Revue Romane, Bind 10 (1975) 1

A propos de la règle de Formation d'objet

par

Finn Sørensen

0. Introduction

Le but principal du présent article est de discuter l'analyse syntaxique des
phrases (1) et (2):

(1) Je croyais que la solution était introuvable.

(2) Je croyais la solution introuvable.

Le cadre théorique choisi est la théorie standard exposée dans Chomsky (1965), et le point de vue qui m'intéresse est celui d'un grammairien du français. Cette position implique surtout que je pars de la validité des notions de structure profonde, de sujet profond et d'objet profond, et que je ne discute pas le statut universel des propriétés syntaxiques traitées.

L'hypothèse qui sera soutenue ici est que (2) est dérivé de (1) par la règle de Formation d'objet. Cette transformation élève le sujet de la complétive et l'attache au constituant VP le plus haut. La configuration structurale qui résulte de cette opération est identique à celle qui détermine l'objet profond, c'est-à-dire que le NP élevé est «sœur» du V de la proposition principalel. Un tel NP est appelé un objet dérivé. La structure profonde de (1) est (3):


DIVL2828


1: Deux nœuds sont dits «sœurs» si un troisième nœud les domine directement.

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où sont laissés de côté le constituant AUX2 et la structure interne des NP.
Formation d'objet opère sur (3) et donne (4) :


DIVL2830

puis Effacement d'être 3 efface être et on obtient (5), structure de surface de
(2):


DIVL2832

J'admets que les nœuds S et VP sont élagués comme conséquence des opérations transformationnelles mentionnées. Cette décision n'a pas de conséquences empiriques pour les faits qui seront envisagés ici4. Dans la notation courantes Formation d'objet sera formulée de la manière suivante :


DIVL2816

1. La motivation de Formation d'objet

La motivation première pour postuler la structure profonde (3) de (1) et (2) est d'ordre sémantique et relationnel. Tout d'abord, il semble incontestable que (1) et (2) sont synonymes. En plus, les grammairiens traditionnels ont souvent remarqué que les rapports «logiques » entre la solution et introu-



2: Dans le texte, je néglige les problèmes du temps.

3: cf. Gross (1968) et Ruwet (1972 bet e).

4: élaguer traduit to prune, cf. Ross (!967).

5: cf Kimball C1973Ì.

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vable sont identiques dans les deux constructions. La même remarque vaut pour le rapport entre croire et le complément qui le suit6. Dans une grammaire transformationnelle, ces propriétés sont exprimées au niveau de la structure profonde.

La motivation de Formation d'objet provient d'une série de constructions où il y a une nette parenté entre l'objet profond et l'objet dérivé. Les deux formes d'objets peuvent être pronominalisées et le pronom se place devant le verbe:

(7) (a) II le prend (le livre)
(b) II la croyait heureuse (Marie)

Un cas parallèle se présente dans les constructions où en remplace une
épithète comme dans :

(8) (a) II en a trouvé la solution (du problème)
(b) Pierre en croyait la solution introuvable (du problème)

Les deux objets deviennent des sujets dérivés7 dans les constructions passives :

(9) (a) Les étudiants ont été poursuivis par la police.
(b) Cette possibilité a toujours été crue impossible par les gaullistes orthodoxes.

Ces objets sont focalisables :

(10) (a) C'est la voiture qu'il a vue.
(b) C'est cela qu'il trouve imbécile.

(11) (a) Ce qu'il a vu, c'est la voiture.
(b) Ce qu'il trouve imbécile, c'est cela.

Ils peuvent être relativisés:

(12) (a) L'histoire qu'il a racontée est incroyable.
(b) Je lui ai narré l'histoire que j'avais crue impossible à raconter.

Enfin, les deux objets peuvent être placés en tête d'une proposition interrogative:



6: cf. Nilsson-Ehle (1953).

7: Est sujet dérivé un NP qui est «sœur-à-gauche» (left sister) du constituant VP.

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(13) (a) Qui as-tu vu?
(b) Qui croyais-tu malade?

L'analogie qui vient d'être soulignée ne constitue pas un argument direct à l'appui de Formation d'objet mais il est évident que les règles d'une grammaire transfbrmationnelle du français doivent rendre compte de la parenté en question. Dans ce qui suit, je vais montrer qu'il y a de bonnes raisons pour intégrer cette règle dans une grammaire du français.

2. Arguments à l'appui de Formation d'objet

2.1. Attribution de cas.

Le premier procédé à considérer regarde l'attribution de cas. Une grammaire
du français doit distinguer entre les phrases suivantes:

(14) (a) Tu aimes Marie.
(b) Marie t'aime.
(c) Marie n'aime que toi.

Pour ce faire, il est nécessaire d'introduire plusieurs règles cf. Gross (1968), Kayne (1969) et Kayne (1972). Mais ce qui n'est pas clair, c'est la question de savoir quelle sorte de règles il faut faire intervenir dans la dérivation de (14). Il me semble ad hoc d'introduire une règle qui réécrit [ui] en [e] pour obtenir 05) (a) de (15) (b):

(15) (a) *Je lui prends,
(a) Je le prends.

En plus, la règle doit distinguer entre (15) (a) et (16):

(16) Je lui donne le livre.

où le contexte est identique. Ce fait indique qu'il faut recourir aux traits
syntaxiques. Cette conclusion peut être corroborée par d'autres faits. Dans
Kayne (1969) il a été montré que (17) (a) et (17) (b) sont dérivés de (18):

(17) (a) Pierre le fait partir.
(b) Pierre lvi fait ouvrir la porte.

(18Ì (a) *Pierre fait lui partir.
(b) *Pierre fait lui ouvrir la porte.

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Puisque la forme sous-jacente est la même et que CL-PL, qui place les pronoms devant le verbe, opère sur des structures contenant des pronoms pursB, il est nécessaire que le pronom de (17) (b) diffère de celui dans (17) (a). Sinon, on obtient la forme pronominale incorrecte. Pour éviter cela, il faut marquer le lui de (17) (b). Les exemples de (15) et de (17) montrent aussi que les pronoms doivent être marqués avant qu'opère CL-PL. Un dernier fait doit être mentionné. Perlmutter a montré que les contraintes de surface qui déterminent la distribution interne des pronoms ne sont pas formulables d'une façon explicative s'il n'est pas possible de référer aux catégories de personne et de cas9. Cela corrobore les remarques déjà faites sur le cas et les traits syn taxiques. Avant d'aborder directement les problèmes qui m'intéressent ici, je résume les points essentiels de ces remarques :

(19) (a) Les pronoms doivent être marqués avant l'application de CL-PL.
(b) Le mécanisme qui marque les pronoms opère après certaines transformations.

Pour rendre compte de ces faits, j'introduis une règle, Attribution de cas, qui insère les traits [+NOM], [+ACC] et [+DAT] en tenant compte de l'information structurale. En plus, je fais insérer les formes phonologiques des pronoms par des transformations d'insertion lexicale. Cette insertion est soumise à des conditions générales et contextuelles. Je n'ai pas l'intention de donner toutes les précisions nécessaires pour faire opérer ces règles. J'ai essayé d'expliciter ce qui est crucial pour l'existence de Formation d'objet.

Prenons maintenant les phrases suivantes

(20) (a) Je croyais qu'il était malade. (b) *Je croyais il malade. (c) *Je croyais lui malade. (d) Je le croyais malade.

(20) (a) est dérivé directement de la structure profonde. Attribution de cas et insertion de il rendent compte de la forme pronominale correcte. (20) (b) et (20) (c) sont agrammaticaux, tandis que (20) (d) est grammatical. Si Formation d'objet opère avant Attribution de cas, (20) (b) sera automatiquement exclu et CL-PL rendra compte de la différence entre (20) (c) et (20) (d). L'ordre des règles est donc le suivant:



8: cf. Kayne (1969).

9: cf. Perlmutter (1969).

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(21) (i) Formation D'objet
(ii) Attribution De Cas
(iii) CL-PL

La question fondamentale pour Formation d'objet est de savoir si cette règle
est nécessaire en prévision du cas approprié. Disons par exemple que Formation
d'objet n'existe pas. Cette alternative transformerait la séquence:

(22) ... V PRO V..
[ + NOM]

en:

(23) ... PRO V... V
[ + NOM]

Mais il est évident qu'une telle solution n'est pas suffisante pour générer (20) (d). Pour ce faire, il faudrait inclure la forme le dans la classe des pronoms susceptibles d'être sujets; mais il serait alors possible d'avoir à la fois (20) (a) et (24):

(24) *Je croyais que le était malade

ce qui est tout à fait exclu. On pourrait penser à exclure (24) par des restrictions contextuelles, mais (23) crée aussi des problèmes pour la formulation des contraintes de surface. Comme les règles de (21) ne créent pas ces difficultés et qu'elles distinguent correctement entre les phrases de (20), ces faits appuient l'hypothèse de Formation d'objet.

Un dernier problème doit être envisagé. L'argument appuyant Formation d'objet à partir de la forme du pronom sera inopérant s'il y a d'autres classes de verbes où cette solution n'est pas suffisante. Trois classes semblent être pertinentes :

A: faire et laisser

B: voir, entendre, sentir ...

C: croire, trouver, supposer

Considérons les phrases suivantes :

(25) Pierre le faisait marcher.

(26) Pierre le voyait venir.

(27) Pierre le croyait malade.

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Dans la structure profonde, ces phrases sont identiques, et Kaynelo dérive
(25) et (26) de (28) et (29) sans application de Formation d'objet :

(28) *Pierre faisait lui marcher.

(29) *Pierre voyait lui venir.

CL-PL place directement le pronom devant le verbe. S'il faut opter pour cette solution, l'hypothèse de Formation d'objet est faible, puisqu'il est nécessaire de rendre compte de la forme du pronom dans (25) et (26). Mais Attribution de cas doit, comme je l'ai montré plus haut, opérer avant l'application de CL-PL. Cette assertion est indépendante de l'existence de Formation d'objet, mais seule l'existence de cette transformation permet de prévoir le cas approprié. Dans les parties suivantes, je vais montrer que d'autres faits sont incompatibles avec une grammaire qui ne contient pas Formation d'objet; c'est pourquoi je considère (25)-(29) dérivés par cette règle.

2.2. Seul

La description sémantique et syntaxique du mot seul est assez complexe. Le
français en connaît au moins trois emplois :

(30) Seule la forme est détestable.

(31) La seule forme est détestable.

(32) Pierre est seul.

Le seul dont je voudrais parler ici est le seul restrictif de (30), et l'aspect qui
m'intéresse concerne une restriction portant sur l'occurrence de ce seul.

Seul est lié assez fortement au sujet dérivé, cf. :

(33) (a) Seul Jean aime Marie
(b) *Jean aime seule Marie

(34) (a) Seule Marie a été aimée de Jean
(b) * Marie a été aimée de seul Jean

(35) (a) Seule Marie est difficile à contenter,
(b) *I1 est difficile de contenter seule Marie.

(34) et (35) (a) sont supposés dérivés respectivement par Passif et Montée de
l'objetll. Considérons maintenant les phrases suivantes:



10: cf. Kayne (1969: 93 ss).

11: Montée De L'objet dérive (b) de (a) : (a) II est difficile de contenter Marie. (b) Marie est difficile à contenter. Cette règle a été discutée dans Kayne (1969) et Sorensen (1973).

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(36) Que seule cette solution soit possible, c'est intenable.

(37) II croyait que seule une solution sémantique était justifiable.

(36) et (37) montrent que seul peut apparaître avec le sujet d'une complétive,
mais la restriction mentionnée plus haut fonctionne toujours, cf. :

Í38) *Je croyais que les étudiants avaient été poursuivis par seule la police.

Il semble clair que le seul restrictif ne peut pas apparaître dans la structure
superficielle sans être lié au sujet dérivé. Prenons maintenant les phrases:

(39) (a) *Pierre laisse seule Marie entrer.
(b) *Pierre entendait seule Marie crier.
(c) *Pierre croyait seule Marie malade

Elles sont toutes agrammaticales, tandis que les complétives correspondantes
sont grammaticales si la complétive est possible, cf. :

(40) (a) Pierre entendait que seule sa fille criait.
(b) Pierre croyait que seule Marie était malade.

(39) devrait être grammatical, surtout si le sujet profond est aussi sujet dérivé. Dans l'hypothèse de Formation d'objet, il est possible d'exclure (39) sans recourir aux contraintes différant de celles qui sont nécessaires pour les exemples (b) de (33) (35), c'est-à-dire que sans prendre en considération les cas où opère Formation d'objet, il est nécessaire de formuler une restriction sur l'occurrence de seul, et si Formation d'objet opère dans la dérivation des phrases (39), celles-ci seront exclues par la même restriction. Ce n'est pas le cas si Formation d'objet n'existe pas: il faut donc préférer la grammaire contenant Formation d'objet à celle quine le fait pas. L'argument reste un peu obscur parce que la structure sous-jacente aux phrases contenant seul et la notion lier à ne sont pas explicitées. Je suppose une structure profonde où seul est dominé par S et une règle de mouvement qui déplace seul vers la droite. Cette assertion peut être justifiée par les phrases suivantes:

(41) Seule, je crois, une solution sémantique serait satisfaisante

(42) Le type (2) seul met en jeu le degré d'intensité

(43) Lui seul est capable de le faire.

On pourrait envisager de générer (41)- et (31) à partir de la même
structure profonde. Une telle hypothèse doit premièrement être justifiée

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sémantiquement ; ce qui est essentiel pour Formation d'objet, c'est la restrictionportant sur l'occurrence du seul restrictif. Cette restriction est formulable au moyen de la notion de sujet dérivé et je la crois indépendante de la généralisationen question. Car il est évident que les exemples (b) de (33)—(35) et (39) ne sont pas exclus par une telle généralisation. C'est pourquoi je n'entreraipas dans le détail sur ce point.

L'expression lier à est ici utilisée comme une notion intuitive, mais il est bien connu que le phénomème d'accord y est sous-entendu. Je considère Fexplicitation des procès d'accord comme non-cruciale pour Formation d'objet.

2.3. Se

Le pronom réfléchi se entre dans plusieurs constructions différentes. Le se
qui sera considéré dans cette partie de mon étude est celui qui se trouve dans :

(44) Pierre se lave.

Je présuppose un traitement des réfléchis qui se range aux propositions
faites dans Kayne (1969). La structure profonde de (44) est (45):

(45) [sPierre lave PRO]

et la transformation SE-INS insère se devant le constituant V. Le résultat
de cette transformation est (46) (b) :

(46) (a) SE-INS: X NP V Y NP Z
1 2 3 4 5 6-1 2SE + 3456
(b) [sPierre se lave PRO]

Une règle tardive supprime PRO et on obtient (44).

Pour que cette dérivation fonctionne d'une façon satisfaisante, il faut
ajouter des contraintes portant sur les deux NP dans SE-INS. Je suppose
que ces contraintes doivent inclure:

(47) (a) Les deux NP sont coréférentiels.
(b) Les deux NP sont des «camarades de classe» (clause-mates).

En termes plus traditionnels, (47) dit que le pronom réfléchi se réfère au
sujet de la proposition dans laquelle il apparaît. Considérons maintenant les
phrases suivantes:

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(48) (a) Jean se croyait malade.
(b) Marie se croyait difficile à contenter.
(c) Pierre se croyait poursuivi par la police.

Le se de ces phrases est un vrai réfléchi. La structure profonde de (48) (b)
est (49):

(49) [sMarie croyait [np [s A est difficile de [s contenter PRO]]]]

Sur le deuxième cycle, l'objet de contenter est élevé par Montée de Vobjet,
et on obtient (50) :

(50) [sMarie croyait [np [sPRO est difficile à contenter]]]

Disons maintenant que Marie et Pro sont coréférentiels. Sur le cycle déterminé par le S le plus haut, la description structurale de SE-INS est satisfaite, mais la condition de (47) (b) ne l'est pas puisqu'il y a un S entre le S dominant Marie et Pro. Si l'on admet l'existence de Formation d'objet, il sera possible de générer (48) sans atténuer (47) (b). Les deux règles s'appliquent dans l'ordre:

(51) (i) Formation D'objet
(ii) SE-INS

L'intérêt d'un tel traitement est que la phrase suivante est directement excluel2 :

(52) *Pierre se croyait qu'il était malade.

où Pierre et il sont coréférentiels comme dans (53) :

(53) Pierre croyait qu'il était malade.

Ces remarques corroborent ce qui a déjà été dit sur Formation d'objet et sur
la possibilité de référer au résultat de cette règle. La condition (47) (b) est
nécessaire pour exclure (52), c'est-à-dire indépendamment de l'existence de



12: Pour un traitement qui fait appel au principe de «tensed-S condition», voir Chomsky (1971: 7 ss). Il est difficile de concilier ce principe avec le latin où l'infinitif peut être «tensed» cf.: (a) Caesar dicit se venturum esse. (b) Caesar dicit se venire.

Side 168

Formation d'objet. Cette condition peut être maintenue, mais seulement si Formation d'objet existe. C'est pourquoi il faut conclure que cette règle est une règle tout à fait justifiée du français. Puisque la conclusion est litigieuse, je voudrais examiner quelques arguments contre l'existence de Formation d'objet.

3. Arguments contre Formation d'objet

3.1. Un argument formel spécieux.

Chomsky a proposé que

«there is no necessity for a rule raising the subject of an embedded sentence to
the object position of the matrix sentence»

et un peu plus loin :

«Perhaps ail such opérations can be restricted to the readjustment rule component
of the grammar which relates syntax and phonology» cf. Chomsky (1971 :
25).

L'argument est spécieux, me semble-t-il, parce que Chomsky doit recourir à d'autres règles pour rendre compte des faits qu'il considère. Si l'argument est avancé pour restreindre la classe des grammaires possibles, il est faible puisque la restriction concerne seulement une partie de la grammaire: restreindre la composante transformationnelle et augmenter la composante de «readjustment », ce n'est pas une restriction forte sur la classe des grammaires. L'argument de Chomsky peut être aussi considéré comme une restriction touchant la grammaire de l'anglais. Si c'est le cas, je n'ai rien à ajouterl3.

3.2. Une généralisation impossible.

3.2.1. L'analyse de sembler.

La discussion qui porte sur l'existence de Formation d'objet est aussi une
discussion sur la possibilité de dériver (53) au moyen de cette règle:

(53) Pierre semble heureux.



13: Pour une discussion récente de la validité des faits en anglais et les contraintes formelles de Chomsky, voir Postal (1974).

Side 169

Ruwet a montré que (53) doit être dérivé par Montée du sujetu à partir de la
structure profonde (54) :

(54) [s A sembler [Np[sPierre être heureux]]]

Montée du sujet élève le sujet Pierre de la complétive et on obtient (53) après
l'application d'Effacement d'être. Les faits sur lesquels Ruwet fonde son
analyse concernent surtout le statut dérivé du sujet Pierre dans (53), cf. :

(55) (a) La police semble avoir poursuivi les étudiants.
(b) Les étudiants semblent avoir été poursuivis par la police.

(56) (a) II semble difficile de contenter Marie,
(b) Marie semble difficile à contenter.

Le point essentiel est le suivant: le sujet dérivé des phrases avec sembler peut
lui-même être un sujet dérivé, c'est-à-dire que les transformations Passif
et Montée de Vobjet créent les séquences sur lesquelles opère Montée du sujet.

L'analyse qui fait de sembler un verbe transitif peut s'appuyer sur des données
ayant trait aux constructions dans lesquelles Montée du sujet n'intervient
pas. Prenons les phrases :

(57) (a) II me semble que cette solution est justifiable.
(b) I! est important qu'on trouve une <;r»lntir»n.
(c) II arrive souvent qu'on se trompe.

(58) (a) *Que cette solution soit justifiable me semble.
(b) Qu'on trouve une solution est important.
(c) Qu'on se trompe arrive souvent.

(59) (a) *Cela me semble.
(b) Cela est important.
(c) Cela arrive souvent.

Les exemples (a) de (58) et de (59) montrent que dans ces constructions, sembler n'admet pas de sujet. Si (57) (a) est dérivé par T-EXTRAIS, il sera nécessaire d'introduire des restrictions pour exclure (58) (a) et (59) (a). Mais ce n'est pas le cas si sembler est transitif. A remarquer que cela est tout à fait inacceptable avec sembler. Ces faits sont appuyés par :



15: T-EXTRA dérive (a) de (b) (a) il est important de trouver la solution. (b) Trouver îa solution est imnortant. cf. Martin (1970) et Gaatone (1970).

14: cf. Ruwet (1972 b).

Side 170

(60) (a) Je le pense.
(b) II me le semble.
(e) *I1 l'arrivé.
(d) *I1 l'est important.

(61) (a) Que pensez vous de cette affaire?
(b) Que vous semble-t-il de cette affaire?
(c) *Qu'arrive-t-il?
(d) *Qu'est-il important?

La possibilité d'avoir (60) (b) est incompatible avec une analyse qui fait appel à T-EXTRA, mais corrobore l'analyse transitive de sembler. Dans Sorensen (1973), j'ai montré qu'il faut inclure les verbes paraître, apparaître, se trouver, se révéler et s'avérer dans la classe qui contient sembler.

3.2.2. Montée du sujet et Formation d'objet

Ruwet formule ainsi Montée du sujet :
(62) [s A sembler [NP [s NP X]] Y]
12 3 4 5
=> 3 2 0 4 5
et j'ai formulé Formation d'objet:

(63) [s NP V[NP [s NP X]] Y]
12 3 4 5
-> 1 2+3 0 4 5

Ces deux règles se ressemblent formellement. Elles convertissent un sujet, soit en un objet dérivé, soit en un sujet dérivé. De plus, la condition minimale pour unifier deux règles est satisfaite. Cette condition exige que les deux règles opèrent sur un arbre analysable en nombre identique d'éléments. Il serait donc souhaitable d'unifier les règles. C'est possible si l'opération de (62) est réduite à celle de (63) et si l'on postule une règle nouvelle qui déplace l'objet dérivé en position sujet. Cette dernière règle opère seulement sur des structures contenant les verbes du type sembler. Elle peut être formulée comme dans (64) :

(64) Formation De Sujet
[s A V NP X]
1234>3204

Side 171

Mais la généralisation obtenue se heurte à un certain nombre de difficultés. L'obstacle le plus grave qui s'oppose à la justification de la règle unifiée, c'est la classe des verbes qui admettent l'application de Montée du sujet. Pour que l'unification soit tout à fait fondée, il faut que tous ces verbes soient transitifs, par exemple commencer, cf. Ruwet (1972 b). Comme Ruwet a montré que commencer n'est pas transitif, il faut, pour sauver la règle unifiée, trouver un argument contre cette analyse. Je n'en ai pas et il faut donc accepter l'analyse de Ruwet.

Un autre problème concerne le statut des compléments possibles après les verbes croire et sembler. Si l'on accepte la règle unifiée, on s'attendra à ce que les types de complément soient à peu près les mêmes, ce qui n'est pas le cas. Sembler admet toutes les formes de l'infinitif, tandis que croire n'admet que être, et être est normalement effacél6.

En plus, la règle unifiée rend nécessaire une autre règle, Formation de sujet, et il est naturel de se demander quelle est la raison d'être de cette règle. Je montrerai dans une étude queje prépare actuellement qu'elle existel7, mais qu'elle pose quelques problèmes en ce qui concerne l'application cyclique des transformations.

La liste des problèmes pourrait facilement s'allonger, mais plutôt que de
m'y attacher, j'aimerais poser la question: Est-il possible de conclure, à
partir de l'invalidité de la règle unifiée, à l'invalidité de Formation d'objet!

4. Conclusion

Les arguments les plus typiques du paradigme transformationnel sont des arguments qui procèdent par analogie. Puisque le parallélisme entre les constructionsavec sembler et croire est faible, on pourrait dire qu'il n'y a pas de règle unifiée. Formation d'objet est donc nécessaire seulement pour expliciter l'analogie entre les deux formes d'objet discutées plus haut. S'il est possible d'expliquer les faits sans recourir à Formation d'objet, cette règle n'est pas



16: Dans Sorensen (1973), j'ai montré que cette difficulté n'est pas une difficulté touchant à la règle unifiée, mais plutôt une difficulté concernant l'explicitation de la notion de dérivation possible. La différence entre les compléments possibles après les verbes sembler et croire n'est pas de savoir s'il faut faire opérer telle ou telle transformation, mais pose une fois de plus la question de contrainte sur les transformations.

17: cf. Sorensen (en préparation). Cette étude porte sur la relation entre (a) et (b): (a) La solution est justifiable. (b) On peut justifier la solution.

Side 172

fondée. Ce que j'ai voulu montrer ici, c'est qu'il y a des faits qui restent inexplicables sans Formation d'objet. Pourquoi alors poursuivre la discussionsur la règle unifiée? Tout d'abord parce qu'un argument crucial dans le cas du français n'a pas été trouvé, mais aussi parce que de telles questions font partie de ce puzzle qu'est la grammaire transformationnelle. Pour le moment je crois qu'il faut admettre à la fois Montée du sujet et Formation d'objet, même sans qu'il y ait possibilité de les unifier.

Finn Sorensen

Copenhague

Résumé

L'article propose de faire intervenir la règle de Formation d'objet dans la dérivation transformationnelle des phrases avec croire. En m'appuyant sur le cas des pronoms, l'occurrence du pronom réfléchi et la distribution du mot seul, je montre que cette règle est nécessaire pour décrire le français d'une façon adéquate. Dans la troisième partie de l'article, j'envisage quelques arguments contre l'existence de cette règle. Ces arguments portent sur le statut formel de la règle et la possibilité de l'élargir en la généralisant aux constructions avec le verbe sembler. Sans proposer une solution aux problèmes mentionnés, la raison d'être de Formation d'objet est maintenue.



18: Les remarques concernant la règle unifiée pourraient faire penser à l'hypothèse de McCawley qui postule une structure profonde, et plus sémantique, où l'ordre der constituants est V S O, cf. McCawley (1970). Comme je me suis borné à discutes l'existence de Formation D'objet, je n'ai pas envisagé cette possibilité.

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