Revue Romane, Bind 9 (1974) 1Réponse à Jorgen Schmitt Jensen :Palle Spore
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Jorgen Schmitt Jensen m'a honoré d'une critique qui, dépassant les cadres d'un compte rendu normal, prend l'allure d'un article indépendant. Celui-ci se compose de deux parties, dont la première - conti airciiiciit aux habitudes de ce genre d'articles - traite des détails, alors que la seconde partie approfondit certains aspects centraux du problème. Si je dis que la critique de JSJ s'attaque dans cette première partie à des détails, ce n'est pas pour minimiser leur importance. Au contraire, je sais gré à JSJ d'avoir ainsi contribué à élucider l'immense problème qui est le sujet de ma thèse. J'aurais néanmoins préféré l'ordre normal des sujets, car il ne faut pas oublier que celui qui lit l'article sans avoir lu le livre (et c'est bien à ce genre de lecteurs que s'adresse principalement un compte rendu) risque de s'arrêter avant d'arriver aux passages essentiels, déduisant que les détail^ snnt tellement douteux qu'il est inutile de prendre le livre au sérieux. Car il faut reconnaître que JSJ est tres dur dans son jugement. Il va jusqu'à mettre en doute mon honnêteté scientifique, ce que je trouve sérieusement accablant. Des mots tels que «inquiétant» et «inadmissible » sont fréquents, au point de devenir vraiment ... inquiétants Je comprends fort bien celui qui, jugeant superflu de poursuivre, cesserait sa lecture au bout de la seconde page. Le tout est de savoir si JSJ a raison 1. JSJ boude le chef-d'œuvre de Bourciezà cause de son âge et de son caractère secondaire. Dans le cas de l'esp. castillo, il recommande de «s'adresser aux sources primaires, en premier lieu aux Orígenes del español». Mais peut-on appeler le chef-d'œuvre de Menéndez Pidal primaire?Et puis, il a paru entre 1923 et 1926, alors que les Eléments de Bourciezdatent de 1930, le passage sur castillo ayant même été approfondi dans la 4e édition CI 946). Oui a dû et pu apprendre de qui? Certes, l'œuvre de Menéndez Pidalest beaucoup plus détaillée que ceile de
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Bourciez, mais leurs buts sont différents, et, en les utilisant, mon choix a été dicté en fonction du but que je poursuis dans chaque cas. 2. Plus loin, JSJ déclare qu'il «est vraiment inquiétant de voir dans quelle mesure Spore s'appuie sur des sources fort vieilles». C'est que j'ai fait la constatation à mainte reprise que c'est vers 1900 qu'on trouve les meilleures descriptions des phénomènes, à savoir l'inventaire le plus complet. Les présentations plus modernes sont généralement moins utilisables en ce sens qu'elles essaient de préférence - comme moi! - de dégager les grandes lignes; par là, elles passent au niveau de ces sources secondaires et même tertiaires que JSJ essaie à juste titre d'éviter. J'ai justement cherché - quoi qu'en pense JSJ - de m'approcher le plus possible des faits nus, non soumis à une explication. JSJ cite à plusieurs reprises un excellent exemple du phénomène: la description du vocalisme espagnol sous l'influence palatale publiée en 1884 par Cornu. Sans vouloir dire Je moindre mal de la présentation que donne Dámaso Alonso du même phénomène (car elle est appropriée au but qu'il poursuit), je prétends qu'il vaut mieux utiliser une description moins récente quand elle est plus complète. Et c'est tout ce que je fais : je conteste même la valeur explicative de l'article de Cornu (p. 180). Ce qui m'intéresse, ce n'est pas Vexplication de tel ou tel savant, car elle pourrait être entravée par son système générai, par ses principes et même par une théorie particulière, mais je cherche l'inventaire et les faits qui s'y attachent. 3. JSJ cite deux passages concernant le catalan, tirés tous deux de la page 174. Tels qu'ils figurent dans l'article de JSJ, on doit déduire que je passe d'un indice («appuient notre théorie») à la proclamation d'un fait («Cette constatation indiscutable»), mais JSJ oublie de mentionner les éléments relevés entre les deux citations: «nous trouvons un appui dans quelques attestations trouvées dans des documents catalans à partir du IXo siècle et dans la toponymie; voir les exemples dans Griera, Gramática 44» (p. 174). - Je ne procède donc pas de la façon inadmissible que soutient JSJ, et si tel avait été le cas, il aurait eu grandement raison de me le reprocher. Mais je reconnais que le mot «indiscutable» esc de trop, puisque JSJ trouve lieu de discuter ma constatation - dont je ne réclame d'ailleurs pas la paternité, puisque l'idée a été lancée par Fabra (cit. p. 172). 4. A deux reprises, JSJ m'attaque à cause d'une citation de Bourciez, suivant laquelle la séparation entre le provençal et le catalan se serait produite vers le VIIIe siècle. Cette datation est d'abord caractérisée comme «capitale pour la chronologie de Spore» et plus loin comme étant «d'une importance extrême pour les chronologies utilisées dans le livre». Ce n'est pas vrai. Une telle datation ne figure pas dans la conclusion chronologique (§ 65), où je me limite tout juste à constater que rien n'indique - et bien au contraire - une sécession du catalan, avant la séparation entre le français et le provençal. II est vrai que c'est grâce à la prétendue coexistence catalano-provençale que je soutiens qu'il y a eu une semi-diphtongaisonen provençal. Mais quand nous passons à l'établissement de la chronologiegénérale (p. 315), seuls les éléments purementlinguistiques entrent en ligne de compte. Il n'est pas question de ce qui se passe «vers le VIIIo siècle», mais de la sécession du provençal et du catalan situéeau plus tôt peu après 550 (et au plus tard vers 695). En fait, ces réflexions chronologiquesn'ont pas pour but de fixer la date de la séparation entre le provençal et le catalan. Elles constatent la coexistence
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au moment où se sont détachés d'une part le français, d'autre part l'espagnol, et pour le problème de la diphtongaison, c'est l'essentiel. La séparation entre le catalan et le provençal est un phénomène secondairedans ce contexte, et - à tort ou à raison - je ne me suis pas prononcé sur la date de cette séparation, qui, pour moi, peut fort bien se placer plus tard, même beaucoup plus tard que le VIIIe siècle. Au contraire, à la page 191, mentionnée par JSJ, je ne manque pas de formuler des réserves au sujet de la datation de Bourciez(«si Bourciez a raison»), pour constaterque sa datation ne contredit pas mes calculs chronologiques. Je conteste par conséquent formellement l'accusation de «baser une chronologie sérieuse sur des suppositions aussi peu fondées». 5. Reste la discussion des mots français On peut assez facilement constater (mais qui l'a fait avant moi?) que ces mots présentent des résultats moins homogènes que les autres. Il faut donc les examiner à part avant de pouvoir déterminer si la différence est réelle ou apparente. Si j'avais omis cette analyse particulière, on aurait pu à juste titre me reprocher de généraliser. On a l'impression que JSJ (et, en partie, Knud Togeby) me reproche de m'y être engagé. Il est vrai que le §17 est tellement long qu'on peut s'imaginer qu'il constitue une plaque tournante pour ma théorie, ce qui n'est pas du tout le cas. En réalité, ce que JSJ me reproche est évidemment de baser mes «constatations » sur un nombre trop restreint d'exemples que je fais gonfler dans ma présentation ultérieure. Voilà encore une exagération. Malheureusement, je ne peux pas contredire JSJ en si peu de lignes. On voit (pp. 73-75) qu'aucun mot du 1: Les renseignements botaniques de JSJ sont fort intéressants, malgré le caractère secondaire des sources! Mais si le terme de la rose cultivée a disparu pour être absent pendant une bonne partie du moyen âge, on ne comprend pas la forme rara, courante dans la majeure partie de l'ltalie du Nord. Si le mot est populaire là, pourquoi pas en France !
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et ils n'ont aucun rapport avec les «7 noms, plusieurs noms propres et 17 verbes»(p. 83), qui constituent l'inventaire total, ce que JSJ n'a visiblement pas compris.Que reste-t-il alors de sa critique? Et qui parle alors de démagogie? Au fond, toute cette critique est très bizarre. Si je m'étais rendu esclave de ma propre théorie, j'aurais eu intérêt à écarter tous les mots avec monophtongue, parce qu'ils sont «irréguliers» par rapport à ceux qui ont un e ou un u final. Mais - n'en déplaise à JSJ - j'ai pu constater que tel n'est pas le cas, et qu'il faut traiter séparément les mots en a. Tout aurait été tellement plus simple s'il n'y avait pas eu ces mots sans diphtongue. Mais ils sont là, et il faut les prendre en considération, quelle que soit la théorie qu'on adopte pour expliquer la diphtongaison. Mais je ne me suis évidemment pas limité à les relever, j'ai cherché aussi à les expliquer à ma façon. Y a-t-il une meilleure explication? Ou mieux: est-ce que la théorie, suivant laquelle la diphtongaison serait due à la quantité vocalique, les explique mieux? Je me trompe peut-être dans mon analyse des mots en a, et si c'est le cas, tant mieux, parce que ma théorie générale n'en serait que plus sûre. Mais personne n'a réussi jusqu'ici à m'en convaincre. On voit que la critique des détails dépasse de loin la réalité. Dans chaque remarque, il y a un brin de vérité, j'en conviens, mais ía présentation écrasante de l'argumentation de JSJ n'est pas justifiée. Sans parler de ses termes désobligeants à mon égard. Par contre, quand on passe à la critique des grandes lignes qui occupe la seconde partie de l'article de JSJ, on trouve une documentation et une inspiration dont je remercie très vivement l'auteur. Cette seconde partie est consacrée spécialement à l'espagnol, au portugais, au roumain et au dalmate. Parmi ces quatre langues, c'est espagnol m'a tout spécialement intéressé, et je suis sûr que dans les réflexions historico-géographiques de JSJ, il y a un excellent point de départ pour un approfondissement de l'analyse de l'histoire vocalique de la péninsule ibérique. Je regrette de ne pas pouvoir consacrer ici le temps (et la place?) nécessaire à une telle entreprise. Par contre, je suis beaucoup plus hésitant, quand il s'agit de l'explication de l'évolution des deux voyelles devant palatale que propose JSJ. Franchement, je ne vois pas où il veut en venir. Selon lui, la palatale a dû fermer la voyelle précédente ç, ç en e, o, pour moi, cette môme fermeture s'est produite au niveau eç, 00. Mais l'effet en est exactement le même: e > e, ç > o avec cette seule différence que, selon moi, il se crée ainsi une nouvelle semi-diphtongue à deux éléments identiques, qui ne tarde pas à se simplifier: eç > ee > e. Une telle explication n'est nullement en contradiction avec celle de Menéndez Pidal (Manual § 8 bis), à laquelle JSJ renvoie: «La yod (...) suele contagiar su cerrazón a la vocal precedente, cerrándola un grado. » En ce qui concerne le portugais, je ne conteste pas la possibilité d'une non-diphtongaison, mais le rapport chronologique entre les différentes évolutions phonétiques (la chronologie relative) laisse supposer que cette langue y a pris part (cf. p. 191). Ce doit alors être une des dernières évolutions que le portugais a eues en commun avec les autres langues de la Romania occidentale, si bien que la nonparticipation - vraisemblablement causée par un retard dans le «transfert» de la semi-diphtongaison - n'est pas à exclure. Et je suis entièrement d'accord avec JSJ pour dire que cela ne changerait rien à la théorie générale. Je trouve d'ailleurs que JSJ exagère
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diphtongaison dialectale en portugais. D'une part, je n'ai jamais dit que celle-ci affectait les seules voyelles e et ç du latin (mais j'aurais évidemment pu mentionner et discuter ce phénomène), d'autre part, les exemples que j'ai cités montrent nettementque j'en suis conscient. JSJ caractérise - non sans ironie - mon explication de l'histoire des dialectes roumains extra-daciens de «nouvelle sensationnelle». Et pourtant, il reconnaît qu'il «semble très difficile de prouver directement la diphtongaison de e dans ces dialectes - comme on ne peut pas non plus la rejeter». Pour lui, c'est la palatalisation des labiales, phénomène qui se produit seulement devant !, ë et /, qui prouve l'ancienne diphtongaison (sous-entendu: car la même palatalisation est inexistante devant ê/i > e). Les exemples cités par Puscariu (Etudes 80-81) et ceux que j'ai trouvés ailleurs, appuient cette analyse. Celle-ci présente cependant - qu'on adopte le principe de la semi-diphtongaison ou non - un danger: les cas, où l'on ne rencontre pas la palatalisation (par ex. genu > dzer), ne pourraient, en conséquence, s'expliquer que par la monophtongaison dune diphtongue compiete, ce qui, bans être absolument impossible, serait pour le moins très douteux. II faudra certainement repenser tout le problème dans un contexte encore plus vaste. Dans le domaine du dalmate, j'ai cité les faits linguistiques relevés par Popovic et non pas les réflexions et les argumentations qu'il en tire. C'eût été une utilisation risquée (qu'on aurait facilement pu caractériser d'inadmissible) de sources secondaires. Et d'où JSJ sait-il que les lecteurs de mon livre «prennent P. pour un partisan de cette théorie» (à savoir celle de Guberina)? Quand JSJ dit que, selon moi, «le dalmate maten'a jamais été parlé aussi loin vers le sud que dans l'archipel de Quarnero », il y a double malentendu. Premièrement, je n'ai jamais prétendu une absurdité pareille, étant donné que Krk, l'île à la langue dalmate par excellence, se trouve dans l'archipel de Quarnero. Deuxièmement (à supposer que JSJ veut dire «plus vers le sud que dans l'archipel de Quarnero»), j'ai justement souligné que le dalmate a autrefois eu une extension bien plus grande : ce que j'ai caractérisé (p. 112) de dalmate méridional se situe justement surtout dans la région de Dubrovnik. JSJ veut le voir encore plus vers le sud, et j'admets que je suis dans Terreur quand je déclare que le Monténégro se trouve «bien au-delà de la région ayant hébergé le dalmate roman» (p. 258). C'est que je n'ai pas remarqué le document en langue romane cité par Bartoli (I § 590). Je le regrette d'autant plus que ce document ne montre aucun exemple de diphtongue: au contraire, on y trouve des formes comme porta, belle et força, qui appuient incontestablement la théorie de Guberina. Ce document, datant de 1372, est originaire de Bar (Antivari) dans le Monténégro méridional. J m du mal i retenir un sourire en constatant que JSJ a cherché sa documentation dans une source aussi secondaire que les Origini de Tagliavini. Tout cela ne doit cependant pas masquer le fait que JSJ a effectué ce que je désire avant tout: il a repris le sujet de la diphtongaison grâce à mon inspiration pour y trouver du nouveau. Je pense ici surtout à son analyse fort inspiratrice de l'espagnol, dont je le remercie de tout cœur - malgré quelques remarques désobligeantes qu'il n'a pas manqué d'y glisser. Là aussi. |