Revue Romane, Bind 9 (1974) 1

Anker Teilgârd Laugesen 12 octobre 1908-5 août 1973

Michael Herslund

Avec la mort subite et prématurée de Anker Laugesen, les romanistes et les médiévistes Scandinaves ont perdu un éminent savant, le corps enseignant et les étudiants de l'lnstitut d'Etudes Romanes de l'Université de Copenhague, un collègue et un professeur aimé.

La chaire de langues et de littératures romanes qu'on lui avait attribuée le ler janvier 1972 marquait le couronnement d'une carrière universitaire relativement courte (Anker Laugesen n'était attaché à l'lnstitut d'Etudes Romanes de Copenhague que depuis 1961), mais cette brièveté ne l'avait pas empêché d'apporter des contributions essentielles aux recherches qui lui tenaient particulièrement à cœur: les études médiévales, domaine où il était un véritable «abîme de science». Il faut d'abord mentionner les articles où il traitait sur une grande échelle de questions relatives à la philologie médiévale: Snorres opfattelse af Aserne (1942: histoire au Moyen Age), La roue de Virgile (1962; théorie littéraire au Moyen Age), Las Razos de Trobar (1963; poétiques provençales), Un cas de synonymie en ancien français (1967; synonymique de l'ancien français), Chrétien de Troyes et les matières épiques (1970; le roman). Pour plus de détails, nous renvoyons à la bibliographie des ouvrages de Anker Laugesen.

Mais son chef-d'œuvre, la somme de ses recherches, c'est Middelalderlitteraturen,en orientering (1966), sans doute l'apport le plus considérable dans le domaine des études médiévales depuis l'ouvrage de Ernst Robert Curtius, Europaische Literatur und lateinisches Mittelalter (1948). On peut seulement déplorer que Anker Laugesen ait écrit son œuvre capitale en danois, ce qui la rend inaccessible au grand public international. Cette étude est un vaste tableau de la littérature médiévale européenne, s'étendantgéographiquement de Dante et des poètes courtois portugais jusqu'auxsagas noiroises, chronologiquement de la versification latine des auteurs chrétiens jusqu'aux premiers sonnets de l'école sicilienne et de

Side II

Pétrarque. Anker Laugesen y fait montre de connaissances très étendues, son exposé est du plus haut intérêt scientifique et pédagogique. La meilleureillustration en serait peut-être un condensé du plan de la composition du livre: I. Les bases: L'univers catholique. L'héritage de l'Antiquité. 11. L'aspect linguistique: Le latin médiéval. Langues vulgaires (c'est-à-dire romanes). Langues barbares (germaniques et celtiques). 111. L'aspect littéraire: La traduction. L'imitation. L'allégorie. Le concept de genre. Lyrique et épique. L'épopée et les recherches épiques. L'amour courtois. Le public. La femme et la littérature. Le mécénat et la dédicace. IV. Problématiquedu Moyen Age. Mais le titre est trompeur et combien significatif de l'homme que fut Anker Laugesen: avec la modestie qu'il alliait à son grand savoir, il avait intitulé son œuvre en orientering, c'est-à-dire «précis».Or, c'est beaucoup plus qu'un simple précis destiné à guider les premiers pas hésitants de ceux qui abordent les études médiévales: c'est le fruit des études de toute une vie. Sous la conduite d'un tel Virgile, nulle crainte de se fourvoyer dans la forêt, au premier abord obscure, d'une littérature que les pages de Laugesen rendent si familière.

Avant de succéder, en 1972, à Holger Sten à une chaire de philologie romane, Anker Laugesen avait été lecteur de provençal, langue qui lui était particulièrement chère: les quelques étudiants qui assistaient à ses cours en cette matière puisaient à pleines mains dans les connaissances qui leur étaient prodiguées sous une direction bienveillante. Mais la forme d'enseignement préférée de Laugesen était la conférence, préparée jusque dans le moindre détail: il avait horreur de l'improvisation. Et c'est dans cette perspective qu'il faut, croyons-nous, comprendre l'apparente sévérité de Anker Laugesen aux examens: il demandait à ses étudiants une exactitude à la mesure des exigences qu'il s'imposait à lui-même. Malgré sa nature réservée et discrète, Anker Laugesen fut un homme très affable et même chaleureux, doté d'un sens prononcé de l'humour. Tel est le souvenir qu'on gardera de cet admirable philologue doublé d'un homme de cœur.

COPENHAGUE