Revue Romane, Bind 9 (1974) 2

Bertil Malmberg: Linguistique générale et romane. Mouton, Haag, 1973. 443 p.

Knud Togeby

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Ce magnifique volume est un recueil de 44 articles publiés par Bertil Malmberg au cours des trente années 1943-1973. BM est un romaniste devenu phonéticien et linguiste. Sa thèse de doctorat, soutenue à l'université de Lund en 1940, était l'édition critique d'un texte français du moyen âge, le Roman du Comte de Poitiers.Depuis il s'est fait surtout un renom comme phonéticien, ce qui lui a valu une chaire de phonétique à l'université de

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Lund. Mais ses intérêts dépassent largementla phonétique proprement dite. C'est ce qu'il a voulu prouver en publiant ce volume consacré à la linguistique généraleet aux études romanes. La productivitéde BM est légendaire, mais qu'il ait écrit tant d'articles en dehors de sa spécialitéphonétique est quand même fait pour surprendre pas mal de gens - et, paraîtil,jusqu'aux éditeurs eux-mêmes, qui ont placé, comme prière d'insérer, un texte qui semble impliquer que le titre de l'ouvrageest «Phonétique générale et romane».

En lisant BM on est surtout frappé par sa modernité, qui est d'autant plus remarquable que c'est plutôt une tradition assez conservatrice qui a caractérisé la linguistique et les études romanes en Suède. Le premier article du volume est un compte rendu d'un ouvrage de Wartburg où BM défend, contre les attaques de celui-ci, les thèses de Saussure, auxquelles sont également consacrées les études suivantes. Vient ensuite une nécrologie de Louis Hielmslev: elle montre à quel point BM l'a connu, non seulement en ami, mais comme linguiste. La glossématique de Hjelmslev est devenue une source constante d'inspiration pour BM, qui en fait mention à plusieurs reprises à travers tout ce grand volume. On constate, à la lecture de BM, qu'il a appartenu lui aussi à l'école de Copenhague, qu'il définit si bien, non comme une école, mais comme ceux qui discutaient autour de Hjelmslev en s'en inspirant.

Cette attitude de BM est d'autant plus digne d'attention qu'on aurait pu s'attendre à ce que, comme phonéticien, il attache plus d'importance à la substance phonétique qu'à la forme immanente. Il a eu lui-même l'idée, dès 1949, de classifier les phonèmes d'après leurs valeurs acoustiques, mais en discutant les traits dibuucüfs de Jakobson, sujet plusieurs fois traité dans le livre, il souligne qu'il s'agit là d'une analyse de la substance qui dépasse l'analyse proprement linguistique.

La section de linguistique générale comprend vingt-huit articles, la section romane seize. Le sujet prédominant de celle-ci est le problème du substrat. En étudiant l'espagnol dans le Nouveau Monde, BM a découvert que toutes ses innovations dans cette région ne sont que la continuation de tendances déjà existantes dans l'espagnol du moyen âge ou du temps des découvertes, et qu'il n'est dans aucun cas nécessaire, pour les expliquer, de faire état d'une influence du substrat, abstraction faite, évidemment, des mots d'emprunt Sur cette base, très solide, il faut l'avouer. BM a développé un scepticisme général à l'égard de l'importance du substrat, surtout en ce qui concerne les particularités de la langue castillane, par exemple le fameux passage de/à h.

BM veut donc expliquer les évolutions diachroniques par des tendances synchroniques. Là encore, il rejoint, d'une façon frappante, mais cette fois peut-être sans le savoir, la pensée de Hjelmslev. Celui-ci avait consacré ses premiers cours à l'universiie de Arhub, eu l^jî, au piublcnic du système et du changement, mais le texte de ces cours n'a été publié que récemment, en danois, sous le titre de «Sprogsystem og sprogforandring ». Je suis personnellement convaincu de la nécessité de pousser aussi loin que possible les explications internes, mais un léger doute subsiste cependant. Comment expliquer que les mêmes tendances générales de la seule langue latine aient abouti à des résultats si différents dans les quinze grandes langues romanes? BM répondra que c'est la situation sociale, l'isolation ou non, qui a déterminé l'évolution. Je vois bien que le relâchement des conventions sociales peut ouvrir la porte aux innovations, mais qu'est-ce qui en détermine la direction?

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BM a prouvé, dans plusieurs de ses livres, qu'il est au courant de toutes les nouvelles théories linguistiques, y compris celles de la grammaire generative. Dans l'avantdernier article du volume, il montre, de façon amusante, comment l'évolution diachronique est une génération des formes au sens le plus précis du mot.

Copenhague