Revue Romane, Bind 9 (1974) 1Le Cantar de Mio Cid et la chanson de gestePAR MICHAEL HERSLUND Le but du présent article est de donner une description de la technique compositoire qu'on trouve dans l'épopée espagnole, c'est-à-dire dans le Cantar de Mio Cid et le petit fragment de Roncesvalles, à la lumière de recherches récentes sur l'épopée orale en général, et sur la chanson de geste française en particulier. L'étude repose sur la conception suivante: la chanson de geste est, du moins en sa phase la plus ancienne, une épopée orale comme on en trouve dans beaucoup de pays (Grèce, Yougoslavie, Russie, etc.). La composition des chansons de geste le montre clairement : les formules, les motifs fixes, l'épithète «épique», etc. n'ont pas de raison d'être dans une littérature écrite; la seule récitation orale (c'est-à-dire sans l'appui d'un texte écrit) ne peut pas rendre compte de leur emploi : le théâtre p.ex. ne connaît pas ces formules. Ce n'est donc pas la mémorisation du texte par un jongleur (acteur) qui explique la iixité des moyens expressifs de l'épopée françaisel. Et en admettant qu'il s'agisse d'une poésie orale, il faut du même coup prendre position pour le traditionalisme. Celui-ci, tei que je le comprends, n'exclut absolument pas, comme semblent le croire certains «individualistes», la création de poètes individuels (comment le pourrait-il ?) : ainsi chaque version d'un poème est due à une telle création. Mais, ce qui est important, c'est que dans le poème traditionnel on ne peut pas tracer une limite nette qui sépare la création individuelle, à chaque fois nouvelle, de ce que le poète prend à la tradition collective. Chaque poète constitue donc une étape importante dans la création poétique «collective», et la «dignité» littéraire de l'œuvre ainsi constituée ne souffre nullement de ce que beaucoup de poètes ont participé à 1: M. Delbouille {Technique, p. 17-18; voir la bibliographie à la fin) me semble tout à fait méconnaître la nature des formules en les réduisant à de simples clichés aidant la mémoire du jongleur. De plus, p. 19, i! ne s'agit nullement de la dignité de l'œuvre littéraire, que possèdent aussi les meilleures œuvres orales ; il s'agit tout simplement de deux manières différentes de composer, ou Tune ne peut pas prétendre à plus de dignité que l'autre.
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la création de la version que nous connaissons par les hasards de la transmission manuscrite. Les chansons sont liées aux faits historiques qu'elles chantent; seul le traditionalisme peut expliquer ce fait de manière satisfaisante. Plusieurs travaux sur le Cantar de Mio Cid ont remarqué une certaine ressemblance de style entre cette œuvre et les chansons de geste, p.ex. von Richthofen, p. 277-78: «La tirada XXXVI no es más que una copia casi literal ligeramente ampliada de los versos 501-04 de Gormond, lo que constituye una prueba de lo bien enterado que estaba el poeta castellano de este documento de la épica francesa de sabor nortegermánico o de una versión parecida . . . Las pruebas de la dependencia estilística del autor del Mío Cid respecto de sus modelos franceses podrían fácilmente multiplicarse.» ib., p. 284-85: «Debiera estar fuera de duda que, dondequiera que el autor del Cid echa mano de artificios épicos, tenía presente como modelo la técnica de los autores épicos franceses ... Con los materiales épicos el poeta toma también generalmente las formas de expresión del modelo francés. » J'essaierai, dans ce qui suit, de montrer qu'il ne s'agit ni de copia casi literal, ni de artificios épicos, mais de quelque chose de bien plus fondamental et d'une correspondance beaucoup plus profonde entre les deux littératures épiques. M. de Chasca compare, à plusieurs reprises, le Cid avec des chansons françaises, sans dire explicitement en quoi consiste la liaison entre les poésies épiques espagnole et française, p.ex. p. 204, où il compare la laisse 36 à une formule du Roland (c'est la laisse que von Richthofen appelle copie des vers 501-04 du Gormont!), et ailleurs. A la page 120, il parle de fórmulas épicas usadas à propos des laisses 35-37, ce qui doit s'appliquer à l'épopée française, mais non pas à l'épopée espagnole dont le Cid constitue le premier document (et aussi pratiquement le seul). Menéndez Pidal, lui-même, admet trois cas de imitación francesa; les voici: î. ia repetición del indefinido tanto en las enumeraciones descriptivas, 2. la oración narrativa de doña Jimena, 3. la manifestación del dolor de los personajes por medio de lágrimas (éd. du Cid, p. 33 ss.). Qu'il y ait beaucoup plus que ces trois cas, et qu'il s'agisse de quelque chose d'autre que de imitación superficial, j'espère pouvoir le montrer par la suite. Certains auteurs sont allés jusqu'à conclure que l'épopée espagnole est une adaptation des chansons de geste, p.ex. Laugesen, p. 153: «Digtetsform viser utvetydigt hen til franske forbilleder og giver ikke holdepunkterfor antagelsen af en aeldgammel episk tradition i Spanien selv. »
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(La forme du poème indique sans équivoque des modèles français et ne Curtius, p. 385-86, admet aussi une liaison entre les deux épopées, mais pour lui, l'origine est latine: «The Spanish epic of the Cid, then, takes up material which had already been treated in Latin. It fashions it after the model of the French epic, and employs clichés which first appear in France between 1150 and 1170. Henee it can hardly hâve been composed before 1180.» De même, un des premiers érudits qui se soient occupés du poème, Fr. Kòrbs (cit. éd. du Cid, p. 41, n. 1): «Das P. C. ist eine von einem spanischen juglar verfasste Nachahmung einer a.fr. chanson de geste. » Ce que Menéndez Pidal qualifie de increíble. C'est cette dernière position que je vais défendre ici, en cherchant de montrer qu'il ne s'agit pas d'une simple ressemblance de style (qui saute aux yeux à quiconque lit le Cantar de Mio Cid), mais d'une identité plus profonde. L'idée directrice est la suivante: à la base de toute création littéraire, il se trouve une rhétorique qui fournit au poète les moyens expressifs. La rhétorique orale fournit au jongleur un stock de formules (la plupart du temps des hémistiches), et une technique pour les combiner en motifs, et même en morceaux plus grands. De même, elle met à sa disposition des manières de lier les parties métriques de son récit, les laisses. A la base de toute composition orale, il se trouve donc un schème abstrait assez fixe, sur lequel le poète bâtit ses vers, ses motifs, tout son récit, Vhémistiche étant au départ l'élément le plus petit. Cela constitue la différence la plus sensible entre littérature orale et littérature écrite: dans celle-ci, c'est le mot qui est l'unité de base, dans celle-là c'est l'hémistiche. L'art du jongleur est donc de bien remplir ces schèmes abstraits par les formules et les récits que la tradition met à sa disposition, de bien varier ses choix de vocabulaire à l'intérieur de ces schèmes, et de bien amplifier ou raccourcir les motifs, au goût de son public et à la mesure de ses capacités. Or, après examen, il paraît que la rhétorique du jongleur, auteur du Cid (ou plus précisément: de la version conservée par la copie de Per Abbat, de 1307. Voir la belle analyse de la vie des poèmes traditionnels, dans Menéndez Pidaí (3), p. 51 ss.), est la même que celle qu'on trouve dans la chanson de geste. Et la conclusion à tirer, à mon sens la plus probable, est que le jongleur espagnol (ou plutôt ses devanciers espagnols;la découverte de la Nota Emilianense et les conclusions de Dámaso
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Alonso, me font plutôt adopter cette dernière formulation; sur la Nota, voir Menéndez Pidal (3), p. 40 ss.) a appris son métier par des jongleurs français2. Son métier, ce sont essentiellement les schèmes abstraits dont je viens de parler, seulement adaptés à une langue étrangère avec des conséquences importantes pour le vocabulaire, et pour la versification3. Il ne s'agit pas de trouver des formules traduites en espagnol, mais seulement de montrer que là même où il ne se trouve pas de modèle immédiat dans l'épopée française, l'architecture des expressions du poème espagnol a son parallèle exact dans les chansons françaises. Évidemment, le Cantar de Mio Cid n'est pas une traduction, mais une création tout à fait originale par un poète espagnol qui employait la technique que lui avaient apprise des jongleurs français (peut-être indirectement, voir cidessus). Je me propose donc de démontrer cela, en faisant la comparaison entre le Cantar de Mio Cid (éd. Menéndez Pidal, Clásicos Castellanos 24, Madrid 1968; Cid), le fragment de Roncesvalles (éd. Menéndez Pidal, Tres poetas primitivos, Colección Austral 800; Roncesvalles), et les chansons de geste suivantes: La Chanson de Roland (Roland, éd. Hilka, Tübingen 1965; éd. Bédier, Paris 1964), Gormont et Isembart (Gormont, éd. Bayot, CFMA 14, Paris 1931), Voyage de Charlemagne (Voyage, éd. Aebischer, TLF 115, Genève 1965), Le Couronnement de Louis (Couronnement, éd. Langlois, CFMA 22, Paris 1966), Le Charroi de Nîmes (Charroi, éd. Perrier, CFMA 66, Paris 1966; éd. G. de Poerck et alii, TTrA 1, I—11, 1970), Ami et Amile (Ami, éd. Dembrowski, CFMA 97, 2: Logiquement, on peut expliquer le phénomène de quatre manières: 1. ancêtre commun pour les épopées française et espagnole (germanique?), 2. les jongleurs français ont appris par les espagnols (comme le pensait Adalbert Hamel, Menéndez Pidal (3), p. 24), 3. les identités de technique sont purement fortuites, relevant des ressemblances qu'on peut détacher entre toutes íes littératures orales du monde, 4. l'explication choisie ci-dessus. 3: On sait que la versification irrégulière du Cid et d'autres poèmes épiques espagnols (Roncesvalles p. ex.) pose des problèmes. La versification peut constituer l'argument le plus sérieux contre la thèse défendue ici, cf. p. ex. Bowra, p. 378: «Nor on the other hand does it (i.e. le Cid) seem to be a late invention, derived from the French chansons de geste, since it difiers greatly from them in its mètre . ...» Je n'aborderai pas ici le problème délicat de la versification, dont la littérature est abondante, mais je me contente de renvoyer à des phénomènes semblables dans la vieille poésie italienne (Ritmo di S. Alessio, Ritmo Cassinese): le mètre irrégulier peut s'expliquer comme une première phase de l'adaptation à une langue étrangère de la versification française.
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Paris 1969), La Chanson d'Aspremont {Aspremont, éd. Brandin, CFMA 19, 25, Paris 1970 (1924)). Je citerai parfois aussi les poèmes suivants: Raoul de Cambrai {Raoul), Moniage Guillaume (Moniage), Prise d'Orange (Prise), Siège de Barbastre (Siège). J'ai trouvé important pour mon propos de tenir compte du plus grand nombre de chansons de geste possible: déjà, trop souvent on ne cite que le Roland ou Gormont et Isembart pour tracer l'influence française sur l'épopée espagnole (p.ex. von Richthofen), ou bien seulement le Roland pour donner un aperçu de l'épopée française médiévale (p.ex. Bowra). Le point de comparaison devrait être en principe la totalité des chansons conservées. Pour des raisons évidentes pourtant, je dois me contenter des œuvres citées. La comparaison procédera par les chapitres que voici : 1. le jongleur et son public; 2. structure strophique, structure des laisses, Je me rends parfaitement bien compte des dangers de la méthode employée; mais comme il s'agit moins de donner une analyse pénétrante d'une œuvre littéraire, comme celle de M. de Chasca p.ex., que d'essayer de définir et de décrire la rhétorique des jongleurs, auteurs et récitants de la poésie épique, orale, je la trouve à sa place ici. 1. Le jongleurDans une épopée orale, récitée (chantée) en public, le jongleur prend une part active à l'action. Et cela se manifeste de plusieurs manières: il s'adresse directement au public, il annonce les événements et les personnages, procédés qui se trouvent également dans la littérature écrite, mais à un moindre degré ; la différence est aussi qualitative, car il faut se rappeler «qu'une récitation chantée tient toujours quelque chose de l'improvisation » (Rychner, p. 33). Le phénomène est bien connu dans l'épopée française, il l'est également dans le Cid. Voici quelques exemples: le jongleur attire l'attention du public sur l'apparition d'un nouveau personnage par la particule es (et ses variantes : as, ast, ez, est, estes, eis) ; à vrai dire, la valeur de cette particule semble, dans beaucoup des cas, assez affaiblie :
Roland: As vos poignant Malprimis de Brigant (889)
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Gormont: Eis vus puinant li quens de Flandres (67, 165v4)
Voyage: Atant es vus Carlun sur un fort mul ambiant (298, 275*•)
Couronnement: Es dous messages poignant toz abrivez (1384, 2226)
Ami: Ez voz a lui venu un escuier (3397)
Aspremont: Es vos Ogier et Namlon apognant (6088) En espagnol, la particule est afé:
Cid: Afevos dona Ximena con sus fijas do va llegando (262) D'autres exemples: 152, 476, 485, 1255, 1431, 1568.
Roland: La veïssez si grant dulor de gent (1655)
Gormont: La veissiez tant cop d'espee (502)
Couronnement: La veïssiez un estor comencier (2332, 1212V, 1895V)
Charroi: La veïssiez un estor einsi grant (1423)
Prise: La veïssiez un estor si pesant (1824)
Montage: La veïssiés un estor de randon (4801)
Raoul: Lors veïssiés une dure meslee (2979) Et une variante:
Ami: La poissiez trop grant feste esgarder (3240) L'espagnol emploie le conditionnel, veriedes, ce qui est aussi la valeur
Cid: Veriedes tantas lanças premer e alçar (726) 4: 165V: le v indique que le vers en question est une variante du type cité; ici, c'est un autre personnage en 165 qu'en 67.
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D'autres exemples: 697, 1228, 1831 (au parfait, cf. Couronnement 1455; Pour M. Curtius, ZRPh 58, 1938, ce tour est un souvenir de Virgile, cf. : migrantis cernas totaque ex urbe ruentis (Aen. 4,401), cerneré erat ... (ib. 6,596, 8,676), hypothèse qui me semble trop peu fondée: l'inspiration virgilienne dans les chansons de geste n'a jamais été démontrée de manière satisfaisante, cf. Farai, p. 182 ss. Le veïssiez des poèmes oraux chantés a une fonction nettement différente du poli cerneré erat virgilien. Oiez, orrez tire peut-être son origine de la formule audite de la Vulgate qu'on retrouve un peu partout dans la littérature médiévale (cf. Curtius, ib.). Mais, quoi qu'il en soit, l'expression trouve sa pleine justification et sa juste fonction dans un poème de type oral, sans avoir besoin d'une source biblique. Les exemples de débuts de poèmes avec Oiez sont trop bien connus pour qu'il faille en citer (cf. Couronnement 1, Charroi 1, Ami 1, Prise 1, Raoul 1). Avec orrez:
Gormont: oimes orresz grant regretee (469)
Ami: Huimais orrez de douz bons compaingnons (11)
Cid: Fablô Martin Antolinez, odredes lo que a dicho (70, cf. et à I'impératif (le oiez français): Oid que dixo Minaya Âlbar Fanez (1127, cf. 1603)
Roncesvalles: El rey cuando lo vido, oit lo que face (30) Enfin la variante avec comme :
Raoul: Par cel maldit ot il tel destorbier,
Couronnement: Cil detrencha a Guillelme son nés, Com vos orrez ainz le soleil colchier (1377, 1383V)
Cid: fablava mio Çid, commo odredes contar (684) Tous les exemples du Cid renvoient en effet à une réplique, c'est-à-dire
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Une variante très populaire du tour la veïssiez est constituée par l'expression qui donc veïst, oïst, qui syntaxiquement doit être comprise de la même manière, c'est-à-dire avec une apodóse supprimée (parfois exprimée) :
Roland: Ki dune veïst cez escuz si malmis! (3483)
Couronnement: Qui donc veïst les aguaiz desbuchier! (1892)
Charroi: Qui dont veïst les durs vilains errer (964) Qui dont veïst les durs vilains errer (964)
Ami: Qui lors veïst ces barons chevaliers (3382)
Raoul: Qui li veïst son escu enbracier (22) L'espagnol, lui, emploie l'indicatif (parfait): quién vido por Castiella tanta mula preciada, mais le sens semble bien être le même que dans les chansons françaises. Je grouperai ensemble tous les cas où le poète prend la parole pour annoncer des changements dans le cours du récit (interiectio ex persona poetae). D'abord les expressions équivalant à maintenant, parlons d'autre chose :
Prise: Or vos lerons ester de noz barons,
Charroi: Huimés devons de dan Bertrán chanter (988)
Ami: Ici lairons d'Amile le baron,
Cid: Direvos de los cavalleros que levaron el mensaje (1453) cf. en outre: 1423, 1620, 1776, 1879, 3671, 899.
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Roncesvalles: dexemos al rey Karlos, fablemos de aie (83) Expressions: sautons ceci:
Voyage: Que vus en ai jo mes lune plait a acunter? (860)
Couronnement: De lor jornees ne sai que vos contasse (1448, 1517, 2053,
Ami: De lor jornees ne sai compe tenir (1877, 2476V)
Cid: Dexarévos las posadas non las quiero contar (1310) Dans ces quatre chansons, seulement dans le motif du voyage.
Roland: Puis si chevalchent, Deus! par si grant fiertét. (1183)
Couronnement: Deus! qu'or nel set li cuens o le vis fier! (2084)
Ami: Dex, com iert irascue! (2108)
Cid: ixie el sol, Dios, que fermoso apuntava! (457) Les exemples sont nombreux, et dans les chansons françaises, et dans le On voit donc que, sur le plan de l'expression verbale, les procédés qu'emploie le jongleur espagnol quand il intervient dans le récit, sont essentiellement les mêmes que ceux qu'on trouve dans les chansons de geste. Il est vrai qu'il en emploie aussi d'autres qui ne se trouvent presque jamais dans les chansons françaises examinées ici, par ex. l'impératif sabet (572, 602, etc.); ce tour, je le trouve seulement dans Ami: sachiez de voir (534, 1809, etc.). Mais, sans doute, on le trouverait aussi dans d'autres chansons de gestes; tout jongleur a, naturellement, ses expressions Enfin, la situation générale de la récitation; selon Rychner, p. 49, 5: Anker Laugesen m'a signalé l'exemple suivant: Richiers an fut moli liez, ce saichie: vos por voir (Floovant, 1487; éd. Andolf, Uppsala 1941).
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qu'elle dure environ deux heures, cf. Bowra, p. 438. Dans les poèmes examinés par Rychner, il semble être possible de trouver des tranches correspondant à de telles séances (p. 49 ss.). Les chansons de grandes dimensions sont naturellement réparties en 'séances', qu'on pense p.ex. à Y Iliade, cf. Bowra, p. 438 : « It seems, too, a normal practice for reciters of long poems to finish each separate performance at an appropriate place Hke thè end of an épisode. Such must have been Homer's way. The Iliaci falls into obvious sections, which have clear beginnings and ends, and though the Odyssey is not so easily divisible, it can stili be divided without much trouble. » Qu'en est-il dans le Cidi II me semble évident que les trois cantares, qui constituent le poème, correspondent à autant de séances de récitation, tout en gardant leur autonomie en tant qu'épisodes d'une grande chanson épique (cf. Chasca, p. 206). Voici les chiffres: Cantar primero, v. 1-1085, Cantar segundo, v. 1086-2277, Cantar tercero, v. 2278-3731; soit des séances comprenant 1085, 1192 et 1454 vers. Ceci nous mène alors naturellement à l'examen de la structure strophique 2. Structure strophique, structure des laisses, structure des récits2.1. Structure strophiqueLe Cid est composé en laisses assonancées comme les chansons françaises. Ses 3731 vers sont divisés en 152 laisses, soit une moyenne de 25 vers par laisse, moyenne qu'on retrouve dans le Charroi; une chanson tardive comme Ami comprend 3504 vers, répartis en 177 laisses (moyenne: 20); ce sont donc des dimensions semblables. Dans la chanson de geste on distingue divers procédés d'enchaînement des laisses (Rychner, p. 74 ss.). Il y a d'abord le type 1, ou enchaînement tout court selon la terminologie de M. Rychner: le dernier vers d'une laisse est repris par le premier de la suivante, cf. p.ex.
Moniage: Lors en apelc l'ermite doucement. Li quens Guillaume a apelé Termite,
Ami: Cuens Amis prinst la damme. Li cuens Amis a prinse Lubias,
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naturellement avec la variation exigée par le changement d'assonance. C'est un procédé très employé dans les chansons françaises, et qui semble avoir pour but primitif d'assurer l'ordre des laisses (et, partant, des événements), cf. le vers mnémonique du théâtre médiéval, mais qui semble aussi remplir une fonction esthétique. Ce type est également très répandu dans le Cid. Voici les exemples les 1.19-20: Quando despertô el Çid, la cara se santigô. 1.28-29: el castiello de Alcoçer en paria va entrando. 1.44-45: vendido les a Alcoçer por très mill marcos de plata. 1.68-69: las nuevas de mio Çid, sabet, sonando van. 1.117-118: Los de mio Çid a los de Bûcar de las tiendas los sacan. Un autre type, type 2, consiste en ce que «le jongleur entonne la laisse suivante en reprenant un passage qui ne se trouve pas exactement à la fin de la laisse précédente» (Rychner, p. 80). Cette reprise bifurquée domine tout à fait dans le Couronnement: A tant es vos le duc Richart le vieil, 1.51-52: Li cuens Guillelmes chevalche lez un mont; Par contre, le Couronnement ne semble pas connaître le type 1. Voici
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1.21-22: Jusqu'à l'agait n'i sont arresteù. Le jongleur espagnol n'ignore pas ce procédé, Cid: 1.54-55: Foron los mandados a todas partes, 1.58-59: Vençido a esta batalla el que en buena nasco; I venciô esta batalla por o ondrô su barba, cf. en outre: 1.15-16, 47-48, 97-98, 134-135. Le troisième type: reprise d'un passage qui se trouve au début de la 1.130-131 : Ifantes de Carriôn por muertas las dexaron, 1.121-122: Sobejanas son las ganançias que todcs an ganado On arrive ainsi aux laisses parallèles ou similaires. Rychner, p. 83: «Pour que les laisses soient parfaitement parallèles, il faudra que les tranches de récit qu'elles concernent soient elles aussi, non pas identiques, bien sûr, mais «juxtaposables». » Voici un exemple, Aspremonf. 1.18-19: «Oies, segnor, encor vos sai a dire:
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A ses dos mains vos voira il ocire. «Oies, segnor, dont Agolans tençone: Dans le Cid, le meilleur exemple en est la scène du procès, voir les 1.50-51 : Dios, cômmo fo alegre todo aquel fonssado, que Minaya Âlvar Fanez assi era Ilegado, diziendoles saludes de primos e de hermanos, e de sus companas, aquellas que avien dexado! Dios, cómmo es alegre la barba vellida, 1. 72-73 Quien quiere perder cueta e venir a rritad, viniesse a mio Çid que a sabor de cavalgar; çercar quiere a Valençia pora cristianos la dar: «Quien quiere ir comigo cercar a Valencia, Pour ce dernier exemple, cf. plus bas Structure du récit. Dans sa totalité, comment est la structure strophique de notre chanson ? En d'autres termes, y a-t-il conformité entre les laisses et les unités narratives ? Comme c'est le cas pour la plupart des chansons françaises, il faut répondre par la négative: les unités narratives ne coïncident que trop rarement avec les unités strophiques, voir p.ex. les laisses 18, 102, 104 et beaucoup d'autres. Pour citer ce que M. Rychner dit à propos du Voyage, p. 115: «Mais la strophe n'est pas une forte unité; plutôt que d'imposer son découpage au récit, elle est comme traversée par lui.» Dans sa structure strophique, le Cid ne diffère pas du commun des 2.2. Structure de la laisseLes contours de la laisse sont souvent marqués par des vers de timbre
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un sens verbal): vers d'intonation et vers de conclusion, selon la terminologiede Le vers d'intonation comporte souvent le nom du personnage qui va jouer un rôle prépondérant dans la laisse; les exemples en sont trop nombreux et trop bien connus pour qu'il faille en citer ici, voir p.ex. les dix premières laisses de Roland, les laisses 14-20 du Couronnement, ou les laisses 3-6 de Ami. Dans le Cid également, ce type de vers est extrêmement Martin Antolinez, el Burgalés conplido (65) C'est le type d'intonation le plus employé dans les chansons françaises
Roland: Rollant est proz et Oliver est sage (1093)
Couronnement: Li cuens Guillelmes fu molt bons chevaliers (1250)
Ami: Li cuens Amiles fu moult gentiz et ber (607)
Cid: El moro Avengalvôn, mucho era buen barragân (2671) Ce type-ci a d'autant plus valeur d'intonation qu'il est, dans la plupart des cas, dépourvu d'information nouvelle et, de même, comme extérieur à la narration et sans rapport apparent avec le récit; en effet, tout le monde sait que Guillaume est très bon chevalier, etc. Un type légèrement différent consiste en un nom de personne -f un nom
Roland: Caries li reis, nostre emperere magnes
Voyage: Un jur fu Karlemaine al seint Denis muster (1)
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Couronnement: Par dedenz Rome fu Guillelmes li ber (2649, 2642) On trouve aussi ce type avec un verbe de mouvement:
Roland: Li reis Marsiiie s'en fuit ea Sdrraguce (2570)
Charroi: Li quens Guillelmes vet au mostier orer (842)
Ami: Li cuens Amis est venus en Nevers (51) Ces deux types existent aussi dans le Cid:
estar, ser Mio Çid con esta ganançia en Alcoçer esta (623)
mouvement Tornâvase don Martino a Burgos, e mio Çid aguijô (232) D'ici, ce type de vers s'est répandu dans le Romancero, jusqu'à en devenir presque le vers d'intonation favori (cf. les ballades danoises: Skammel bor i Ty; Dronning Dagmar ligger udi Ribe syg; et les byliny russes: In glorious Novgorod the Great, Buslay dweit for ninety years (Chadwick. p. 150)). Voici des exemples (tous empruntés à Menéndez Pidal (4)): En Burgos está el buen rey (p. 120) En Ceupta está don Julián (p. 43) En París está doña Alda (p. 78) Llegó Alvar Fáñez a Burgos (p. 154) En effet, il faut se rappeler que souvent les «romances» espagnols ressemblent D'autres types de vers d'intonation: inversion épique (avec ou sans nom
Roland: Granz sunt les oz e les cumpaignes fieres (3383)
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Charroi: Vet s'en Guillelmes o sa compaigne bêle (782)
Ami: Va s'en Amiles Ii preus et li cortois (124)
Aspremont: Vait s'ent Turpins il et sa conpagnie (1214)
Cid: Spidiôs el caboso de cuer e de veluntad (226)
Vers descriptifs, cf. les exemples du Roland, Rychner, p. 72; Cid: Aun era de dia, non puesto el sol (416) Pour ces expressions en général, voir ci-dessous Indications de temps, 4.
Constructions absolues; Cid: Estas palabras dichas, la tienda es cogida. (213) Le dernier vers d'une laisse, le vers de conclusion, contient souvent une
Roland, 1.97-99: Dist Oliver: Gente est nostre bataille (1274)
Aspremont: Dex, dist Gerars, con jentil noreçon! (3541), ou bien une réponse, le plus souvent positive :
Couronnement: Et cil respont: Bels sire, volentiers. (1665)
Aspremont: Et cil respondent: A Deu Beneïçon. (2904), ou bien, on décrit Xeffet moral de l'action de la laisse:
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Roland: Baisset sun chef, si cumence a penser. (138)
Voyage: L'emperere l'entent: leez e joiant fud. (678)
Raoul: Oit le li rois, si se va enbronchant. (1.33)
Aspremont: Gerars l'entent, si devint alques mas. (1491)
Prise: La dame l'ot, si gita un soupir. (718) Pour ces expressions en général, voir ci-dessous, 3. Les motifs.
Commentaire: De las sus bocas todos dizian una razône:
Réponse: Dixo Minaya Âlbar Fanez: Esto faré yo de grado. (819) Comparez les laisses 1-2: Fablô mio Çid bien e tan mesurado : Meçiô mio Çid los ombros y engrameô la tiesta: Vers de conclusion qui, à part le parallélisme apparent, combinent les Grâdanse Raquel e Vidas con avères monedados, Parfois aussi, le vers de conclusion donne comme un résumé de la laisse,
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Mio Çid don Rodrigo Alcocer cueda ganar. (556) Voir en outre les vers 845, 1632, 655, 664, 954-55, 1984. Qui a buen señor sirve, siempre bive en delicio. (850) cf. le même phénomène dans le Couronnement: Qui traïson vuelt faire a seignorage Je crois que cela suffit pour démontrer que la composition des laisses et les manières de les relier entre elles sont les mêmes dans les chansons françaises et dans le Cid. Il est naturellement évident que les questions soulevées ici demandent un examen beaucoup plus soigné que les quelques observations que j'ai pu faire ici. Rappelons seulement, avec les mots de Rychner, p. 74, que «les contours de la laisse sont fréquemment accusés par des timbres verbaux d'intonation et de conclusion. » Et ajoutons que ce fait semble aussi constant dans le Cid que dans une chanson de geste française quelconque. 2.3. Structure du récitJe ne relèverai ici que quelques points généraux du style des chansons de geste (déjà a été mentionnée la non-conformité entre structure narrative et structure strophique). On sait que leur style est très simple, presque toujours parataxique: pour s'en convaincre, il suffit de lire quelques pages seulement d'une chanson quelconque; de même le style du Cid: voir le chapitre suivant, où les exemples abondent. La parataxe est un trait caractéristique de toute composition orale: que le jongleur oublie un vers, il lui substitue un autre, sans graves conséquences pour la syntaxe et le sens. La variation, de récitation en récitation, qui est la condition et la vie d'une chanson orale, serait inconcevable ou fortement compliquée si le style n'était pas parataxique, chaque vers égalant une phrase. Un autre trait caractéristique, relevant de l'économie propre à toute littérature orale, est le fait que les mêmes expressions servent de nouveau, si l'on répète une réplique, ou qu'elle soit rapportée par un autre, cf. p.ex. les discours de Charlemagne à son fils Louis, Couronnement 64-61, répétés par 80-86, 151-54, 175-79. Les exemples d'un messager qui transmet son message avec les mêmes
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paroles que celles de son seigneur sont nombreux. Voici un exemple du Couronnement (voir aussi Rychner, p. 60 ss. : je crois seulement que le phénomène relève plutôt de l'économie nécessaire à la création orale que d'une fonction de rappel de la situation) : Gui d'Alemaigne li a dit son message: N'a dreit en Rome ne en tôt l'eritage; et s'il le vuelt aveir par son oltrage, encontre mei l'en covendra combatre, o chevalier qui por son cors le face. (2366 ss.) Gui d'Alemaigne m'enveie por message; Ce sont des phénomènes bien connus dans le Cid: El Cid à Muno Ciustio7 Voici les vers où l'on trouve une telle répétition: 983-84/989, 1106v, 1636V; 23-24/42-43; 1187 ss./1192 ss.; 1251 ss./1257 ss.; 2982/2993-94; 316-17/324; 1688 ss./1701 ss.; 2962 ss./2977 ss.; 2742 ss./2749 ss.; 440 ss./ 442 ss. (dans l'édition de Menéndez Pidal, une lacune a été remplie ici par des vers reconstruits ; de là le numérotage qui s'applique uniquement aux vers du manuscrit); 2548 ss./2552 ss. 3. Les motifsJ'en viens maintenant aux éléments majeurs de la narration: les motifs.
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ce qu'en dit A. B. Lord (G. S. Kirk, p. 71): «The thèmes of oral poetry are the repeated narrative or descriptive éléments, and they function in building songs in much the same way in which the formulas function in building lines. » Les motifs sont constitués par un nombre restreint d'élémentsplus ou moins fixes, voir p.ex. l'analyse du motif de l'attaque à la lance, Rychner, p. 139 ss. 11 s'agit donc d'un ensemble, plus ou moins amplifié au gré du jongleur, de vers, ou plutôt d'hémistiches, plus ou moins formulaires, le choix du second hémistiche étant déterminé par l'assonance choisie. Dans ce qui suit, je traiterai sous six points de quelques motifs communs aux chansons de geste et au Cid; on verra que les motifs du Cid trouvent leur place naturelle dans le choix fait parmi les motifs des chansons françaises. Et c'est peut-être ici que les ressemblances sautent le plus aux yeux: le schème rhétorique, sous-jacent à la création poétique semble bien être le même pour le jongleur espagnol et ses collègues français. 3.1. Description de la batailleCe motif compte parmi les plus fixes et les plus fréquents. Les éléments
Cid: Veriedes tantas lanças premer e alçar,
Gormont: La veissiez tant cop d'espee Comp. ce qu'en dit M. von Richthofen, cité p. 70. On voit facilement qu'il
Roland: E tante hanste i ad fraite et sanglente,
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ne reverrunt lor mères ne lor femmes
Couronnement: La veïssiez un estor comencier,
Charroi: La veïssiez un estor einsi grant,
Aspremont: La veïssciés tant ruiste colp ferir
Ami: La veïssiez un estor conmencier, Pour plus d'exemples, voir Rychner, p. 151-52. Je crois que les passages cités sont suffisamment éloquents pour se passer de commentaire. On voit que les variations sont commandées par l'assonance: les exemples du Couronnement et du Charroi en sont la meilleure illustration. 3.2. Attaque à la lanceCe motif est aussi des plus stables. 7 ou 8 éléments le composent sous sa forme pleine: 1. éperonner son cheval, 2. brandir la lance, 3. frapper, 4. briser l'écu de l'adversaire, 5. rompre son haubert, 6. lui passer la lance au travers du corps, ou le manquer, 7. l'abattre à bas de son cheval, 8. la lance se brise (cf. Rychner, p. 141). A vrai dire, il est assez rare que le motif apparaisse sous sa forme pleine: aucun de mes exemples n'est complet, le numéro 2 faisant défaut dans la plupart des cas. Mais voici
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ces exemples (les éléments seront numérotés pour faciliter leur identification): Roland: Le cheval brochet des oriez esperuns, (1) vait le ferir en guise de baron: (3) L'escut li freint e l'osberc li derumpt, (4), (5) el cors le met les pans del gunfanun, (6) pleine sa hanste l'abat mort des arçuns. (1225 ss.)6 (7) et un motif «pauvre»: puint le ceval, laisset curre ad espleit, (1)
Gormont: e vait le rei Gormund ferir; (3) sil fiert sur la targe novele, (4)
Couronnement: Le destrier broche, qui li desserre tost, (1) Aspremont: Anquetins broce contre val le sabloi; (1) Sor son escu fiert Pincenart, un roi. (4) Toit li tresperce et armes et conroi (5) qu'il l'abat mort sos un arbre toit quoi. (3168 ss.)9 (6)
Cid: El obispo don Jérôme priso a espolonada (1) 6: cf. 1197 ss., 1245 ss., 1313 ss., 1352 ss., 1536 ss., 1573 ss., 1599 ss., 1610 ss., 1617 ss., 1891 ss., 1944 ss., 3353 ss., 3423 ss., 3447 ss., 3464 ss., 7: cf. 11 ss., 70 ss., 92 ss., 119 ss., 293 ss., 453 ss., 562 ss., 8: cf. 909 ss., 2143 ss. 9: cf. 2280 ss., 3287 ss., 3302 ss., 3528 ss., 3622 ss.
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Por la su ventura e Dios quel amava Si l'on décrit les deux combattants à la fois, ou bien un combat à plusieurs Firiénsse en los escudos unos tan grandes colpes. (4) Ou bien, on emploie un type différent (1. empoigner les écus, 2. baisser Enbraçan los escudos delant los coraçones, (1) abaxan las lanças abueltas de los pendones, (2) enclinaron las caras de suso de los arzones, (3) ivanlos ferir de fuertes coraçones. (715 ss.) (4) Abraçan los escudos delant los coraçones, (1) abaxan las lanças abueltas con los pendones, (2) enclinavan las caras sobre los arzones, (3) batien los cavallos con los espolones, (5) tembrar querie la tierra dond eran movedores. (.3615 ss.j, type que connaît aussi l'épopée française:
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Couronnement: Les forz escuz tienent devant lor piz; (1) bien s'apareillent de ruistes cols ferir. (4) Les chevals brochent des espérons forbiz, (5) lances baissiees se sont molt tost requis. (2544 ss.) (2), (4)
Ami: Les destriers hurtent des espérons tranchans, (5)
Roland: Lascent les resnes a lor cevals curanz, 3.3. Coup d'épéeJe passe directement aux exemples qui seront de nouveau pourvus de numéros correspondant aux éléments constitutifs: 1. tirer l'épée (ou l'avoir déjà à la main), 2. frapper (le plus souvent sur le heaume), 3. briser les ornements du heaume, 4. trancher le heaume et la tête de l'adversaire, 5. lui trancher tout le corps, le haubert, etc., ou l'abattre d'un seul coup; en outre, on trouve, surtout dans le Roland, des éléments qu'on connaît déjà du motif précédent :
Roland: Trait Durendal, sa bone espee nue, (1) Tient Halteclere, dunt li acer fut bruns, (1) fiert l'algalife sur l'elme a or agut, (2) flurs e cristaus en acraventet jus, (3) trenchet la teste d'ici qu'as denz menuz, (4) brandist sun colp, si l'ad mort abatut. (1953 ss.)lo (5)
Gormont: il trest le brani de Coleneis, (1) 10: cf. 1370 ss., 1549 ss., 1583 ss., 1644 ss., 1995 ss., 2287 ss. (où l'arme employée est l'olifant), 3431 ss., 358! ss., 3603 ss., 3615 ss., 3886 ss., 3916 ss., 3926 ss. 11: cf. 53 ss., 126 ss., 182 ss., 234 ss., 342 ss.
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Voyage: Li reis me prest s'espee al poin d'or adubet: (lv) si ferrai sur les heaumes u il erent plus chers, (2) trancherai les haubercs e les heaumes gemmez, (5), (3) le feutre avec la sele del destrer sujurnez; (458 ss.)l2
Couronnement: Et fiert le rei, que n'ot soing d'espargnier,
Charroi: De son brant nu me dona un cop tel (2)
Ami: Li cuens Amis tint l'espee tranchant, (1)
Aspremont: L espee traite, coviers de 1 escu bis, UJ
Cid: Martín Antolínez un colpe dio a Galve, (2) 12: on sait qu'ici il ne s'aeit pas du motif ordinaire, mais du gab de Charlemagne. 13: cf. 1036 ss., 1132 ss., 1231 ss., 1937 ss. Ì4: cf. 1464 ss., 1494 ss., i547 ss., 1676 ss. 15: cf. 1311 ss., 1329 s., 1334 s., 2305 ss., 3184 ss., 3263 ss., 3277 ss., 3639 ss.
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Martin Antolinez mano metiô al espada, (1) 3.4. Chevaliers sous les armesJe me passerai de commentaire, et je donnerai les exemples tels quels: Paiens chevalchent par ces greignurs valees, Couronnement: Dous cenz en meine molt bien apareilliez, qui ont vestuz les blans halbers dobliers, desoz les coifes les verz helmes laciez, et si ont ceint les branz forbiz d'acier; (1521 ss.)lB Aspremont: La veïsciés tant bons elmes genmés et tans espiels et tant penons fremés; des elmes bruns ist une tels clartés la terre en iuist et trestos li régnés. (3778 ss.)l9
Ami: Li chevalier sont de la ville issu,
dd: cojô' Salon ayuso, la su seiïa alçada, 16: cf. 749 ss., 759 ss. 17: cf. 1021 s., 1031 ss., 1452 ss., 1041 ss., 1808 ss., 3078 ss., 3306 ss. 18: cf. 274 ss., 1488 ss. 19: cf. 744 ss., 2906 ss., 2916 ss., 2939 ss., 3070 ss., 3800 ss., 3809 ss., 3930 ss.
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Bien salieron den ciento que non parecen mal, 3.5. VoyageOn voyage beaucoup dans les chansons de geste ; qu'il s'agisse de décrire un voyage «privé » ou un déplacement de l'armée, le motif reste le même. Étrangement, Rychner, p. 128 ss. ne compte pas ce motif parmi les plus fréquents ; et pourtant les exemples abondent. On peut distinguer deux types: (i) Tant -f- chevalchier, espleitier, errer, cheminer (ii) chevalchier. eissir. soi en aler. guerpir Le poète du Cid ne connaît que le type (ii). Pour M. de Chasca, p. 87, c'est un procédé original qui vise à obtenir un effet «cinématographique » : «El juglar sugiere este irresistible progreso con admirable parquedad de medios que se ciñe a enumerar los lugares de la ruta (cf. «con rapidez cinematográfica»)». Mais justement ici, il n'y a rien d'original: c'est le type (ii) des chansons de geste françaises qui est tellement usé que son effet sur le public doit être proportionnellement amoindri. La suggestion de «irresistible progreso» est limitée au lecteur moderne. Le public médiéval n'y voit que le motif bien connu du voyage, et il se réjouit de l'entendre de nouveau:
Roland: Tant chevalchierent e veies e chemins Caries cevalchet et les vais et les munz,
Voyage: Chevalchet li emperere od sa cumpaine grant, 20: cf. 1000 s., 3072 ss. 21: cf. 2689 ss., 2818 s.
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Que vus en ai jo mes lune plait a acunter?
Couronnement: Tant ont par force espleitié et erré (ii) De lor jornees ne vos sai aconter;
Charroi: Tant ont François chevauchié et erré, (ii) Ont trespassé et Berri et Auvergne.
Ami: De la ville issent par la porte ferrée,
Aspremont: Vait s'ent Turpins il et sa conpagnie;
Cid', seul le type (ii) est employé ici, comme c'est aussi le cas pour le Exido es de Burgos e Arlancón a passado, Ixiendos va de tierra el Campeador leal 22: cf. 100 ss. 23: cf. 268 ss., 1446 ss., 1517 ss., 2050 ss., 2277 ss., 2653 ss., 2676 ss. 24: cf. 782 ss. 25: cf. 54 ss., 59 ss., 70 ss., 203 s., 2518 s., 291 ss., 316 ss., 333 s., 1871 ss., 2460 s., 2604 s., 2616 s., 2623 s., 3296 ss., 3480 s. 26: cf. 549 ss., 1079 ss., 1239 ss., 1387 ss., 1822, 2109 s., 2725 s., 3711 s., 3988 ss., 4035 s.
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la calcada de Quinea ívala traspassar, adeliñó pora Castiella Minava Álbar Fáñez. A la maiïana pienssan de cavalgar; Salieron de Médina, e Salon passavan, Passando van las sierras e los montes e las aguas, 3.6. Joie, douleurCes deux motifs, très fréquents, sont extrêmement simples ; ils n'excèdent guère un vers, et souvent ils ne remplissent qu'un seul hémistiche. Dans les chansons françaises, pourtant, on trouve une plus grande variation que dans le Cid qui ne connaît p.ex. qu'un seul adjectif pour décrire la joie: alegre, tandis que le vocabulaire français en connaît au moins trois: liez, balz, joianz (joious). Je renonce à analyser ces motifs, et je me contente de pourvoir les exemples de numéros qui renvoient chacun à un type déterminé qu'on identifiera facilement. D'abord la joie:
Roland: Li empereres se fait balz et liez. (96)28 (1)
Voyage: Karlemaine fud lez, e tuz qui sunt od lui (203) (1)
Couronnement: Quant cil l'entendent, grant joie en ont mené. (57)30 (4) 27: cf. 10 ss., 391 ss., 425 ss., 542 ss., 643 ss., 649 ss., 857 ss., 909 ss., 951 ss., 1159 ss., 1185 ss., 1448 ss., 1473 ss., 1555 ss., 1816 ss., 2644 ss., 2651 ss., 2689 ss., 2841 ss., 2870 ss., 2920 ss. 28: cf. 2803 29: cf. 678, 858. 30: cf. 147, 1552, 1952, 3621
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Charroi: François sont lié/(1477)31 (1) Ami: Liés en fu Charles et sa fille par non. (226, 383v) (1 a) Enz en son cuer en fu joianz et liés. (384, 1120) (1 b) Grans fu la joie/(3235, 3242, 3364) (3) Li serf l'entendent, grant joie en ont mené. (2459) (4) Dex, com mainnent grant joie! (1744)32 (4)
Aspremont: Nostre emperere a molt grant joie eu (829)33 (2)
Ciel: mucho era alegre/(1731, 2267, 2473) (1) Alegre fo de aquesto/(1314, 3530, 3704) (la) Grant a el gozo mio Çid con todos sos vassallos /tan grant fue el gozo (1393) (3) Grand alegreya va entre essos cristianos (797, 1236) (4)
La douleur :
Roland: Pluret des oilz, tute sa chère embrunchet (3645) (3)
Voyage: Dolenz fud li reis Hugue/(734, 753)35 (\)
Couronnement: Et veit le rei qui sospire en granz lairmes (2417)36 (3), (4) 31: cf. 1475. 32: cf. 1323. 32: cf. 1323, 3088, 1113, 806, 2620, 1948, 2753, 482, 1112, 3206, 1742,3363,2049, 3421, 2001, 3419, 2765. 33: cf. 95, 164, 1681, 2160, 2209, 2653, 3840. 34: cf. 829a, 2943, 3712. 35: cf. 601, 628. 36: cf. 88, 89, 2413.
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Charroi: Poise a Guillelme/(1468) (2) Molt tendrement plorai des eulz del chief (575)37 (3)
Ami: Quant li cuens l'oit, si conmence a plorer Dex com grant duel demainnentl (2226)38 (5)
Aspremont: Balans l'entent, sin a le cuer dolant. (736)39 (6)
Cid: Peso a mio Çid/(2835, 2907\ 295 lv, 2985V, 3603v) (2)
Roncesvalles: /tan grant duelo que face (86, 94V) (5) Une variante de ce motif est la douleur à la séparation:
Ami: Plorant s'en départirent. (1096, 2041)
Aspremont: Al départir mainte larme a ploree (1597, 191 lv) La roïne a al partir sospiré;
Cid: Grandes fueron los duelos a la departiçiôn, En plus des motifs que je viens d'indiquer, d'autres expressions se 37: cf. 791. 38: cf. 411, 741, 1096, 1322, 1367, 1531 s., 2041, 2849. 39: cf. 262, 370, 411, 674, 736, 824, 872, 927, 962, 1124 s., 1189, 1215, 1789, 1852, 1891, 189?, 1912, 2088, 2527, 2928. 1664. T6BR. 3823, 3849.
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une simple coïncidence. Je me contenterai de relever ici quelques cas qui On connaît la prière du plus grand péril (Frappier; en effet, cette prière 'narrative' n'est nullement limitée aux situations extrêmes. Menéndez Pidal, éd. du Cid, p. 34 ss. : «oración narrativa»); on en aun bon exemple dans le Cid 327 ss., cf.: Couronnement 695 ss., 976 ss.; Ami 1177 ss., 1333 ss., 1667 ss., 1762 ss. A proprement parler, le motif de Varmement, dans le Cid, ne se trouve guère sous forme de motif fixe, mais il y a pourtant des scènes qui peuvent se ranger sous cette dénomination: 3073 ss., 3084 ss. Le jongleur s'approche davantage du motif traditionnel dans la description suivante: Adúzenles los cavallos buenos e corredores, Comme on le voit, cette description est à cheval sur les deux motifs armement Franceis descendent, si adubent lor cors. D'osbercs et helmes et d'espees a or. Escuz unt genz et espiez granz et forz e gunfanuns blancs et vermeilz et blois. Es destrers muntent tuit li barun de l'ost. Un seul exemple de ce motif dans le Cid, et il est très simple El que en buen ora nasco non lo detardava: vistiôs el sobregonel; luenga trahe la barba; ensiellanle a Bavieca, cuberturas le echava, mio Çid saliô sobrél, e armas de fuste tomava. (1586 ss.) Mobilisation des troupes: Couronnement 1997 ss., 2269 ss., 2675 ss.; Ami 330 ss.; Aspremont 886 ss., 905 ss., 915 ss., 940 ss., 954 ss., 963 ss., 974 ss., 985 ss., 991 ss., 1512 ss. Le jongleur espagnol emploie ce motif quand le roi appelle à Cortes: Cid 2962 ss., 2977 ss. La description de richesses et surtout de chevaux a aussi son propre motif: Roland 756 ss., 1490 ss.; Voyage 81 s., 240, 340; Couronnement 2256 ss. (cf. Charroi 641 ss.), 2261 ss.; Aspremont 133 ss., 160 ss., 3793; Cid 1966 ss., 1987 ss., 2114 s., 2144 s., 2254 ss., 2572 ss., 3242 ss.
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J'achèverai ce chapitre par une scène bien connue des chansons de
Cid: el obispo don Jérôme la missa les cantava;
Couronnement: Li apostoiles lor a fait un seignacle:
Roland: Franceis apelet, un sermun lur ad dit : Comparez aussi Chevalerie Vivien 417 ss., 1594 ss. On voit que c'est le Comme cela ressort des paroles de don Jérôme, le prélat est souvent Bien entendido es de letras e mucho acordado, Ces vers rappellent la présentation de Baligant: h de sa iei mult par est savies nom.
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où l'on voit le clerc et le chevalier (cette opposition chère au Moyen Age) On donne parfois à ce prélat-guerrier sa propre aristie, cf. les motifs attaque à la lance, Cid 2383 ss., cité p. 90, qui rappelle Roland 1487 ss. Le modèle immédiat pour don Jérôme c'est évidemment Turpin. On voit donc que le jongleur espagnol, en apprenant la technique de l'épopée française, en emprunte aussi des personnages-types. 4. Les formulesII est assez difficile de tracer une limite nette entre les motifs et ce que j'appellerai les formules: celles-ci constituent ceux-là. Les motifs sont à la fois des unités narratives (une action, un état, etc.) et métriques (parfois ils remplissent une laisse), tandis que les formules ne sont que des parties d'unités qui n'ont pas de vie propre. Il n'y a pas toi jours une différence quantitative : on vient de voir des motifs qui ne comptent qu'un hémistiche (Joie, douleur), mais en général ils sont plus longs. Pourtant, beaucoup de cas restent douteux. On aurait pu analyser ici les formules qui constituent les motifs dont 4.1. se hâterCeci s'exprime presque toujours par l'expression négative: ne pas s'at
Couronnement: /de neient ne se targe (253, 268, 340, 1768)
Ami: /ne s'i volt atargier (422)
Aspremont: /ne se volt atargier (1071)
Cid: /por nada non tardé (3027, 1803)
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4.2. Indications de tempsVoici ce qu'en dit M. de Chasca, p. 89: «En nuestro poema se siente el el día es exido, la noch querié entrar (311)» Bien sûr, mais comme c'était aussi le cas du motif du voyage (voir (i) il se fait nuit:
Roland: Tresvait le jur, la noit est aserie (717, 3658V, 3991v)
Ami: Vespres aproche, li solaus dut cliner (579, 1094v)
Cid: Es dia es salido e la noch es entrada (1699, 2061, 31 lv) (ii) // se fait jour ('jusqu'au matin, avant le matin') :
Roland: Tresvait la noit et apert la clere albe (737, 3675V)
Couronnement: O ainz qu'il seit li matins ajornez (1593)
Chnrmi- Tre<sqi]'f)n demain one il fu aiorné
Ami: Jusqu'au matin que il fu esclairié (724, 1640v, 1849V, 1876V,
Aspremont: L'aube est crevée et si est ajorné. (541)
Prise: L'aube est crevée et li chaus est levés (ms. D, v. 243)
Cid: Passada es la noche, venida es la manana (1540, 323V, 425V (iii) le matin:
Roland: Par main en l'albe si cum li jurz esclairet (667)
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Voyage: Al matin, par sun l'albe, quant li jurz lur apert (239, 248;
Ami: Le matin par som l'albe. (551)
Cid: /al alva de la man (1100) (iv) après la messe :
Ami: Dite iert la messe/(313O)
Cid: La missa dicha/(320) Les exemples que je viens de donner pourraient facilement être multipliés, mais ils me semblent suffisants pour donner une impression de l'art des jongleurs; on voit que le principe reste partout le même: au moyen d'un nombre assez limité d'hémistiches, les poètes obtiennent ces combinaisons diverses; (ii) p.ex. n'est souvent que (i) renversé, cf. Roland 717/737, Cid 1699/1540, etc. Pour le changement des saisons, on a aussi recours à ces formules, Cid El ivierno es exido, que el marco quiere entrar. 4.3. Expressions redoubléesOn voit souvent dans les chansons de geste des idées simples rendues par des expressions doubles ou même triples. Ce procédé frappe également substantifs, adjectifs et verbes. Les matériaux sont si abondants, et le fait si bien connu, que j'exclus les verbes ; de plus, je me contente de citer un peu au hasard. Ce principe «binaire» domine tout à fait l'art des jongleurs: c'est une sorte de amplificatio simple, qu'on retrouve partout dans l'épopée médiévale. Voici des exemples: (i) substantifs :
Roland: d'or et d'argent/02, 100, 130)
Gormont: le ver, le gris e le ermin (446)
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Voyage: /or et argent trussez (314)
Couronnement: /paien et aversier (347, 1301v)
Charroi: vin et froment/(1456)
Ami: /Ii grant et li petit (1416, 1533V, 2102)
Aspremont: /li petit et li grant (2204, 100v, 1436V, 2222V, 3132V)
Cid: /chicos e grandes (1990, 591)
Roncesvalles: las mesnadas e los pares (48) (ii) adjectifs :
Roland: /merveilluse et grant (1653, 1320v, 1412\ 3381, 1661V)
Charroi: /merveilleus et pleniers (350)
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Aspremont: ,'mervellose et mortal (1933)
Cid: /maravillosa e grand (427, 864, 1085, 1648, 2427) Comparez ici: Hait sunt li pui e mult hait les arbres (Roland 2271) (cf. 814, 1755, 1830, 3305, etc.) avec cet exemple du Cid: Los montes son altos las ramas pujan con las nuoves (2698) qui semble être 'une copie presque littérale, légèrement amplifiée'. Mais l'exemple n'obtient toute sa force d'argument qu'à l'intérieur de toute l'argumentation menée ici: le jongleur espagnol ne traduit pas, il crée, à l'aide d'une technique française. 4.4. Le chef et sa maisniéeCe groupe s'organise souvent ainsi: ler hémistiche: le chef, 2e hémistiche:
Roland: Caries l'oïd/et si noble baron (3777)
Voyage: Chevauchet li emperere/od sa cumpaine grant (259, 98V)
Couronnement: Ne vos secore/o mon riche barnage (267)
Charroi: Vet s'en Guillelrne/o sa cornpaigne bêle (782)
Ami: Li rois i va/o son riche barné (1449, 1652)
Aspremont: Vait s'ent Turpins/il et sa conpagnie (1214)
Cid: buscar nos ie el rey Alfonsso/con toda su mesnada (528)
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alegre es mio Çid/con todos sos vassallos (2466, BO3v, etc.) On voit donc encore ici un principe «binaire» qui domine la composition: les formules se composent de deux hémistiches, qui, comme on vient de le voir (4.3), sont souvent constitués par deux membres. Un point qui sera encore important pour l'étude des épithètes. 4.5. ManièresJe divise en deux parties : (i) a lei de bon vassal, et (ii) formule volontiers
(0
Roland: /a lei de bon vassal (887)
Ami: /si dist com cuens menbréz (2970)
Cid: /a guisa de menbrado (102, 131, 579, 3700) (Ü)
Couronnement: /de gré et volentiers (108, 227, 1361, 1368, 1736, 1562V)
Roland: /par coer et par amor (1447)
Charroi: /de gré et volentiers (222, 672)
Ami: /De gréz et volentiers (434, 505, 1372)
Cid: /de voluntad e de grado (149, 819, 1056, etc.)
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II est inutile, me semble-t-il, de commenter ces exemples; on pourrait, 4.6. SE LEVER EN PIEDSCette formule est souvent employée dans une description de querelles ou
Roland: En piez se drecet, si li vint cuntredire (195, 218V)
Couronnement: Li cuens Guillelmes se dreça sor ses piez (343)
Ami: Li mainsnés frères se leva en pies sus (2553)
Aspremont: Li arcevesques se dreça en estant (313)
Cid: El comde don Garcia en pie se levantava (3270, 3292V, 4.7. CRIEROn sait que pour introduire les répliques, les jongleurs ne disposent que d'expressions très simples comme dist X, respondit X, etc. ; ou bien, on parle de la bouche, tout à fait comme on pleure des yeux, cf. le motif de la douleur ci-dessus. Mais quand il s'agit de rendre les cris, les appels, les exclamations, on a recours à des expressions plus pittoresques, dont voici des exemples :
Roland: Puis si s'escriet a sa voiz grand et hait (2985)
Gormont: en haute voiz s'est escrié (2)
Couronnement: Puis s'escria a sa voiz halte et bêle (1604)
Charroi: A haute voiz commencent a huichier (658, 138Ov)
Ami: A sa vois haute conmensa a crier (706, 1463)
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Aspremont: A haute vois lor comence a hucier (3119)
Cid: Los de tnio Çid a altas vozes Ilaman (35) 4.8. ComparaisonsOn sait que ce procédé est assez parcimonieusement développé par l'épopée romane: rien qui égale p.ex. les comparaisons homériques. Mais on en trouve pourtant çà et là de beaux exemples : dans le Roland, il y en a même beaucoup. Deux choses à remarquer: le point de comparaison est toujours un
Roland: Tant par ert blanc cume flur en estét (3162, 3173V, 3503v,
Gormont: Si cum Ii cers se fuit de la lande,
Voyage. Cume en mai en estet quant soleil esclarcist. (383, 443)
Couronnement: Blanche ot la barbe corne flor en avril (1456)
Ami: Viex iert et blans conme flors en esté (84)
Aspremont: Et si est fiers assés plus d'un lïon (1809)
Cid: tan blanca commo el sol (3087, 3074\ 3493, 2333) Je vais conclure ce chapitre par l'examen d'un vers fameux du Cid: Dios, que buen vasallo, si oviesse buen senore! (20) qui selon M. de Chasca est le point cardinal de toute la chanson, le vers.
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et par là l'opposition roi ¡vassal, qui dominerait toute la compositon du récit (p. 65 ss.). Ce qui semble assez bien fondé. Mais ce qui est encore plus intéressant pour mon propos, c'est que le vers 20 du Cid correspond exactement à une formule bien connue de l'épopée française:
Roland: Deus! quel baron, s'oiist crestientét! (3164; 899V, 3764V)
Gormont: Li meudre rei e le plus franc
Aspremont: Se il creïst en Deu l'esperital
Couronnement: Deus! quel barnage, se rescos poeit estre! (2173) Le dernier exemple est une réplique ironique de Guillaume, ce qui montre On vient donc de voir, à tous les niveaux du récit, que le schème rhétorique 5. Les syntagmesJ'étudierai ici, brièvement, Vépithète sous trois points: (1) épithète de Le rôle de l'épithète épique, qui est dans la majorité des cas de remplir le vers (naturellement, il y a des exceptions où le poète donne une fonction autrement importante à l'épithète, mais je crois que M. de Chasca, p. 173 ss., va beaucoup trop loin dans ce sens), c'est-à-dire que le choix de l'épithète dépend uniquement de l'assonance, peut être illustré par cet exemple de la poésie 'moderne' chantée: Die Walküre meinst du, où l'épithète ne donne aucune information nouvelle; sa fonction ici est
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5.1. Épithète de personneDeux types seront distingués: (i)/X + épithète (je me limite aux épithètes
(i)
Roland: Carlemagne le rei (81, 3451)
Gormont: Gormund le reis (92)
Voyage: Rolland li curteis (484)
Couronnement: Guillelme li fiers (121) II serait superflu, je crois, de donner davantage d'exemples: on voit, dans le Couronnement, comment le personnage principal est pourvu de toute une gamme d'épithètes; la même chose dans le Charroi et Ami. Voici le Cid: mio Çid el Campeador (2325, etc.) al Çid Campeador Í2543, etc.) mio Çid lidiador (1322, 1522) mio Çid el de Bivar T295, etc.)
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Alfonso el Castellano (1790, 2976)
Roncesvalles: Carlos el enperante (7) (ii) Tépithète remplit le deuxième hémistiche:
Roland: Caries li reis/nostre empereres magnes (1)
Gormont: Gormund/celui d'Orienté (69, 78) Couronnement: Guillelme/al Cort Nés le vaillant (7) Guillelme/al Cort Nés le marchis (1666) Guillelmes/al Cort Nés li guerriers (2044) Guillelme/le nobile guerrier (209, 1501) Guillelmes/li marchis au vis fier (550), etc. Mêmes remarques que ci-dessus.
Cid: Mio Çid/el Campeador conplido (69)4»
Roncesvalles: Don Oliveros/caballero naturale (18) 40: J'exclus de l'examen les épithètes «honorifiques»: el que en buena cinxo espada, el que en buen ora nasco, et leurs variantes. Elles sont extrêmement fréquentes.
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5.2. Épithète amplifiéeL'épithète est parfois amplifiée par mention explicite des fiefs du personnage
Roland: Puis vait t'erir un riche duc Austorie,
Gormont: Eis lur Eodon de Campaneis,
Cid: Minaya Âlbar Fanez que Çorita mandô (735) 5.3. Épithète de choseD'abord les villes et les pays (les deux mêmes types que sous 5.1):
Voyage: Jérusalem vile (204), Dun la citet (406), Paris la cites (36) (ii): Jérusalem/une citez antive (108)
Couronnement: en dolce France (13, 15), France le régné (2654) (ii): Lions/un riche gualt plenier (2086)
Charroi: France la garnie (ms. D 951) (ii) : Nymes/la fort cité garnie (904)
Ami: France le regnié (932) Cii): Riviers/la cité seingnoril (2686)
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Cid: Castiella la gentil (672, 829) (ii): Molina/buena e rica casa (1550)
Roncesvalles: a Flanderes la ciudade (9) (ii): de Francia/de mi tierra natural (55) Les chevaux, les armes, les yeux, la bataille (je ne cite, comme d'habitude,
Roland: bons cevals curanz (3047, 3112, 3349)41 (ii): Veillantif/sun bon cheval curant (1153)
Voyage: un destrer curant et sujurnet (457)
Couronnement: un corant destrier (2187)
Charroi: son corant destrier (358, 701)
Ami: son bon corant destrier (931, 2014)
Asprernont: estor canpal (3395)
Cid: cavallo corredor (1988, 2145, 2254, etc.) 41: cf. Frappier, in Technique, p. 85 ss.
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los ojos de la cara (27, 46, 921, 2186) (ii): Bavieca/el cavallo que bien anda (2394). On voit donc se continuer jusqu'aux moindres détails l'identité expressive 6. La langueMon dernier argument, je le tire de la langue du poème espagnol. On sait que l'influence du français et du provençal sur les autres langues romanes du Moyen Age a été énorme. Le problème se pose donc ainsi: est-ce qu'il est possible, à part l'identité compositoire, que j'espère avoir suffisamment démontrée, de déceler des gallicismes dans la langue du poème, qui est, faut-il le rappeler, un des plus anciens documents en langue espagnole ? En effet, cela est possible. Beaucoup de cas sont naturellement douteux, le même terme se développant indépendamment dans les deux régions; dans d'autres cas, il est difficile de trancher si un mot qui, phonétiquement, s'écarte du développement régulier d'un dialecte espagnol bien connu a une origine française ou non: le parler mozarabe du jongleur, auteur de la version conservée, peut être l'explication naturelle. Par exemple, le mot batalla qui en castillan aurait dû être *bataja, est probablement un gallicisme (cf. Entwistle, p. 207). Mais comparez ce que ce même érudit remarque, p. 149: «the Poema del Cid shows a Mozarab of Medinaceli composing in the language of Burgos, but a little uncertain as to the right use of // and j. » (cf. Castejón pour Castellón). Il faut donc être extrêmement précautionneux dans cette question, et je ne citerai d'abord que les cas qui me semblent tout à fait sûrs, le développement phonétique ou le sens révélant une provenance française réelle:
amor, le genre féminin (1325: la vuestra amor) montre l'influence française
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finar, première conjugaison comme en anc. fr. finer. Cette forme se trouve
dubda, 476 dans le sens de l'anc. fr. dote, 'peur', à côté de l'espagnol miedo.
fardido, le/qui rend le h germanique indique une origine française; cependant,
fonta, mêmes remarques.
gentil, g au lieu du h- régulier du castillan.
mensaie, tous les mots avec le suffixe -aje doivent être de provenance française,
mesnada, c'est l'anc. fr. maisniee. Même sens.
palafré, anc. fr. palefrei. Même sens.
pro, anc. fr. pro, preux. Pour le sens, voir les vv. 1386, 2173, 2847.
preson, anc. fr. prison.
razôn, fr., prov. ; dans le sens de 'palabras, discurso'.
solaz, anc. fr. solaz.
siempre, a au v. 3093 le sens de 'tout de suite', régulier en anc. fr.
vergé/, anc. fr. verger. Outre ces cas, signalons que beaucoup de mots sont employés exactement comme leurs parallèles français dans l'épopée française, p. ex. ressemblances générales de vocabulaire dans les motifs, voir chap. 3. Voici d'autres
abatir - abattre (mort)
abìltar - avilter
adestrar - adestrer (v. 2301, 'guider')
adobar - adober
afán - ahan
ayrar — aïrier
arrear - arreer, -oier
asmar - asmer, esmer
usiu — aste, baste, hanste
atender - attendre (le sens est 'esperar', usuel en esp., port, jusqu'au XVIe s.)
brial - blialt
cofia — coife
deçender - descendre
deportar - déporter
espolón - esperón
galardón - guerredon
guisa - guise
mancar - manquer (dans le sens de 'faltar, quedar por hacer')
rastar - rester
reconbrar - v. 1143, dans le sens de l'anc. fr. recovrer, 'attaquer de nouveau'
rico - riche
tôlier - tollir, toldre
varón - baron
vertud - vertu
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Pour terminer, je citerai deux tours syntaxiques qui sont clairement Entre Raquel e Vidas aparte ixieron amos. Cette construction avec le sujet introduit par entre, si usuel en anc. fr., L'autre construction est la proposition consécutive, non-introduite Point le cheval par les costez Li cols dévale par de desus l'arçon, Voici ce qu'en dit J. Herman, La formation du système roman des conjonctions de subordination. Berlin 1963, p. 140: «étant donné que la plupart de nos exemples se rencontrent dans le Poema de Mio Cid, il n'est pas interdit de se demander s'il ne s'agit pas ici d'une influence stylistique des chansons de geste françaises; les exemples espagnols paraissent d'ailleurs nettement moins nombreux que les exemples français. » Voici des exemples du Cid: Martín Antolínez un colpe dio a Galve, cortól el yelmo, que llegó a la carne. (765 ss.) Longinos era çiego, que nunqua vido alguandre. (352). 7. ConclusionJ'espère maintenant avoir démontré avec des matériaux suffisants (naturellement,beaucoup de détails ont dû être omis) que les variations qu'on trouve entre le Cid et une chanson de geste quelconque ne sont pas autres que celles qu'on trouve p.ex. entre les chansons françaises examinées ici; les différences majeures s'expliquent par les faits linguistiques, et je crois que c'est là aussi qu'il faut chercher l'origine de la versification irrégulièreespagnole. Le Cid est une chanson de geste, et on gagnerait, je pense, à le considérer comme telle. A part les différences linguistiques (et cela vaut aussi pour les chansons franco-italiennes) il n'y a qu'un art épique dans la Romania médiévale; cet art est un art oral, traditionnel;
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son origine, peut-être, germanique; son noyau, les chansons de langue d'oïl; ses prolongements, chansons de langue d'oc (Girart de Rosselho, Ronsasvals), de langue franco-italienne (Roland V4, etc.), et de langue espagnole (Cid, Roncesvalles, etc.); sa décadence, romans de chevalerie (Livre d'Ogier le Danois, Amadis de Gaula) et, d'autre part, des chansons épico-lyriques, les «romances» espagnols. Mais, et je tiens à le souligner, comparé à l'ensemble des chansons de geste, le Cid n'appartient pas aux plus faibles; bien au contraire, c'est une des meilleures: le jongleur y montre une maîtrise parfaite de son art. Pour Menéndez Pidal, comme on sait, la naissance de l'épopée espagnole s'explique par les Visigoths, cf. p.ex. (2), p. 54: «Tenemos, pues, un caso seguro de haberse perpetuado una leyenda heroica goda en la baja Edad Media española» (la légende de Rodrigue, dernier roi visigoth d'Espagne). Mais il construit toute son argumentation sur des légendes, c'est-à-dire sur les sujets de la poésie héroïque, et une légende héroïque ne vit pas nécessairement par des chansons épiques, quoi qu'on en dise. Je crois avoir démontré que l'origine de l'épopée espagnole, ïart de chanter de geste, doit être placée en France (et on peut démontrer cette même chose pour toutes les chansons épiques conservées en Espagne, voir Menéndez Pidal (5). Voici, à titre d'exemple, une description de bataille: Veredes lidiar a profia, et tan firme se dar, Ce sont les vers 930 ss. du Rodrigo y el Rey Fernando, op. cit. p. 257 ss. On reconnaît tout de suite le motif analysé ici p. 88-89). Mais, par là, je ne nie pas une origine germanique, quoique indirecte, de l'épopée espagnole.En effet, le traditionalisme, tel qu'il est représenté par Menéndez Pidal dans son dernier chef-d'œuvre, (3), semble très convaincant, et il semble même être l'hypothèse la plus juste et la plus satisfaisante jusquelàprésentée, cf. Aebischer, p. 8: «Ce sont des faits que je présente. Des faits qui, hélas, amèneront à une conclusion: qu'avec Y Histoire poétique de Charlemagne on était, tout compte fait, plus près de la vérité qu'avec Les Légendes Épiques. » On peut seulement déplorer que personne avant M. Rychner ne se soit intéressé aux recherches récentes sur la poésie
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orale, et aux études homériques en particulier. Cela aurait fourni beaucoupplus de perspectives au traditionalisme; et l'existence latente d'une poésie orale qui est un phénomène bien connu dans beaucoup de pays, même d'une poésie épique de grande échelle, n'aurait pas semblé si étrange et si inouïe aux médiévistes. Du moins, une chose semble sûre: l'art de chanter de geste doit être beaucoup plus ancien que le ms. O du Roland; c'est-à-dire, Yart comme décrit ici, n'est pas inventé d'un seul coup par quelque Turold imaginaire, il n'est pas mis en œuvre pour la première fois dans le Roland, version O, tout au contraire, il doit avoir une longue et solide tradition derrière lui pour atteindre à sa maturité au Xle siècle. Voici ce que dit M. Le Gentil, p. 87: «Donc, ainsi que tendent à le confirmer à la fois le Fragment de la Haye et la Nota Emilianense, ce n"est pas l'existence d'un seul poème que nous sommes amenés à envisager près de cent ans avant la date assignée au Roland d'Oxford, mais l'existenced'une activité épique assez large, disons même d'une vaste littérature épique orale ....>> Pour conclure, je ne ferai que ces quelques remarques à propos de Que vos en ai je mais lone plait a conter? Y al registrar este importante ejemplo me apresuro a negar que ils passent Passando van las sierras e los montes e las aguas. » (cit. Chasca, p. 171). Non, bien sûr, le vers 861 du Voyage n'est pas, ne peut pas être le modèle du vers 1826 du Cid (comment le serait-il?). Mais il ne s'agit pas de trouver des vers bien délimités, individuels qui soient les modèles d'autres vers d'autres chansons; de telles recherches seraient absurdes, car de tels vers n'existent certainement pas. Ce qui importe, c'est le schème abstrait, sous-jacent à la création épique, l'art du poète épique par lequel il bâtit ses motifs à partir des formules (les hémistiches), l'art de construire une chanson par ces motifs, sans l'aide de récriture. Le poète du Cid, version conservée, n'a pas emprunté quelquesvers
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quesversçà et là dans quelques chansons françaises (et cela serait la 'imitación superficial' dont parle Menéndez Pidal dans son édition du poème), il en a appris la technique. Voilà le type de parenté qui unit les vers 860-62 du Voyage au vers 1826 du Cid; les passages en question sont tous deux constituants du motif voyage (et, partant, des ' variantes típicas "), dont les exemples abondent dans les chansons et dont j'espère avoir suffisammentdémontré la réalité, et dans les chansons françaises et dans le Cantar de Mio Cid.
Michael Herslund COPENHAGUE
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RESUMEL'article propose une comparaison stylistique entre le Cantar de Mio Cid et les chansons de geste françaises, comme base pour des conclusions sur l'origine de l'épopée espagnole. En attirant l'attention sur les faits proprement oraux, comme l'a déjà fait M. Rychner, il voudrait élargir la perspective du traditionalisme, tel qu'il est représenté par Menéndez Pidal (3). A la lumière des recherches homériques p. ex., il serait possible de donner des descriptions plus justes des chansons épiques, et par là de mieux comprendre leur place unique dans la littérature romane du Moyen Age. Seulement en acceptant le point de vue «oral», on peut rendre compte, je crois, du style tout spécial des chansons de geste. Cela vaut aussi pour le Cantar de Mio Cid et les autres documents de l'épopée espagnole. Et si l'on peut démontrer une identité de technique compositoire entre les chansons françaises et le Cantar de Mio Cid (la seule œuvre complète de la poésie épique espagnole), il est probable que l'origine de l'épopée espagnole devra être cherchée en France, où l'art de chanter de geste a vécu longtemps à l'état latent, avant d'apparaître dans les manuscrits, pour la première fois avec le Roland, ms. O, vers 1140. BIBLIOGRAPHIEP. Aebischer: Textes narrais et littérature française du Mayen Age. I. Genève 1954. Edmund de Chasca: El Arte juglaresca en el «Cantar de Mio Cid». Madrid 1967. Ernst Robert Curtius: European Literature and the Latin Middle Ages. New York W. J. Entwistle: The Spanish Language. London 1962 (1936). Jean Frappier: Les chansons de geste du cycle de Guillaume d'Orange. (1-ÏI). Paris Jules Horrent: Le Pèlerinage de Charlemagne. Paris 1961. G. S. Kirk (éd.): The Language and Background of Homer. Cambridge 1964. R. Menéndez Pidal (1): De primitiva lirica espahola y antigua épica. Madrid 1968 id. (2): Los Godas y el origen de la epopeya espanola. Madrid 1955. id. (4): Flor nueva de romances viejos. Buenos-Aires 1967 (1938).
La Technique littéraire des chansons de geste. Actes du Colloque de Liège (septembre CFMA - Classiques Français du Moyen Age. TTrA = Textes et Traitement Automatique. |