Revue Romane, Bind 10 (1975) 1

Henri Michaux ou la force de la faiblesse

par

Juliette Frølich

L'œuvre d'Henri Michaux se présente à première vue comme un univers poétique où domine la force. Dans un ensemble tel que VEspace du dedansl, le thème de l'attaque et de l'agressivité de l'être attaquant est repris par le poète avec un entêtement obsessionnel, de sorte que dans ce monde cruel les quelques textes qui tournent autour de la faiblesse et du désir d'abandon risquent d'échapper à l'attention du lecteur ou tout au moins de provoquer chez lui un certain étonnement. Dans l'œuvre de Michaux, le thème de la faiblesse reconnue et consciemment assumée semble être un paradoxe.

Ce qui frappe, cependant, c'est que le poète ait choisi de placer au début de son anthologie L'Espace du dedans un texte se constituant autour de la présence d'un être caché dans un trou. Immobile, celui-ci s'isole dans une attitude de grande attente, ï>an» r>e soucier du monde ambiant qui le bafoue et lui jette des pierres. Se pourrait-il qu'un tel être, grâce à sa méditation solitaire, soit en possession de celle force concentrée et surhumaine que donne l'ascèse? Or, voici ce qui se passe: n'ayant pas la force nécessaire pour sauvegarder sa personne, l'être dans le trou diminue et, ce faisant, cède la place à un espace de plus en plus grand :

il attendait ainsi toujours diminuant jusqu'à n'être plus que l'orteil de lui-même.2

Dès le début, Michaux se pose donc l'énigme du vide suscité par la faiblesse
de l'être. Dès le début, le poète nous confronte avec un problème essentiel
pour lui, celui de la dialectique de la présence et de l'absence.

Ce qui frappe aussi, c'est que Michaux achève son anthologie par le texte
intitulé Paix dans les brisements. Ce long texte est le récit d'une ascension



1: Vespace du dedans, Pages choisies (1927-1959), nouvelle édition revue et augmentée, Gallimard, Paris 1966.

2: Enigmes, loc. cit. p. 9.

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spirituelle portant les marques d'un mysticisme oriental. Toutes les étapes de cette ascension sont des épreuves qui exposent le sujet à toutes les variantespossibles d'une désappropriation totale de sa personne. Le sommet du bonheur ne se situe pas là où l'être atteint à sa propre plénitude, mais au contraire là où il atteint à sa propre négation: Le texte débute par les mots suivants:

L'espace a toussé sur moi et voilà que je ne suis plus . . .3

Paix dans les brisements est le récit d'une descente aux enfers. C'est seulement lorsque le moi collabore à sa propre réduction au rien, et qu'il s'ouvre et se laisse voluptueusement envahir par l'infini, c'est seulement alors qu'il entrevoit «la pente qui aspire/la merveilleusement simple inarrêtable ascension »4.

Si nous supposons et acceptons cette hypothèse que Michaux, en choisissant lui-même les textes de son anthologie, avait pour but de dévoiler au lecteur son vrai visage, nous devons conclure par là que le poète conçoit comme important pour la compréhension de son œuvre le thème de la faiblesse et celui de la force de la faiblesse. Dans les remarques qui suivront, j'essaierai de poursuivre ce thème qui me paraît être un des fils d'Ariane pour celui qui veut s'orienter dans l'univers imaginaire d'Henri Michaux.

Au commencement, chez Michaux, il y a rêve, rêve diffus, indéterminé, insaisissable par des images ou par des mots. Mais, malgré son refus de formuler clairement ce qu'il désire, le poète est profondément conscient du contenu de son rêve :

Rêves, sans images, sans mots, immobile.
Il rêve à la permanence,
à une perpétuité sans changement.s

Plus tard ce rêve se cristallise en une image:

Le rêve de vie complète
muette
s'accomplit dans les gouttes
sphères
repoussant des sphères.6



3: loc. cit. p. 363.

4: loc. cit. p. 370.

5: Quelques renseignements sur cinquante-neuf années d'existence, Les cahiers de l'Herne, Minard, Paris, 1966, p. 11.

6: Lecture, de deux lithographies de Zao-Wou-Ki, Lecture (1950), ds: L'Espace du dedans, p. 319.

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Michaux rêve d'être goutte, rondeur condensée, enclose en elle-même et, par conséquent, préservée de toute possibilité d'immixtion. Dès l'abord, Michaux vit et aime vivre en marge, de sorte qu'il se reconnaît, non sans fierté, «une nature de gréviste»7. Etre goutte, serait atteindre au maximum d'une concentration sur soi. Etre goutte, serait pouvoir se ramasser sur soi dans un refus radical du monde dans lequel, par malentendu, Michaux se voit jeté. Ce monde est pour le poète un lieu où l'on étouffe: tout l'y opprime, toute présence y semble agressive, faite uniquement pour exercer une constante pression sur son être. Etre goutte signifierait pouvoir s'opposer à cette contrainte et se retirer dans l'isolement de son unité autonome. Etre goutte signifierait avoir la force d'être «sphère repoussant des sphères»B.

En somme, le rêve d'être goutte est pour Michaux un rêve de puissance. Or, le poète souffre, au contraire, d'une faiblesse si fondamentale que Georges Poulet peut dire avec raison que le sentiment premier de Michaux est celui d'une carence d'être, d'une faiblesse ontologique9. Le rêve de Michaux est donc l'expression d'une privation. Tandis que la goutte se définit par son état de fluidité arrêtée - arrêt provisoire, il est vrai, mais indéfiniment prolongé -, Michaux se considère en premier lieu comme étant un être toujours en train de couler, de s'écouler, de défaillir. Et, souvent, il semble tout simplement capituler devant l'évidence de sa propre faiblesse:

Que de coups, que de cnocs, que de en mes:
Combien d'algues traînant toujours dans mes efforts!
Jonques emmêlées, sans aucun cri, bâtiment fatigué coule définitivement 10

Happés avec douceur, mais happés irrésistiblement, ils glissent vers la chaude
ouverture. L'idée de résister ne s'offre pas véritablement à eux. Ils se laissent
faire, saisis par l'évidence.ll

Georges Poulet a souligné qu'une grande partie de l'œuvre de Michaux
reflète le supplice qu'est la faiblessel2, supplice qui consiste en une lente dissolutiondans
l'informe, en une interminable dérive vers le rien. L'être n'y



7: cf. (5).

8: cf. (6).

9: voir Georges Poulet, Henri Michaux ou le supplice des faibles, Les cahiers de VHerne, numéro consacré à Henri Michaux, p. 166 voir a ussi : Georges Poulet, Vantagonisme de Vespace. La Quinzaine littéraire du 16 janv. au 31 janv. 1973, pp. 6/8.

10: Faits divers, Face aux verrous, Gallimard, Paris 1954, p. 160.

11: A la broche, La vie dans les plis, Gallimard, Paris 1949, p. 18.

12: cf. (9).

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résiste pas, parce qu'il ne peut pas y résister. Il arrive, pourtant, me semblet-il,que Michaux fasse preuve d'un manque de volonté de résistance. Il semble alors tirer une étrange jouissance de son état de faiblesse. Son penchantfatal lui est devenu besoin, source de bien-être, volonté de satisfaire à un désir explicite de se laisser aller.

Présentons, à ce propos, le peuple des Emanglons, peuple imaginaire qui s'oppose aussi bien aux Hacs qu'aux autres races que le poète visite au cours de son Voyage en grande Carabagnel3. L'Emanglon - son nom semble provenir du verbe «émaner» - se caractérise par son entière passivité, son excessive fluidité. Rien d'étonnant qu'il réside de préférence près des eaux, car

l'eau plaît aux faibles, les étangs, les lacs leur plaisent. Ils y perdent leur sentiment
d'infériorité. Ils peuvent enfin respirer. Ces grandes étendues de faiblesse leur
montent à la tête en orgueil et triomphe soudain.l4

L'Emanglon est fait à l'image de l'eau. Il est sans forme, sans arêtes précises, sans but déterminé. Or, s'abandonner, capituler devant sa propre faiblesse, c'est pour cette race non pas un manque de force déplorable, mais un besoin, une nécessité, plus encore, sa réponse à elle donnée à l'existence. Un Emanglon dépérit en peu de temps, dès qu'il lui vient à l'esprit de travailler, et toute sa manière de vivre est dominée par la certitude qu' «il est inutile de lutter, qu'il est battu d'avance»ls. Ce qui domine, donc, chez cette race, c'est son entière plasticité. Malléable, elle veut être malléable. A la moindre secousse, l'être s'ouvre et cède sans volonté de résistance à son besoin d'abandon:

Sans motifs apparents, tout à coup un Emanglon se met à pleurer, soit qu'il voie trembler une feuille, une chose légère ou tomber une poussière, ou une feuille en sa mémoire tomber, frôlant d'autres souvenirs divers, lointains, soit encore que son destin d'homme en lui apparaissant, le fasse souffrir . . .

. . . saisis souvent par une sorte de décristallisation collective, des groupes d'Emanglons, si la chose se passe au café, se mettent à pleurer silencieusement, les larmes brouillent les regards, la salle et les tables disparaissent à leur vue . . . Une espèce de dégel intérieur, accompagné de frissons, les occupe tous. Mais avec paix. Car ce qu'ils sentent est un effritement général du monde sans limites, et non de leur simple personne ou de leur passé, et contre quoi rien, rien ne peut se faire.l6



13: Voyage en Grande Carabagne, NRF, 1936.

14: La nature fidèle à l"homme, Lointain intérieur, 1938, ds: L'Espace du dedans, p. 210.

15: Les Emanglons, mœurs et coutumes, Voyage en Grande Carabagne, 1936, loc. cit. p. 166.

16: loc. cit. p. 171.

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Devant le spectacle de l'effritement général de tout ce qui existe, l'Emanglon choisit ainsi de fondre en larmes. La condition pitoyable de l'homme et du monde ne provoque chez lui aucun geste de révolte. Il se réfugie, au contraire, dans un état d'euphorie et cherche l'apaisement de toute tension dans le bien-être des larmes largement répandues. Bref, au lieu de chercher à consolider un monde en train de tomber en poussière, il encourage et soutient ce processus de destruction en cours en mimant pour son compte la défaite certaine. Faible, il choisit de vivre à l'extrême sa faiblesse, et sa jouissance augmente à mesure qu'il sent qu'il partage son effondrement avec une collectivité. Communier, c'est pour un Emanglon s'unir à autrui dans un échange d'attendrissements.

La voie de l'abandon peut donc aboutir à une communion avec autrui. C'est le bien-être et la consolation de la douleur partagée. Mais l'abandon peut aussi être en lui-même une jouissance. Dans un texte intitulé Paresse, Michaux s'abandonne à cette sorte de jouissance et assiste avec plaisir à l'écoulement graduel de sa substance la plus intime :

Quand l'âme quitte le corps par le ventre pour nager, il se produit une telle
libération de je ne sais quoi, c'est un abandon, une jouissance, un relâchement
si intime ...

Quand donc elle se trouve occupée à nager au loin, par ce simple fil qui lie l'homme à l'âme s'écoulent des volumes et des volumes d'une sorte de matière spiiitucîlc, comme Je la boue, comme d*¿ mercure, ou comme du gaz -jouissance sans fin.l7

La jouissance que Michaux tire de l'écoulement de son être est étrangement semblable à celle que, par moments, lui procure la mescaline. Ce qui est délicieux, c'est de ne plus se contracter, c'est de s'ouvrir, de se relâcher, de cesser de lutterlB. Tout se passe, donc, comme si le poète entrevoyait, grâce à l'insuffisance de son être, la possibilité d'atteindre à une liberté illimitée, liberté qui se définit comme une entière disponibilité.



17: La paresse, Mes propriétés, 1929, loc. cit. pp. 35/36.

18: Avec la mescaline, Misérable miracle, 1956, loc. cit.: p. 351 : Ainsi, ce jour-là fut celui de la grande ouverture. Oubliant les images de pacotille qui du reste disparurent, cessant de lutter, je me laissai traverser par le fluide qui, pénétrant par le sillon, paraissait venir tout du monde . . . p. 352: Par moments, des milliers de petites tiges ambulacraires d'une astérie gigantesque se fixaient sur moi si intimement que je ne pouvais savoir si c'était elle qui devenait moi, ou moi qui étais devenu elle. Je me serrais, je me rendais étanche et contracte, mais tout ce qui se contracte ici promptement doit se relâcher, l'ennemi même se dissout comme sel dans l'eau Qui coule ne peut habiter.

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Mais cette disponibilité d'un esprit qui s'est vidé de toute substance propre n'est pas sans représenter des menaces. A la différence de la disponibilité d'un Gide qui, lui, voyait dans cet état non seulement une source de jouissance et de liberté, mais aussi la possibilité de préserver son autonomie, la disponibilité à laquelle aboutit Michaux prend très souvent une allure fatale. Faible, souple, malléable, le poète est constamment en danger de subir la marque des autres. Etre disponible, c'est très souvent servir de poubelle dans laquelle les autres - les «forts» - déchargent ce dont ils ne veulent pas:

Oh! Ils sont forts pour ça et les femmes plus encore. Dès qu'elles ont senti quelqu'un de disponible, de vraiment disponible, qui ne le savait peut-être pas luimême, à qui elles vont pouvoir aller pour se décharger du poids écrasant de leurs revers, de leurs drames et du peuplement hétéroclite de leur solitude, les voilà qui se jettent sur le spectateur tranquille, victime abasourdie.l9

Cette invasion d'autrui peut être si dominante qu'elle marque non seulement
la physionomie de l'être subjugué, mais qu'elle va jusqu'à lui imposer un
changement de destin :

Du passant inconnu le visage qui venait à ma rencontre était si triste, que dans le temps de parcourir quelques mètres jusqu'à moi, il grava dans le mien deux rides profondes . . . dures rides appuyées de toute sa misère découragée et dont je ne puis plus me défaire.

Depuis lors, se modelant malgré moi sur cette marque d'un passé terrible, ma
vie a changé ... je m'enlise et me perds .. . pour m'être un jour dans la rue laissé
surprendre par un visage, du plus profond malheur atteint.2o

Faible, la substance de Michaux - ou ce qui en reste - est devenue une pâte que n'importe qui ou n'importe quoi peut pétrir à sa guise. Faible, Michaux est entièrement dépendant. Faible, il possède la faculté de coïncider avec toute présence autre que lui. Longtemps, le poète considère que cette capacité d'identification est un autre signe néfaste de sa faiblesse originelle:

Je suis tellement faible (je l'étais surtout), que si je pouvais coïncider d'esprit avec qui que ce soit, je serais immédiatement subjugué et avalé par lui et entièrement sous sa dépendance, mais j'ai l'oeil, attentif, acharné plutôt à être toujours bien exclusivement m0i.21



19: Personnel, Face aux verrous, p. 141.

20: Faits divers, loc. cit. pp. 160/161.

21: Magie V, Lointain intérieur, ds: L'Espace du dedans, pp. 202/203.

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Répétons-le: Michaux est un faible et il en est bien conscient. Mais ce qui le distingue d'autres consciences souffrant d'une faiblesse semblable à la sienne, ce qui le distingue d'un Amiel par exemple, c'est l'opiniâtreté avec laquelle il désire consumer pour lui-même, indépendant de toute influence extérieure, ce «manque d'être» qu'il est en fait. Il s'est lui-même appelé un «faible ajamáis récalcitrant»22 et, tout faible qu'il soit, il est fermement décidé à être lui-même, et à poursuivre pour lui-même le but qu'il s'est assigné :

J'ai écrit dans Ecuador que j'étais du vide. Je veux combler ce vide pour connaître
celui qui ne peut pas être comblé.23

En dépit de sa faiblesse et du plaisir que lui procure parfois son penchant à l'abandon, Michaux est aussi un être en quête d'une connaissance, connaissance négative, il est vrai, puisque Michaux espère connaître l'absence, le vide. Cela est son choix, et ce qui importe c'est qu'il ait fait un choix. A partir de ce moment, il lui est impossible de se contenter d'être un vide. Il lui faut au contraire dépasser cette carence d'être originelle, la dépasser après l'avoir mise à son service. Il me semble que c'est grâce à son opiniâtreté et à sa soif de connaissance que Michaux en arrive à déceler ce qui fait la force de sa faiblesse. Profitant de sa faiblesse, le poète en vient à profiter de ce qu'il est, par définition, un être influençable et suggestible. Mais, loin de se laisser envahir par quelque présence étrangère, désireuse de le modeler à sa guise, il maintenant à retirer de l'adversaire plus fort que lui sa part de force et de courage.

Un moyen de se procurer cette force si enviée serait, bien sûr, de rétrograder jusqu'au règne animal et de faire comme l'araignée qui, insidieusement, tend ses faibles fils autour de la très forte darelette, et ensuite «la pompe toute entière par les oreilles »24.

Mais Michaux préfère profiter de ce qui, auparavant, lui était apparu comme une des tares provenant de sa faiblesse, son aptitude à s'identifier à autrui. Car, qu'est-ce que l'identification sinon l'acte par lequel un être se glisse à l'intérieur d'un autre être et coïncide avec celui-ci ? S'identifier, c'est faire sien, dans une sorte de confusion, ce que cet autre représente, c'est



22: Qu'il repose en révolte, La vie dans les plis, loc. cit. p. 293.

23: cité par Robert Erection, Michaux, La. Bibliothèque idéale, NRF, Gallimard, Paris,

24: La darelette, Mes propriétés, ds: VEspace du dedans, p. 66.

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même quelquefois réagir conformément à cette confusion. S'il est vrai que celui qui coïncide avec autrui, s'ouvre et cède de manière à risquer de se perdre en s'enlisant dans la personnalité seconde, il est tout aussi vrai que la fusion avec autrui peut remplir de substance nouvelle celui qui, comme Michaux, s'est vidé de la sienne. Tout ce passe pour Michaux, me semble-t-il, comme pour ce jeune garçon qui, au pays de la magie, se voit un jour capturé par un lion:

Ce qu'il fait alors, ne pouvant se défendre? Il s'identifie avec le lion. A travers sa faiblesse, il est possédé d'une joie tellement forte, d'un plaisir de dévoration si exorbitant, qu'un adolescent qu'on avait retiré de la gueule du lion se mit à pleurer.

«Pourquoi m'avez-vous retiré du comble du bonheur, dit-il à ses sauveurs,
alors que j'étais occupé à dévorer un misérable ... », car il se croyait toujours
lion ...25

L'identification se présente ici sous la forme d'une influence tellement forte qu'elle agit sur l'être qui la subit comme un sortilège. Le lion prend littéralement possession du garçon, le modifie, l'affermit, en fait le siège d'une inspiration étrangère à l'être faible, celle d'un besoin de dévoration et de férocité. Par un paradoxe inattendu, le garçon découvre au plus profond de son impuissance le sentiment d'agir. Il lui semble devoir prendre pour son propre compte le centre dynamique qui pousse l'animal sauvage à ses actions. Et c'est avec une joie enivrée qu'il s'identifie au principe de vie de son adversaire. L'exaltation est ici essentiellement participante.

Au moment, donc, où l'être faible s'identifie à ce qui le menace, un nouvel élan le soulève et lui donne la possibilité de retirer de sa faiblesse la force qui lui permet de rassembler son être fluide et plastique en une unité autonome et dynamique. C'est tout naturellement que Michaux, pour décrire cet état de bonheur, reprend l'image de son rêve, l'image de la rondeur sphérique:

L'exorcisme, réaction de force, en attaque de bélier, est le véritable poème du
prisonnier.

Dans le lieu même de la souffrance et de l'idée fixe, on introduit une exaltation telle, une si magnifique violence, unies aux martèlement des mots, que le mal progressivement dissous est remplacé par une boule aérienne et démoniaque - état merveilleux.26



25: Au pays de la magie, 1941, loc. cit. p. 267.

26: Exorcismes, Epreuves, Exorcismes, 1940-1944 (1945), loc. cit. p. 275.

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«Pour se délivrer d'emprises»27, «pour tenir en échec les puissances environnantes du monde hostile »28, Michaux profite de sa faiblesse et se glisse dans le centre d'agressivité et de cruauté des forces qui le menacent. C'est grâce à son pouvoir d'identification, grâce, par conséquent, à sa faiblesse qu'il conquiert, en les volant à autrui, les forces nécessaires pour parer toute provocation. La puissance de Michaux attaquant, détruisant, déployant une immense cruauté, cette puissance lui vient de son impuissance. Il s'ensuit que le Michaux des poèmes de résignation et de doux abandon n'est pas différent du Michaux des poèmes de combat et d'interventions. L'un engendre l'autre, l'un est nécessaire à l'autre. C'est pourquoi l'œuvre de ce poète doit nous apparaître, malgré toute sa discontinuité flagrante, comme un champ de force essentiellement cohérent.

Il n'est pas de mon intention de relever ici tous les aspects que prend, dans l'œuvre de Michaux, l'agressivité acquise par l'identification.29 J'aimerais uniquement souligner ce que ces poèmes ont en commun : tous, ils constituent une sorte de déchargement imaginaire, un acte magique au cours duquel le poète en arrive à la décontraction d'une extrême tension et où une pression insoutenable cesse d'exercer ses prises. Les poèmes de ¡'«intervention» ressemblent en ceci à ceux de l'«abandon» qu'ils instaurent, eux aussi, un état de soulagement et d'euphorie, résultat de l'imagination poétique qui a pris sa revanche. Le Michaux qui s'abandonne à la paresse et le Michaux qui invente une mitrailleuse à gifles satisfait un même besoin, celui de se soulager :

C'est dans la vie de famille, comme il fallait s'y attendre, que je réalisai la mitrailleuse à gifles. Je la réalisai, sans l'avoir méditée. Ma coiere loui a coup se prujeta hors de ma main, comme un gant de vent qui en serait sorti, comme deux, trois, quatre, dix gants, des gants d'effluves qui, spasmodiquement, et terriblement vite se précipitèrent du bout de mes doigts, vers la tête odieuse qu'elles atteignirent sans tarder.



27: loc. cit. p. 276.

28: id.

29: Je songe à des textes tels que: Une vie de chien, L'Espace du dedans, pp. 31/32. Mes occupations, loc. cit. p. 33. La simplicité, loc. cit. p. 34. Au lit, loc. cit. p. 52. La jetée, loc. cit. pp. 53/54. Crier, loc. cit. p. 55. Intervention, loc. cit. pp. 60/t>l. La séance de sac, loc cit. n. 287. Les envies satisfaites, loc. cit. p. 289.

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Ce dégorgement répété de la main était étonnant. Ce n'était vraiment plus une
gifle, ni deux .. .

Véritable éjaculation de gifles, éjaculation en cascade et à soubresauts, ma main
restant rigoureusement immobile.

Ce jour-là, je touchai la magie.3o

«Ce jour-là, je touchai la magie»: tout se passe donc comme si le poète avait non seulement surmonté sa faiblesse, mais au surplus atteint un état qui dépasse la condition du commun des hommes. Il n'y a pas de doute que la magie exerce sur Michaux une grande fascination. Etre mage, c'est, à ses yeux, pouvoir persévérer dans un état de concentration extrême, nourri d'euphorie. Etre mage, c'est tenir en échec un grand nombre des lois de l'univers physique, et ceci par un renforcement de ses propres forces psychiques. Au pays de la magie3l, un homme peut se renforcer par méditation de manière à pouvoir remonter un fleuve en marchant sur l'une et l'autre rive à la fois. Il peut aussi retenir l'écoulement de l'eau - du moins pour un temps limité - ou bien dégager une source de son lit et l'obliger à le suivre.

Or, ce qui frappe, c'est que les mages du Pays de la magie le plus souvent ne poursuivent qu'un seul but, celui de nuire aux autres. Cela revient à dire que leur puissance n'est puissance que si elle se dirige contre un adversaire réel ou imaginaire. Pour le mage, comme pour Michaux, le monde environnant représente une agressivité dangereuse. Tous les deux éprouvent leur entourage sous la forme d'une provocation directement axée contre eux. Ii y a ainsi au Pays de la magie un conseil permanent, chargé de détecter l'éveil des forces dangereuses. Le sort d'un malfaiteur? Par force magique, on lui arrache le visage. Le sort d'un simple suspect? «On vient de le prendre à lui-même»2'l. Le mage punit ainsi son adversaire en lui enlevant son identité, en le réduisant à un état zéro. Il semble donc que la magie fascine le poète surtout parce qu'elle prend ses origines dans une vision du monde qui ressemble à la sienne. Pour le mage, comme pour Michaux, exister c'est être obligé de nier l'existence d'autrui. Traqué par les forces adverses, Michaux semble trouver dans la magie l'autorisation de remédier à son angoisse par un acte de négation. Tout ce qui semble vouloir nier son «être-là», il le nie maintenant pour son compte. Dans le monde de Michaux, toute coexistence semble impossible :



30: La mitrailleuse à gifles, La vie dans les plis, loc. cit. p. 291.

31: cf. (21).

32: Au pays de la magie, loc. cit. p. 265.

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C'est moi le bon chemin qui ne fait rebrousser personne.
C'est moi le bon poignard qui fait deux partout où il passe.
C'est moi qui . . .
Ce sont les autres qui ne pas .. .33

Pour combler son propre vide, il ne suffit donc pas de s'identifier à la puissance d'autrui afin d'en tirer de quoi remplir le creux. Il faut ensuite détruire toute présence coexistante et créer autour de soi un espace vide. Se concentrer, protéger l'autonomie, c'est, par tous les moyens, s'isoler. Tout porte à croire que le poète puise dans l'adversaire les forces négatives qui lui permettent de se replier sur soi en un refus explicite, symbolisé par la boule:

Je suis parfois si profondément engagé en moi-même en une boule unique et dense que, assis sur une chaise, à pas deux mètres de la iampe posée sur ma table de travail, c'est à grand-peine et après un long temps que, les yeux cependant grands ouverts, j'arrive à lancer jusqu'à elle un regard.

Une émotion étrange me saisit à ce témoignage du cercle qui m'isole.

Il me semble qu'un obus ou la foudre même n'arriverait pas à m'atteindre tant
j'ai de matelas de toutes parts appliqués contre moi.

Plus simplement, ce pourrait être que la racine de l'angoisse est pour quelque
temps enfouie.34

Si nous mettons, pour un instant, la dernière phrase de ce texte entre parenthèses, nous pouvons dire que Michaux, dans cet instant même, a atteint ce sommet de la concentration dynamique dont, auparavant, il ne pouvait que rêver. Boule, il vit dans un cercle isolateur. Par une forte concentration sur soi, il a fait sienne une grande force. Par l'isolement dans son extrême individualité, il fait preuve de désolidarisation. Jouir d'être boule unique et dense, c'est ainsi jouir d'une plénitude et d'une densité que le moi éprouve comme un refuge. Michaux-boule ressemble au mot, qui, sous l'influence de la mescaline, devient dense, «mot plein en lui-même, mot dans un nid»3s.

Il est significatif que ce texte figure dans L'Espace du dedans sous le titre de Magie. Or, nous savons déjà que la magie fascine Michaux parce qu'elle est l'art de produire des effets contraires aux lois naturelles. Le poète nous en fournit plusieurs exemples: II s'efforce de s'identifier àun fleuve36, puis



33: En vérité, Mes propriétés, loc. cit. p. 74.

34: Magie 111, Lointain intérieur, loc. cit. p. 201.

35: Avec la mescaline, Misérable mjrnrfc loc. cit. r>. 345.

36: Maeie I. Lointain Intérieur, loc. cit. pp. 199/200.

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de se mettre dans une pomme37, puis de guérir des maux physiques en remplaçantla douleur par l'euphorie. Ce qui caractérise toutes ces expériences, c'est la volonté du poète de se mystifier lui-même, de croire que l'on peut contraindre et modifier les lois de la nature grâce à sa propre suffisance. Car l'être-boule, c'est l'être qui de toutes ses forces se persuade qu'il a retrouvé son état de suffisance. Aussi longtemps que dure l'euphorie et que Michaux peut persévérer dans son effort de concentration, il peut aussi se persuader qu'il lui est donné d'exister dans un état non soumis aux lois humaines. Cependant, même Au pays de la magie, la puissance du mage doit un jour céder devant l'évidence de la condition de l'homme:

Une journée en soi existe et la précédente existe et celle qui précède la précédente, et celle d'avant ... et elles sont bien agglutinées, des dizaines ensemble, des trentaines, des années entières, et on arrive pas à vivre, soi, mais seulement à vivre la vie, et l'on est tout étonné.3B

«On n'arrive pas à vivre, soi, mais seulement la vie»: voilà la triste vérité de toute existence humaine. La prise de conscience de cette vérité oblige Michaux à abdiquer son rêve d'être boule et de jouir d'une permanence illusoire. Mais elle lui révèle en même temps qu'il n'est pas seul à devoir assumer sa condition de profonde insuffisance, mais qu'il la partage avec tous les hommes. Tout comme le mage qui n'arrive pas à dominer le temps, le poète doit, lui aussi, payer «le tribut à l'existence animale»39.

Ce tribut, Michaux le paie littéralement de sa propre personne. Car, il lui faut rendre ce par quoi il avait essayé de combler son propre vide, la substanceretirée de l'adversaire. Prenant conscience de ce que son état d'insuffisanceest conditionné par le fait d'être un être humain, le poète prend conscience aussi de ce que règne dans le monde non pas une adversité dirigée uniquement contre lui-même, mais bien plutôt ce que Merleau-Ponty appelle une «adversité anonyme»4o. L'être faible n'est pas, comme le croyait Michaux,sous la contrainte de quelque intention déterminée. Il règne au contrairedans le monde une adversité sans intention, et le poète agit comme Don Quichotte en voulant la combattre. Plus encore, s'il n'y a pas d'adversairedéfini,



37: id.

38: Au pays de la magie, loc. cit. p. 271.

39: Au pays de la magie, loc. cit. p. 272.

40: Maurice Merleau-Ponty, Signes, Gallimard, Paris, 1967, p. 304.

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sairedéfini,si le mal n'est pas le rythme des autres4l, Michaux se voit privé de la possibilité de mimer ce rythme, de se l'approprier afin de s'affirmer. Bref, combler son propre vide en puisant dans la substance de l'adversaire, se révèle effort vain. Parti du vide, Michaux retourne au vide. Ce n'était que pour un temps - le temps de la magie - que la racine de l'angoisse était enfouie42.

L'entreprise de Michaux dirigeant ses efforts vers l'affirmation d'un moi autonome s'est ainsi soldée par un échec. Or, il faut se rappeler ici que Michaux ne considérait dès l'abord cette entreprise que comme une première étape à dépasser sur le chemin menant à la connaissance suprême, connaissance du vide qui ne peut pas être comblé43. C'est seulement ainsi que l'on peut comprendre la raison pour laquelle Michaux se détourne de son rêve originel et s'engage sur une route diamétralement opposée. Au lieu de se constituer en un moi, en une personne, il s'acharne maintenant à expérimenter sur le vif ce que Merleau-Ponty appelle «le négatif»44, ce manque d'être qui se constitue lui-même en manque. Michaux se sait manque, mais c'est maintenant en toute lucidité et avec un courage héroïque qu'il veut assumer ce manque dans son intégralité. Avouer son impuissance, se voir vaincu, tel est le moyen d'assumer son infériorité, tel est l'acte du renoncement total. En somme, la voie dans laquelle s'engage maintenant le poète est celle d'une imitatio Christi:

L'homme a un besoin méconnu. Il a besoin de faiblesse

D'une façon ou d'une autre, il lui faut être vaincu.
Chacun a un Christ qui veille en soi4s



41 : Passages, Le Point du Jour, NRF, Gallimard, Pans, 1950, p. 144. Le mal, c'est le rythme des autres Pourquoi je joue du tam-tam maintenant ? Pour mon barrage Pour forcer vos barrages Pour franchir la vague montante des nouveaux empêcheurs Pour m'ausculter Pour me tâter le pouls Pour me précipiter Pour me ralentir Pour cesser de me confondre avec la ville avec EUX avec le pays avec hier Pour rester à cheval . . .

42: cf. (34).

43: ci. {23).

44: Maurice Merlpnu-Pnntv. Le visible et l'invisible. NRF, Gallimard, Paris 1964, p. 276.

45: La nuit remue, NRF, 1935, p. 65.

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II est loin de mes intentions de faire de Michaux un chrétien malgré lui. Il est évident que la vision du monde de ce poète est celle d'une génération pour laquelle la mort du Christ est un fait. L'image du Christ doit être comprise comme la représentation la plus parfaite de l'humilité. Comme le Christ, Michaux veut assumer dans son entier son propre nivellement. Comme le Christ, le poète abdique tout amour de soi et descend toujours plus bas sur le chemin vertigineux de l'extrême déchéance. Mais, à la différence du Christ qui avait la certitude que son sacrifice instaurerait dans le monde la présence de l'lncarnation, Michaux est Tahavi, celui qui va au vide:

Tahavi va au Vide. Tahavi déteste le Vide. C'est l'horreur de Tahavi que le Vide.
Mais le Vide est venu à Tahavi.46

Si l'œuvre de Michaux peut nous apparaître comme le terrain où a lieu un corps à corps entre le poète et le vide, ce combat ne devient possible qu'au moment où les deux adversaires se trouvent sur un pied d'égalité. Il ne suffit pas de vouloir faire abstraction de l'ensemble de l'univers et ainsi faire éclater dans toute son ampleur la présence du vide. Ce qu'il faut, c'est se rejeter soi-même et assumer son propre néant. L'expérience de Michaux ressemble quelque peu à celle d'Amiel écrivant: «C'est dans le zéro que j'ai cherché ma liberté »47. Mais, tandis qu'Amiel est pris de nausée devant sa défiance insurmontable, Michaux considère que seul «l'abandon de l'empire de moi »48 lui permet d'atteindre à la connaissance et à la liberté. Michaux, c'est celui qui exploite consciemment son insuffisance et qui, en l'exploitant, découvre la force de la faiblesse :

Celui qui est fort, lui manquant d'être faible, est faible, mais le faible s'étend
sans limites.49

La force de la faiblesse, c'est donc, pour Michaux, posséder la faculté de s'étendre de manière illimitée. Etre faible, c'est être aussi fort que l'infini. Vision vertigineuse, supportable seulement pour qui désire avoir «le courage pour être rien et rien que rien»so. Il me semble que le point de départ de la confrontation du poète avec le vide, point central de l'œuvre d'Henri Michaux,se



46: Tahavi, La vie dans les plis, p. 114.

47: Amiel, Journal, 25 juin 1856.

48: Paix dans les brisements, ds: L'Espace du dedans, p. 358.

49: Tranches de savoir, Face aux verrous, p. 74.

50: Clown, Peintures, 1939, ds: L'Espace du dedans, pp. 249/250.

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chaux,sesitue au moment où celui-ci assume totalement ce nivellement que
décrit un de ses textes les plus pathétiques, Clown :

Un jour.
Un jour, bientôt peut-être.
Un jour, j'arracherai l'ancre qui tient mon navire loin des mers.
Avec la sorte de courage qu'il faut pour être rien et rien que rien, je lâcherai
ce qui paraissait m'être indissolublement proche.
Je le trancherai, je le renverserai, je le romprai, je le ferai dégringoler.
D'un coup dégorgeant ma misérable pudeur, mes misérables combinaisons et
enchaînements «de fil en aiguille».
Vidé de l'abcès d'être quelqu'un, je boirai à nouveau l'espace nourricier.
A coup de ridicules, de déchéances (qu'est-ce que la déchéance?), par éclatement,
par vide, par une totale dissipation-dérision-purgation, j'expulserai de
moi la forme qu'on croyait si bien attachée, composée, coordonnée, assortie
à mon entourage et à mes semblables, si dignes, si dignes, mes semblables.
Réduit à une humilité de catastrophe, à un nivellement parfait comme après
une immense trouille.
Ramené au-dessous de toute mesure à mon rang réel, au rang infime que je
ne sais quelle idée-ambition m'avait fait déserter.
Anéanti quant à la hauteur, quant à l'estime.
Perdu en un endroit lointain (ou même pas), sans nom, sans identité.

CLOWN, abattant dans la risée, dans le grotesque, dans l'esclaffement, le sens
que contre toute lumière ie m'étais fait de mon importance.
Je plongerai.
Sans bourse dans l'infini-esprit sous-jacent ouvert à tous, ouvert moi-même à
une nouvelle et incroyable rosée
A force d'être nul
et ras ...
et risible .. .51

Juliette Frelich

Oslo

Résumé

Tout commence chez Michaux par la prise de conscience d'un manque d'être et d'une faiblesse ontologique. Michaux se conçoit comme étant un vide. Toute une partie de son œuvre témoigne de son effort pour combler ce vide. Michaux découvre que sa faiblesse l'expose à nu à l'assaut des forces environnantes qui constamment l'attaquent. Mais il découvre aussi que cette même faiblesse lui permet de s'identifier à la force d'autrui, de s'y identifier au point de pouvoir puiser dans autrui la force qui permet d'attaquer à son tour. Une force de la faiblesse est ainsi cette capacité du faible à s'identifier, à mimer, à se glisser dans la peau d'autrui. Mais un autre moyen de transformer en force



51: id.

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ce qui est faiblesse, c'est d'assumer cette faiblesse dans toute son ampleur. Une grande partie - et peut-être la partie essentielle - de l'œuvre de Michaux témoigne d'une véritableascèse : non seulement l'être assume le peu qu'il possède ; il s'efforce aussi de réduire ce peu d'être à rien, d'atteindre à son propre nivellement. C'est grâce à une semblable ascèse que Michaux finit par se trouver sur un pied d'égalité avec le vide de l'espace du dehors et du dedans qu'un désir inépuisable le pousse à connaître, à explorer.