Revue Romane, Bind 9 (1974) 2Lars Lindvall: Sempres, lues, tost, viste et leurs synonymes. Etude lexicographique d'un groupe de mots dans le français des XIIe-XVIe siècles. Romanica Gothoburgensia XIII, Acta Universitatis Gothoburgensis, Gôteborg, 1971. 230 pp. (en vente chez Almquist & Wiksell, Stockholm).Svend Hendrup
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Malgré son titre et le sujet qu'il traite, le bel ouvrage de Lars Lindvall (LL) ne se lit pas si viste. Au contraire, étude du plus haut intérêt, c'est aussi un livre touffu, où la documentation est solide mais écrasante : le lecteur risque souvent de se perdre dans la masse des matériaux accumulés, des significations finement analysées que lui soumet l'auteur. Il est vrai que. de temps en temps, LL aide à la compréhension du texte en dressant de petits schémas récapitulatifs ou de courts résumés pour conclure un exposé particulièrement complexe. Il s'agit néanmoins d'une étude qui exige beaucoup de patience, d'attention et d'assiduité de la part du lecteur, et sera bien déçu qui aime les synthèses toutes faite*, les généralisations hardies. En revanche, ceux qui veulent pouvoir se former leurs propres opinions sur des données solides et bien présentées auront de quoi se régaler. Le plan du livre, pourtant, est des plus simples et la seule reproduction de sa table des matières donnera déjà une idée de ce dont il s'agit: 0. Introduction (p. 9-24): présentation du sujet, bilan de la question, méthode adoptée et plan suivi, tables de la répartition des occurrences sur les textes dépouillés. - 1. XIIe-XIIIe siècles (p. 25-111): sempres, lues, manéis, maintenant, tantost, errant, erramment; tost, aussi tost, si tosí, plus tost; isnel, rade, hastif, viste. - 2. XIVe-XVe siècles (p. 112-143): tantost, incontinent; tost, aussi tost, si tost, plus tost: isnel, rade, hastif, viste. - 3. XVIe siècle (p. 144-217): incontinent, tantost; tost, bien luit, aussi tost, si tost, plu1? toit: à coup, soudain, subit, viste, prompt, hastif, isnel. - 4. Conclusion (p. 218-219). - 5. Bibliographie (p. 220-230): textes dépouillés, ouvrages consultés. Le nombre respectif des pages consacrées à chacun des trois chapitres 1., 2. et 3., est fonction de l'importance que l'auteur accorde à chacune des trois périodes. L'ordre des vocables étudiés laisse apparaître clairement les trois groupes sémasiologiques de sempres, tost, viste; moins clairement ressortent les trois groupes onomasiologiques de immédiateté\ 'promptitude'. Dans chaque paragraphe, LL suit le schéma suivant: variantes graphiques et nombre d'occurrences (avec la fréquence relative /), signification générale (avec étymologie, histoire du mot, etc.), discussion qui sera à l'occasion plus développée (aspects chronologique et géographique, genre et style, etc.), comparaison avec les variantes des mss, collocations (juxtapositions avec des synonymes ainsi qu'avec des antonymes; pour les adverbes, combinaisons avec tout et après, et, pour les adjectifs, liste des substantils avec lesquels ii» se combinent) et finalement une description des òciià. Donc, plan simple et clair, mais, comme on vient de le dire, pas toujours si facile à suivre dans les méandres du texte. C'est ainsi que la meilleure introduction au livre de LL serait de commencer par la conclusion et d'aller erramment aux résultats qui en découlent. C'est ce que j'essaierai de faire à l'aide des deux schémas suivants, le premier partant des signifiants pour aboutir aux signifiés, le second parcourant la même distance mais en sens inverse. Pour mieux dégager les grandes lignes de l'enquête de LL, ainsi que par manque de place, je simplifierai les données (en espérant que l'auteur voudra bien me pardonner cette simplification):
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Dans ces deux schémas, je me suis les idiolectes comme ceux de Froissart borné à l'essentiel, c'est-à-dire que n'y (errant) et de Lemaire de Belges (tantost). sont pas inclus les sens secondaires ('tout - Les sens adoptés sont ceux de LL et là à l'heure', etc.), les combinaisons avec où il donne plusieurs synonymes pour un tost qui n'intéressent pas ici (si tost, plus sens, j'ai choisi le premier. Dans le second tost), tous les adjectifs exprimant la vi- schéma, je fournis, avec le sens primaire tesse (isnel, etc.); de même en sont exclus de 'aussitôt' et 'bientôt', les synonymes
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que donne LL dans le texte. Les données quantitatives sont celles qu'indique LL; dans bien des cas cependant, j'ai dû, pour les sens particuliers, faire moi-même les calculs (dont je suis seul responsable) à partir des chiffres fournis par LL. Les chiffres entre parenthèses renvoient à des chiffres totaux pour un mot, où les donnéesde LL ne permettent pas d'inférer les chiffres partiels pour un sens. Tous les chiffres désignent ia fréquence relative. Pour exprimer la notion de 'aussitôt', l'ancien français disposait de toute une gamme de signifiants, là où la langue moderne se contente de aussitôt. La description de cet éiai syncin unique pour les XIIC-XIIIC siècles et de l'évolution ultérieure constitue une des plus belles réussites du livre de LL. Dans des pages pénétrantes, l'auteur parvient à élucider le mystère de la prétendue «variété et richesse» du lexique de l'ancien français (voir p. 22): il prouve d'une manière convaincante que cette richesse n'est qu'une illusion, en montrant que tous ces mots n'ont jamak réellement coexisté dans un état de langue unique. Si sempres est un mot franco-normand ancien (premièremoitié du XIIe siècle, chansons de geste et romans antiques, Benoît), lues est un mot franco-picard nouveau et en faveur pendant un demi-siècle seulement (1180-1230, romans courtois, Jean Renart). Etant donné que manéis paraît avoir été un mot d'un emploi limité (lié à la rime et attesté surtout chez Benoît, avec 72 occurrences sur un total de 132), il est évident que le rôle de chef de file revient à maintenant, suivi de loin par tantost et par errant (-ment), qui occupe plutôt une place à part. - Une fois démêlée cette situation embrouillée, l'évolution ultérieure s'éclaire et, dans une perspective diachronique, on voit la concurrence entre maintenant et tantost faire place, aux XIVe-XVe siècles, a ia paire laniuòi—incanìinent, laquelle à son tour cède la place, au XVIe siècle, à la paire incontinent-tantost. Pour ce qui est de l'irruption du bâtard incontinent, l'auteur donne encore une fois la clé de l'énigme: ce mot est de par sa forme et son emploi un mot savant issu des cercles officiels de la chancellerie, et attesté surtout che? les prosateurs qui latinisaient de 1450 à 1550 environ, tandis que aussi tost, mot indigène formé sur la base de tost, l'emporte dès 1550. Pour la notion de postériorité nonimmédiate, 'bientôt', la situation est moins claire. On voit bien qu'il s'agit encore ici d'une combinaison de lust et d'un autre adverbe, bien, qui finalement prend le dessus au. XVIe siècle; mais comme pour aussitôt, on a l'impression d'assister à une création, sinon «ex nihilo», du moins assez imprévue. Ce qui surprend, c'est d'une part cette création ex nihilo, d'autre part le fait que, à en juger par les chiffres de LL, la notion même de 'bientôt' serait à peu près inexistante dans les lexiques des XIIe-X[lle et XIVe-XVu siècles. L'argument est faux parce que LL, de parti pris, a laissé de côté les expressions a tens, par tens, prochainement, etc. dont on se servait à l'époque, de même que i idée <i une créauuu ex uihilo cal erronnec parce que LL dans son découpage en périodes (XIVe-XVe/XVIe) a laissé entendre que c'est le XVIe siècle qui a créé tous les composés avec tost, alors que la vérité semble être ailleurs, c'est-à-dire à cheval entre les deux périodes. En plus de l'évolution des champs notionnelsde 'aussitôt' et de 'bientôt', il y a une troisième ligne de force dans l'exposéde LL: l'histoire du signifiant tost, dont l'autonomie s'affaiblit de siècle en siècle, tandis que ses composés ne cessent de gagner en importance. Il suffit de jeter un coup d'œil sur les deux schémas pour se rendre compte de cette évidence; moins il y a de tost détaches, plus il y a de laòi entrant dans des composés. Par suite des sens temporels pris par ces composés, le
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seul tost développe le sens de 'de bonne heure' (avec les fréquences 9-11-19), voie suivie par tanîost. En même temps se dégagentles sens modernes de plutôt et de tantôt .. tantôt (emplois préférentiel et conjonctionnel). Il est moins facile de donner un aperçu de l'évolution du champ notionnel de 'promptitude' (avec 'vitesse' et soudaineté') de l'histoire des signifiants qui s'y rapportent (isnel, rade, etc.): cette partie du livre représente en effet son aspect le plus hétérogène. - Pour commencer par la fin, qui n'appelle que peu de commentaires: au XVIe siècle surgit un groupe de vocables dont quelques-uns feront fortune, à savoir à coup, soudain, subit, prompt, collection hétéroclite, mais, pour les trois adjectifs, caractérisée par son allure savante. - Une place de choix est dévolue au tost omniprésent, dont l'évolution est conforme aux indications fournies ci-dessus. Quelques chiffres: pour tost 'rapidement' 168-47-7, pour tost 'promptement' 439-198-24. - Pour les anciens adjectifs, la situation se résume ainsi: Io hastif garde pendant les trois périodes son peu d'importance, avec des fréquences 10-11-10; le mot ne change pas non plus de signification (ses collocations restent les mêmes). 2° rade, avec les fréquences 9-7-0 est énigmatique; au XVIe siècle, ce mot a disparu bien avant que son parent plus savant rapide prenne sa place, et les cours d'eau qu'il désignait aux XIIe-XIIIe siècles semblent ne plus exister aux XIVe-XVe siècles (époque où rade ne se colloque qu'à des animés nonhumains). - 3° isnel et viste, fréquences respectives 86-16-5 et 15-10-39: isnel, autrefois en vedette, tombe en désuétude, tandis que viste prend un essor définitif au XVI'I siècle. Pour les collocations, voir les tableaux de LL (p. 200-201 et 215-216), qui donnent tous les renseignements nécessaires: isnel «vivotait au XVIe siècle d'une vie précaire avec un sens spécial» (p. 217), alors que viste, autrefois limité à la seule collocation 'humain', se répand au XVIe siècle pour arriver à se colloquer librement à des déterminés de toute sorte. Outre ces résultats importants, on n'aurait garde d'oublier les autres résultats auxquels LL parvient au terme de ses recherches. - 1 ° De toute son étude se dégage une idée force concernant l'évolution générale des sens, idée qui n'est peut-être pas une innovation mais qui se trouve confirmée tout au long de l'ouvrage. A la base des sens temporels on trouve toujours les sens locaux ou modaux; pour lues, c'est le sens local 'sur place' qui précède le sens temporel 'aussitôt'; pour les sens modaux donnant naissance à des sens temporels, voir maintenant (p. 52), errant (p. 70), et surtout tost et ses composés. - 2° Importantes pour l'étude de l'histoire de la langue française sont les précisions que LL est à même d'apporter aux manuels courants: d'une part le nombre impressionnant de datations nouvelles pour le FEW (p. 63 : «Le FEW date tantost après 'tout de suite après' de 1360; la datation peut être reculée.», et passim), d'autre part les corrections dont bénéficieront les dictionnaires usuels comme Greimas (p. 73), Huguet (p. 208). - 3° Pour l'ancien français: la découverte des aires géographiques du XIIe siècle (franco-normand et franco-picard), genrologiques (chanson de geste et roman courtois), stylistiques (incontinent et isnel) et individuelles (idiolecte de Jean Renart -i- Fioissari, Moiinet, etc.). Voilà pour les conclusions, im- et explicites.Revenons maintenant à l'introductionet aux problèmes que soulève l'étude entreprise par LL. - Dans son Introduction,LL cite Quine: «Pending a satisfactory explanation of the notion of meaning, linguists in semantic ficlds are in the situation of not knowing vvhat they are talking about. This is not an untenable
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situation» (p. 9). Fidèle à ce programme, LL se tient normalement au «niveau descriptif»(p. 10) et ne se risque que rarement à des explications causales. Il qualifie sa méthode de «traditionnelle» (p. 218), ce qui, en réalité, veut dire qu'il y a en même temps une absence de théorie et une pluralitéde méthodes (cf. p. 74: «nous avons plusieurs chemins . . »). Les idées que se fait LL sur le concept de ' champ notionnel ' (p. 10) ne sont pas développées, mais, en revanche, c'est un vrai plaisir de constater comment il maîtrise parfaitement les méthodesphilologiques qui sont de rigueur pour qui veut étudier les anciens textes: il est bien rare, hélas!, de voir les chercheurs faire preuve d'autant de capacité dans ce domaine. De même, LL possède à fond tous les moyens de contrôle: synonymes et antonymes, collocations, influence des rimes, renseignements fournis par les lexiqueslatin-français et par les traductions françaises des ouvrages latins, comparaisonsavec d'autres langues, temps et sémantiquedes verbes, etc. Curulîairc de l'absence de théorie e«t cependant la superficialité avec laquelle TT .ihorde le problème complexe des rapports entre adverbe et verbe (racines et flexions); le problème est souvent ébauché, mais jamais une discussion approfondie ne s'ensuit. LL dit p. ex, en citant S. Ando If, que «sempres détermine un verbe au futur» (p. 34), mais qu'est-ce qui détermine quoi? est-ce le sens bientôt' exige le futur ou est-ce le futur qui actualise ce sens? - De même pour le nombre des sens dont la multiplication ne connaît plus de bornes vers la fin du livre, voir p. ex. la description de prompt avec ses dix-huit sens différents (p. 211-212). Il semble que LL ait négligé délibérément le principe d'Occam. La façon dont IL définit son sujet n'appelle que peu de commentaires. Le choix de LL me parait légitime, bien que je regrette wu omission des mots comme adés, or, etc.; mais j'avoue ne pas du tout comprendre la nécessité de s'appuyer sur Palsgrave (p. 10-11 et passim): pour quiconque a lu les anciens textes, la question est évidente, il y a, d'une part, des notions comme celles que veut étudier LL, et, d'autre part, des mots qui expriment ces notions. Il me semble que LL fait beaucoup de bruit pour rien! - Je ne comprends pas non plus l'attitude adoptée vis-à-vis des adverbes en -ment: LL souscrit aux idées avancées par H. Nilsson- Ehle (p. 12), mais il introduit néanmoins une distinction entre errant et erramment, alors qu'il laisse de côté les adverbes en -ment qui correspondent à isnel, viste, etc. C'est pour des «raisons essentiellement pratiques» (p. 15) que LL a fait un découpage du temps en trois périodes, mais aussi parce que ce découpage «permet de mieux décrire l'évolution historique» (p. 23), argument qu'il résume ainsi dans sa conclusion: «Notre découpage du temps en trois périodes, apparemment arbitraire, semble justifié .. Si certains changements se dessinent vers la fin du XVe siècle, c'est au XVIe que le lexique subit des modifications profondes.» (p. 219). Un coup d'œil sur la table des occurrences pour ies XIVe-XVe siècles suffit pourtant à montrer que la division traditionnelle en deux périodes (ancien français des XIIe-XIVe et moyen français des XIVe-XVe siècles) est du moins aussi vraie que le découpage en deux de LL, on y constate en effet l'existence d'une sorte de rupture vers les années 1360-1380: avant Eustache Deschamps incontinent, soudain, etc. sont pratiquement inexistants, après lui on ne retrouve plus maintenant 'aussitôt', rade, etc.! Pour contrôler les données fournies par LL dans ses tables, j'ai dépouillé Queste et obtenu les résultats suivants (je ne signale que les résultats qui diffèrent de ceux de LL; cf. pour Wace: Roman de Brut, le compte rendu de K. Baldinger, ZRP 89-
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1973, p. 326-330). Sur un vocabulaire total de 101.640 mots courants (LL 95.000; cf. pour Quinze Joies 33.820, mais LL 22.000? - est-ce que cette différence inquiétante tient au fait que LL s"est servi de l'édition vieillie de F. Heckenkamp, 1901?), je trouve pour errant 1 ou 2 exemples/LL 0 («si s'en vet errant grant aleure» 89, «il li cuidierent la teste couper errant» 121), maintenant 126/LL 122, rade 3/LL 2 (47, 92, 135), subit I/LL 0 (187), tantost 23/LL 19, tost 14/LL 15, plus tost 14/LL 13, viste 3/LL 2 (94, 137, 174). Pour les adverbes en -ment: hastivement 1, isnetement 2, soudainement 5, xistement 1. Bibliographie: ajouter deux articles, parus après la rédaction du livre de LL. P. Imbs: Prolégomènes à une étude de l'expression de la vitesse en ancien français, RLiR 34, 1970, 151-166; R. de Gorog: Bibliographie des études de l'onomasiologie dans le domaine du français, RLiR 37, 1973, 419-446. Voici enfin quelques remarques de détail. - P. 25: Pour ce qui est du problème de sempres 'aussitôt', évolution limitée au gallo-roman, il faut rappeler d'abord l'évolution parallèle de aclé.s; puis l'influence possible de tempres, avec temprement ('de bonne heure', 'bientôt' FEW XIII-1, 189-90), attesté encore au XVe siècle-, comme semprement l'est chez Froissai!. - P. 36: Pour lues et sa disparition au XIIIe siècle, on pourrait insister sur la confusion entre lues que et lors que qui se manifeste dans !es rnss (voir p. 46 et cf. ce que dit LL p. 147 sur les explications par un conflit entre homonymes); citons aussi le cas de son parent iluec, disparu lui aussi, sans qu'on sache très bien pourquoi. - P. 39: C'est avec quelque surprise qu'on lit ce que LL y dit sur Guiot, « [Chr] nous est connu par le célèbre manuscrit de Guiot dont le copiste est Picard»! Il semble que la clé de cette énigme se trouve à la page suivante, où LL, discutant les variantes de lues dans les mss de Lancelot et de Perceval, donne une liste avec date et lieu des mss cités: dans cette liste figure un ms C, «1300 Centre», commun pour les deux textes; mais dans l'édition W. Foerster de Lancelot, le ms C est BN 794 (XIIIe, champenois), tandis que chez A. Hilka, dans son édition de Perceval, le ms C est Clermont-Ferrand 248 (1300, francien); inversement, BN 794 porte chez Hilka le sigle A qui chez Foerster désigne Chantilly 472 (fin XIIIe et picard)! - P. 45: Le sens 3 de lues, 'tout à l'heure' (sens passé), mériterait un commentaire plus développé. LL aurait dû insister sur le fait que, dans ses deux exemples, le verbe est au plus-que-parfait; de même pour les quelques exemples de maintenant ayant ce sens (p. 57-58), et pour tantost, l'unique exemple de Queste (p. 64-65). LL aurait pu citer aussi le cas de or, qui a souvent le sens ' tout à l'heure' : «porte cet escu . . au bon chevalier . . que tu laissas ore en l'abeie» (Queste 29, 37 et passim). - P. 51 : LL commente ici l'emploi de de avec maintenant (5,8 % du total des occurrences; cf. de manéis, 57,6 % p. 47); à la base de cet emploi, on verrait volontiers un ancien de instrumental, survivance du temps où maintenant signifiait avant tout 'avec toute la force et promptitude de la main'. - P. 64: «Dans quelques contextes tantost peut renvoyer à un avenir proche mais indéterminé . . à cette époque le sens est seulement anticipé dans trois exemples». Y ajouter peut-être Queste i 38: «car se tu te prenoies a lui par bataille, tu puez savoir que ce seroit tantost alee chose de toi». -P. 65: Tantost corne ou tantost quel bel exemple de ces contextes ambigus, ou «oscillating» selon la terminologie de Stern, dont parle LL ailleurs (p. 80, 114). La locution permettant deux interprétations, comparaison ou conséquence, on a tantôt corne, tantôt que. Il est en outre intéressant de noter que ce petit problème présente des affinités avec les théories de LL à propos des dif-
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férences systématiques entre le franconormand et le franco-picard (p. 218-219), car c'est surtout dans les textes et mss picards qu'on voit apparaître l'emploi moderne de que dans les comparaisons d'égalité avec les particules si, aussi, etc. : il y a sur ce point une différence nette entre les textes des deux éditions de Guillaume d'Angleterre, l'éd. Foerster 1899 (ms de base C, début du XIVe, champenois) et l'éd. Wilmotte 1927 (ms de base P, XIIIe, picard); dans 6 cas sûrs, le texte de Foerster donne corne, là où le texte de Wilmotte a que. - P. 94: Parmi les variantes graphiques de isnel apparaît un isnèle bien curieux; est-ce qu'on employait déjà au XIIe siècle l'accent grave ? Mais non. l'exemple (36), p. 101, montre que cette graphie moderne provient d'une édition - moderne, Roman de Thèbes, éd. L. Constans SATF 1890 (l'édition Raynaud de Lage, CFMA 1966-67, a naturellement isnele, au vers 4164). Cas banal, bien sûr, mais que dire des «variantes» comme hastiuejhastive (p. 105, cf. uiste/viste p. iûSj, ùt muHcUjdemancis (p. A1) 9 ?<¦ j'en passe. Une fois abordé le XVI" siècle, pourtant les observations de LL deviennent plus justifiées (voir p. ex. p. 165: aussi tost/aussi-tost/aussitost). - P. 103: LL donne une référence [ChrLi], qu'on ne retrouve pas dans sa bibliographie; il s'agit évidemment de [ChrYv], mais ceci est quand même déroutant pour le lecteur non averti. D'une façon générale je trouve peu heureuse cette manière de citer les textes et j'ai souvent de la peine à deviner, par les abréviations que choisit LL, de quel texte il s'agit. - P. 106: LL affirme, à propos de [Marie Eq 287]: «Lisenescal hastif revint», que «dans un contexte on peut classer hastif comme adverbe en vertu des critères de position et de flexion». Mais que valent au fond ce« critères? pour un texte ou un ms anglo-normand, la flexion (ou son absence; ne prouve rien du tout, poui le critère de position, il ne faut pas oublier la fluctuation qu'on observe dans l'ancienne langue entre adjectif (attribut indirect) et adverbe (adjectif au neutre), comp. p. ex. «entor le fu qui molt cler ardoit» Pcrceval 4359 et «li feus molt clers devant ax art» Erec 484 (exemples cites d'après K_. Togehy: Précis historique de grammaire française, Copenhague 1974, § 70). Donc, pour moi, LL fait preuve de trop d'optimisme en écrivant que «le classement [adjectif ou adverbe] est facile grâce à la morphologie de l'ancien français» (p. 94). - P. 110: Citant un exemple de viste, «mais sages fu el comtes, vistes et empariez» [Doon 658], LL ajoute «une note de l'éditeur dit: on lirait plutôt jatte* que vistes*. Il est en effet possible que ce soit d'une telle confusion qu'est né le sens 'qui sait habilement se servir de', donné par Godefroy sous juste (IV p. 676), sens que ne fournissent ni le TL ni Huguet; voici un des exemples cités par Godefroy: «Tarquín, qui estoit un des justes chevaliers du monde a la lance» (Perceforest 1528, 111 fol 98 b) - on lirait plutôt vistes. Les remarques qu'un vient de faire ne doivent cependant pas donner une fausse impression; ce s >nt des remarques de détail qui n'enlèvent rien de sa valeur à l'ouvrage. Le livre de LL ne se lit pas si viste, mais le lecteur qui prend la peine de l'approfondir ne sera pas déçu. LL qualifie sa méthode de traditionnelle (p. 218), mais c'est néanmoins une méthode qui se révèle fructueuse parce que l'auteur va au fond des choses: c'est d'une main sûre qu'il guide le lecteur à travers la forêt touffue des mots et des sens, et c'est sur des données solides qu'il obtient des résultats qu'on peut tenir désormais pour acquis. Une phrase de Brice Parrain est citée en exergue: «II y a une distance entre les mots et nous» (p. 9). Or, LL a réussi à réduire considérablement cette distance Copenhague |