulation desye, les formules de modestie (sans vanité, sans me flatter), qui contrastent avec l'infatuation de soi. Le ton même du portrait rappelle l'un des auto-portraits fictifs de Mademoiselle elle-même, celui, Jiettement ironique, de M. le chevalier de Béthune:

je suis Cadet de bonne Maison; ainsi, peu pernicieux, mais j'ai bonne mine; j'ai l'air noble; je suis assez agréable; j'ai de l'esprit, et du poli; je sai les Histoires; je sai les Poetes, et le suis quelquefois. Enfin à rne voir et à m'enteadre, je suis persuadé que je plairai plus qu'un homme de cent-mille livres de rente, que ceux qui ne me connoîtront gueres, croiront que je les ai; et que ceux qui me connoîtront beaucoup, me les souhaiteront (D.P.VIII). ¡

Dans les deux cas il s'agit d'un cadet qui croit avoir tout pour lui et à qui rien ne manque que la fortune. Auto-portrait panégyrique fait par un tiers satirique. Dans le cas du chevalier de Béthune, par Mademoiselle elle-même. Dans le cas d'Acaste, par Molière en personne.

Lorsque son talent de portraitiste se retourne contre elle et que, dans ses lettres, Celimene peint ses soupirants sous un jour peu favorable, il s'avère, à y regarder de près, qu'Acaste est d'une condition exactement identique à celle du chevalier de Béthune! Afin de plaire, par sa raillerie médisante, à Clitandre, Celimene décrit Acaste en ces termes:

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Pour le petit Marquis, qui me tint hier longtemps la main, je trouve qu'il n'y
a rien de si mince que sa personne; et ce sont de ces mérites qui n'ont que la
cape et l'épée (1690 et sq.).

Le Dictionnaire de l'Académie (1694) note au sujet de l'expression finale (n'avoir que la cape et l'épée): «On le dit communément d'un cadet de bonne famille qui n'a point de bien». Commentons un certain nombre des éléments énumérés par Acaste.

Le choix des détails de l'auto-portrait est significatif. L'alignement d'air et de mine, munis de la même épithète élogieuse, résumant, dans d'innombrables portraits (que ce soit dans la Galerie de Mademoiselle ou ailleurs) la somme des qualités physiques et morales, est devenu ridicule par l'abus qu'on en a fait. Les deux termes, portant sur l'effet général produit par le modèle, soni pour ainsi dire vides de sens. Les philologues et moralistes de l'époque ont longuement réfléchi sur les multiples nuances attribuées par les mondains, notamment à air. Leurs réflexions ont été résumées par M. Lathuillère {La Préciosité I, Paris 1966, 154-155). Si les expressions air de qualité, air de la Cour se trouvent fréquemment chez Molière «sans intention satirique» (Lathuillère 154), il est bien certain que le contexte de l'autoportrait parodique confère à air et à mine un sens satirique.

Le détail des dents n'est pas moins piquant. Nous savons que les portraits, même masculins, comportaient des précisions facilement hyperboliques sur les dents, alors qu'il s'impose avec évidence que l'état dentaire d'un très grand nombre de personnes était à l'époque ei dès leur prime jeunesse déplorable! On n'avait pas les ustensiles nécessaires pour se laver les dents, mais c'est surtout que l'horreur de l'eau semble générale! (Cf. Mongrédien, La vie quotidienne sous Louis XIV 71). «Se laver avec de l'eau nuit à la vue, engendre des maux de dents et catarrhes, appâlit le visage et le rend plus susceptible de froid en hiver et de hasle en été.» (Civilité nouvelle, cit. Mongrédien 71).

Uadresse sportive était parmi les attributs les plus répandus. Mme de Brégy, peignant Louis XIV en berger sous le nom de Tircis, note qu'il a «une facilité et une adresse merveilleuse pour tous les Exercices» (D.P. XXXIII). Refusant de louer les mauvais vers d'Oronte, Alceste se déclare prêt à louer sa magnificence et ses qualités sportives:

Je louerai, si l'on veut, son train et sa dépense,
Son adresse à cheval, aux armes, à la danse;
Mais pour louer ses vers, je suis son serviteur.. . (1149-51)

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Dans le chapitre de Y esprit ou de l'ensemble des qualités intellectuelles, Acaste s'arrête au jugement littéraire. Il s'agit, bien entendu, de connaissances intuitives! («sans étude» 792). L'esprit comme le goût y sont développés. Le petit marquis reprend l'idée et le vocabulaire de Mademoiselle, laquelle dit à son propre sujet: «je juge aussi bien de ces choses-là [la littérature] que si j'étois savante» (D.P. V). Louis XIV, peint par Mademoiselle, «a le goût bon» (D.P.XLVIII).

Au sujet des qualités morales, le petit marquis marque à la fois sa connaissance abstraite de la hiérarchie des valeurs établies («Pour le cœur, dont surtout nous devons faire cas» 787) et le niveau atteint («On sait, sans vanité, que je n'en manque pas» 788). Je fais remarquer que Mademoiselle avait attribué sans exception aux quatre royautés de sa galerie la vertu héroïque du courage: le cœur ou le courage, dans le cas d'Acaste, est rattaché à sa «maison ... noble» (784), àsa «race» (785).

Mous rappellerons également, pour terminer, que le chapitre de lagalanterie ou le rapport avec le sexe opposé, est parmi les constantes du portrait masculin. C'est ainsi que le petit marquis est «fort aimé du beau sexe» (802) et refuse d'assumer le rôle de soupirant brûlant inutilement «pour des beautés sévères» (810).

7. Esprit

Après avoir commenté l'auto-portrait parodique que présente la tirade d'Acâsté, reprenons certains des chapitres principaux de notre anthropologie et des topoi qui élucideront quelques aspects de la satire des mœurs négligés ou traités trop sommairement par la critique.

L'anthropologie permet de constater que le don de raillerie, importante qualité intellectuelle, fait le sel d'une conversation en règle, mais qu'il faut, dans ce domaine comme ailleurs, observer une juste mesure. Dans le portrait très développé qu'elle fait du prince de Condé, Mademoiselle reconnaît qu'il raille «quelquefois trop .. . quoi que cela n'ait pas été jusques à l'excès» (D.P.LU). L'on résiste difficilement à la médisance et à la raillerie, lesquelles sortent, chez certaines personnes, du domaine intellectuel, pour devenir de véritables passions. Mademoiselle constate au sujet de Mme de Montglat que celle-ci n'est pas médisante, mais qu'elle n'échappe pas à la raillerie:

Vous raillez de bonne grâce; et je connois des personnes dont vous ne sauriez
vous passer de faire voir le ridicule, et qui par conséquent sont nées pour vous
réjouir, quoique souvent elles vous ennuyent (D.P.XX).

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Nul doute que la raillerie de Celimene ne soit d'ordre passionnel et caractériel et qu'elle pousse jusqu'à la médisance. Plus lucide que l'atrabilaire amoureux, Philinte note à la fois son «humeur coquette» et son «esprit médisant» (219), et lorsque Alceste pense que l'amour qu'il lui porte la guérira de ce qu'il juge trop sommairement des «défauts», des «vices du temps » (234), seul Philinte, en connaissance de cause passionnelle, constate sèchement: «Si vous faites cela, vous ne ferez pas peu» (235). C'est le cas de rappeler que Mademoiselle, douée à la fois d'esprit et d'inclination satiriques, se loue fort de résister au penchant de la raillerie:

Je ne suis point médisante, ni railleuse, quoique je connoisse mieux que personne
le ridicule des gens, et que j'aye assez d'inclination à y tourner ceux qui me
semblent le mériter (D.P.V).

Acaste, on l'a vu, se vante de son jugement littéraire acquis spontanément. L'on sait que le talent littéraire était également de rigueur. Savoir bien écrire en prose et en vers est l'une des constantes du portrait mondain. Il est évident qu'Alceste se moque non seulement du piètre sonnet d'Oronte, mais aussi de la manie qu'ont les mondains de vouloir publier: quel besoin le «galant homme» (345) a-t-il de rimer, et «qui diantre vous pousse à vous faire imprimer?» (364). Les mauvais vers ne sont pardonnables qu'aux «malheureux qui composent pour vivre» (366). Telles sont les observations qu'Alceste prétend avoir faites au rimeur inventé.

L'on a remarqué, dans la scène du sonnet, que la réponse d'Alceste s'inspire
de du Lorens :

Oronte :

Au reste, vous saurez
Que je n'ai demeuré qu'un quart d'heure à le faire.

Alceste:

Voyons, Monsieur; le temps ne fait rien à l'affaire (312-14).

On trouve en effet chez du Lorens le passage suivant:

On ne se demande point lorsqu'on voit un tableau
Oui donne dans la vue et que l'on trouve beau
Quel temps l'excellent peintre aurait mis à le faire,
Etant vrai que cela ne fait rien à l'affaire.
(Sat.XVIII, 2P édit. 1646, cit. Jasinski 100).

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L'on a moins remarqué que la capîatio benevolentiae d'Oronte était un topos. Dans l'introduction ou la conclusion de leurs opuscules, les mondains soulignent volontiers qu'il s'agit d'un passe-temps. Le Recueil des Divers Portraits l'affirme à plusieurs reprises. Dans la préface, Segrais insiste sur «le peu de peine que ces productions ont coûté à Mademoiselle. Il seroit criminel ... de celer .. . que le plus long de ces ouvrages n'a jamais coûté à V.A.R. plus d'un quart d'heure» (D.P.73). Mme de Mauni termine son portrait en précisant la brièveté de la conception: un quart d'heure (D.P. XXV). L'abbesse de Caen, dont le portrait est extrêmement travaillé, prétend avoir reçu la commande de Mademoiselle la veille et n'y avoir mis que «les choses ... qui se présentent les premieres» (D.P.X).

8. Amitié

Notre chapitre sur l'amitié atteste l'importance primordiale attribuée par l'époque qui nous occupe à la notion d'amitié. On peut constater que si les philosophies morales successives ont un point en commun, c'est bien la glorification de l'amitié. Qu'on soit teinté de néo-stoïcisme attardé comme Alceste ou de néo-épicurisme comme Philinte, il serait dans la nature des choses que l'on respecte, de part et d'autre, les lois de l'amitié. Or, dès les premières lignes de la pièce, Alceste n'hésite pas à rompre, en des termes très brusques, l'amitié qui l'a lié jusque-là à Philinte:

Moi, votre ami! Rayez cela de vos papiers.
J'ai fait jusques ici profession de l'être;
Mais après ce qu'en vous je viens de voir paraître,
Je vous déclare net que je ne le suis plus,
Ft ne veux nulle place en des cœurs corrompus (8-12).

Rien de plus insolite que cette présentation, qui contraste singulièrement
avec une société où les pires ennemis ne cessent de protester de la constance
de leur amitié mutuelle!

C'est ainsi que le début, de même que la fin de la perfide tirade d'Arsinoé,
insistent sur l'amitié qui la lie à Celimene! Dès l'abord elle déclare:

L'amitié doit surtout éclater
Aux choses qui le plus nous peuvent importer;
Et, comme il n'en est point de plus grande importance
Que celles de l'honneur et de la bienséance,
Je viens, par un avis qui touche votre honneur,
Témoigner l'amitié que pour vous a mon cœur (879-884).

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Et après avoir rapporté les échos défavorables sur la galanterie de Celimene,
elle insiste de nouveau sur les:

mouvements secrets
D'un zèle qui m'attache à tous vos intérêts (911-912).

Celimene, dans sa réponse, reprend ironiquement jusqu'aux termes mêmes
d'Arsinoé (959-960).

Quand Oronte vient assurer Alceste de son amitié fondée sur l'estime incroyable (254) où il le tient sans le connaître, il fait peut-être preuve de moins d'extravagance qu'Alceste, qui refuse de lui donner la main (276), remettant à plus tard de se lier d'amitié. Les deux hommes évitent toutefois l'affrontement à cette occasion. Théorisant, à notre avis, en néo-stoïcien attardé sur la nature de l'amitié, qui naît, selon Sénèque, avec «discernement» («Réfléchissez longtemps sur le choix d'un ami», Lettres de Sénèque 111 Du choix des amis), Alceste parvient à détourner l'attention d'Oronte, qui théorise à son tour:

Alceste:

Avec lumière et choix cette union veut naître ;
Avant que nous lier, il faut nous mieux connaître.

Oronte:

Parbleu! c'est là-dessus parler en homme sage,
Et je vous estime encore davantage.
Souffrons donc que le temps forme des nœuds si doux (281-82, 287).

Oronte, toutefois, ne tarde pas à souligner qu'il est doté de la qualité la plus
indispensable à l'amitié, la volonté de servir:

Oronte:

je m'offre entièrement à vous.
S'il faut faire à la cour pour vous quelque ouverture.
Enfin je suis à vous de toutes les manières (288-89, 293).

Selon les points de vue, optimiste ou pessimiste, les témoignages contemporainsinsistent
sur la volonté désintéressée de servir les amis ou réduisent
l'amitié à un aspect utilitaire, à un «échange de bons offices». (Cf. La

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Rochefoucauld Max. n° 83). Oronte se déclare prêt à recommander Alceste
auprès du roi (290). Il demande, en échange, à être conseillé sur la publicationéventuelle
de son sonnet (296-297).

La fausseté des rapports amicaux atteint au paroxysme lorsque Celimene nie avoir été blessée par le «sincère avis» (963) d'Arsinoé et propose avec une fausse candeur que les deux amies instaurent entre elles des échanges de vérités suivis, qui leur serviraient à se désabuser des illusions sur soi!

Celimene:

si l'on était sage,
Ces avis mutuels seraient mis en usage:
On détruirait par là, traitant de bonne foi,
Ce grand aveuglement où chacun est pour soi.
Il ne tiendra qu'à vous qu'avec le même zèle
Nous ne continuions cet office fidèle,
Et ne prenions grand soin de nous dire entre nous
Ce que nous entendrons, vous de moi, moi de vous (965-972).

Contrepartie comique d'un des Divers Portraits. Dans le n° 111 du Recueil,
la duchesse de La Trémouille forme ce vœu sincère et sérieux :

une des choses que je souhaiterois avec le plus de de passion, ce seroit de trouver une personne également amie et raisonnable, qui voulût établir avec moi ce commerce, de nous dire aussi librement nos mauvaises qualitez que les bonnes, et d'être assurée d'«n£ fidélité entière à fte ñevs en tien «aehef ; ear j^afrrte en mes amies de la vérité, et non de la flatterie (D.P.111).

Segrais rappelle, dans la Préface du Recueil, que ce portrait a servi, avec
l'auto-portrait de Mademoiselle elle-même, d'exemple au genre naissant:

ce bel ouvrage qui a couru toute la France, et en a été l'admiration, a été avec
celui de V.A.R. qui fut fait en même temps, le modelle le plus parfait que se
soient proposez ceux qui en ont voulu faire depuis (D.P.74).

Avant de clore notre chapitre sur l'amitié, une dernière mise en relief de
deux vers d'Alceste:

Je veux qu'on me distingue; et pour le trancher net,
L'ami du genre humain n'est point du tout mon fait (63-64).

L'exégèse moliéresque a insisté sur ces vers fameux comme étant notammentdes
expressions éloquentes et grandiloquentes de la misanthropie, de

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l'égocentrisme, de l'exclusivisme du caractère d'Alceste. Il nous semble, modestement, fructueux de rapprocher ce passage avec le topos de la polyphilia,subordonnée au thème de l'amitié ou de la philia. Tout en exprimant son caractère, Alceste théorise, pensons-nous, encore une fois, dénonçant violemment la philia multiple et générale. Si les épicuriens insistent surtout sur les rapports interpersonnels dans l'amitié, et que les stoïciens visent à dépersonnaliser l'amitié, la considérant comme un lien entre tous les sages, toutes les sectes décrient unanimement lapolyphilia. (Cf. Jean-Claude Fraisse, Philia, la notion d'amitié dans la philosophie antique, Paris 1974, 44 et passim).

9. Humeur

L'on a souvent souligné que les deux amis Philinte et Alceste représentent les deux tempéraments opposés du flegme, de la pituite, et de la mélancolie ou bile noire. René Jasinski a rapproché le thème de la mélancolie de l'un des opuscules de La Mothe Le Vayer, la Prose chagrine, parue en 1661 (Jasinski 261 et sq.), pensant y avoir trouvé la source principale du Misanthrope. Il s'agit, à notre avis, d'un phénomène parallèle ou d'un topos plutôt que d'une influence. Si le philosophe et l'auteur dramatique s'intéressent au même moment au tempérament mélancolique, c'est que cet état d'esprit est à l'époque fort à la mode, et que les mélancoliques sont considérés comme étant «plus ingénieux que les autres hommes». C'est en ces termes que Richelet résume la situation en 1680. S'intégrant parmi les bilieux, Mademoiselle note en 1657 que ceux-ci sont «d'ordinaire gens d'esprit ... et l'on voit plus d'honnêtes gens de ce temperament-là que de sots» (D.P.V). M. Starobinski constate, au sujet de l'auto-portrait de La Rochefoucauld, «qu'à l'époque la mélancolie se porte bien et qu'elle est l'apanage des natures nobles. La mélancolie-tempérament (comme d'ailleurs la mélancoliemaladie) est une affection aristocratique qui convient aux grands esprits. » (Jean Starobinski, Préface aux Maximes et Mémoires de La Rochefoucauld, Paris 1964, 33).

Nul doute pour nous, en effet, que Molière n'ait choisi, pour son personnage principal, le tempérament le plus à la mode. Voir pulluler des mélancoliques qui se portent fort bien a éveillé sa verve satirique. Entendre vanter partout dans la société mondaine, notamment peut-être dans les auto-portraits flatteurs, un état d'esprit le moins commode qui soit pour les rapports humains et sociaux, l'a intrigué en tant que topos paradoxal, se prêtant au comique.

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Philinte:

Ce chagrin philosophe est un peu trop sauvage.
Je ris des noirs accès où je vous envisage (97-98).

Conscient du fait, à notre avis, qu'il se trouve confronté avec le tempérament
le plus prisé, personnifié par Alceste, Philinte est réduit à plaider en
faveur du sien:

J'accoutume mon âme à souffrir ce qu'ils font,
Et je crois qu'à la Cour, de même qu'à la ville,
Mon flegme est philosophe autant que votre bile (165-167).

L'étude de l'anthropologie et des topoi a permis de constater également que, des quatre tempéraments, le flegme est le moins prisé. Richelet affirmera explicitement en 1680 que les «pituiteux n'ont pas l'esprit si vif ni si plaisant que les bilieux et les sanguins ». Le fait même de débattre, comme le fait Philinte, la question de savoir s'il faut donner à l'une des quatre humeurs principales une préférence marquée, fait partie, à notre avis, des innombrables topoi - ou effets de revue d'actualité du Misanthrope.

L'étude des multiples témoignages contemporains, portant sur les particularités des quatre humeurs, nous semble indiquer qu'il ne s'agit pas dans le cas d'Alceste d'un atrabilaire à l'état pur, non pas d'un mélancolique «frais», mais que la bile jaune se serait fortement insinuée dans le tempérament: le Misanlluope est plus« échaurlF» que l'atrabilaire «normal ». Voir par exemple le vers 168, où il reproche au flegme de Philinte de ne pouvoir s'échauffer de rien. Alors que Louis Hippeau cite les passages de l'auto-portrait de La Rochefoucauld afin de montrer leur affinité avec le cas d'Alceste et celui de la Prose chagrine (Essai sur la morale de La Rochefoucauld, Paris 1967, 189 et passim), nous pensons que la mélancolie dont se loue La Rochefoucauld (car il s'agit certainement d'auto-louanges), contraste singulièrement avec celle d'Alceste, dont la bile éclate continuellement:

Ce sont vingt mille francs qu'il m'en pourra coûter;
Mais pour vingt mille francs j'aurai droit de pester
Contre l'iniquité de la nature humaine (1547-1548).

La Rochefoucauld, par contre, se veut doté d'une mélancolie introvertie:

pour parler de mon humeur, je suis mélancolique, et je le suis à un point que,
depuis trois ou quatre ans, à peine m'a-t-on vu rire trois ou quatre fois. J'aurais

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pourtant, ce me semble, une mélancolie assez supportable et assez douce, si je n'en avais point d'autre que celle qui me vient de mon tempérament; mais il m'en vient tant d'ailleurs, et ce qui m'en vient me remplit de telle sorte l'imagination, et m'occupe si fort l'esprit, que la plupart du temps ou je rêve sans dire mot, ou je n'ai presque point d'attache àce queje dis. .. J'ai de l'esprit... mais un esprit que la mélancolie gâte; car encore queje possède assez bien ma langue, que j'aie la mémoire heureuse, et que je ne pense pas les choses fort confusément, j'ai pourtant une si forte application à mon chagrin, que souvent j'exprime assez mal ce que je veux dire (Portrait de M.R.D. fait par lui-même, Maximes, édit. Bordas 18).

Il est vrai qu'Alceste a des moments de distraction rêveuse identiques à ceux de La Rochefoucauld (à l'arrivée d'Oronte par exemple I, 2), et qu'il éprouve le besoin de s'isoler avec sa mélancolie («me laissez enfin/Dans ce petit coin sombre avec mon noir chagrin» 1584-1585). 11 faut peut-être également expliquer par ià la tentation du «désert», annoncée des l'exposition. («Et parfois il me prend des mouvements soudains/De fuir dans un désert l'approche des humains» 143-144). Or, il n'empêche qu'au cours de la pièce entière, l'emportement de son tempérament ne cesse de se manifester.

M. Louis Hippeau, qui plaide en faveur d'un Alceste « stoïcien convaincu » (176), veut que l'orgueil très prononcé de celui-ci soit le fait d'un néostoïcien attardé et ridiculisé. Nous pensons que l'orgueil qui perce dans des passages comme «Je veux qu'on me distingue» (63), est tout autant celui qu'exprime naturellement le représentant du tempérament jugé unanimement supérieur à tous les autres, et qui refuse, on l'a vu, de se compromettre avec la polyphilia.

Molière oppose non seulement la mélancolie au flegme, mais reprend aussi, à notre avis, dans le contraste Alceste - Celimene, l'une des constantes de Clélie, à savoir l'opposition du tempérament mélancolique et du tempérament enjoué (sanguin). Dès la première présentation de Celimene, et avant qu'elle ne paraisse, Philinte, lucide, insiste sur son «humeur coquette» et son «esprit médisant (219). On peut croire que le public initié, habitué à classer les gens par leur tempérament, n'a pas hésité à placer Celimene: il s'agit d'une enjouée. Intimement liées au caractère enjoué, la coquetterie et la raillerie dénotent l'humeur innée de Celimene. Celle-ci, d'ailleurs, et sans y insister, fait allusion à son «enjouement», condamné par Clitandre (1690 et sq.).

Nul doute que pour le public d'alors l'idée même de voir un mélancolique et une enjouée s'engager ensemble ne soit absurde. Dans Clélie, l'amour, même réciproque, des couples dont les tempéraments ne s'accordent pas, est voué à l'échec. Une coquette enjouée peut se lier avec un inconstant

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(Amilcar, Piotine), mais pas avec un atrabilaire passionné. Le tempérament
enjoué est-il capable d'un engagement sérieux? La question est débattue
dans délie. Herminius dit d'un ton réprobateur à Anacréon:

Vous avez l'air bien gay . . . pour estre sujet à de grandes passions, du moins
est-on accoustumé à Rome à ne soupçonner pas les Gents enjoiiez d'estre
capables d'un grand attachement (IV 749).

Eclairé sur les répercussions du caractère enjoué, Eliante, après avoir constaté qu'il arrive que l'amour ne soit pas le fait d'un «rapport d'humeurs» (1176), note que la tendresse de Celimene, si tendresse il y a, est celle d'une coquette :

Son cœur de ce qu'il sent n'est pas bien sûr lui-même:
II aime quelquefois sans qu'il le sache bien,
Et croit aimer aussi parfois qu'il n'en est rien (1182-84).

La réplique d'Eliante analyse admirablement les sentiments d'une coquette
en action. On dirait un écho simplifié, condensé, de la maxime n° 277 de La
Rochefoucauld :

Les femmes croient souvent aimer, encore qu'elles n'aiment pas; l'occupation d'une intrigue, l'émotion d'esprit que donne la galanterie, la pente naturelle au plaisir d'être aimées, et la peine de refuser, leur persuadent qu'elles ont de la passion, lorsqu'elles n'ont que de la coquetterie {max. n° 277).

Le parallèle a déjà été établi par M. Jasinski, qui ne cite toutefois que la première phrase de la maxime (167). Il nous semble que c'est la suite qui met le mieux en relief le comportement de la coquette. Dans le cas de Celimene, la guérison miraculeuse qu'évoque la maxime n° 349 ne se produira pas:

Le plus grand miracle de l'amour, c'est de guérir de la coquetterie.

10. Vertus - vices

Si les rapports d'Alceste et de Celimene sont définitivement voués à l'échec, c'est peut-être en fin de compte que ni l'un ni l'autre n'ont su établir, dans le schéma des vertus et des vices, l'équilibre qu'exige l'idéal moral de l'époque. Les deux personnages pèchent à la fois par excès et par défaut, violant notamment le principe de la complaisance, vertu mondaine par excellence, et celui de la sincérité, vertu noble et rare. Quoi de plus incompatible enfin

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qu'une complaisance qui se veut générale et une sincérité qui se veut tout
aussi globale?

La médisance est, chez Celimene, subordonnée au but de plaire, de complaire. Acaste et Clitandre sont au comble de l'enthousiasme lorsque Celimene présente, dans la scène dite des portraits, sa galerie satirique. Alceste reproche aux deux visiteurs d'encourager, par leurs «ris complaisants » (659), la maîtresse de maison à leur complaire à son tour par la médisance:

Son cœur à railler trouverait moins d'appas
S'il n'avait observé qu'on ne l'applaudît pas (663-664).

Ce sont leurs «molles complaisances» (705) qui, au dire d'Alceste, provoquent les «extravagances» (706) de Celimene. Excès de complaisance de la coquette et des soupirants à la fois. Mue par le même désir d'une complaisance en action, Celimene redige des lettres de médisance individuellement adressées à Acaste et à Clitandre, qui avaient loué son talent de portraitiste tant qu'ils ignoraient qu'ils y avaient servi de cibles.

L'écueil qui menace une complaisance trop énergique est celui de la flatterie (cf. par exemple Faret, l'Art de plaire à la Court [1630], Madrid, Paris, Buenos Ayres, 1932, 105). Nous croyons que la médisance de Celimene est en même temps une flatterie raffinée, qui consiste à railler les personnes absentes dans le but non seulement d'amuser les visiteurs de son salon, mais autant dans le but de les flatter indirectement. C'est au fond la même tactique individuelle qu'elle utilisera dans les lettres qui la perdront.

Poussant trop loin la complaisance, Celimene heurte également le principe du discernement des personnes, du choix lucide des amis et des connaissances. «Vous trouvez des raisons pour souffrir tout le monde (550) ... tout l'univers est bien reçu de vous». (496). Tels sont les reproches que lui adresse Alceste. Nous rappelons à ce propos le grief que Mademoiselle fait satiriquement à Amarante:

Elle n'a point de discernement pour les gens; tout lui est bon, et elle ne s'ennuyé
de rien, ni avec personne (D.P.XVÍ).

M. le Prince, par contre, «connoît bien les gens, les discerne, et fait grand cas des personnes de mérite» (D.P.LU). Refusant «d'un cœur la vaste complaisance,/Qui ne fait de mérite aucune différence» (61-62), Alceste souhaiterait que celle de Celimene soit «un peu moins étendue» (473). Or, dans le but de le rassurer, Celimene tend justement à démontrer qu'il vaut mieux que sa complaisance soit «sur tous épanchée» (498) plutôt que de la «ramasser sur un seul» (500).

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L'anthropologie nous apprend à quel point l'on raffinait sur les topoi
qui entourent la complaisance. Afin d'y voir clair (!), Mademoiselle de Scudéry
distingue au moins quinze complaisances:

il y a des complaisances intéressées, des complaisances d'amour, des complaisances d'estime, des complaisances d'amitié, des complaisances d'ambition, des complaisances lasches, des complaisances dissimulées, des complaisances de la Cour, des complaisances de la Ville, des complaisances sérieuses, des complaisances enjouées, des complaisances éloquentes, des complaisances muettes, de vrayes et de fausses complaisances, et de mille autres (Clélie IÍl 732-33).

La complaisance de Celimene recouvre une bonne partie des nuances énumérées dans Clélie. Or, s'abaisse-t-elle jusqu'au niveau intéressé? A l'entendre elle-même plaider en sa faveur, sa complaisance est intéressée: elle ménagerait Clitandre pour qu'il intercède en sa faveur dans son procès (491), et, refusant de renvoyer Acaste, elle explique que ce genre de «grands brailleurs», qui «sauraient servir», pourraient bien «nuire» (548, 546). Par là elle est très loin de la vertu au milieu, de l'amabilité aristotélicienne. Celimene succombe, non seulement à la complaisance facile, qui fait plaisir pour faire plaisir, mais à celle qui agit «pour en tirer quelque avantage en argent ou en biens qu'on peut se procurer avec de l'argent» (Aristote I 113).

Mademoiselle de Scudéry note à propos du mondain peut-être le plus
exquis de Port-Royal, Timante-Arnauld d'Andilly, que

sa vërïu rïïâ rien de sauvage, ni de farouche, ni rien
qui l'empêche d'avoir une innocente complaisance pour les
personnes qu'il aime (Clélie 111 1146).

S'il est vrai qu'Alceste n'a nulle complaisance pour les visiteurs du salon de Celimene (il s'en vante même: «moi, je n'aurai jamais de lâche complaisance» 758), son manque de complaisance envers celle qu'il aime, a dû choquer tout particulièrement le public contemporain. Dans les deux grandes scènes qui confrontent les protagonistes (II 1, IV 3), Alceste, qui accable Celimene de reproches, va jusqu'à justifier par son amour la rudesse de ses manières:

Plus on aime quelqu'un, moins il faut qu'on le flatte:
A ne rien pardonner le pur amour éclate (701-702).

Quoi de plus insolite? Celimene, initiée aux règles de la complaisance,
particulièrement strictes lorsqu'il s'agit du comportement amoureux, se
moque d'Alceste, pour qui l'amour consiste à «bien injurier les personnes

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qu'on aime» (710), à «leur faire querelle» (526): «l'on n'a jamais vu un
amour si grondeur» (528).

Si Celimene a trop de complaisance, Alceste en a trop peu, illustrant merveilleusement, à notre avis, le chapitre d'Aristote sur les vices opposés à l'amabilité. C'est l'homme «qui se montre intraitable en tout» et qui est désigné par Y Ethique à Nicomaque comme «l'acariâtre ou le querelleur» (Aristotel 113).

Si Alceste pèche par manque de complaisance, il pèche également par
excès de sincérité:

J'ai le défaut
D'être un peu plus sincère en cela qu'il ne faut C3OO-3O1).
Je n'ai rien fait qu'être sincère et franc (1508).
Être franc et sincère est mon plus grand talent

Devant ces confessions, dépourvues d'humilité, Philinte rappelle qu'il est «parfois ... bon de cacher ce qu'on a dans le cœur» (106-107). C'est-à-dire qu'il faut être circonspect, qu'il faut être secret, sans nécessairement pousser jusqu'à la dissimulation. Les témoignages, l'anthropologie nous l'a appris, sont divisés quant au degré de dissimulation souhaité. Ce qui reste établi toutefois, c'est que la circonspection s'impose à l'homme de cour plus qu'à aucun autre. Alceste lui-même le sait:

Et qui n'a pas le don de cacher ce qu'il pense
Doit faire en ce pays fort peu de résidence (1089-1090).

C'est ainsi qu'il a refusé la «charge à la cour» (1076) que lui offre Arsinoé.

11 faut noter qu'Alceste est étranger également à la dissimulation, inhérente, selon les traités de médecine et de morale, au tempérament mélancolique. Nous le remarquons une fois de plus: le caractère d'Alceste, par de nombreux traits, relève du tempérament colérique, où domine la bile jaune.

Eliante, représentant elle-même la sincérité en tant que vertu raisonnable
(215, 245, 1787) et admettant la singularité d'Alceste (1163), observe au
sujet de sa sincérité:

Li la siucéiité dont son âme se pique A quelque chose en soi de noble et d'héroïque. C'est une vertu rare au siècle d'aujourd'hui, Et je la voudrais voir partout comme chez lui (1165-1168).

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La rareté de la sincérité est soulignée également par Mademoiselle, qui clôt
le portrait favorable de Mme de Montglat en ces termes:

Vous seriez propre à l'être [dupe] de bien des gens, car vous êtes fort sincère,
et peu le sont présentement (D.P. XX).

La maxime n° 62 de La Rochefoucauld, textuellement identique à un passage de Jacques Esprit, constate de même, au sujet de la sincérité, qu'on «la trouve en fort peu de gens» (Jacques Esprit, La Fausseté des Vertus humaines, [1678], Amst. 1717, I 59). Si la sincérité d'Alceste contribue largement à le singulariser même aux yeux bienveillants d'Eliante (1163), on ne peut pas ne pas évoquer le souvenir de Mme de Clèves: «Mme de Chartres admirait la sincérité de sa fille, et elle l'admirait avec raison, car jamais personne n'en a eu si grande et si naturelle» (259). Sur son lit de mort, Mme de Chartres fait une nouvelle allusion à la sincérité de sa fille (277), et c'est encore l'éloge de la sincérité, fait par M. de Clèves à propos de Mme de Tournon, qui prépare l'aveu fatal de Mme de Clèves:

La sincérité me touche d'une telle sorte queje crois que si ma maîtresse, et même
ma femme, m'avouait que quelqu'un lui plût, j'en serais affligé sans en être
aigri (284).

Avouant finalement, après la mort de M. de Clèves, à M. de Nemours, qu'elle nourrit à son égard des sentiments qui lui seraient restés inconnus si elle ne Pavait connu, elle souligne elle-même la rareté de la sincérité féminine :

Puisque vous voulez que je vous parle et que je m'y résous ... je le ferai avec
une sincérité que vous trouverez malaisément dans les personnes de mon sexe
(383).

Echec mondain. Retraite austère dans un désert quelconque. Tel est le sort de Mme de Clèves comme c'est le sort d'Alceste. La vertu au milieu est une notion trop étrangère au tempérament d'Alceste pour qu'il s'y plie. Philinte définit le degré de vertu mondainement requis:

II faut, parmi le monde une vertu traitable; A force de sagesse on peut être blâmable; La parfaite raison fuit toute extrémité, Et veut que l'on soit sage avec sobriété (149-152).

Alceste sait dès le début qu'il ne se soumettra pas à la règle de la vertu
médiocre:

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Je n'y puis plus tenir, j'enrage, et mon dessein
Est de rompre en visière à tout le genre humain (95-96).

Celimene, par contre, utilisant la même formule, reste fidèle à l'idéal mondain
et refuse l'affrontement:

Qu'un cœur de son penchant donne assez de lumière,
Sans qu'on nous fasse aller jusqu'à rompre en visière (1633-34).

La brusquerie du tempérament, comme celle du comportement d'Alceste, est curieusement condamnée par l'un des portraits auxquels nous nous sommes déjà référée à plusieurs reprises: Mme de La Trémouille utilise jusqu'au terme même de rompre en visière:

Je condamne l'humeur de ceux qui aiment à rompre en visière; néanmoins je le
tolererois, si elle ne s'adresseoit qu'à des personnes présomptueuses, ennemies
de la correction, et ignorantes de leurs défauts (D.P. III).

11. Si les remarques que nous avons présentées ont contribué à jeter quelque lumière sur un sujet aussi rebattu que le Misanthrope, l'étude de l'anthropologie et des topoi telle que nous l'avons esquissée et telle que nous allons la faire paraître nous semble justifiée. Un certain nombre des tirades ont été élucidées par leur juxtaposition aux catégories distinctives du portrait telles que Y esprit, Y amitié, les humeurs, les vertus et les vices. On sait que le Misanthrope fut plus qu'un demi-échec (voir par exemple Adam 111 354-355) que Grimarest pense que l'insuccès de la pièce est dû aux ignorances d'un public trop peu initié: «pour vingt personnes qui sont susceptibles de sentir les traits délicats et élevés, il y en a cent qui les rebutent faute de les connaître» (Grimarest, cit. Mongrédien 265). Il n'est pas impossible en effet que c'est Y accumulation des topoi et des éléments anthropologiques qui a dérouté le public contemporain. Notre étude du Misanthrope a insisté sur l'aspect de revue critique et amusée. Or, une revue peut être trop intelligente, trop perspicace, trop initiée; elle peut en quelque sorte surestimer son public, présupposer chez lui trop de capacités d'associations et de références.

En ce qui concerne le portrait en tant que genre littéraire, nul doute qu'il n'ait été présent à l'esprit du public et à celui de Molière. Il importe peu de savoir le nombre de portraits qu'il aurait connus au moment où il compose le Misanthrope. On sait bien qu'à l'artiste disponible il suffit d'un petit nombre de faits pour l'inspirer.

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Dès les Précieuses Ridicules (1659), Mascarille, répliquant à Magdelon, qui avoue être «furieusement pour les portraits», et qui ne trouve «rien de si galant que cela», souligne que les «portraits sont difficiles et demandent un esprit profond» (se. 9). Or il s'avère que l'intérêt manifesté par Molière dès 1659, poursuivi en 1666 (l'auto-portrait parodique d'Acaste), persiste encore en 1670! On en trouve, dans le Bourgeois Gentilhomme, une autre variante, un portrait curieusement dialogué qui apporte la preuve définitive comme quoi Molière a connu la composition linéaire de tant de portraits, de même que leur répartition en chapitres du corps, de l'esprit, de l'humeur et de l'âme. Il s'agit d'un anti-portrait pour ainsi dire. Cléonte veut se débarrasser mentalement de celle qu'il aime et fait appel à tout son courage pour rompre avant d'être lui-même abandonné. C'est pourquoi il demande à son valet Covielle de lui faire de Lucile «une peinture qui me la rende méprisable ... marque-moi bien, pour m'en dégoûter, tous les défauts que tu peux voir en elle». Après une dépréciation d'ordre général, Covielle commence donc son tableau péjoratif dans le but de provoquer la décristallisation de Cléonte. Echec total: l'amant dépité réfute un à un les dénigrements de Covielle par des arguments flatteurs, introduits par mais. La totalité du portrait est faite par le jeu d'alternances péjoratives et laudatives, qui rappellent moins les Divers Portraits que la majorité des portraits mondains inférieurs à ceux de Mademoiselle et de son cercle:

Covielle:

Elle, Monsieur! Voilà une belle mijaurée, une pimpesouée bien bâtie .. . Premièrement,
elle a les yeux petits.

Cléonte:

Cela est vrai, elle a les yeux petits; mais elie les a pleins de feu, les plus brillants,
|[ les plus perçants du monde, les plus touchants qu'on puisse voir.

Covielle:

Elle a la bouche grande.

Cléonte:

Oui; mais on y voit des grâces qu'on ne voit point aux autres bouches; et cette
bouche, en la voyant, inspire des désirs, est la plus attrayante, la plus amoureuse
du monde.

Covielle:

Pour sa taille, elle n'est pas grande.

Cléonte:

Non; mais elle est aisée et bien prise.

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Covielle:

Elle affecte une nonchalance dans son parler et dans ses actions.

Cléonte:

II est vrai; mais elle a grâce à tout cela, et ses manières sont engageantes, ont
je ne sais quel charme à s'insinuer dans les cœurs.

Covielle:

Pour de l'esprit. ..

Cléonte:

Ah! elle en a, Covielle, du plus fin, du plus délicat.

Covielle:

Sa conversation. .

Cléonte:

Sa conversation est charmante.

Covielle:

Elle est sérieuse.

Cléonte:

Veux-tu de ces enjouements épanouis, de ces joies toujours ouvertes? et vois-tu
rien de plus impertinent que des femmes qui rient à tout propos?

Covielle:

Mais enfin elle est capricieuse autant que personne du monde.

Cléonte:

Oui, elle est capricieuse, j'en demeure d'accord; mais tout sied bien aux belles,
on souffre tout des belles (111 9).

Tout le comique de cette célèbre scène réside dans le fait, démontré par notre modèle anthropologique portant à la fois sur le physique et sur le moral, que l'idéal de beauté stipulait qu'il fallait avoir les yeux, non pas petits, mais grands, la bouche, non pas grande, mais petite, la taille, non pas petite, mais grande et aisée. Il fallait se garder de négliger les manières extérieures. Il s'agissait d'avoir Yesprit délicat, la conversation ni trop sérieuse ni trop gaie, et Y humeur toujours égale.

Merete Gerlach-Nielsen

Copenhague

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Résumé

Nous terminons actuellement une étude sur 59 portraits littéraires dédiés à Mademoiselle de Montpensier et parus en 1659 sous le titre de Divers Portraits. L'étude des portraits vise à cerner une anthropologie de l'homme classique. Grâce au caractère systématique et détaillé du portrait littéraire de l'époque, le modèle anthropologique, établi dans notre étude, comporte un très grand nombre de renseignements précieux sur les qualités physiques, intellectuelles et morales de l'homme classique. Le modèle servirait à dégager certains aspects de la pratique des grands textes classiques négligés par le lecteur moderne non initié à l'anthropologie classique. Elucidé par notre modèle, le Misanthrope se présentera moins comme une comédie de caractère que comme une «revue» amusée et critique, groupant d'innombrables topoi de l'époque, relevant notamment des catégories de cette époque telles que l'esprit, l'amitié, les humeurs, les vertus et les vices.