Revue Romane, Bind 10 (1975) 2

Car, parce que, puisque

par

Le groupe l-1 1

Introduction

Les pages qui suivent sont consacrées à l'étude de trois conjonctions, car, puisque, parce que, utilisées toutes les trois dans le raisonnement, et qui marquent, d'une façon générale, qu'il y a un lien nécessaire entre une proposition et une autre proposition.

Bien qu'il y ait, entre elles, de nombreux recouvrements, nous pensons qu'elles ont des fonctions fondamentalement différentes, et qu'il peut être utile de faire reconnaître aux élèves ces fonctions (en entendant par là que cela peut être utile à la fois pour la formation de l'intelligence et pour la compréhension des textes).

Notre démarche est la suivante. Nous commençons par une étude syntaxiquedes trois conjonctions, qui fait apparaître entre elles de considérables différences. Le résultat principal de cette première section est que, du point de vue syntaxique, car et puisque sont beaucoup plus Tune de l'autre que de parce que (conclusion qui s'oppose à la classification traditionnelleen conjonctions de subordination et de coordination). La deuxième partie du travail - la plus longue - est consacrée à la description sémantique des trois conjonctions, étudiées l'une après l'autre: nous essayons par là d'apporter une explication, au moins partielle, des phénomènes syntaxiques. Dans cette description, nous utilisons deux concepts théoriques, qui seront expliqués au moment où ils seront mis en œuvre. D'abord le concept d'«acte de parole», emprunté à la «philosophie analytique» anglaise: nous montronsque le locuteur «fait autre chose» lorsqu'il emploie parce que, car ou



1: Le groupe X-\ («Logique et langage») rassemblait à l'intérieur de l'lnstitut National de Recherches et de Documentation Pédagogiques (1.N.R.D.P.), des professeurs de français et de mathématiques réfléchissant sur les rapports possibles entre l'enseignement de la langue et celui de la pensée logique. Le présent article, issu du travail collectif, a été rédigé par un sous-groupe comprenant M. C. Barbault, O. Ducrot, J. Dufour, J. Espagnon, C. Israel, D. Manesse. Le groupe a été dissout en 1974.

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puisque, en ce sens qu'il établit dans chaque cas, avec son auditeur, des rapports d'un type spécifique. Le second concept est celui de «statut assertif». Il désigne l'attitude intellectuelle du locuteur, et celle qu'il prête à l'auditeur, à l'égard des propositions reliées par car, puisque, parce que. Les tient-il pour vraies? Fait-il comme si le locuteur les admettait déjà? Prétend-il les lui annoncer ?..., etc. De ce point de vue aussi, les trois conjonctions sont très différentes l'une de l'autre.

Nous serions très reconnaissants aux lecteurs qui voudraient bien nous communiquer leurs observations (critiques, compléments, suggestions) à propos de cet article. Nous aimerions notamment qu'ils nous signalent des emplois réels des trois conjonctions étudiées (exemples tirés de textes littéraires, de manuels, de conversations, de copies d'élèves) où notre description se révèle soit éclairante, soit impossible à appliquer.

Application des critères syntaxiques aux conjonctions car, parce que, puisque

I. Examen des critères qui opposent car à parce que et puisque:
Ils sont, apparemment, au nombre de trois :

A. Alors que parce que et puisque peuvent se trouver en début d'énoncé,
car a toujours besoin d'un avant-texte :

Puisque tu me le dis, je le crois.
Parce qu'il a eu son bac du premier coup, il se croit un génie.

Mais on ne dit pas *Car il fait beau, je vais sortir. S'il arrive qu'on trouve
car après un point, ou même en début de paragraphe, cela ne contredit pas
l'affirmation précédente, p existe toujours dans le texte précédent car q.

B. Parce que et puisque peuvent se combiner sans difficulté avec et. Car
ne le fait pas.

C. Parce que et puisque sont normalement repris, si besoin est, par que;
car ne l'est pas.

Remarques:

De ces trois critères, seul le premier est convaincant. Effectivement, l'ordre
«car q, p» est absolument impossible. Aucune faute n'est commise sur ce
point, quel que soit le registre de langue employé.

Mais on peut se demander si la règle qui interdit le cumul et car, ainsi
que la reprise de car par que traduit une réelle contrainte linguistique ou si

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elle n'est pas une simple conséquence tirée abusivement par les grammairiens de leur propre classification: «Si car est une conjonction de coordination, alors on ne peut pas la faire précéder d'une autre conjonction de même nature et on ne peut pas non plus la reprendre par que qui est une conjonctionde

Or que se passe-t-il dans la réalité de la langue?

Je préfère la mobylette, car ça revient moins cher que de prendre le bus matin
et soir, et que ça ne consomme pas beaucoup.

J'aime beaucoup ce livre, car il est passionnant, et que les histoires sont à la
fois mystérieuses et très différentes les unes des autres.

La plupart des locuteurs de moins de 25 ans n'y ressentent aucune gêne. Et bien des locuteurs «cultivés», tout en répugnant eux-mêmes à dire et à écrire de telles phrases, reconnaissent qu'ils ne voient pas comment on pourrait exprimer autrement deux justifications successives à un même énoncé.

On peut donc s'interroger sur le bien-fondé de la règle qui condamne la reprise de car par que. Son caractère artificiel s'expliquerait, en revanche, si l'on constatait que la classification de car dans les conjonctions de coordination est le résultat d'un examen très superficiel et incomplet de ses propriétés. Le fait qu'il ne peut commencer un énoncé ne serait alors qu'une propriété secondaire, découlant d'une autre plus fondamentale, qui serait la nature de l'acte d'énonciation accompli en disant p car q^ Si cet acte est, comme nous le verrons, une justification d'énonciation, il devient tout naturel que le locuteur commence par énoncer ce qu'il a à dire, et ne se soucie qu'ensuite d'apporter une justification à ce qu'il a dit.

11. En revanche plusieurs critères syntaxiques importants font apparaître
une similitude intéressante de fonctionnement entre car et puisque par opposition
à parce que:

A. Les propositions introduites par car et puisque:
-ne peuvent répondre àla question pourquoil} On ne dit pas:

* Pourquoi le triangle ABC est-il rectangle? Puisqu'il a un angle droit.
* Pourquoi est-il parti? Car il était fatigué.

- ne peuvent être extraposées, ni mises en question. On ne dit pas:

* C'est car il a trop mangé qu'il est malade .
* C'est puisqu'il a un angle droit que le triangle ABC est rectangle.

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* Est-ce puisqu'il est malade qu'il ne peut pas sortir?
* Est-ce car sa voiture est en bas qu'il est là ?

- ne peuvent être modifiées par un adverbe :

* II est sorti, simplement car le médecin le lui avait dit.
* II ne peut pas parler, probablement puisqu'on l'a bâillonné.

Les propositions introduites par parce que, en revanche, admettent toutes
ces situations :

Pourquoi le triangle ABC est-il rectangle? Parce qu'il a un angle droit.
C'est parce qu'il a trop mangé qu'il est malade.
Est-ce parce qu'il est malade qu'il ne peut pas sortir?
Il ne peut pas parler, probablement parce qu'on Ta bâillonné.

B. D'autre part les groupes (p car q) et (p puisque q) ne peuvent, sans éclater sémantiquement, ni être soumis à une négation, ni être mis en question, ni se prêter à l'enchâssement (c'est à dire devenir, en bloc, la subordonnée d'une autre proposition), ni entrer dans le champ d'un quantificateur.

a) Si on applique aux phrases:

II viendra demain, puisqu'il l'a promis.
Il est sorti, car il est 10 heures.

la transformation négative ou interrogative, on obtient:

II ne viendra pas, puisqu'il l'a promis.
Il n'est pas sorti, car il est 10 heures.

Est-ce qu'il viendra? puisqu'il l'a promis.
Est-ce qu'il est sorti? car il est 10 heures.

Phrases dans lesquelles ce qui est nié, ou mis en question, c'est seulement
la première proposition, celle que nous appelons p, et non le bloc {p car q)
ou {p puisque q).

En désignant par «//» les transformations interrogatives ou négatives de
/>, on a:

p' car q

p' puisque q

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b) Si on essaye de transformer les phrases :

II était parti, car sa voiture n'était pas là.
Il est là, car sa voiture est en bas.

en subordonnées d'une autre proposition, on obtient par exemple :

J'ai compris qu'il était parti, car sa voiture n'était pas là.
Je suis sûr qu'il est là, puisque sa voiture est en bas.

Phrases dans lesquelles on a seulement enchâssé p et non (p car q) ni (p puisque q). C'est-à-dire que les membres de phrase introduits par car et puisque sont sentis comme l'explication ou la justification de J'ai compris que p et de Je suis sûr que p et non plus de il était parti ou de il est là. Si nous appelons «p' », la proposition principale suivie de p, on a à nouveau : p' car g, p' puisque q.

c) Si l'on introduit un quantificateur au début de phrases comme:

Les clients viendront, puisqu'il fait beau.
Les clients viendront, car il fait beau.

on obtient:

Peu de clients viendront, puisqu'il fait beau.
Beaucoup de car
Quelques

phrases dans lesquelles il apparaît que le quantificateur a joué sur p {les
clients viendront) et non sur l'ensemble du bloc {p car q) ou (p puisque q).

D'une manière générale, on peut donc dire que des blocs (p car q) et (p puisque q), on ne peut rien faire. Sous l'effet des transformations ils éclatent obligatoirement en leurs deux composants. On a d'une part un p modifié en p' par négation, question, enchâssement, quantification, et d'autre part un car q ou un puisque q qui s'applique au p' ainsi obtenu.

Le comportement du bloc p parce que q est différent:

Les transformations examinées donnent, dans chaque cas, une phrase
ambiguë dont l'une des interprétations fait toujours apparaître l'intégrité
du bloc p parce que q.

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1. Transformation négative :// pleure parce qu'il est seul donne ://ne pleure
pas parce qu'il est seul.

lère interprétation: II ne pleure pas, et c'est parce qu'il est seul (et qu'il
n'y a personne pour le regarder) :

p' parce que q, donc rupture du bloc

2ème interprétation: Ce n'est pas parce qu'il est seul qu'il pleure (mais
pour une autre raison) :

non (p parce que q) : conservation du bloc

2. Transformation interrogative: // viendra parce qu'il Va promis donne:
Est-ce qu'il viendra parce qu'il ïa promis?

lère interprétation: Est-ce qu'il viendra? et je pose la question parce que
sa promesse me donne l'espoir de sa venue.

p' parce que q (éclatement du bloc)

2ème interprétation: Est-ce que la cause de sa venue sera sa promesse?

est-ce que {p parce que q) (conservation du bloc)

Le schéma intonatif est nettement différent dans les deux interprétations
après p, la seconde fait porter la modulation interrogative sur tout l'énoncé.

3. Enchâssement: // Vépouse parce qu'elle est riche donne: Jai peur qu'il
ne Vépouse parce qu'elle est riche.

Ici encore, deux interprétations sont possibles : J'ai peur qu'il ne l'épouse,
et la cause de ma crainte est l'argent de la fiancée (rupture du bloc).

J'ai peur que la cause de son mariage ne soit l'argent de sa fiancée. (J'ai
peur que (p parce que q) : conservation du bloc).

4. Quantification: Les clients viendront parce qu'il fait beau donne: Peu de
clients viendront parce qu'il fait beau.

Il y a toujours deux interprétations: Peu de clients viendront, et cela
parce qu'il fait beau (rupture du bloc).

Pour peu de clients, la raison de leur venue sera le beau temps (conservation
du bloc).

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Conclusion:

La classification traditionnelle qui oppose car, conjonction de coordination, à parce que et puisque, conjonctions de subordination, est superficielle et inadéquate. La véritable opposition syntaxique se situe entre parce que d'une part, et car et puisque de l'autre.

Quelle explication convient-il de donner aux faits de syntaxe ainsi mis en
lumière? Qu'est-ce qui peut expliquer, en particulier sur le plan sémantique,
l'originalité de parce quel

Nous avons cherché une réponse à ces questions dans l'étude des actes ¿renonciation accomplis, leur nombre, leur nature, ainsi que dans l'étude du statuì asserti/ des propositions p et q que le locuteur met en relation au moyen des conjonctions car, parce que et puisque2.

Les actes d'énonciation et le statut assertif des différents éléments sémantiques

La thèse générale qui va être défendue ici est que, du point de vue de l'activité d'énonciation, la conjonction parce que a une fonction radicalement différente de celle des conjonctions car et puisque, cette différence étant en relation avec les particularités syntaxiques relevées au paragraphe précédent. Nous essayerons, d'autre part, de lier le rôle énonciatif des trois conjonctions et les attitudes que leur emploi implique quant à la vérité ou à la fausseté des propositions qu'elles unissent; ce sont ces attitudes que nous désignons sous la rubrique « statut assertif».

Le caractère spécifique de parce que, par rapport à car et puisque, tient
à ce qu'il constitue un «opérateur». Car ti puisque en revanche, sont des
«marqueurs d'actes de paroles».

Nous entendons par là que parce que sert à constituer, à partir des deux idées p et q qu'il relie, une idée nouvelle, à savoir l'idée d'une relation de causalité entre p et q (il est analogue, de ce point de vue, aux opérateurs ou, et ..., etc., du calcul propositionnel, qui, à partir de deux propositions, forment une proposition nouvelle).

En revanche, car et puisque ne servent pas à constituer une nouvelle idée,
mais à accomplir un acte de parole (acte de justification ou d'inférence) :



2: On trouvera une tentative semblable, menée d'après des principes un peu différents, dans R. Martin: «Le mot puisque: notions d'adverbe de phrase et de présupposition sémantique», Studia Neophilologica, 1973, p. 104-114.

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ils marquent que le locuteur effectue, à l'occasion et au moyen de ces idées,
une activité de parole particulière.

Avant de présenter les descriptions de parce que, car et puisque, il faut rappeler rapidement la théorie des actes de parole sur laquelle nous nous appuyons. Selon cette théorie (élaborée, notamment, par Austin et Searle) on doit distinguer, dans toute énonciation, Y acte accompli* et le contenu sur lequel porte cet acte.

Ainsi, en disant : Est-ce que Pierre viendra ?, Pierre viendra, Que Pierre vienne, on accomplit, à propos du même contenu, ou si l'on préfère, de la même idée (venue future de Pierre), trois actes différents, ceux d'interroger, d'affirmer et d'ordonner. Ces actes sont signalés ici, respectivement, par le morphème Est-ce que, et par les modes indicatif et subjonctif.

Si le premier de ces actes est assez facile à reconnaître, il n'en est pas de même des deux derniers, car l'indicatif et le subjonctif, en français, ont bien d'autres usages que de marquer l'affirmation et l'ordre. En disant Je me demande si Pierre viendra ou Pierre viendra s'il fait beau, on n'accomplit aucun acte d'affirmation relativement à la venue de Pierre. Et on n'ordonne certainement pas qu'il vienne en disant Je crains que Pierre ne vienne. D'une façon plus générale, l'indicatif et le subjonctif peuvent figurer dans des propositions syntaxiquement ou sémantiquement dépendantes, qui ne sont donc, en elles-mêmes, l'objet d'aucun acte particulier. Mais l'absence d'une marque qui serve exclusivement à indiquer l'ordre ou l'affirmation n'empêche pas que ces actes soient, dans certains contextes, indiqués sans la moindre ambiguïté. C'est, selon nous, ce qui se passe dans les trois enonciations prises pour exemples au début de ce paragraphe.

Dans ces trois énonciations, nous sentons qu'il est question d'une venue
future de Pierre. C'est cet élément commun que nous appellerons leur
contenu.

Si l'on choisit, en outre, de symboliser par I, A, O, les actes d'interroger,
d'affirmer et d'ordonner4, et si, enfin, on convient d'écrire entre guillemets



3: Pour être plus exact, il faudrait préciser: «acte illocutoire»: nous ne tenons pas compte ici de ce qu'on appelle «actes locutoires» et «actes perlocutoires». On trouvera la définition de ces termes dans certains dictionnaires de linguistique par exemple dans le Dictionnaire encyclopédique des sciences du langage de O. Ducrot et T. Todorov (Editions du Seuil) et dans le Dictionnaire de linguistique de J. Dubois et al. ("Larousse")

4: II y a, bien sûr, beaucoup d'autres actes de parole - Une certaine forme de négation dite «métalinguistique» constitue, par exemple, un acte, et nous allons introduire, par la suite, l'idée d'un acte de justification.

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le contenu visé par ces actes, on symbolisera les trois énonciations par les
formules :

- I «venue future de Pierre»
- A «venue future de Pierre»
- O «venue future de Pierre»

Reste le problème de savoir si l'on doit attribuer ce même contenu à toute énonciation où il est question, d'une façon ou d'une autre, de la venue future de Pierre. Considérons, par exemple, Jacques ne sait pas si Pierre viendra et Jacques partira pour que Pierre vienne. S'il nous paraît impossible d'attribuer à ces derniers exemples, le seul contenu «venue future de Pierre», c'est que l'acte de parole effectué ne concerne plus, ici, la venue de Pierre. Le locuteur ne prend, vis-à-vis d'elle, aucune attitude, ni interrogative, ni affirmative, ni imperative. Il ne s'engage pas par rapport à elle, mais par rapport à l'éventualité qu'elle soit mise en doute ou recherchée par Jacques. En reprenant nos conventions, nous devons écrire :

A «ignorance de Jacques à propos d'une venue future de Pierre»
A «départ futur de Jacques en vue d'une venue future de Pierre»

Une telle représentation a cependant pour défaut de ne pas faire apparaître qu'il y a, entre les cinq énonciations considérées, ce point commun qu'elles concernent toutes, d'une certaine façon, une éventuelle venue de Pierre. C'est pour tenir compte de ce fait que nojisallons faire intervenir la notiôa d'« opérateur».

Au lieu de considérer les contenus des deux dernières énonciations comme des blocs inanalysables, nous ferons l'hypothèse qu'ils sont obtenus par la fusion de contenus plus élémentaires : « Ignorance de Jacques à propos d'une venue future de Pierre » par exemple, résulte de l'amalgame des deux idées «ignorance de Jacques» et «venue future de Pierre», cet amalgame étant produit par un opérateur particulier, représenté dans la phrase par le morphème si et signifiant que la deuxième proposition est l'objet de la première. On pourrait ainsi admettre la représentation:

A «(ignorance de Jacques) OBJET (venue future de Pierre)»

De la même façon, on supposera un opérateur BUT, représenté par la
conjonction pour que, et signifiant que la deuxième proposition indique la
finalité de l'événement signalé dans la première. On aura alors:

A «(départ futur de Jacques) BUT (venue future de Pierre)»

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De cette façon, nous aurons fait apparaître que le contenu «venue future de Pierre» est, d'une certaine façon, présent dans les cinq énonciations envisagées. Mais nous marquons en même temps une différence importante. Dans les trois premières, il constitue le contenu de renonciation, l'objet de l'acte. Dans les deux dernières, en revanche, il n'est ni ce contenu, ni même une partie isolable de ce contenu, mais un élément à partir duquel le contenu a été construit.

On voit ce que nous entendons par «opérateur». C'est une relation intellectuelle
ayant pour propriété d'engendrer un contenu nouveau lorsqu'elle
est appliquée à des contenus plus élémentaires.

Le point important pour ce qui va suivre, c'est que l'opérateur ne fait pas sortir du domaine du contenu. Il ne concerne pas l'activité de parole elle-même. Ce n'est pas l'opérateur qui marque l'ordre, l'interrogation, l'affirmation. 11 sert à constituer ce qui est ordonné, mis en question, affirmé.

I. p parce que q

Revenons maintenant à parce que. Nous le décrirons comme un «opérateur», au sens défini plus haut. C'est dire que nous considérons son action comme entièrement intérieure au domaine du contenu. Agissant sur deux contenus X et Y, il constitue à partir d'eux une idée nouvelle, l'idée d'une action causale de Y par rapport à X, idée que nous symbolisons par

X CAUS Y

(le symbole CAUS représente ici la relation «avoir pour cause» comme
BUT représentait, plus haut, la relation «avoir pour but»).

Si donc on a une phrase affirmative p parce que q (ex. Jacques est parti parce que Pierre est venu), son caractère assertif n'est nullement lié à parce que, il est lié à la présence de l'indicatif dans la proposition principale, présence qui peut être, en français, une marque de l'affirmation. Et l'acte d'affirmation accompli en prononçant cette phrase concerne le contenu: «p CAUS q» (p a pour cause q). Autrement dit, le locuteur prend une attitude affirmative, ou engage sa responsabilité, en ce qui concerne l'existence d'une relation de causalité liant q h p; ce que nous représenterons par la formule :

A «p CAUS q»

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Mais le contenu engendré par parce que peut aussi bien être l'objet d'une
interrogation ou d'un ordre:

Aime-le parce qu'il est bon (et non parce qu'il est riche)
Pierre est-il venu parce que tu le lui as demandé ? (ou est-ce pour une autre raison ?)

Si cette description est juste, l'emploi d'une phrase du type p parce que q constitue un seul acte de parole: acte qui consiste à affirmer (ou à mettre en question, ou à ordonner) l'existence d'un lien de causalité entre q et p. Et c'est bien, nous semble-t-il, ce que l'on observe en général.

Il y a cependant un certain nombre de cas où renonciation d'une telle phrase implique l'accomplissement successif de deux actes de parole (il y a alors, ou au moins il pourrait y avoir, une pause ou, en langage écrit, une virgule, entre p et parce que q). Nous laissons de côté, provisoirement, ces situations et nous examinerons d'abord les cas où, d'une façon claire, l'acte de parole est unique.

A. Un seul acte de parole

La constitution du contenu «p CAUS q » peut s'opérer de deux façons différentes,
selon que q est lié par causalité soit à la totalité de p, soit seulement
au prédicat de p.

Cette alternative apparaît de façon nette lorsque le sujet de p contient
un quantificateur {quelques, peu, la plupart, tous). On s'aperçoit facilement
en effet, que l'énoncé:

Peu de gens sont venus parce qu'il faisait beau

est susceptible de deux interprétations tout à fait différentes : le beau temps peut être présenté soit comme la cause pour laquelle la réunion a attiré seulement peu de gens (interprétation 1) soit comme une cause de venue, valable pour peu de personnes seulement, la plupart des gens étant venus pour une autre cause (= «il y a peu de gens tels que la cause de leur venue soit le beau temps»). C'est l'interprétation 2.

Ces interprétations correspondent, respectivement, aux découpages:

1 - Peu de gens sont venus ¡ parce qu'il faisait beau
2 - Peu de gens | sont venus parce qu'il faisait beau

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On remarquera que seule la première lecture est possible lorsque la subordonnée
causale est mise en relief à l'aide du tour c'est ... que:

C'est parce qu'il faisait beau que peu de gens sont venus.

En revanche, la 2ème interprétation est la seule possible dans le tour :

II y a peu de gens qui soient venus parce qu'il faisait beau.

Que l'opérateur causal représenté par parce que réunisse les propositions p et q ou bien qu'il rattache la seconde seulement au prédicat de la première, dans les deux cas la phrase totale comporte un contenu unique, qui est l'objet, en bloc, d'un acte de parole unique, d'un engagement unique du locuteur. Sur la nature même de la relation de causalité, qui peut prendre de nombreuses nuances (motif, mobile, raison, prétexte, occasion, condition ..., etc.) nous renvoyons à l'essai d'analyse présenté dans Recherches Pédagogiques, n° 56, 1973, p. 93-99.

Ce que nous voudrions étudier ici, ce sont les «attitudes intellectuelles prêtées par le locuteur à l'auditeur» lorsqu'une relation de causalité fait l'objet d'un acte d'affirmation. En disant p parce que q, quelles croyances suppose-t-on ou fait-on semblant de supposer chez le destinataire, concernant p, concernant q, et concernant le lien de causalité censé les réunir?

a) Sur le premier point (statut assertif de p) il y a peu de difficultés : L'affirmation que p a pour cause g, dans la formule p parce que q, prend toujours pour accordée la vérité de p. On part de p, considéré comme une donnée incontestée, et on en présente ensuite l'origine q. C'est ce qu'on exprime en disant que l'affirmation/? parce que q revient à «expliquer» p: or il n'y a de sens à expliquer un fait à quelqu'un que si l'on est, préalablement, d'accord avec lui sur la réalité même de ce fait. La même idée apparaît encore lorsqu'on dit que parce que répond à la question pourquoi! En affirmant à un enfant :

Tu es malade parce que tu as trop mangé

on fait comme si l'enfant avait posé, ou s'était posé, la question :

Pourquoi suis-je malade?

Mais, dans la mesure où une telle question présuppose déjà la réalité de la
maladie, il est clair que la réponse à cette question contient, elle aussi, le

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même présupposé. Cette adhésion préalable à p est tellement liée à l'emploi de parce que qu'elle subsiste même si la phrase est modalisée par un peutêtre.En disant Jean est peut-être venu parce qu'il fait beau, je maintiens que Jean est venu, le doute ne concerne que la cause.

On devine le profit que la publicité ou la propagande peuvent tirer de ce phénomène. Au lieu d'affirmer brutalement un fait - ce qui pourrait susciter l'idée qu'il est contestable - on en propose une explication - ce qui fait apparaître le fait lui-même comme hors de doute:

Nous vaincrons parce que nous sommes les plus forts.
Nos produits sont les moins chers parce qu'ils sont les plus vendus.

Cette présupposition du fait p dans l'affirmation de causalité permet de
distinguer sémantiquement les deux tournures :

p parce que q
q; aussi p
Je suis sorti parce qu'il faisait beau
II faisait beau; aussi suis-je sorti.

Certes, dans les deux cas, q est donné pour l'origine de p, le beau temps pour origine de la sortie. Mais lorsqu'on emploie parce que, la sortie est considérée comme un fait déjà connu, que l'on cherche à expliquer. L'orientation est tout à fait différente lorsqu'on choisit le tour consécutif, marqué par aussi. Dans ce cas la sortie est annoncée^ eLannoncée À-pariir-du beau temps, dont on prétend seulement signaler les conséquences. Bien que les informations objectives impliquées par les deux énoncées soient sensiblement équivalentes (l'un ne peut pas être vrai ou faux sans que l'autre le soit aussi), le mouvement de pensée est tout à fait différents.



5: Pour établir une antithèse totale entre phrases causales et phrases consécutives, il aurait fallu dire que, dans le deuxième cas, c'est le fait origine qui est présenté comme connu. Mais ce n'est pas exact. En disant: II faisait beau, aussi suis-je sorti, je ne présuppose pas le beau temps; au contraire, je peux très bien l'annoncer à mon auditeur. Cela est à mettre en relation avec le fait que les marques de la consécution, en français, ne sont jamais des conjonctions de subordination du type de parce que {aussi, par conséquent et de sorte que se comportent syntaxiquement comme car et puisque si l'on utilise les critères de la première partie de cette étude). L'énonciation d'une phrase du type q par conséquent p q aussi p q de sorte que p comporte toujours l'accomplissement de deux actes: le locuteur s'engage succès- sivement sur q et sur p. On notera, d'autre part, qu'il n'y a pas, en français, de mot simple qui signifie «indiquer les conséquences» au sens où expliquer signifie «indiquer la cause». De même, il n'existe pas de mot interrogatif simple qui permette de demander les conséquences d'un fait au sens où Pourquoi"! sert à demander les causes. (On doit recourir à des expressions du type: Et puis?, Et alors?, Et après?).

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b) En ce qui concerne q, aucune contrainte n'est liée à l'emploi de parce que.
Nous voulons dire par là que le locuteur ne présente pas nécessairement q
comme déjà connu de l'auditeur, ni davantage comme inconnu :

Je l'aime parce qu'il est gentil avec moi.

La gentillesse de la personne en question peut être, avant cette affirmation,
ignorée du destinataire, qui en entend parler pour la première fois.

Certes, si l'auditeur refuse d'admettre la vérité de q, il ne pourra pas, a fortiori, tenir q pour cause de p (autrement dit, un énoncé du type : p parce que q «implique», parmi ses multiples conséquences, la vérité de q). Mais il n'est pas nécessaire que l'auditeur connaisse déjà le fait décrit par q pour qu'il y ait un sens à lui annoncer p parce que q: on peut très bien lui apprendre en même temps, et la réalité de q, et que cette réalité explique p (autrement dit, selon la terminologie des philosophes du langage, l'énoncé p parce que q ne «présuppose» pas q).

Cependant, si le fait constituant la cause peut être nouveau pour le
destinataire, rien n'exige qu'il le soit: il peut très bien être déjà connu de
celui à qui l'on s'adresse, ou même être de notoriété publique:

Je suis là parce que tu m'as appelé, et non pour mon plaisir

Dans ce cas, l'effet étant, par nécessité, présenté comme un donné, comme
un acquis, tout ce que l'auditeur apprend, en entendant l'énoncé, c'est le
rapport qui unit deux faits, déjà reconnus individuellement.

c) Ce qui est toujours annoncé, en effet, c'est la relation de causalité ellemême.
C'est elle qui est présentée comme l'objet de la communication.

Si p doit être déjà connu de l'auditeur, et si q peut l'être, le lien entre p
et q doit, en revanche, être présenté comme un apport d'information nouvelle.

Ainsi s'expliquent certains faits syntaxiques présentés dans la première
partie de cette étude. On comprend par exemple qu'un énoncé formé avec
parce que puisse être, en bloc, nié :

II ne l'aime pas parce qu'elle est riche (mais parce qu'elle a de beaux yeux)



5: Pour établir une antithèse totale entre phrases causales et phrases consécutives, il aurait fallu dire que, dans le deuxième cas, c'est le fait origine qui est présenté comme connu. Mais ce n'est pas exact. En disant: II faisait beau, aussi suis-je sorti, je ne présuppose pas le beau temps; au contraire, je peux très bien l'annoncer à mon auditeur. Cela est à mettre en relation avec le fait que les marques de la consécution, en français, ne sont jamais des conjonctions de subordination du type de parce que {aussi, par conséquent et de sorte que se comportent syntaxiquement comme car et puisque si l'on utilise les critères de la première partie de cette étude). L'énonciation d'une phrase du type q par conséquent p q aussi p q de sorte que p comporte toujours l'accomplissement de deux actes: le locuteur s'engage succès- sivement sur q et sur p. On notera, d'autre part, qu'il n'y a pas, en français, de mot simple qui signifie «indiquer les conséquences» au sens où expliquer signifie «indiquer la cause». De même, il n'existe pas de mot interrogatif simple qui permette de demander les conséquences d'un fait au sens où Pourquoi"! sert à demander les causes. (On doit recourir à des expressions du type: Et puis?, Et alors?, Et après?).

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L'énoncé affirmatif: // l'aime parce qu'elle est riche ayant pour objet unique6 d'annoncer le lien unissant les deux propositions, il sera possible de le nier dans sa totalité, la négation consistant justement à nier la relation qui fait de lui une unité de sens, à nier que la richesse soit cause de l'amour.

De la même façon, on comprend que la phrase causale puisse être, en
bloc, utilisée comme subordonnée et enchâssée dans une principale:

J'ai peur qu'il ne l'aime parce qu'elle est riche.

Si cela est possible, c'est que la phrase causale a une unité sémantique: la
relation affirmée entre // Vaime et Elle est riche. Et c'est ce lien qui est l'objet
de la peur indiquée dans la principale:

= J'ai peur qu'il n'y ait un lien de cause à effet entre .

Il y a une analogie, de ce point de vue, entre parce que et les opérateurs de la logique élémentaire. Lorsque le logicien écrit «p -> q» (ce que l'on traduit approximativement, en langue ordinaire, par «p implique q») il ne prend aucun parti ni par rapport à q, ni par rapport à p. Tout ce qu'il annonce c'est une certaine relation entre eux, qui fait que si le premier est vrai, le second l'est aussi. Et si l'énoncé p -> q est à son tour l'objet d'un autre opérateur, si, par exemple, on le nie («il est faux que p implique q»), c'est ce lien qui est nié.

La différence essentielle est que l'énoncé p parce que q, tout en annonçant seulement le rapport des^ttetra faits, nous favoñs dîF, que Taudîteur admette déjà p (cette admission préalable étant cela même qui permet de parler d'un acte d'explication). Mais cette sorte d'engagement vis-à-vis de p reste implicite, et ne se situe pas au niveau de ce qui est annoncé. Quant à la nécessité de croire q, elle découle logiquement, une fois p considéré comme incontestable, de la causalité affirmée entre p et q.

B. Deux actes de parole

Dans ce qui précède, nous avons supposé que l'énoncé p parce que q était
prononcé ou écrit d'un seul tenant, sans pause ni virgule avant parce que.



6: Nous ne voulons pas dire, bien sûr, que le locuteur, quand il utilise un tel énoncé, a pour seule motivation psychologique de signaler la relation entre le fait de la principale et celui de la subordonnée. Il peut très bien avoir pour intention de faire connaître «par la bande» l'un ou l'autre de ces deux faits - qu'il ne veut pas affirmer directement. Mais il reste qu'en utilisant cet énoncé, il présente (mensongèrement ou non) cette relation comme l'information donnée à l'auditeur.

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En fait, il arrive très souvent que p soit séparé de la suite, cette séparation marquant qu'il fait l'objet d'un acte de parole particulier, auquel succède un second acte de parole lors de renonciation parce que q. Cette possibilité permet d'expliquer un certain nombre de faits apparemment contradictoires avec le paragraphe précédent.

a) II arrive que p soit annoncé:

Tu seras malade, parce que tu as trop mangé.

Il est hors de doute qu'un tel énoncé peut s'employer pour annoncer à quelqu'un, pour l'avertir, qu'il va être malade. Comment concilier cette observation avec notre description selon laquelle le fait exprimé dans la proposition principale, p. est «supposé connu»?

Nous dirons que, dans ce cas, l'énoncé p, parce que q est une sorte de
raccourci, de condensé de deux énoncés successifs :

p (tu seras malade)
p parce que q (tu seras malade parce que tu as trop mangé)

En d'autres termes, nous supposons que le locuteur commence par affirmer p. Ensuite, prévoyant, ou faisant semblant de prévoir, une question de l'auditeur (pourquoi p?) il répond par une explication : p parce que q. Simplement, il omet de répéter /?, dont les deux occurrences profondes se trouvent ainsi amalgamées, en surface, en une seule.

Si l'on admet cette interprétation, il devient possible de maintenir ce qui a été dit précédemment sur le caractère «déjà connu» de p. Dans le deuxième acte de parole, en effet, celui qui comporte parce que, la maladie future est bien présupposée. Plus exactement, on fait comme si l'auditeur l'avait admise, et comme s'il ne restait plus qu'à la lui expliquer.

b) II arrive que p ne donne pas une cause, mais une preuve :

II est malade, parce qu'il a de la fièvre.

Dans ce cas, parce que est à peu près équivalent à car: q ne constitue plus
une explication de p mais présente un argument attestant la vérité de p. Il
semblerait donc qu'il faille, ici encore, abandonner la description proposée.

Il serait évidemment possible de répondre, comme certains puristes, que
parce que est incorrect dans cette situation. Mais il nous semble plus in-

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téressant de chercher à comprendre un emploi aujourd'hui si fréquent, dans
la langue orale tout au moins.

Il faut maintenir alors que parce que q est une explication, mais qu'au
lieu d'expliquer le fait p, il explique renonciation de p par le locuteur. La
signification serait alors:

p
je dis p parce que q

Etant donné qu'on peut être amené à dire quelque chose parce que l'on croit cette chose vraie, l'explication de renonciation de p devient, par un glissement assez explicable, l'indication des raisons amenant à croire p, c'est-à-dire une argumentation en faveur de p.

A l'appui de cette description, on peut signaler le fait que parce que introduit non seulement des arguments en faveur de la vérité de p, mais parfois une justification de renonciation, absolument indépendante de toute considération concernant la vérité de/? 7:

Il est malade, parce que sans cela, tu risquerais d'aller le voir.

Le mécanisme psychologique illustré par cet exemple nous semble tout à fait comparable à celui supposé pour l'énoncé précédent. Le locuteur introduit, à l'aide de parce que, une explication du premier acte de parole accompli, p.

Cette explication peut consister à dire pourquoi on croit p vrai, et alors parm que semble annoncer mt argument. Mais «He peut aussi consister (c'est le deuxième exemple) à indiquer les motifs qu'on a de dire p plutôt que de le taire, et alors parce que semble annoncer une justification.

Mais dans les deux cas, la fonction de parce que q nous semble être d'expliquer
un acte précédent d'énonciationB.



7: C'est aussi le cas, et de façon encore moins contestable, lorsque p n'est pas un indicatif, mais un impératif ou un interrogatif: Va te promener! parce que j'en ai assez de te voir. On explique (et éventuellement on justifie) le fait que l'on ait donné un ordre. Est-il malade? parce que je le vois tout pâle. On dit pourquoi on a posé la question.

8: Cette double référence, au fait énoncé ou à son énonciation, s'observe fréquemment dans la langue. Certaines conjonctions qui, le plus souvent, relient deux faits, se trouvent relier aussi quelquefois un fait et renonciation d'un autre fait. C'est le cas pour donc. Donc relie deux faits dans: Le baromètre a baissé, il va donc pleuvoir. Donc relie renonciation d'un fait et un autre fait dans: Je suis allé à Paris, tu sais donc maintenant ce que j'ai fait.

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Ce qui justifie notre hypothèse c'est que la valeur argumentative ou justificative de parce que est seulement possible lorsqu'il y a eu accomplissement successif de deux actes de parole. Sinon, s'il n'y a eu qu'un seul acte, on reste dans Y explication au sens le plus étroit (on donne la cause du fait énoncé dans la première proposition).

II. p car q

1. Description générale

A l'inverse de ce que nous avons soutenu à propos de parce que, nous dirons que les énoncés du type p car q servent, en règle générale, à accomplir deux actes de parole successifs. Le premier consiste à énoncer/;, et le second, à fournir une justification du premier: renonciation de q se presente donc comme destinée à légitimer celle de p.

Cette définition générale doit maintenant être spécifiée selon les différents types de justification possibles par rapport à une énonciation. Dans certains cas, par exemple, il s'agira de justifier la façon dont le locuteur a dit ce qu'il a dit:

C'est un franc salaud, car il faut appeler les choses par leur nom.
C'est un phénomène idiosyncratique, car il faut bien employer les termes précis.

Le locuteur, ici, ne justifie pas le contenu de son énonciation, mais la forme qu'il lui a donnée. Il se justifie d'avoir choisi un énoncé plutôt qu'un autre parmi les diverses expressions possibles de la même idée. Dans les situations de ce type, la justification porte généralement (cf. nos deux exemples) sur tel ou tel mot particulier, mais il peut arriver aussi bien qu'elle porte sur tout l'énoncé.

A ces justifications «formelles» il faut opposer celles qui concernent l'acte de parole lui-même qui a été accompli dans la première énonciation. Après avoir fait une affirmation, posé une question, donné un ordre... on montre qu'on avait le droit d'agir ainsi :

Viens, car j'ai quelque chose à te dire.
Que s'est-il passé? car tu me dois des explications.
Pierre va venir demain, car il faut que tu sois au courant.

Pour comprendre de tels emplois de car, il faut se rappeler que, dans notre
société, il y a des règles qui régissent l'activité de parole. Il y a des situations

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où telle question apparaît comme une indiscrétion, tel ordre comme un abus de pouvoir, telle affirmation comme une intrusion autoritaire dans la pensée de l'autre. D'où la nécessité, parfois, de montrer qu'on était autorisé à accomplir les actes qu'on a accomplis.

Comme cas particulier de cette catégorie générale, on trouve le car argumentatif, celui qui sert à présenter q comme une raison de croire à la vérité de p. L'acte d'affirmation est en effet soumis, entre autres règles, à celle-ci que le contenu affirmé doit être vrai (c'est même là ce qui permet de distinguer l'affirmation de l'hypothèse). Aussi est-il souvent nécessaire, pour justifier un acte d'affirmation, de donner des arguments en faveur de ce que l'on a affirmé:

Pierre est chez lui, car ses fenêtres sont éclairées.

Bien que cet emploi de car soit sans doute le plus fréquent, il nous a semblé intéressant d'en faire un cas particulier d'une activité plus générale de justification - alors qu'on a souvent tendance à le considérer comme l'emploi fondamental. Car il n'y a aucune raison (sinon une certaine idéologie de la scientificité) à privilégier, parmi toutes les justifications de l'activité de parole, celles qui concernent la vérité de la chose dite. La considération de car montre au contraire que la langue, à un certain niveau du moins, rapproche la justification d'une affirmation au moyen d'un argument, et, par exemple, celle d'un ordre (justification qui peut consister à montrer qu'on a le droit de donner des ordres, ou que la chose ordonnée est utile à la personne à qui l'on s'adresse).

En décrivant car comme le marqueur d'un acte de parole spécifique, nous le distinguons radicalement de parce que, présenté précédemment comme un «opérateur». A la différence de parce que, car ne constitue pas, avec les deux énoncés qu'il relie, un «contenu» nouveau. Le rapport établi entre eux se situe seulement au niveau de l'activité de parole, renonciation de q étant présentée comme justification de celle de p. Il n'y a donc pas amalgame de deux idées élémentaires en une idée nouvelle, mais présentation de l'une, q, à l'appui de l'attitude prise à l'égard de l'autre, p.

Nous avions représenté un énoncé affirmatif du type p parce que q par
la formule:

A «p CA US q »

Un énoncé p car q, où p serait affirmatif, doit alors être représenté comme:

A «p», Jap «q»

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Dans cette formule, Jap «q» représente l'acte de justifier l'affirmation de
«p» à l'aide du contenu «q». Autrement dit, l'acte accompli en disant q
est une justification de l'affirmation de p.

On peut alors comprendre les particularités syntaxiques qui distinguent car et parce que. Ainsi il est impossible, nous l'avons vu, de nier le «bloc» p car q sans le faire éclater (// n'est pas sorti car il est dix heures, ne peut pas être compris comme niant l'ensemble : // est sorti car il est dix heures). C'est sans doute que la négation, qui est un opérateur9, transforme un contenu en un autre contenu: or, il n'y a pas, pour l'énoncé // est sorti car il est dix heures de contenu unifié auquel elle pourrait s'appliquer. Ce qui est uni par car, ce sont les actes de parole accomplis en énonçant successivement p puis q, ce ne sont pas les contenus de ces deux propositions.

On explique de la même façon pourquoi la subordination est impossible, pourquoi on n'a jamais. J'ai peur {qu'il ne Vépouse car clic est riche), mais seulement {J'aipeur qu'Une l'épouse) {car elle est riche). En effet l'enchâssement d'une subordonnée X dans une principale Y produit un nouvel énoncé Z ayant les deux propriétés suivantes :

i) - L'acte de parole lié à Z est celui de la principale. (Selon que la principale
Y est affirmative, interrogative, impérative, l'ensemble Z est, lui aussi,
affirmatif, interrogatif, impératif).

2) Le contenu de Z est une certaine fonction des contenus de XetdeY, combinés
par un opérateur. (A chaque conjonction de subordination est ainsi
associé un opérateur particulierlo.

Il résulte de ce qui précède, que la proposition X, pour pouvoir être enchâssée dans Y, doit posséder déjà un contenu unifié, qui sera combiné avec celui de Y. Mais ce n'est pas le cas si X est du type p car q: X ne possède alors, selon nous, aucune unité au niveau du contenu, il n'exprime pas une «idée» unique qui pourrait, ensuite, entrer en composition avec l'«idée» exprimée par Y.

Dernier exemple: la transformation interrogative est impossible. {Est-il
sorti, car il est dix heures 1 doit se comprendre comme: Est-il sortil} Car il



9: Cela est vrai seulement pour la négation dite «descriptive». La négation «polémique» ou «métalinguistique» constitue, elle, un acte de parole particulier. L'explication de son impossibilité est donc identique à celle donnée plus loin pour l'interrogation. Sur les deux négations, voir Recherches Pédagogiques n° 56, 1973, p. 99-106.

10: Par exemple nous avons, plus haut, associé à parce que un opérateur CAUS.

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est dix heures. La question proprement dite s'arrête après sorti). L'explicationest analogue à celle donnée pour la négation, la seule différence étant la suivante. Alors que la négation est un opérateur, qui transforme un contenu en un autre contenu, l'interrogation est un actell (le Est-ce que dans Est-ce que Pierre viendrai n'apporte aucune information mais marque seulement une attitude vis-à-vis du contenu Pierre viendra). Autrement dit, une phrase interrogative est du type I «X», où «X» représente un contenu, et I un acte de parole. Mais cette différence n'empêche pas que l'interrogation,comme la négation, doit s'appliquer à un contenu. (La contrainte est la même, bien qu'ayant des origines différentes: l'interrogation est un acte, et la négation un opérateur). On voit alors pourquoi le groupe p car q ne saurait être l'objet d'une question. C'est qu'il ne présente aucune unité au niveau du contenu mais seulement au niveau de l'activité de parole (le second acte est accompli «à propos» du premier). On exprimerait la même chose en disant que l'interrogation ne peut pas porter sur car, qui marque l'accomplissement d'un acte de parole: on ne peut pas plus interroger sur l'acte de justification que sur n'importe quel autre acte, ordre ou affirmation par exemple. (On ne dit pas: Est-ce que «Vietisi»? et la question Est-ce qu'il pleut ? ne signifie pas: Est-ce que j'affirme qu'il pleut?).

On trouve donc une origine identique pour les trois propriétés syntaxiques qui viennent d'être expliquées - et il serait facile d'étendre l'explication aux autres phénomènes signalés dans notre première partie. Ce qui est fondamental, c'est qu'en reliant deux propositions par^twv on ne constitue pas, à partir de leurs contenus, un contenu nouveau, possédant une unité propre, et qui pourrait être à son tour l'objet d'un opérateur, d'un enchâssement, ou d'un acte de parole. Car marque seulement une activité de parole. A ce titre il ne peut être l'objet d'une quelconque modificationl2.



11: Cette différence se reflète peut-être dans le fait que l'interrogation peut être marquée par une simple intonation, ce qui n'est pas le cas de la négation.

12: Cela n'empêche pas qu'après avoir énoncé p car q, on peut enchaîner avec un nouvel acte de parole, qui prend pour thème la justification accomplie au moyen de car. On peut avoir par exemple la chaîne: p car q. En effet r. (Il est là, car sa fenêtre est éclairée. En effet il ne sort jamais sans éteindre.) où r peut être un argument prouvant que q était une bonne justification de p. C'est qu'il ne s'agit pas, ici, de transformer l'acte marqué par car mais seulement de lui coordonner un nouvel acte, accompli à propos de lui.

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2. Le statut assertif

Supposons admise cette description générale de carl3, et demandons-nous
quel statut assertif possèdent, dans l'énoncé p car q, les éléments p et q,
ainsi que leur relation.

Si renonciation de/? a besoin d'être justifiée, il faut nécessairement qu'elle apparaisse comme l'objet d'une contestation possible. Si donc elle constitue une affirmation, et si la justification consiste à prouver que cette affirmation est vraie, il est impossible que p présente un fait déjà connu et admis par l'auditeur. Tout au plus peut-il s'agir d'un fait oublié, et que l'on rappelle. La différence avec parce que apparaît alors très nette. En effet p parce que q, en tant qu'acte d'explication, suppose que le destinataire est déjà au courant de p. On comprend, de ce fait, que car soit nettement privilégié par rapport à parce que lorsque l'énoncé est au futur et comporte la nuance d'incertitude liée à ce temps. Ainsi il serait difficile de remplacer car par parce que dans les deux énoncés suivants :

Tu seras malade, car tu manges trop.
Tu iras au cinéma, car tu as bien travaillé.

Bien que le contenu même des propositions p et q amène, dans les deux cas, à considérer q comme cause de p, on a beaucoup moins tendance à interpréter ces phrases comme des explications que comme des justifications. Les paraphrases les plus naturelles en seraient:

Je te prédis que tu seras malade, et je justifie cette prédiction en alléguant uae
cause habituelle de maladie.

Je te promets que tu iras au cinéma, et je justifie ma promesse en indiquant le
motif qui me détermine à la faire.

En ce qui concerne, maintenant, le statut assertif de q, la présence de car
impose peu de contraintes. Il est tout à fait possible, par exemple, que le
fait décrit par q soit nouveau pour l'auditeur:

Je ne pourrai pas venir, car je t'annonce que je pars en voyage demain.

Mais il peut s'agir aussi bien d'une information déjà connue de l'auditeur,
et qui lui est simplement rappelée :

Je ne pourrai pas venir, car (tu le sais) je dois partir en voyage demain,



13: Nous verrons par la suite qu'un glissement de sens fréquent fait passer, dans le cas de car, de la justification à l'explication.

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Deux contraintes seulement peuvent être formulées. La première, dont nous reparlerons par la suite, en opposant car et puisque, est que la vérité de q ne soit pas directement attestée dans la situation de discours ou s'insère le dialogue. Ainsi on envisage mal un énoncé comme:

Parle-moi, car tu es là.

C'est que les situations de discours habituelles rendent incontestables la vérité de Tu es là. Mais il suffit de remplacer la deuxième proposition par: Tu es là pour ça, pour que l'énoncé devienne tout à fait possible. C'est la même contrainte qui interdit d'utiliser car pour répéter un énoncé dont l'interlocuteur vient de se servir. Ainsi le dialogue qui suit n'est guère naturel :

Sais-tu qui viendra?
Oui, je le sais.
Hé bien! dis-le moi, car tu le sais.

Dans un grand nombre de cas où la proposition représentée par q est déjà connue du destinataire, elle consiste en une vérité générale, un proverbe, un principe de la sagesse des nations. Nous avons relevé par exemple des énoncés du type:

car un bienfait n'est jamais perdu.
car jamais deux sans trois.
car l'habit ne fait pas le moine.

Il n'y a là, on le voit, aucune infraction à la règle précédente. Bien que q, en effet, apparaisse ici comme une donnée incontestable, il ne tire pas sa vérité de la situation de discours elle-même, mais d'un fonds d'évidences antérieur au dialogue.

On notera enfin, c'est la deuxième contrainte, que q, même s'il est nouveau en fait pour l'auditeur, même s'il lui est annoncé, n'est pas présenté comme l'objet de l'acte de parole. Son énonciation est censée constituer seulement un moyen, dont la fin est de justifier renonciation de p. Autrement dit, un énoncé p car q se donne comme dirigé vers p, et non pas vers q. Il en résulte qu'il y a toujours quelque chose d'anormal, effet de style, ou manœuvre rhétorique, à choisir pour q un fait à la fois inconnu de l'auditeur et essentiel pour lui, autrement dit un fait dont la communication est en elle-même un événement. Plus généralement même, si q est nouveau, il faut que p soit, pour le destinataire, plus important que lui. Comme toute règle de langage,

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celle-ci est, bien sûr, fréquemment transgressée, mais sa transgression est significative. Elle peut servir à produire des effets comiques. Elle peut aussi permettre d'annoncer un fait q tout en ayant l'air de ne pas lui attacher d'importance, en faisant semblant de l'évoquer seulement «à propos» dep:

Ouvre une bouteille de champagne, car je viens d'être élu à l'Académie.

Le dernier point à considérer, dans cette étude du statut assertif, est la relation entre p et q. Nous avons dit, à propos de parce que, que le locuteur annonçait l'existence d'un lien de causalité. La situation nous semble inverse avec car. Le locuteur fait comme si, de toute évidence, q était une justification suffisante pour p. On n'annonce pas la valeur justificative de g, on se réfère à elle. Nous pouvons par là expliquer les précautions prises tout à l'heure pour formuler la description générale de car. Nous disions que car ne crée pas un contenu unifié nouveau à partir des deux énoncés p et q. 11 n'en doit pas moins exister un lien entre eux, que le locuteur exploite, en disant car. Seulement, il ne s'agit pas de construire une nouvelle proposition dont le thème serait la relation entre p et q. Car ne peut pas servir à établir une telle relation. Mais, au niveau de Vimplicite, l'emploi de car suppose qu'il y a une telle relation, suppose que la vérité de q rend acceptable renonciation de p. Alors que parce que posait la relation, car la joue. Pour le vérifier, il suffit de noter les manœuvres rendues possibles, dans l'emploi effectif de la langue, par la conjonction car. Elle peut servir à prendre l'interlocuteur au piège. La valeur justificative de q est alors présentée comme tellement certaine que le destinataire hésite à la discuter, sous peine de faire mettre en cause son intelligence ou sa loyauté à l'égard du groupe. Ou bien - c'est un procédé humoristique relativement fréquent - le locuteur choisit une justification q visiblement sans valeur et fait semblant, en employant car, de la tenir pour évidemment suffisante, ce qui rend encore plus criante l'insuffisance de la justification, et fait apparaître sa bêtise ou son danger.

Monsieur le baron était un des plus puissants seigneurs de Westphalie, car son
château avait une porte et des fenêtres. (Voltaire)
Je le crois fort sympathisant
Avec Messieurs les rats, car il a les oreilles
En forme aux nôtres pareilles. (La Fontaine)

3. Car explicatif

Dans tout ce qui précède nous avons donné pour fonction à car d'introduire
la justification d'un acte d'énonciation. Cela nous permettait de le distinguer

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radicalement de parce que dont l'emploi fondamental, selon nous, est d'introduire une explication. Mais il faut bien reconnaître que car sert souvent aussi à indiquer la cause d'un fait (Je vais chercher du pain, car il n'y en a plus). Il reste donc à montrer comment cet usage explicatif se dérive de l'usage justificatif, considéré comme premier.

Nous avions, on s'en souvient, effectué une démarche symétrique à propos de parce que: nous avions signalé le glissement qui fait passer - lorsque l'énoncé comporte deux actes de parole - de l'explication du fait à l'explication de renonciation, c'est-à-dire, dans bien des cas, à la justification de celle-ci. On pourrait représenter ce double mouvement par le schéma suivant:


DIVL5070

On comprend sans peine, alors, pourquoi, dans de nombreuses situations,
les deux conjonctions sont presque interchangeables.

Très souvent, le passage de la justification à l'explication a les mêmes raisons» jnais orientées en sens inverse-,- que le glissement symétrique observé à propos de parce que. Supposons que p soit l'affirmation d'un fait, et que car serve à justifier cette affirmation en montrant la vérité du fait. Il est très naturel alors d'énoncer, en g, un autre fait dont le premier est une conséquence nécessaire. Autrement dit, pour justifier renonciation p, on indiquera une cause du fait affirmé en p. C'est ce qui se passe dans l'énoncé :

Pierre viendra, car il a envie de te voir.

Le désir attribué à Pierre me permet de justifier ma prévision, mais, s'il le
permet, c'est qu'il représente une cause suffisante entraînant la venue de
Pierre.

La situation est quelquefois moins nette, dans la mesure où on ne peut
pas toujours supposer chez l'auditeur la volonté consciente de mettre en
question la vérité de p. Ainsi pour:

J'ai mal à la tête, car j'ai trop travaillé.

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II serait absurde - ou, en tout cas, excessif - de dire que la précision j'ai trop travaillé est destinée d'abord, ici, à prouver la réalité du mal de tête. Une explication plus nuancée est nécessaire. Il faut rappeler qu'un fait, même s'il n'est pas vraiment mis en question, n'est jamais pleinement «reconnu» tant qu'il n'est pas rapporté à une cause. Pour l'intégrer à notre représentation de la réalité, nous devons le relier à d'autres faits, lui enlever son caractère d'événement isolé. Nous n'avons donc pas besoin de dire - ce qui serait trop forcé - que le locuteur, dans l'énoncé précédent, cherche à convaincre son auditeur qu'il a réellement mal à la tête. Il suffit de dire que l'indication d'une cause renforce le fait affirmé, lui donne une vraisemblance supplémentaire en le sortant de son isolement. Il ne s'agit pas, à proprement parler, de le démontrer - car personne ne songe probablement à le mettre en doute - mais de lui enlever le caractère surprenant qu'il pourrait avoir s'il était posé î>aiii> explication.

Il y a cependant des cas où, même sous cette forme atténuée, notre thèse semble difficile à admettre, des cas où la valeur explicative de car semble première et impossible à dériver d'une signification plus fondamentale. Que l'on considère par exemple :

Je sors chercher du pain, car il n'y en a plus.

En donnant la cause de ma sortie, je ne cherche évidemment ni à prouver que cette sortie aura lieu, ni même à la rendre plus vraisemblable - puisqu'elle dépend seulement de moi, et que je suis justement en train de l'annoncer. Pour résoudre cette difficulté, il faut noter que la paroie, ici (et le cas» est bien fréquent), n'est pas totalement indépendante de l'action qu'elle énonce. Autrement dit, il n'y a pas deux activités successives et isolées, «dire qu'on va sortir» et «sortir». En fait, l'annonce de la sortie est déjà un composant de l'acte global de sortir. Si l'on admet cela, on comprend que l'indication // n'y a plus de pain soit non seulement explication, mais d'abord justification. Bien sûr, ce qui est justifié, ce n'est pas l'acte de parole, au sens étroit, la prononciation des cinq mots je sors chercher du pain. C'est l'activité d'ensemble dont cette énonciation est partie intégrante, dont elle constitue pour ainsi dire le côté verbal. Si donc on élargit la notion d'activité de parole, en y incluant, outre l'émission verbale proprement dite, les attitudes et les décisions liées à l'exercice de la parole, on peut maintenir que la conjonction car marque fondamentalement la justification d'une activité de parole, cette justification prenant parfois l'allure d'une explication.

Pour finir, nous noterons que cet emploi de car avec une valeur causale,
emploi où car est très proche de parce que, reste cependant limité par les

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contraintes de «statut assertif» analysées plus haut. Ce serait là un argument supplémentaire pour maintenir que les substitutions possibles entre car et parce que ne tiennent pas à une synonymie fondamentale, mais à des glissements occasionnels. Ainsi le car explicatif est assez peu naturel lorsque le fait à expliquer est, de façon évidente, déjà connu de l'auditeur et que l'explication ne comporte aucune trace de justification.

Supposons par exemple que A se vante auprès de B d'avoir réussi à faire venir un certain X à une réunion qu'il organise, et que B essaie de rabattre la satisfaction de A en disant que X est venu contraint et forcé. Le dialogue suivant aurait alors quelque chose de surprenant (anomalie atténuée si l'on remplace car par parce que) :

A - J'ai réussi à faire venir X.

B - Oui, mais il est venu, car il ne pouvait pas faire autrement.

Au moment où B prend la parole, la venue de X constitue un fait bien établi (puisque A vient de l'annoncer). La seule chose importante, pour B, est de donner la cause du fait, et on ne peut supposer aucune forme indirecte de justification analogue à celles évoquées plus haut. C'est pour cette raison, nous semble-t-il, que l'emploi de car est beaucoup moins naturel que celui de parce que.

Une autre contrainte relevée à propos de car concerne le lien entre p et q, qui doit, avons-nous dit, apparaître comma incojitestable^ £©mm^allani-de soi. C'est pourquoi une phrase p car q, même si elle a une fonction explicative, est d'autant plus bizarre que la relation entre p et q est moins évidente. Elle doit donc être tout à fait déplacée si l'intention du locuteur est justement de dénoncer l'aspect paradoxal de cette relation. C'est ce qui nous semble vérifié par la phrase suivante où car nous paraît nettement anormal (sauf effet d'ironie), beaucoup moins attendu, en tout cas, que parce que: Elle n'a jamais écouté que sa fantaisie du moment. Elle a vendu sa Cadillac, car la forme du pare-chocs ne lui plaisait pas et elle a divorcé de son 3eme mari, car il portait des cravates à pois.

Nous croyons donc pouvoir maintenir une opposition - non seulement syntaxique, mais sémantique - entre car et parce que. Certes, si l'on se contente d'étudier des énoncés isolés, il est fréquent que l'on puisse remplacerles deux conjonctions l'une par l'autre sans qu'il en résulte à proprementparler une agrammaticalité, mais étant donné une situation de discoursprécise et une intention précise du locuteur, la substitution est beaucoupmoins souvent possible. Nous reconnaissons, bien sûr, et nous avons

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même insisté sur ce point, que la justification (fonction fondamentale de car) peut s'opérer par le biais d'une explication (fonction fondamentale de parce que). Mais l'emploi de l'une ou de l'autre des conjonctions montre sur lequel des deux aspects le locuteur veut insister.

III. p puisque q

L'étude sémantique de puisque sera beaucoup plus rapide que les deux précédentes, auxquelles nous pourrons souvent renvoyer. En ce qui concerne, notamment, l'analyse en actes de parole, puisque n'est pas, sur un point essentiel au moins, très différent de car. Les énoncés de type p puisque q comportent deux actes successifs: l'un consiste à énoncer/?, l'autre à présenter, en affirmant q, une sorte de justification du premier. Nous nous contenterons, provisoirement, de cette caractcrisation très vague (<< sorte de justification»), en nous réservant de la préciser après une étude du statut assertif des différentes propositions. Comme c'est le cas pour car, la «justification» peut concerner soit les expressions choisies dans p, (la peste, puisqu'il faut l'appeler par son nom), soit l'acte d'énonciation accompli. Et dans ce second cas, la «justification» peut, au cas où p est affirmatif, consister à montrer la vérité de ce qui est affirmé. (// est là puisque ses fenêtres sont éclairées). Mais on peut, à l'aide de puisque, justifier des affirmations autrement qu'en prouvant leur vérité {11 est là, puisque m veux le òavuir), et on peut aussi justifier d'autres actes que l'affirmation. On justifie une interrogation dans: Qui va venir 1 puisque tu sais tout, et dans la phrase suivante, qui est de Sartre, la subordonnée introduite par puisque justifie l'acte de décision accompli dans la principale: «Puisque nous agissons sur notre temps par notre existence même, nous décidons que cette action sera volontaire»l4. Faisons remarquer enfin - nous l'avions déjà dit à propos de car - qu'il faut employer dans un sens très large l'expression «acte d'énoncer p». Car il peut s'agir d'une activité non strictement linguistique, mais dont renonciation de p est un moment ou un aspect - (cf. Je vais chercher du pain puisqu'il n'y en a plus).



14: On notera, à propos de cette citation: a) que puisque est placé en tête, ce qui ne peut pas être le cas avec car (nous reviendrons sur ce point par la suite). b) que le verbe de la principale, nous décidons, ne sert pas ici à décrire une action accomplie indépendamment. Il marque au contraire l'accomplissement même de l'action. Au moment où il l'emploie, Sartre prend, ou fait semblant de prendre, la décision.

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Nous renverrons encore à l'étude de car pour expliquer les propriétés syntaxiques de puisque. L'existence, dans les énoncés construits avec puisque, de deux actes de parole successifs, montre en effet qu'il ne s'agit pas d'un «opérateur» dont la fonction serait de construire un contenu unifié nouveau. D'où l'impossibilité de faire subir à p puisque q les modifications syntaxiques qui impliquent, dans la phrase de départ, un contenu unifié: interrogation, négation, enchâssement 15..., etc. Bien qu'on l'étiquette habituellement «conjonction de subordination», puisque nous paraît bien plus proche d'une coordination comme car que de parce que. Il sert essentiellement à relier deux actes (dont le second prend le premier pour thème) et non pas deux contenus.

Il reste maintenant à spécifier le type de «justification» accomplie à l'aide de p puisque q. Pour cela, nous allons considérer les différents statuts assertifs et d'abord celui de q. Un premier point remarquable est que q est présenté comme déjà admis par l'auditeur. Allons plus loin, le locuteur fait comme si cette admission était liée à la situation de discours où le dialogue prend place. Soit que l'auditeur ait implicitement ou explicitement reconnu q, soit que les conditions mêmes du dialogue rendent q évident. De ce point de vue puisque est possible dans les cas où car est, nous l'avons dit, impossible. C'est pourquoi on imagine facilement des énoncés comme : Continue à parler, puisque tu as commencé, ou des dialogues comme:

... Il faut que je parte
. . . Hé bien, pars, puisque tu dois partir.

Nous nous sommes bien gardés de dire, on l'aura remarqué, que l'auditeur
doit avoir reconnu q. Nous disons seulement que le locuteur fait comme si



15: Dans certains contextes, cependant, l'enchâssement de p puisque q devient plus naturel (sans être tout à fait habituel). C'est le cas lorsque p puisque q est pris pour complément d'un verbe ayant une signification logique {inférer, conclure). On trouve ainsi dans la pensée 818 de Pascal (éd. Brunschvicg): Au lieu de conclure qu'il n'y a point de vrais miracles puisqu'il y en a tant de faux, il faut dire au contraire qu'il y a de vrais miracles puisqu'il y en a de faux. La proposition «// n'y a point de vrais miracles puisqu'il y en a tant de faux» est enchâssée ici dans: Au lieu de conclure . . . On peut expliquer ce phénomène en remarquant que p puisque q, après le verbe argumentatif conclure, fait fonction de citation: on pourrait paraphraser le texte par: Au lieu de dire: «il n'y a point de vrais miracles puisqu'il y en a tant de faux »... Il reste, d'autre part, quelque chose de surprenant dans la construction utilisée par Pascal. C'est pourquoi, sans doute, certaines éditions donnent un parce que à la place du premier puisque.

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une telle reconnaissance avait eu lieu. C'est ce qui explique le Puisqu'il faut Pappeler par son nom de la fable. La Fontaine fait comme si une convention passée avec ses lecteurs l'obligeait à appeler les choses par leur nom. On ne réfute donc pas notre description en faisant remarquer que puisque et car peuvent être substitués à l'intérieur du même énoncé, et cela même si la situation de discours reste identique:

Raconte, car tu es venu pour ça.
Raconte, puisque tu es venu pour ça.

Ce qu'il faut dire, c'est qu'en employant car, le locuteur « a l'air » de révéler la raison, jusque-là cachée, pour laquelle son interlocuteur est venu. En employant puisque, en revanche, il «a l'air » de se référer à un aveu préalable. La différence que nous apercevons entre car et puisque n'est donc apparente ni au niveau de la phrase (sa méconnaissance ne produit pas des énoncés agrammaticaux), ni même au niveau de la situation de discours. Elle exige qu'on fasse intervenir les intentions des interlocuteurs.

Le deuxième point remarquable, concernant le statut assertif de q, est
que le locuteur peut ne pas prendre à son compte lui-même la vérité de q:

Ressuscite cet homme, puisque tu peux tout.
Tu peux me donner le tiercé, puisque tu sais tout.

Autrement dit, puisque peut être utilisé dans des raisonnements par l'absurde. L'auditeur a affirmé q (Je sais tout, Je peux tout) et le locuteur, pour montrer l'absurdité de cette affirmation, en prend argument pour un énoncé p {ressuscite cet homme, tu peux me donner le tiercé). L'auditeur, ne pouvant donner son accord àp, devra en bonne logiquel6 renoncer à soutenir q. Ce caractère nous paraît tout à fait spécifique de puisque. Il le distingue radicalement de car et de parce que. Ces deux conjonctions impliquent, au contraire, que le locuteur tienne q pour vrai (et cela, même lorsque l'affirmation de q n'est pas, à proprement parler, l'objet de renonciation accomplie).

Avant de tirer de cette analyse les conséquences qu'elle comporte quant
à l'acte de parole accompli, deux mots encore sur le statut assertatif de p



16: II s'agit dans ces raisonnements par l'absurde de la simple application d'un principe de logique classique, la contraposition. Cependant, dans notre premier exemple (ressuscite cet homme), p n'est pas une proposition à proprement parler, susceptible d'être fausse, mais un ordre, dont on peut simplement montrer le caractère irréalisable. Le principe logique est alor^ étendu à des cas où la conséquence «absurde» n'est plus une assertion, mais un acte de parole quelconque.

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et du rapport p - q. En ce qui concerne ce rapport, la situation nous semble analogue à celle décrite pour car. Le locuteur ne l'affirme pas à proprement parler, mais s'y réfère seulement, s'appuie sur lui (phénomène lié au fait que ni car ni puisque ne sont des «opérateurs» et qu'ils ne servent, ni l'un ni l'autre, à constituer un contenu unifié nouveau). La seule différence avec car nous semble être que le lien inférentiel sur lequel se fonde puisque possède un caractère particulièrement contraignant: il représente une nécessitélogique universelle à laquelle aucun être sensé ne devrait pouvoir se dérober. Encore plus fortement que dans le cas de car, le rapport de «justification»entre q et renonciation de p est présenté comme un donné préalablesur lequel aucune contestation n'est possiblel7.

Reste le problème de p. Comme c'était le cas avec car, il ne saurait apparaître comme quelque chose de déjà admis - étant donné que souvent le locuteur prend justement pour tâche de le faire admettre. Mais la ressemblance entre les deux conjonctions n'est pas une identité absolue. C'est que, nous l'avons vu, puisque, et lui seul, se prête au raisonnement par l'absurde. Or, dans le cas où le locuteur n'admet pas lui-même q, et veut au contraire en faire apparaître la fausseté, il ne doit pas, à plus forte raison, admettre p- qui représente la «conséquence absurdifiante» de q. Ala différence de car, puisque n'exige donc pas toujours que le locuteur prenne personnellement à son compte renonciation de p. Il peut, certes, le faire (et c'est même, sans doute, la situation la plus fréquente), mais ce n'est pas nécessaire.

Ce qui précède nous amène donc à modifier la thèse présentée, provisoirement, au début de notre étude de puisque. Nous parlions alors d'un «acte de justification». Il apparaît maintenant que cette qualification ne peut pas être maintenue. On ne saurait justifier une énonciation qu'on ne prend pas à son compte. Ce qu'il faut dire, c'est que le locuteur, en employant puisque, cherche à obliger l'auditeur à admettre l'acte de parole accompli en disant p. (Dans le cas particulier de la démarche par l'absurde, le locuteur, sachant que cet acte est en fait inadmissible pour l'auditeur, cherche par là à le dissuader de continuer à admettre q). L'attitude prêtée à l'auditeur est autre que pour car. L'auditeur n'est plus un spectateur neutre devant lequel



17: D'où un effet ironique lorsque le rapport p - q est visiblement paradoxal. Cf. Candide chap. 16: «Mais, après tout, la pure nature est bonne, puisque ces gens-ci, au lieu de me manger, m'ont fait mille honnêtetés dès qu'ils ont vu que je n'étais pas jésuite». La restriction du cannibalisme aux jésuites est présentée comme une preuve évidente de l'excellence de la nature.

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on se justifie, mais un acteur que l'on essaye d'influencer, de persuader, ou
de dissuader, en tout cas de transformer.

On comprend alors pourquoi car, à la différence de puisque, n'exige pas que q soit déjà admis par l'auditeur. (Dans p car q, q peut, nous l'avons dit, être «annoncé»). C'est que l'on apporte déjà une sorte de justification h p en le reliant à une certaine opinion q, que l'on croit vraie, même si cette opinion n'est pas reconnue de l'auditeur. On montre, à tout le moins, que p n'était pas le produit d'une fantaisie, d'un coup de tête, mais qu'il était motivé, qu'il avait des fondements, qu'il s'enracinait dans un système de croyances. Avec puisque, la situation est différente, car il s'agit moins de se justifier que d'obliger Vautre, de le contraindre, à adopter une certaine attitude. Cela implique que le fondement sur lequel s'appuie cette démarche, à savoir la proposition q, soit déjà admise par lui. La contrainte est d'autant plus pressante que Ton piésente, en utilisant puisque, l'aveu de q par l'auditeur comme un fait actuel, lié à la situation de discours dans laquelle on se trouve. L'auditeur est alors, pour ainsi dire, pris dans l'engrenage d'un syllogisme : tu viens d'admettre que q est vrai, tu admets le lien «q implique p», tu dois donc, avec toutes les conséquences qui s'ensuivent, donner ton accord à p. (En parlant des «conséquences qui s'ensuivent » nous voulons dire par exemple que si p est une affirmation, l'auditeur doit la croire vraie, si c'est une interrogation, il doit y répondre, si c'est un ordre, il doit lui obéir ..., etc.).

N.B. - 1.

Il arrive souvent que la proposition introduite par puisque soit énoncée avant p, et que l'on ait l'ordre: puisque q, p. Cette disposition, impossible avec car, rend pour ainsi dire «perceptible» le mouvement qui, selon nous, est marqué par puisque. L'auditeur est sollicité de passer de q à p. Il est visible alors, d'après l'ordre des mots lui-même, que le locuteur cherche à transformer la situation de discours en partant d'une reconnaissance, déjà acquise, de q, pour arriver à une reconnaissance de p. L'arrangement du discours figure, dans ce cas, la démarche de la pensée, qui se présente comme un progrès : on part d'un point pour aller à un autre. Il arrive même qu'on laisse en suspens la phrase, sans prendre la peine d'énoncer p, tellement l'inférence semble claire {«Hé bien, puisqu'il en est ainsi»...). L'obligation, dans le cas de car, de présenter q après p illustre au contraire la démarche de justification, qui est inverse. Ayant accompli l'acte de dire p, on revient en arrière pour le fonder.

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N.B. - 2.

Notre description peut sembler incompatible avec une utilisation assez
fréquente de puisque, où l'énoncé p semble une concession du locuteur au
destinataire :

- Tu iras au cinéma, puisque je te l'ai promis.
- Hé bien, puisque tu y tiens, allons-y.

Est-il possible de maintenir, dans ce cas, l'idée que le locuteur cherche à contraindre l'auditeur, à le forcer à admettre quelque chose? Une certaine modification de la description générale de puisque est incontestablement nécessaire pour rendre compte de cet emploi. On dira qu'il manifeste une sorte d'interversion des rôles. Ce n'est plus l'auditeur, mais au contraire le locuteur qui apparaît comme contraint. Il fait comme s'il était, vu sa promesse, obligé de dire Tu iras au cinéma, comme s'il était, vu le désir de l'auditeur, obligé de concéder Hé bien, allons-y \ Mais cette interversion n'empêche pas que le caractère général de contrainte, d'obligation, subsiste toujours.

Nous pouvons donc maintenir que puisque marque toujours une sorte de coup de force d'un interlocuteur sur l'autre. Dans la plupart des cas, c'est le locuteur qui se présente comme contraignant l'auditeur, mais il peut également se présenter comme l'objet de la contrainte.

Le groupe X-l

Paris