Revue Romane, Bind 10 (1975) 1

Le théâtre d'Aimé Césaire

par

Frederick Ivor Case

Dans la tragédie d'Aimé Césaire, les images poétiques se cristallisent en un héros dramatique dont la caractérisation est toujours liée à la lutte anticolonialiste. Si Césaire choisit le chef nègre comme héros de ses quatre pièces on ne s'étonne pas qu'il semble s'exprimer personnellement à travers les paroles du Rebelle dans Et les Chiens se taisaientl, de Christophe dans La Tragédie du Roi Christophe2, de Lumumba dans Une Saison au Congo* et de Caliban dans Une Tempête4. Cependant, la psychologie de chacun des héros est compliquée et les problèmes soulevés par la présence d'égoïstes prêts à trahir le libérateur accentuent le drame du Nègre qui se rebelle contre la condition de sa nation et de sa race.

On comprend facilement pourquoi la frustration et l'impatience sont des caractéristiques des quatre héros. Ils luttent contre un ennemi intérieur et extérieur, ils luttent contre ceux qui les aiment et contre leurs propres lieutenants, et très souvent ils sont victimes de leurs propres faiblesses.

Mais la tragédie humaine de chacun des héros est agencée d'une façon distinctive. Chacun d'eux, en même temps visionnaire et prophètes, porte certains traits de caractère et se voit victime d'une certaine conjoncture, ce qui le conduit à l'échec. Le côté inexorable du destin rappelle la tragédie classique des Grecs, tandis que les faiblesses humaines du héros rappellent l'œuvre de Shakespeare6. Dans cette étude, nous ne cherchons pas à faire de vaines comparaisons entre l'œuvre de Césaire et celle d'auteurs européens. Le théâtre de Césaire est l'expression d'une conscience nègre qui se manifeste



1: A. Césaire: Et les Chiens se taisaient, Présence Africaine, 1956.

2: A. Césaire: La Tragédie du Roi Christophe, Présence Africaine, 1970.

3: A. Césaire: Une Saison au Congo, Seuil, 1967.

4: A. Césaire: Une Tempête, Seuil, 1969.

5: Voir l'article de Georges Ngal: «Une dramaturgie de la décolonisation» in la Revue des Sciences Humaines, Vol. XXXV, 1970. Dans cet article Ngal étudie les qualités visionnaires et prophétiques des héros de Césaire.

6: Voir l'article de G. Ngal (note 5) et la thèse de doctorat de R. t. Harris: L'Humanisme duiiò le Théâtre a"Aime Césaire, University of Massachusetts. 1971. pour une discussion de ces aspects du théâtre de Césaire.

Side 2

par une idéologie et un symbolisme particuliers. Le symbolisme est porteur de la force vitale - le ngolo dont on parle dans Une Saison au Congo - qui est partout évidente, dans le théâtre de Césaire. C'est, semble-t-il, dans le contexte de son œuvre, et non ailleurs, qu'il faut chercher les principes essentiels de son théâtre.

Une étude méthodique de chacune des pièces fait ressortir la structure dont elles dépendent ainsi que le rapport existant entre celle-ci et le sort du héros. Une telle étude fait surtout remarquer combien la vision de l'auteur est puissante et profonde dans son analyse sociologique et psychologique de chacun des héros.

Le Rebelle - Et les Chiens se taisaient

Au début de la pièce, l'Echo annonce la mort prochaine du Rebelle. Nous apprenons qu'il est impossible que l'homme révolté de Césaire continue à vivre dans un monde absurde. Tout ce qui l'entoure contribue à sa mort, car «il n'y a plus rien à faire dans cet univers invalide.»

Le peuple ne semble pas apporter au Rebelle un appui constant, et tantôt l'Amante, tantôt la mère, cherche à le détourner de son but, qui est la révolte et la dignité humaine. Mais le héros sait résister aux arguments de sa mère, et s'il se montre cruel envers elle ce n'est qu'à cause de la nécessité de ne pas céder à la tentation d'abandonner sa mission. Il l'accuse même de le trahir:

Et il fallait aussi n'est-ce pas à ceux qui t'ont envoyée, il leur fallait mieux que
ma défaite, mieux que ma poitrine qui se rompt, il leur fallait mon oui ... Et
ils t'ont envoyée. Merci. (Acte II)

Mais on ne va jamais arracher ce «oui» au Rebelle qui est trop lucide et
trop intègre pour mentir. En un mot, c'est un intransigeant qui devient
superbe dans son orgueil et dans sa probité.

Le Rebelle dépasse la simple existence humaine pour devenir l'incarnation même des aspirations légitimes de son peuple. La mère ne peut pas comprendre la transformation mystique de son fils et elle a peur de ses paroles et de ses actions. Le Rebelle vit au-delà de la portée de l'intelligence et de l'expérience existentielle des siens, qui subissent encore les mystifications du régime colonialiste. Dans son article «Une dramaturgie de la décolonisation »7, Georges Ngal écrit:



7: Voir note 5.

Side 3

Le caractère de voyant place le héros dans une position anachronique, source d'incompréhension. Il est en avance sur son temps. Il se crée entre lui et le peuple une distance qui s'élargit au fur et à mesure de la progression dramatique. Les ennemis sont «pris de court», l'entourage s'essouffle. Le héros évolue alors dans la solitude, premier espace dramatique césairien.

La mission libératrice - mission universelle exigeant l'abandon total de soi - rend le Rebelle méconnaissable à ceux qui recherchent la subjectivité émotionnelle. Spirituellement, il regarde le peuple d'une manière objective, voire cruelle. L'objectivité héroïque et messianique le rend conscient des tares de ses frères nègres, et il leur dit :

larbins fiers petits hypocrites filant doux esclaves et fils d'esclaves
et vous n'avez plus la force de protester, de vous indigner, de gémir,
condamnés à vivre en tête-à-tête avec la stupidité empuantie, sans autre chose
qui vous tienne chaud au sang que de ciller
jusqu'à mi-verre votre rhum antillais . . .
Ames de morue. (Acte III)

Le Rebelle condamne la mentalité servile du peuple, qui semble incapable
de lutter contre son aliénation. Pourtant, l'amertume du héros n'est pas
l'expression d'un orgueil pharisaïque.

Le héros ne condamne pas parce qu'il voudrait convaincre les autres de sa supériorité morale ou de la qualité de sa négritude. La «nouvelle» foi qu'il enseigne est la dignité humaine profondément enracinée dans chaque homme, dans chaque Nègre.

Il répudie la résignation complice de ses frères et, en même temps, il les méprise, car ils ne pensent pas et n'agissent pas comme lui. En dépit de cette arrogance, il s'identifie totalement avec tous ceux qui souffrent dans le monde :

Et le monde ne m'épargne pas ... Il n'y a pas dans le monde un pauvre type
lynché, un pauvre homme torturé, en qui je ne sois assassiné et humilié. (Acte II)

Ne voit-il pas que ceux qui ont accepté leur sort d'esclavage sont aussi à plaindre que le lynché et le torturé ? Ne comprend-il pas que le larbin souffre dans son acceptation de l'humiliation ? N'est-il pas vrai que la résignation de l'esclave a résulté d'un long conditionnement social et psychologique? 11 n'est pas possible d'oublier ou d'ignorer la détermination sociologique qui fait que certains Nègres ne ressentent plus l'humiliation qui est devenue une condition acceptée.

Side 4

Dans Peau noire, Masques blancs, Fanon écrit que « L'infériorisation est
le corrélatif indigène de la supériorisation européenne. Ayons le courage de
le dire: c'est le raciste qui crée l'infériorisé.»B

Le héros de Césaire n'entend pas ces tentatives de justifier ce qui n'est rien d'autre que la lâcheté ou la trahison. S'il existe un lynché, s'il existe un torturé, c'est précisément parce qu'ils ont crié «Non» à l'humiliation et à la résignation. Le Rebelle déclare à sa femme:

Et il ne me convient pas que l'on se donne des prétextes pour se dispenser de
chercher. (Acte II)

Césaire a écrit ailleurs :9

Pourtant nous sommes de ceux qui disent Non à l'ombre. Nous savons que le
salut du monde dépend de nous aussi. Que la terre a besoin de n'importe
lesquels d'entre ses fils, les plus humbles.

En effet, l'action de la pièce se déroule dans ce que le dramaturge appelle une 'vaste prison collective'. Mais la séquestration du Rebelle ne le rend pas indifférent à la situation du peuple. Il devient encore plus sensible aux humiliations de ses frères.

Il parle du sang qui jaillit du corps de l'Européen qu'il a tué comme du seul baptême dont il se souvienne. Mais le ressort qui a produit cet acte libérateur est la crainte de voir son fils subir le joug de l'esclavage. Il ne peut pas oublier que le maître «spéculait sur le berceau de mon fils, un berceau de garde-chiourme. »

Une fois révolté, le Rebelle voit son rôle envahir tout son être et sa tâche
devenir messianique.

Le peuple tout entier devient ses enfants spirituels, et là on voit sans
difficulté l'intention allégorique de Césaire. L'enfant au berceau est le peuple
nègre qu'il faut réveiller et rendre conscient du danger.

Parlant de sa pièce Et les Chiens se taisaient, Césaire ditlo que «les personnagessont



8: F. Fanon: Peau noire, Masques blancs, Seuil, 1952. p. 95. Voir aussi Harriett Beecher Stowe: Uncle Tonil s Cabin, pour une démonstration remarquable de la thèse de Fanon.

9: M. Towa: «Les Purs-Sang (négritude Césairienne et surréalisme)» in Abbia no. 23, sept.-déc. 1969.

10: Les citations suivantes ont été tirées de J. Siéger: «Entretien avec Aimé Césaire» in Afrique, no. 5, octobre 1961.

Side 5

sonnagessontplus des archétypes que de véritables êtres humains ». Pourtant,ils ont une telle vitalité que le drame du Rebelle et des siens est loin d'être mythique. «A l'origine, dit Césaire, c'était un long poème.» Il en reste un, mais la révolte du Rebelle est réelle et nous frappe par sa vigueur. Le Rebelle est l'Antillais ou l'Africain qui refuse l'oppression et l'asservissement.

Mais la recherche de la dignité ne signifie pas la négation de la liberté d'autrui. Le Rebelle a tué le maître blanc au nom de la liberté. Il n'a pas été motivé par la haine, parce que, pour lui, «Haïr, c'est encore dépendre.»ll En effet, il rêve d'un monde idéal où les hommes de toutes les couleurs et de toutes les croyances peuvent vivre en paix.

Il est capable d'avoir cette vision de la fraternité humaine parce qu'il a
refusé le ressentiment et la rancune.

Le mysticisme du Rebelle est lié à des problèmes socio-historiques concrets.
Pourtant, sa mission étant méconnue de ceux qui l'entourent, le Rebelle
se trouve isolé.

Dans ses relations avec sa femme et sa mère, il montre l'arrogance dont il
est victime. Il repousse les siens et semble s'isoler davantage. La conscience
de son martyre consacre la distance qui le sépare des autres.

Vers la fin de sa vie, le Rebelle éprouve une grande soif. Ses ressources
personnelles ne suffisent pas à l'étancher. Aveugle, il succombe dans un cri
de délire et de désespoir.

Mais il n'est pas le seul responsable de l'échec. Dans la pièce de Césaire,
l'intrigue est très habilement agencée et û existe une loi autre que celle de la
détermination psychologique.

A la fin du deuxième acte, le Rebelle, aveuglé, devient désormais un Tirésias à l'écart de la réalité de l'existence. Il est plongé dans un monde de voix et de lumières mystérieuses. La réalité du Rebelle devient celle des êtres psychiques. Les références à l'Afrique et au passé africain se multiplient. Le héros est prêt à mourir; on pourrait même dire qu'il a hâte de mourir et de quitter la scène ...

La dernière des trois tentations, celle qui a lieu au cours du troisième acte,
est la plus poignante, et l'on se demande quelle est cette force maléfique qui



11: A. Césaire: Et les Chiens ..., A. 11, p. 55. Voici ce que dit Frantz Fanon de la haine: .. . Mais on ne soutient pas une guerre, on ne subit pas une répression énorme, on n'assiste pas à la disparition de toute sa famille pour faire triompher la haine ou le racisme. Le racisme, la haine, le ressentiment, «le désir légitime de vengeance» ne peuvent alimenter une guerre de libération. (Les Damnés de la Terre, Maspero, 1968, p. 87).

Side 6

surgit pour tourmenter l'homme, déjà en proie à ses pensées et à ses rêves.

Plus tard, ce sont les Echos qui se moquent du Rebelle. Tantôt celui-ci repousse violemment les êtres qui semblent l'assaillir, tantôt il fait la déclaration d'une pensée supérieure à celles de ses interlocuteurs. Mais au milieu de son angoisse, sa mission le fortifie. Les trois tentations, une par acte, ne suffisent pas à le détourner de sa tâche.

Etre pur dans un monde impur, être lucide dans un monde obscur de
mensonges et de trahisons, être juste vivant dans l'injustice, le Rebelle est un
saint qui marche dans la boue de la réalité humaine.

Il s'agit d'un poète et d'un visionnaire, d'un Mackandal qui a échoué
dans sa tentative de faire la révolution. Il meurt satisfait de lui, parce qu'il
a vécu d'une manière positive.

Christophe - la Tragédie du Roi Christophe

Les forces qui entourent Christophe ressemblent à celles qui provoquent
l'échec du Rebelle. Cependant, le contexte de la lutte pour la liberté et pour
l'indépendance est différent.

La préoccupation principale de Christophe est de consolider les acquis de
la révolution et de réunir toutes les tendances divergentes afin de construire
une nation stable et invulnérable.

Dès le début de la pièce, Christophe est entouré d'ennemis qui le serrent de très près. Homme perspicace, on le traite en imbécile et le lecteur est amené à voir que la menace vient de l'intérieur autant que de l'extérieur. La menace extérieure est symbolisée par la présence du puissant représentant de l'Eglise - l'archevêque Brelle - un Français; de son successeur, un Espagnol; du médecin royal, un Anglais et d'un maître de cérémonies, délégué par une agence internationale, au titre de l'aide technique aux régions sousdéveloppées.l2

Le peuple haïtien a un seul ennemi apparent - l'Européen néo-colonialiste. Christophe est menacé et par les Européens et par les Haïtiens. Le roi déclare que «Haïti a moins à craindre des Français que d'elle-même!» (A. I, S. 2).

Mais Christophe méprise le peuple et parle de son indolence, de son effronterie
et de sa haine de la discipline (A. I, S. 2). Il parle d'ailleurs d'une
«nation de cancres» et appelle les paysans «cette canaille» (A. 11, S. 3).



12: Dans Monsieur Thôgô-gnini de Bernard Dadié le rôle du Blanc est analogue à celui du Maître de Cérémonies.

Side 7

Un soulèvement résulte de la tyrannie du roi et le magnifique rebelle
Metellus apostrophe Christophe et Pétion, évoquant le rêve qu'il avait eu
pour son pays :

Nous allions fonder un pays tous entre soi!
Pas seulement le cadastre de cette île!
Ouvert sur toutes les îles!
A tous les nègres! Les nègres du monde entier!
Mais sont venus les procurateurs
divisant la maison
portant la main sur notre mère
aux yeux du monde la défigurant
trivial pantin piteux! (A. I, 5.5)

Metellus ressemble beaucoup au Rebelle. Héros poétique de la lutte révolutionnaire, il est incapable de transiger - d'accepter le jeu politique. Ce qu'il condamne chez Christophe et Pétion, c'est leur ambition égoïste. Les deux chefs d'Etat ont perdu de vue les véritables buts de la révolution haïtienne.

Le rôle de Metellus et de ses camarades n'est pas aussi important que
celui des officiers et des collaborateurs de Christophe. Pour la plupart ils
sont lâches ou tout simplement traîtres.

La vision de Christophe l'empêche de s'arrêter et de changer le cours des événements. Il conçoit la liberté de la nation sous forme d'une Citadeiie (AT. S. 7) et cette concrétisation de ses propres aspirations annonce le dénouement. L'oppression du peuple haïtien a comme but la construction du rêve de Christophe. Même la réalité de l'effritement de l'économie (A. 11, S. 6) ne le détourne pas de sa voie. Et les Haïtiens continuent à souffrir.

Pourtant, le roi veut être le seul à disposer du peuple et il le défend inlassablement
contre ses lieutenants. Il déclare:

II est temps de mettre à la raison ces nègres qui croient que la Révolution ça
consiste à prendre la place des Blancs et continuer, en lieu et place, je veux dire
sur le dos des nègres, faire le Blanc. (A. 11, S. 3)

C'est ainsi que raisonne le roi. Mais la décision a déjà précédé le raisonnement,
et le comte Basin, dont la brutalité a suscité la colère du roi, a déjà
été condamné aux travaux forcés à la Citadelle.

La décision rapide et arbitraire caractérise Christophe. Le héros vit dans
l'isolement qui lui est imposé par son rôle de chef. Il juge sommairement
sans se soucier des opinions des autres et des conséquences de ses décisions.

Side 8

Tandis que le Rebelle est un saint, un homme dont le passage sur cette terre est un don des dieux, Christophe est tout à fait humain mais supérieur en qualités personnelles à ceux qui l'entourent. La supériorité de Christophe, coléreux quand on l'attaque, confident et actif, impatient et cruel, rend la découverte de son échec et de la désagrégation de la nation d'autant plus tragique.

Du point de vue dramatique, la coïncidence, d'une part, de l'arrogance et de l'arbitraire de ses décisions, d'autre part, de son isolement et des forces qui le menacent, rend sa situation très précaire. En effet, le héros semble indifférent à son destin jusqu'au moment où, impuissant, il n'a plus d'influence sur le cours de l'histoire.

La pièce est évidemment une allégorie de Taprès-indépendance de beaucoup de pays nègres. Le personnage de Christophe consacre une certaine conception du chef d'Etat noir. Dans son entretien avec Jacqueline Siéger, Césaire déclare:l3

En effet, après la révolution, le roi Christophe a pris la charge du pays et ses échecs démontrent qu'il est plus facile d'arracher son indépendance que de bâtir un monde sur de nouvelles bases. Les qualités requises sont tout autres, et elles sont rares, nous le voyons aujourd'hui. Le temps de la décolonisation sera plus difficile pour le monde noir parce que nous n'avons plus à nous dresser contre un ennemi commun aisément discernable, mais à lutter en nous-mêmes, contre nous-mêmes. Il s'agit d'un combat spirituel et qui ne fait que commencer.

Ces propos de Césaire, recueillis en 1961, quand le dramaturge préparait
encore sa pièce sur Christophe, sont d'une très grande importance. Ils nous
aident à comprendre l'attitude et les intentions de l'écrivain.

Christophe est abattu au moment où il invoque les loas du vaudou pendant une cérémonie catholique. Ce dernier défi et ce dernier refus de l'assimilation entraînent la chute finale. Le roi meurt confiant de son retour en Afrique.

Enterré debout au sommet d'une montagne, Christophe devient un nouveau
Shango. Si son âme n'est pas emportée par les ancêtres, il restera toujours
à la disposition du peuple haïtien.

Lumumba - Une Saison au Congo

Lumumba est la cible de plusieurs forces qui contribuent à son échec.
La présence des militaires et banquiers belges, celle du Grand Occident et



13: Voir note 10.

Side 9

de I'ONU, ainsi que les interventions du pape séculaire, Hammarskjôld,
n'aident pas le Premier Ministre du Congo.

Les soucis de Lumumba ne viennent pas tous de l'extérieur du pays. Le tribalisme, les querelles de ses lieutenants et des soldats, les parlementaires, semblent déchirer l'Etat au moment même de sa naissance. En plus, les colonialistes ont laissé au sein du peuple congolais une cinquième colonne - le clergé noir.

Assailli par toutes ces forces, le héros ne peut pas échapper à son destin.
Il est pris au piège des nombreux réseaux de complots, d'égoïsmes et du
racisme.

Lumumba lui-même est porteur de caractéristiques qui annoncent son échec. Il est trop impétueux et son agitation constante le rend incapable de faire exécuter ses ordres. La dissipation de ses efforts n'est que trop évidente et sa naïveté dans ses relations avec ses collègues accentue l'inefficacité de son gouvernement.

Pauline Lumumba essaie de retenir son mari et de le mettre en garde contre
ceux qui vont le trahir. Elle reconnaît que le peuple est faible tandis que les
ennemis de son mari sont puissants. Mais en vain!

Césaire fait de Lumumba l'agent de la transformation idéologique, passant du nationalisme étroit au pan-africanisme, qui évolue en une prise de conscience de l'universalité du drame des exploités. Lumumba donne à sa mission une nouvelle signification, parce qu'il comprend qu'elle ne dépend pas de sa seule volonté mais de l'Afrique tout entière.

Cependant, la grandeur de ¡a vis>iuii du Premier Miniatre ne sauvera pas
le Congo. A l'Acte 111, il est déjà trop tard. Il aurait dû voir le Congo dans
la mosaïque africaine dès le début.

Trop fier et trop intègre, il doit mourir. Pour lui le sage compromis politique
est synonyme de trahison. «L'Afrique, dit-il, a besoin de mon intransigeance!»
(A. 111, S. 2).

Comme Lumumba va inexorablement à sa mort, on est beaucoup plus
ému par son humiliation que par son assassinat même.

Caliban - Une Tempête

Dans Une Tempête, les mêmes rapports qui existent entre les Belges et les Congolais existent entre Prospero, le colon, et Caliban, le Nègre. Mais Caliban est certain des valeurs morales de sa culture Dans chacun des trois actes, il invoque le dieu Shango. Sa religion semble être une croyance telluriquebasée sur des théories vitales. Il refuse de renier sa mère morte et, en

Side 10

effet, il est incapable de le faire, parce qu'elle est devenue partie intégrante
de la terre et participe toujours à la vie universelle.

Dans la pensée des Européens, le Nègre fait partie de la nature sauvage de l'île. On doit le dompter afin de le rendre capable de servir. Mais l'humiliation de Caliban déshumanise son maître et le rend hypocrite. L'existence même de Caliban est un défi lancé à Prospero parce que celui-ci entrevoit un reflet de sa propre humanité dans le Nègre.

A un certain moment, Caliban demande à Prospero de l'appeler «X»
parce que, dit-il:

Chaque fois que tu m'appelleras, ça me rappellera le fait fondamental, que tu
m'as tout volé et jusqu'à mon identité! Uhuru! (A. 1, S. 2)

De même que le Rebelle refuse de transiger, de même Caliban déclare que «La faiblesse a toujours mille moyens que seule la couardise nous empêche d'inventorier. «(A. il, S. 1). Il méprise Prospero, le colon qu'il appelle «Un vieil intoxiqué».

Mais ce qui nous frappe particulièrement dans l'adaptation de la pièce
shakespearienne, c'est que Césaire semble justifier l'emploi de la violence
dans la lutte pour la liberté.

Dans son hommage à Frantz Fanon, écrit en 1962,14 le dramaturge martiniquais
dit ceci sur son ancien élève:

Mais sa violence était, sans paradoxe, celle du non-violent, je veux dire la violence de la justice, de la pureté, de l'intransigeance. Il faut qu'on le comprenne: sa révolte était éthique, et sa démarche de générosité. Il n'adhérait pas à une cause. Il se donnait. Tout entier. Sans réticence. Sans partage. 11 y a chez lui l'absolu de la passion.

Les qualités que Césaire donne à Caliban sont celles qu'il admire chez Fanon. Elles sont également, paraît-il, celles du Président Sékou Touré. Comparons le jugement de Césaire sur Fanon et ces mots du président guiñeen, rapportés par le dramaturge dans un article:

Nous avons quant à nous, un premier et indispensable besoin, celui de notre
dignité. Or il n'y a pas de dignité sans liberté. Nous préférons la pauvreté dans
la liberté à la richesse dans l'esclavage.



14: A. Césaire et alia: «Hommages à Frantz Fanon» in Présence Africaine, ler trimestre

Side 11

Dans Une Tempête, Caliban semble reprendre les paroles de Sékou Touré
quand il déclare:

Mieux vaut la mort que l'humiliation et l'injustice . . . (A. 11, S. 1)

II est incapable de se soumettre volontairement à l'étranger qui cherche à le déposséder de tous ses biens matériels et de ses valeurs morales. Exprimant sa détermination de vaincre et de chasser ses exploiteurs, Caliban dit qu'un jour «mon seul poing nu suffira pour écraser ton monde! ». En exprimant sa colère, il rejoint, comme l'a fait le Rebelle, tous les damnés de la terre.

On identifie facilement Caliban. C'est la victime colonisée du Tiers-
Monde. C'est le Nègre à la recherche de la dignité humaine.

En se servant de La Tempête de Shakespeare comme point de départ,
Césaire a dramatisé le conflit culturel du colonisé. Caliban est devenu noble
au théâtre car Caliban l'est dans la vie réelle.

Les pièces de Césaire se ressemblent beaucoup et il est possible de généraliser quant à la structure et au contenu de son théâtre. Chacune des pièces a trois actes. Le mouvement du premier au deuxième acte et du deuxième au troisième acte montre la même évolution dramatique dans chacune d'elles. Dans toutes les quatre, le héros est un chef - le seul chef valable - et il s'agit d un homme aux qualités supérieures maio d'une impétuosité extraordinaire

Les trois actes sont de longueur variable. Et les Chiens se taisaient est la seule pièce où l'acte n'est pas divisé en plusieurs scènes. Dans deux des pièces, La Tragédie du Roi Christophe et Une Tempête, le prologue est partie intégrante, mais, en fait, il existe aussi dans Et les Chiens ..., ici, cependant, sous forme d'un long monologue de l'Echo introduisant l'action. L'Acte Premier de La Tragédie Du Roi Christophe est introduit par un présentateurcommentateur, tandis que les deuxième et troisième actes sont précédés d'un intermède.

Dans le premier acte, Césaire nous montre le héros aux prises avec les
forces qui entraîneront son échec. Sauf dans le cas de Christophe, le héros
ne paraît pas en scène dès le début. Dans Une Saison ..., bien que Lumumba
paraisse au cours de la troisième scène, il faut attendre la sixième pour



15: A. Cósaire: «La Pensée politique âe Sékou Touré» in Présence Africaine, déc. 1959-janv. 1960.

Side 12

l'entendre parler. Cette entrée en scène est d'autant plus émouvante qu'il
s'agit du très beau discours lyrique adressé au peuple congolais.

Par contre, le Rebelle entre en scène sans éclat. Son sort a déjà été annoncé par l'Echo, et, sur le plan dramatique, il n'est pas nécessaire d'accentuer son isolement de héros à son entrée. Le caractère équivoque de Christophe se révèle dès la première scène, le style bouffon cédant rapidement à la brutalité. Le premier mot de Caliban est «Uhuru » qui annonce sa préoccupation principale, l'obsession qui le poursuivra à travers les trois actes.

Au deuxième acte, les erreurs du héros se multiplient, tandis que le piège, tendu par ses ennemis, est déjà en place. La confrontation du héros avec sa femme est un procédé dramatique employé par Césaire dans les trois premières

La confrontation a lieu au deuxième acte dans Et les chiens ... et Une
Saison . . . Dans La Tragédie . . . elle a lieu dans la dernière scène du premier

Le Rebelle se retrouve en face de l'Amante et de la mère. Les deux femmes tentent de le dissuader de son entreprise, et l'on sait que, dans cette entrevue, une dernière chance de s'évader lui est offerte. Caractéristiquement, le Rebelle est aveuglé sitôt après avoir, de façon brutale, repoussé sa mère. Christophe, halluciné, voit la vision de la Citadelle funeste, après avoir rejeté les paroles de sa femme. Lumumba, quelques instants après que sa femme lui a conseillé la prudence, voit les conspirateurs dans un cauchemar, et puis, réveillé, il entend l'annonce de sa destitution à la radio.

Devant les femmes, le héros se montre encore plus orgueilleux, et on a l'impression qu'il rassemble toutes ses forces pour ne pas fléchir. Il lui faut convaincre les femmes qu'il n'est pas dénaturé mais que l'intérêt du pays, de la race et de la dignité dépasse en importance le sentiment familial et filial.

A la fin du deuxième acte, l'évasion n'est plus possible. Le Rebelle est aveugle; Christophe fait emmurer l'archevêque et l'esclavage du peuple haïtien est accompli; la villa de Lumumba est investie par les troupes de Mokutu.

Des trois héros, seul Christophe paraît être entièrement victime de ses faiblesses. Comme Caliban, le Rebelle est victime de sa passion, la volonté de vivre dans la dignité et de la liberté, alors que la puissance du colonisateur joue le rôle décisif. Lumumba est, physiquement et moralement, pris dans les filets des comploteurs.

Le troisième acte est celui du drame personnel. La mort intervient dans

Side 13

tous les cas sauf pour Caliban qui disparaît de la scène. Mais le troisième acte est aussi celui où le héros montre la plus grande lucidité. Le fait d'être aveuglé, paralysé et emprisonné rend le héros très sensible à sa propre souffrance et aux forces qui l'entourent. Mais maintenant qu'il voit tout très clairement, il est trop tard et la mort surgit à temps pour le sauver d'un trop grand désespoir.

Tous les héros font face à la tentation de trahir et de sombrer dans le désespoir. Pétion et l'ambassadeur français, Franco de Medina, sont, en face de Christophe, les tentateurs. Lumumba est tenté par Kala comme Caliban l'est par Ariel. Dans Et les chiens ... il y a des Voix Tentatrices. Ajoutée aux paroles de leurs femmes respectives, cette tentation du héros sert à l'isoler davantage dans son orgueil. Sa réaction est intéressante. Christophe devient orgueilleux, tandis que les autres semblent se replier sur eux-mêmes.

Si le héros ne cède pas aux arguments de la femme et rejette les paroles de ceux qui essayent de le dissuader de sa mission, son intransigeance représente plus qu'une simple réaction d'orgueil. Le héros de Césaire est porteur de certains principes moraux, tels l'intégrité, le dévouement et la foi dans la solidarité humaine.

Tout en étudiant la carrière extraordinaire des héros, on s'interroge sur la valeur et la portée de leurs actions et l'on est même obligé de juger. La présence de certains personnages qui jouent un rôle d'information et d'interprétation nous aide à comprendre et à juger.

Les variantes du griot africain, du chœur grcu et du fou universel apparaissent dans toutes les pièces. Dans Une Tempête, il s'agit d'Eshu - Legha - qui paraît une seule fois sur scène. Dans les autres pièces, des personnages à la réplique facile se manifestent de temps à autre.

Surtout dans le contexte poétique et mystique de Et les chiens ..., les
Folles, les Récitants et Récitantes, le Demi-chœur et la Foule-Chœur jouent
un rôle très important dans le développement du drame.

Dans La Tragédie ..., Césaire décrit Hugonin comme «Mélange de
parasite, de bouffon et d'agent politique. » Dans Une Saison ..., Le Joueur
de Sanza surgit partout, commente l'action de la pièce et prédit. A la fin de
Et les chiens ... et d'Une Saison ... les personnages secondaires interprètent
pour nous la conclusion qu'il faut tirer du dénouement.

Dans Une Saison ..., la Foule et les Femmes jouent un rôle moindre. Sur le plan dramatique elles rappellent l'existence du peuple congolais. En effet, on risque facilement d'oublier l'existence de ce peuple en écoutant les derniers discours de Lumumba. qui deviennent de plus en plus abstraits.

Side 14

II en va de même pour les discours du Rebelle et de Christophe. La lutte contre les adversaires s'intériorise et les invocations à la mère Afrique, aux dieux de l'Afrique et aux loas se multiplient. Les références au Congo et au Dahomey tombent des lèvres du Rebelle et de Christophe tandis que Lumumbas'identifie de plus en plus à l'Afrique tout entière dans le temps et dans l'espace.

Des quatre pièces de Césaire, Et les chiens ... est la pièce la mieux réussie,
au point de vue de la poésie et du symbolisme; par contre, le personnage
dramatique de Lumumba, dans Une Saison . . „ se détache des autres héros.

Ce qui relie le symbolisme poétique des quatre pièces c'est l'emploi de la parabole négro-africaine. La parabole se fait action et, dans la bouche du Joueur de Sanza, le symbole devient même vivant, à la fois allégorie et réalité.

Lors de sa purification le héros descend dans les profondeurs de l'humiliation et de l'angoisse. Etant remonté à la dignité de la conscience de soi, il s'exprime d'une manière authentique et originale. Le ton même et le langage le distinguent des autres hommes et il est donc impensable qu'ils puissent comprendre et apprécier cette expression authentique. La grandeur et l'objectivité de la vision éblouissent ses collaborateurs et ses ennemis. Affaibli, il se rend compte de la puissance de sa mission invulnérable et éternelle.

Lumumba (à M'siri): M'siri, c'est une idée invulnérable que j'incarne, en effet! Invincible, comme l'espérance d'un peuple, comme le feu de brousse en brousse, comme le pollen de vent en vent, comme la racine dans l'aveugle terreau. {Une Saison A. 111, S. 6)

Mort, il continue à participer à la force vitale. Mort, il est devenu plus grand
et ses efforts sont plus efficaces puisque l'idée éternelle, le désir de la liberté
et de la dignité, a été concrétisée par son martyre.

II est intéressant de noter l'évolution de l'œuvre d'Aimé Césaire. Le premier ouvrage littéraire - le Cahier - est d'une telle obscurité que seuls les universitairesarrivent à le comprendre. Les poèmes publiés dans Soleil cou coupé, Corps perdu, Les Armes Miraculeuses et Ferrements ne rendent pas ce grand poète martiniquais plus intelligible. Bien qu'il ait déclaré à Jacqueline Siéger que «l'hermétisme a sensiblement diminué» dans ses derniers recueils, les poèmes «faciles » sont rares. Les essais, Discours sur le colonialisme et Lettre à

Side 15

Maurice Thorez, ainsi que l'étude biographique sur Toussaint Louverturel6 sont d'une valeur indéniable pour celui qui étudie le colonialisme. Cependant,c'est dans le théâtre que Césaire s'est montré le véritable professeur qu'il est.

Par son langage et son contenu, le message des trois dernières pièces est à la portée immédiate de tout le monde. Ces pièces peuvent être jouées, lues et comprises dans n'importe quel petit lycée où les professeurs et les élèves ont le sentiment de leur réalité nègre.

Il est intéressant de noter également que cette évolution de la poésie au théâtre correspond à celle de l'lvoirien Bernard Dadié, qui semble préférer le théâtre au roman. Notons également qu'Ousmane Sembène n'écrit plus de romans mais consacre tous ses talents au cinéma.l7

Cé;>aire, Dadié et Sembène ont bien compris que l'individualisme du roman et de la poésie ébotérique ne répond pas aux besoins des Nègres qui demandent un enseignement respectant les formes traditionnelles de l'art collectif et cherchant une analyse précise de leur situation.

Pourtant, Dadié et Sembène consacrent leurs plus grands efforts aux problèmes
africains dans un cadre africain.

Césaire, lui, situe son drame en dehors de sa propre réalité, dans l'espace
et dans le temps. Il a progressé de l'époque de l'esclavage, dramatisée dans
Et les chiens ..., à travers l'Haïti du début du dix-neuvième siècle, et le
Congo de 1960-1961, pour aboutir au monde fantastique de William Shakespeare.
Nous ne voulons pas nier la valeur des leçons qu'on peut tirer des
pièces. Cependant, la préoccupation de Césaire pour ies drames qui se déroulent
à l'extérieur de la réalité des Antilles Françaises est plutôt inquiétante.

Le Cahier d'un Retour au Pays natal est un chef-d'œuvre antillais. Le Discours sur le Colonialisme, la Lettre à Maurice Thorez et Toussaint Louverture sont des ouvrages qui appartiennent au Tiers-Monde tout entier. En écrivant ses pièces allégoriques, Césaire voulait-il dépasser le contexte étouffant des Antilles pour universaliser le drame du Nègre ? Faut-il croire qu'il n'y a pas de leçons à apprendre de la tragédie antillaise ? Pourquoi Césaire n'a-t-il jamais écrit une pièce sur la réalité antillaise? Pourquoi cette évasion vers d'autres rives et d'autres époques, quand des Nègres, dans son île natale, tombent fréquemment sous les balles des colonisateurs ?



16: A. Césaire: Touissaint Louverture, Présence Africaine, 1961.

17: Depuis la rédaction de ce travail, Sembènc a public le roman Xala dont il a déjà tourné un film.

Side 16

II a fallu attendre la pièce d'Auguste Macouba (Armet Auguste), Eia! Man-maille là!18, pour avoir un exploit littéraire sur les tragiques événements de décembre 1959. Qui va attirer l'attention du monde noir sur l'exploitation du peuple martiniquais écrasé par le joug capitaliste? Les habitants des DOM sont les peuples oubliés du monde et la mission de leurs écrivains et de leurs hommes politiques doit être d'informer l'étranger tout autant que de démystifier l'intérieur du pays.

Aimé Césaire est un grand poète et un grand dramaturge, mais nous mesurons sa réussite directement en fonction de son engagement dans la lutte antillaise. C'est par la qualité de cet engagement qu'il va être jugé en tant qu'homme politique et en tant que poète et dramaturge de la réalité antillaise.

Frederick Ivor Case

Toronto

Résumé

Aimé Césaire, poète-politicien de la Martinique, est bien connu pour avoir écrit en 1938 le Cahier d'un Retour au Pays natal. Pourtant, le député-maire de Fort-de-France semble avoir abandonné la poésie en faveur du théâtre. En effet, il a écrit quatre pièces d'une très grande importance dans le domaine de la littérature de la décolonisation.

Dans Et ¡es Chiens se taisaient, le héros est l'archétype du révolté. Esclave qui a tué son maître, il porte toutes les caractéristiques du héros tragique. Lucide et arrogant à la fois, le Rebelle est trop pur pour survivre dans le monde. Sa mort est annoncée dès le début de la pièce.

La Tragédie du roi Christophe est la pièce la plus célèbre de Césaire. Le drame tourne autour du personnage équivoque de Christophe - roi d'Haïti - tyran et bouffon, lucide et arrogant. Césaire semble mettre en scène plusieurs chefs d'Etat du Tiers-Monde qui, face aux problèmes du néo-colonialisme, progressent d'erreur en erreur .. .

Patrice Lumumba est le héros naïf et aveugle d'Une Saison au Congo. Césaire a bien
démontré, dans cette pièce, le drame de cet Etat africain aux prises avec les capitalistes
et missionnaires étrangers ainsi qu'avec la cinquième colonne de traîtres et de larbins.

Une Tempête est une adaptation par Césaire de la pièce shakespearienne The Tempest. Dans la pièce de Césaire, Caliban est totalement revalorisé et devient un personnage noble à la recherche de la dignité et de la liberté. Prospero, colonisateur raciste, se sert du Mulâtre, Ariel, comme garde-chiourme et agent général.

Les quatre pièces portent certaines caractéristiques communes qui rendent le théâtre de Césaire d'autant plus intéressant. Une étude attentive de ces similitudes révèle un agencement soigneux du drame qui fait ressortir l'angoisse du héros. Dans la pièce, tout contribue au message de Césaire qui dénonce inlassablement l'aliénation et l'acculturation dont les colonisés ont été victimes.



18: A. Macouba: Eïa! Man-maille là!, P. J. Oswald, 1968.