Revue Romane, Bind 9 (1974) 2

Margareta Silenstam: L'emploi des modes dans les propositions complétives étudié dans des textes français de la seconde moitié du XVIIe siècle. Acta Universitatis Upsaliensis, Studia Romanica Upsaliensia II, Uppsala, 1973, 155 p.

Tove Jacobsen

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Les problèmes relatifs à l'emploi des modes dans les complétives préoccupent depuis plusieurs années les linguistes candinaves. dinaves.Aux livres de Helge Nordahll et de Gerhard Boysen2 sur le subjonctif en français moderne vient s'ajouter l'étude de Margareta Silenstam sur le système modal au XVIIe siècle.



1: Les systèmes du subjonctif corrélatif, Bergen-Osio, 1969.

2: Subjonctif et hiérarchie, Odense, 1971.

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C'est une étude qui se veut surtout classificatoire. Ainsi, aucune tentative d'explication des changements modaux importants qui se sont produits au cours du XVIIe siècle ne sera proposée. L'auteur situe son ouvrage dans une perspective formaliste: «Les exemples collectionnés ont été subdivisés, non d'après la nature sémantique, mais d'après le comportement modal de l'expression régissante. Dans un premier groupe, A, nous avons réuni celles qui ne se font suivre que du subjonctif, dans un autre, B, celles qui se font suivre de l'indicatif, et dans un troisième, C, celles qui, à des proportions diverses, sont suivies des deux modes» (p. 13).

Dans cette première subdivision, c'est donc l'expression régissante qui impose un mode à la complétive. Mais comme l'ont montré Nordahl et Boysen pour le français moderne, le choix modal dépend en grande partie du jeu d'une série de facteurs syntaxiques, et Margareta Silenstam constate que ces facteurs valent également pour le français classique: «Nous illustrerons, à la suite de la liste A, l'importance des facteurs structure et négation, et, à la suite de la liste B, les constructions négatives, interrogatives et hypothétiques, ainsi que les combinaisons du type être fâché de croire que... et l'antéposition de la complétive» (p. 14).

Cette procédure de classement fait que le livre est d'une approche facile, d'autant plus que l'auteur donne partout, pour chaque expression régissante, le nombre d'exemples relevés.

Pourtant, un certain nombre de réserves s'imposent. Pour mener à bien une étude purement formelle, il faudrait disposer de renseignements sur toutes les constructions syntaxiques dans lesquelles une expression régissante peut entrer, ce qui n'est pas le cas ici. L'auteur l'admet implicitement à la page 47: «Parmi les citations, on en trouvera quelques-unes qui ne figurent pas dans le tableau pour la raison que nous n'avons pas de parallèles à la construction contactuelle à leur opposer, mais dont la valeur nous semble tout de même probable. »

Aussi, Margareta Silenstam se voit-elle obligée d'avoir recours à des critères sémantiques pour faire entrer ses exemples dans certains tableaux. Dans le chapitre intitulé «Négation» (pp. 58-61), et où sont décrits les rares verbes qui sous l'influence de la construction négative ont tendance à régir l'indicatif, les verbes contester, dissimuler, mettre en doute ne sont attestés qu'avec la négation. Il n'existe donc pas d'opposition entre construction affirmative et construction négative, et l'auteur, en tenant compte de ses propres principes, aurait dû les écarter au lieu de les ranger d'après leur nature de verbes «implicitements négatifs» (p. 58).

En effet, la description d'un état passé de la langue restera nécessairement incomplète à certains égards, mais il semble évident qu'un corpus qui comporte un nombre élevé de textes (de genres différents) donnera des renseignements plus complets qu'un corpus restreint.

Le corpus de Margareta Silenstam compte une cinquantaine de textes (romans,nouvelles, lettres, mémoires, essais, périodiques), ce qui n'est pas un nombre négligeable. Cependant, nous devons admettreque ce corpus ne permet pas de rendre compte de manière satisfaisante de l'emploi modal après les expressions de sentiment. Margareta Silenstam classe ces dernières dans les groupes A et C, son principe de ne pas répartir les exemples sur des catégories sémantiques n'admettantpas, par sa nature même, une descriptiond'ensemble de ces racines. Pour la construction contactuelle3, environ 50% des expressions de sentiment sont représentéespar un seul exemple. (Il s'agit évidemment de celles qui sont rangées dans A: le subjonctif est le seul mode

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possible). Il en va de même des autres constructions, sans parler du fait que très peu de racines qui entrent dans la constructioncontactuelle sont attestées dans les constructions attributive, emphatisante,emphatique et locutionnelle, et que le nombre de celles qui entrent dans toutes les constructions possibles est minime.(Une solution aurait été de laisser ces exemples de côté, mais cela aurait réduitde manière dramatique le nombre d'expressions régissantes à traiter).

Un corpus étant toujours plus ou moins arbitraire, on ne devrait pas être surpris de trouver des contre-exemples dans d'autres textes. Margareta Silenstam. cite dommage (19 ex. subj.), admirer (15 ex. subj.), trouver plaisant (6 ex. subj.), assez (17 ex. subj.), ridicule (3 ex. subj.). Chez Mme de Sévigné4 les mêmes expressions acceptent l'indicatif:

«Ah, ma bonne, c'est dommage que nous n'y sommes quelques fois au moins, par quelque espèce de magie, en attendant le printemps qui vient. » (p. 330)

«. . .et je le prierai d'admirer que ce qui paroissoit frivole a été solide, et que ce qui paroissoit de l'or en barre est devenu des feuilles de chêne. » (p. 894)

«. . .je trouve plaisant que vous avez
songé à elle. » (p. 430)

«Sire, nous n'en sommes pas là;
c'est assez que nous apprenons à
bien répondre.» (p. 812)

«. . .il trouve comme moi que c'est une chose entièrement ridicule que vous donnez cent écus pour contenter la fantaisie de M. Davonneau;» (p. 476)

Haases cite également des exemples avec l'indicatif. En plus de admirer et dommage, nous trouvons ravi (Sil. 19 ex. subj.), étrange (Sil. 21 ex. subj.) et honte (Sil. 2 ex. subj.).

Etant donnés ces faits, il nous semble légitime de suggérer que la possibilité d'employer les deux modes existe pour toutes les expressions de sentiment; ainsi, l'assertion de l'auteur que «on s'apercevra qu'en pratique, il n'y a qu'un très petit nombre de racines qui se caractérisent par une double possibilité modale.» (p. 115) ne se fonde pas sur la réalité linguistique. Le dépouillement d'autres textes encore pourrait trancher là-dessus. Toutefois, la préférence pour le subjonctif semble prouvée. (Sil. aise, 80 ex. subj. - 1 ex. ind., fâché, 49 ex. subj. - 1 ex. ind., s'étonner, 4R ex. subi. - 6 ex. ind.).

Théoriquement, l'auteur est en droit de ne pas vouloir tenir compte des faits qui n'entrent pas dans son propre corpus, mais dans ce cas, les résultats obtenus ne comporteront aucune implication quant au système général, et ils risqueront de perdre beaucoup de leur intérêt.

Si on arrive à confirmer l'existence de l'indicatif après les expressions de sentiment construites contactuellement, on se trouvera du coup en face d'une situation différente pour juger de l'influence véritable de la structure de la phrase. Sur quoi se fonder pour décider que l'occurrence de l'indicatif a été provoquée par des facteurs syntaxiques ?

Le livre contient aussi un chapitre intéressantsur
le verbe croire, dans lequel



3: Terme emprunté à Nordahl, ainsi que construction attributive (le malheur est que. . .), construction emphatisante (le malheur c'est que...), construction emphatique (ce qui est malheureux, c'est que. . .) et consirucliun locutionneïïp (je suis malheureux de ce que. . .).

4: Lettres, Tome I, Bibliothèque de la Pléiade, Paris, 1969.

5: Syntaxe française du X VIIe siècle, p.185.

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l'auteur examine la valeur du subjonctif
après croire affirmatif (pp. 133-136).

Enfin, Margarcîa Silenstam (p. 140) constate à propos du caractère de l'évolution de la syntaxe modale des complétives que «c'est plutôt le subjonctif qui a élargi son domaine aux dépens de l'indicatif, de façon qu'il s'avère sans doute exagéré de parler, d'une façon générale, de la décadence progressive de ce mode».

Oslo