Revue Romane, Bind 9 (1974) 1

Aspects de la séquence complétive/principale Variantes formelles de la principale en postposition

PAR

HELGE NORDAHL

Introduction

Si la séquence complétive ¡principale a déjà éveillé l'intérêt de bien des grammairiens, c'est tout d'abord à cause du mécanisme modal qui s'y manifeste presque sans exception. La complétive en antéposition se construit, comme on le sait, invariablement (ou presque) avec le subjonctif, même dans le cas où la phrase, organisée selon le schéma principale complétive, serait construite, obligatoirement, avec l'indicatif: (Qu'il soit grammairien, je le crois; Je crois qu'il est grammairien.) L'aspect modal de cette construction particulière a été trop finement analysé pour qu'on puisse raisonnablement espérer y apporter du nouveau. Le modeste but de cette petite étude serait donc plutôt d'analyser, sur le plan syntaxique, quelques-unes des implications concrètes inhérentes à la structuration séquentielle complétive/ principale.

L'antéposition de la complétive comporte certaines conséquences syntaxiques pour la construction de la principale postposée. Disons, par manière d'introduction, que le français moderne dispose, fondamentalement, de deux constructions différentes, que nous appellerons la construction de reprise et la construction directe.

La construction de reprise est concrètement caractérisée par la présence dans la principale d'un «élément de reprise»: démonstratif, présenlatif, pronominal ou adverbial, ayant pour fonction de résumer ou de réévoquer le contenu de la complétive :

Que je dusse partir le premier, cela ne faisait question ni pour moi, ni pour
personne. (Mauriac, Le nœud de vipères, p. 195)

Mais qu'elle ait pu dissimuler trente ans, voilà ce qui me met en garde, mon
cher. (Bernanos, Un crime, p. 198)

Qu'elle fût neuve de cœur, il le croyait. (H. de Montherlant, Les jeunes filles,
p. 235)

Que ia. vente - et Terreur - tienne à un fil, il en est convaincu d'avance. (Le
Figaro, 26 janvier 1970, p. 13)

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La construction directe est caractérisée par l'absence d'un élément de
reprise:

Qu'il lui eût caché cette maladie lui était un peu pénible. (Daniel-Rops
L'épée de feu, p. 429)

Cette distinction primordiale entre construction de reprise et construction directe a l'avantage de s'appuyer sur un critère concret et formel. Une analyse plus approfondie de la séquence complétive/principale dépend pourtant aussi de l'application d'une série d'autres critères. Selon nous, les trois critères suivants seraient d'une importance fondamentale:

A. le critère fonctionnel

B. le critère combinatorique

C. le critère de transformabilité séquentielle.

A. Le critère fonctionnel

Le critère fonctionnel délimite les domaines d'application des deux constructions : si la complétive a fonction de sujet, la construction de reprise aussi bien que la construction directe sont possibles, mais si la complétive est complément d'objet ou se trouve sous régime prépositionnel, la construction de reprise semble obligatoire. Donc, construction facultative (- de reprise ou directe) de la principale quand la complétive antéposée est sujet, construction de reprise obligatoire quand la complétive est objet direct ou se trouve sous régime prépositionnel.

B. Le critère combinatorique

L'étude du répertoire des éléments de reprise doit être effectuée dans la perspective combinatoire ou distributionnelle, c'est-à-dire, qu'il importe d'étudier les éléments de reprise dans leur cornbinabiîité avec la catégorie grammaticale du monème opérateur (élément régissant) de la principale. Celui-ci représentant une des quatre catégories possibles, une division quadripartite semble s'imposer.

a. Verbe

Qu'un paysan soit poète, cela s'est vu depuis Hésiode. (Sélection (Monde hebdomadaire)
Nc 1061, p. 11)

b. Nom

Que Kyo fît tuer, c'était son raie. (Malraux, La condition humaine, p. 53)

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c. Locution impersonnelle adjective

Qu'il ait été vexé sur le coup, c'est probable. (M. Aymé, Le bœuf clandestin,
p. 87)

d. Adjectif

Qu'il ait pu aller seul chez les Buis, tous ceux qui le connaissent en sont restés
bleusl (Vercel, Capitaine Conan, p. 158)

Le critère combinatoire s'applique également avec profit à l'étude de la construction directe, à condition que celle-ci soit définie comme caractérisée par un élément de reprise O. 11 va sans dire que cet élément O doit être étudié dans ses rapports combinatoires avec la catégorie grammaticale des monèmes opérateurs. Une différence fondamentale s'esquissera tout de suite: on trouve des exemples des deux constructions après un verbe, un nom, ou une locution impersonnelle comme monème opérateur, mais après un adjectif, seule la construction de reprise est possible. En effet, une phrase comme * Qu'il Vaii fait, je suis étonné {heureux, indigné, persuadé, etc. ...) est impossible; la reprise par en est obligatoire.

C. Le critère de transformabilité séquentielle

Dans la grande majorité des cas, il est évident que la séquence complétive! principale est séquentiellement transformable en la structure inverse, principale! complétive. Mais il n'est pas sûr que ce mécanisme transformationnel soit applicable à la totalité des exemples. Là encore, on trouve une différence essentielle entre la construction de reprise et la construction directe :

II n'y a que la construction de reprise qui garantit la transformabilité
séquentielle de la structure complétive/ principale.

En construction de reprise comme en construction directe, on trouve un type de phrase où la séquence complétive/principale paraît, sinon obligatoire, du moins systématiquement préférée: c'est celui où le monème opérateur est un verbe en construction transitive ou en une autre construction exocentrique, admettant un élément supplémentaire entre le verbe et la complétive. Ce type de phrase, nous allons l'analyser de plus près, surtout en étudiant la construction directe.

Mais, et c'est là un résultat inattendu, il y a des constructions directes
qui ne sont pas séquentiellement transformables en la construction principale!complétive.
C'est surtout le cas, quand la principale est réduite à

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un monorème ou ne contient qu'une construction comparative elliptique (Qu'il le sache, certes; Qu'il soit parti, rien de mieux.) Il ne semble donc pas légitime de considérer à priori, comme le fait M. Lorian (L'ordre des propositions de la phrase française contemporaine, La Cause, p. 20), l'antéposition de la complétive comme «le cas clinique», sa postposition comme «le phénomène naturel».

I. La construction de reprise

A. Reprise formelle de la complétive-sujet

1. Cela

La reprise formelle de la complétive-sujet s'effectue le plus souvent à l'aide du démonstratif neutre cela, qui devient ainsi le sujet formel de la principale. Cela est combinable avec un verbe, un nom, ou une expression impersonnelle adjective comme monème opérateur.

a. Verbes

Que le petit fût héritier des gloires monarchiques, cela effaçait la faute. (J. de
la Varende, Les manants du roi, p. 85)

En même temps, que je sois douée pour l'amour, cela ne peut, en lui, que
toucher l'homme. (C. Chevallier, Les filles sont libres, p. 191)
Qu'il soit question d'un autre, cela redonne de l'agressivité à Jacques. (P. Véry,
Un grand patron, p. 320)

Ces quelques exemples nous confrontent avec un type de phrase où la structuration séquentielle complétive/principale semble préférée. A notre avis, c'est la construction transitive du monème verbal avec un nom comme complément direct qui explique cette préférence. L'objet direct, s'intercalant nécessairement entre le monème opérateur et la complétive et empêchant ce que nous appelons la construction contactuelle entre monème opérateur et complétive, aurait pour effet de compliquer le choix modal. Qu'on mette la complétive en antéposition, et le problème est résolu avec élégance.

b. Noms

Que MacDonald et Beurnonville fussent vénérables, cela n'était pas une
garantie. (Aragon, La semaine sainte, p. 475)

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Que Solange n'eût pas forcé les siens à avoir un foyer décent, qu'elle supportât
ce décor obscène, cela lui parut une lourde charge contre elle : (H. de Montherlant,
Pitié pour les femmes, p. 156)

c. Locutions impersonnelles adjectives

Que tu aies aimé cela te paraîtra un jour incompréhensible. (Id., Le maître
de Santiago, p. 126)

Les destructions prochaines ne lui faisaient pas peur: qu'elles dussent engloutir
tout ce dont il avait vécu, cela lui paraissait juste, logique, satisfaisant.
(Daniel-Rops, L'épée de feu, p. 501)

2. Ça

La reprise formelle de la complétive-sujet peut s'effectuer par le démonstratif
ça quand le monème opérateur de la principale est un verbe (ou
une locution verbale).

a.l Verbes

Alors, que tu sois mon grand père, ça n'y ajoute rien. (Pagnol, César, p. 102)
Qu'on cessât de les aimer, ça pouvait arriver .... (Chevallier, Clochemerle-
Babylone, p. 221)

a.2 Locution verbale

Qu'elles soient informées de bonne heure, ça peut avoir son bon côté. (Id.,
Les filles sont libres, p. 120)

3. Ce (C) + être

La reprise par «c'est» est très fréquente quand le monème opérateur est
un nom, plus rare quand c'est une locution impersonnelle adjective.

b. Noms

Pour moi, qu'un livre comme celui-ci paraisse, c'est déjà un bonheur, comme
le retour du printemps. (Aragon, J'abats mon jeu, p. 40)

Qu'Audibert parte, c'est de la bêtise, .... (Chamson, Les hommes de la
route, p. 202)

Au moment où les choses allaient de façon douteuse, qu'il ait cru devoir
passer dans l'infanterie, c'était son affaire. (Benoit, Axelle, p. 294)

c. Locutions impersonnelles adjectives

Qu'il ait été vexé sur le coup, c'est probable. (Aymé, Le bœuf clandestin,
p. 87)

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Que cette ratatinée, brodant quelque taie d'oreiller au centre du hall, portât
le prénom qui me restait sensible, c'était déjà bien agaçant. (H. Bazin, La
mort du petit cheval, p. 91)

4. Ça, c'est

La reprise de la complétive-sujet se fait exceptionnellement par une construction
de «double démonstratif». Monème opérateur: nom.

Mais qu'elle ait un amant ou non, ça, c'est autre chose, pas vrai, patron ?
(Bernanos, Un crime, p. 203)

5. Voici, voilà -j- une proposition relative

La complétive-sujet peut être reprise par voici ou voilà construits directement avec une proposition relative (voilà qui ...) ou indirectement avec une relative ayant pour antécédent le démonstratif neutre ce (Voilà ce qui ...)

Nous n'avons relevé que peu d'exemples de ces constructions, après
un verbe ou une locution impersonnelle adjective comme monème
opérateur.

a. Verbes

Qu'on osât écrire ces choses, et en vers encore! voici qui m'emplissait de
stupeur lyrique. (Gide, Si le grain ne meurt, p. 144)

Mais qu'elle ait pu dissimuler trente ans, voilà ce qui me met en garde, mon
cher. (Bernanos, Un crime, p. 198)

c. Locution impersonnelle adjective

Que Thierry Maulnier ait des dons d'auteur comique, voilà qui ne me paraît
pas contestable, .... (Le Figaro, 12-13 mars 1960, p. 18)

6. C'est ce qui

La reprise formelle de la complétive-sujet peut aussi être effectuée à l'aide du présentatif c'est suivi d'une proposition subordonnée relative ayant pour antécédent le démonstratif neutre «re». Le seul exemple que nous ayons relevé de cette construction a une locution verbale comme monème opérateur.

Que pratiquement toute la région d'Oudja soit au service de la rébellion algérienne
c'est ce qui ne fait plus de doute depuis longtemps. (Le Figaro, 19
avril 1957, p.11)

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7. Reprise effectuée par: tel. Monème opérateur: nom

Que chaque élève puisse progresser à son rythme et non à celui de toute la classe, qu'il puisse choisir librement une partie de son programme, telle est la revendication de tous les réformateurs de la pédagogie formulée notamment dans le plan Languin-Wallon de 1947. (Sélection (Monde hebdomadaire) N° 1110, p. 9)

8. La reprise formelle de la complétive-sujet en antéposition, peut être
effectuée, finalement, par le nom le plus neutre qui soit, la chose.

Qu'il fût parti en voyage, la chose paraissait bien improbable. (Aymé: Les
contes du chat perché, p. 177)

B. Reprise formelle de la complétive-objet direct

1. Pronom neutre, le ou V

La reprise formelle de la complétive-objet direct est ordinairement effectuée
par un pronom neutre, le ou /'. Monèmes opérateurs: verbes.

a. Verbes

Que sa foi fût profonde, je le savais, si jeune queje fusse, mais .... (Green,
Partir avant le jour, p. 74)

Qu'un orage se préparât, mes nerfs le pressentaient. (Beaumont, Agnès de
rien, p. 131)

Qu'une participation de leur tendresse humaine rejaillît sur son culte et augmentât
leur ferveur on devait bien le pardonner là-haut! (J. de la Varende,
Nez de cuir, p. 170)

Que Caruso lui fût redevable de tout, qui ne le sait. (E. Charles-Roux, Oublier
Palerme, p. 119)

2. Voilà + une proposition relative ayant pour antécédent le démons
tratif neutre ce. Monèmes opérateurs : verbes.

a. Verbes

Mais qu'elle me lançât mon propre prénom, à tout bout de champ, exactement
comme j'en usais avec mes fermiers, jadis, voilà ce que je ne pouvais
supporter d'elle. (H. Bazin, La mort du petit cheval, p. 91)

Mais que j'eusse fait appel de son autorité par-devant une juridiction supérieure,
qui . . „ voua ce qu'il ne me pardonnerait pa.;> de longtemps ! (Id. Vipère
au poing, pp. 191 192)

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3. C'est ce que

La reprise de la complétive-objet direct peut être effectuée par le présentatif
c'est suivi d'une proposition relative ayant pour antécédent ce.
Monèmes opérateurs: verbes.

a. Verbes

Qu'il ait été terrifié lui-même, c'est ce qu'il jugeait parfaitement inutile d'avouer,
. . . (Gide, Les faux-monnayeurs, 11, p. 74)

Que l'entrée enjeu du problème sexuel n'eût rien ajouté au roman, mais qu'il
l'eût au contraire appauvri, c'est ce qu'on pourrait soutenir - ... (Mauriac,
Mémoires intérieurs, p. 238)

4. Le groupe : démonstratif + nom

Le renvoi à la complétive en antéposition est parfois effectué par le groupe :
adjectif démonstratif + nom interprétatif de l'idée de la complétive:

Que l'innocence en soit réduite à vivre bossue, je me refuse à considérer une
seule seconde cette hypothèse. (Camus, La chute, p. 127)

Qu'à un intervalle de l'espace et du temps, sur la surface de la croûte terrestre ait paru une moisissure qui contenait le germe de ces esprits qu'il appelle des phares, et entre lesquels il ne choisit que quelques-uns des peintres qu'il préfère, Baudelaire ne tourne pas impudemment cet obstacle à la manière des philosophes. (Mauriac, Mémoires intérieurs, p. 51)

C. Reprise formelle de la complétive en régime prépositionnel

Si le monème opérateur de la principale se construit avec un complément prépositionnel, la reprise de la complétive antéposée s'effectue dans la principale par un des éléments adverbiaux: en,y ou là, ou par une construction présentative, c'est ce dont, ou par le groupe préposition + démonstratif.

l.En

a. Verbes

Que ma réponse ne fût pas orageuse, comme celle d'un amant outragé, sa
portée s'en accrut. (Radiguet, Le diable au corps, p. 119)

Que le lion ait été si rapidement mate, la famille n'en revenait pas. (Frère,
Le temps d'une carte postale, p. 123)

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b. Nom

Que la mort de sa mère fût un de ces secrets, il en nourrissait le soupçon.
(Daniel-Rops, Mort où est ta victoire, p. 473)

d. Adjectifs

Qu'il ait pu aller seul chez les Buis, tous ceux qui le connaissaient en sont
restés bleus! (Vercel, Capitaine Conan, p. 158)

Que, par-dessus le marché, le traître s'appelât Giraudoux, je m'en sentais
péniblement blessé. (Vercors, La bataille du silence, p. 55)

Qu'il en soit ainsi pour les économistes comme pour les biologistes ou les
physiciens, on n'en sera guère surpris. (Sélection (Le Monde hebdomadaire)
N° 1131. 9)

2. y

a. Verbes

Qu'à cinq lieues autour elle fût réputée la plus grande putain du canton, la
famille y était faite. (Aymé, La vouivre, p. 99)

a.2 Locutions verbales

Que la boisson fût parfaite et fruitée, il y allait de l'honneur. (Chevallier,
Clochemerle-Babylone, p. 37)

3. Là

a. Verbes

Qu'elle-même en parlât, l'invitât à aller chercher, il ne savait s'il devait voir là
une marque de prudence ou la trace d'une inquiétude. (Daniel-Rops, Mort
où est ta victoire, p. 483)

Que les villages de la forêt se fussent attardés dans le temps, il y avait là
matière à surprise, ... (Aymé, Le passe-muraille, p. 102)

4. C'est ce dont

La reprise de la complétive peut également se faire à l'aide de cette structure

a. Verbe

Que je fusse subtil, c'est ce dont il m'importait de me convaincre. (Gide, Isabelle,
p. 48)

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5. Préposition à -j- cela

Voici finalement un exemple où la principale postposée en construction
elliptique (avec suppression de // y a) est introduite par la préposition à
suivie du démonstratif neutre cela. Monème opérateur: nom.

Que Boris de Schlœzer n'ait pas été célèbre: à cela beaucoup de raison. (Sélection
(Monde hebdomadaire) N° 1104, p. 13)


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Tableau récapitulatif

Eléments effectuant la reprise de l'idée de la complétive antéposée dans
la principale, répartis selon la fonction grammaticale de la complétive
et le monème opérateur de la principale.

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II. La construction directe

Résumons, en guise de préambule, les traits caractéristiques de la construction
directe que nous avons déjà soulignés :

1. La construction directe est formellement caractérisée par l'absence de
tout élément de reprise, renvoyant à l'idée exprimée par la complétive
antéposée.

2. Comme la construction directe de la principale n'est possible que quand la complétive antéposée a fonction de sujet, il s'ensuit que la principale en postposition est caractérisée par le non-emploi obligatoire du sujet formel qu'elle aurait nécessairement comporté en antéposition (Qu'il me craigne est absurde, mais: // est absurde qu'il me craigne.)

3. Combinatoirement, la construction directe est possible après une complétive-sujet antéposée, dépendant d'un verbe, d'un nom, ou d'une locution impersonnelle adjective comme monème opérateur. Après un adjectif comme monème opérateur, pourtant, la construction de reprise

4. C'est pourtant dans le dernier critère, celui de la transformabilité
séquentielle, que nous trouvons le principe de disposition qui nous
paraît le plus propice à la description de la construction directe. La
tripartition suivante semble s'imposer:
a. Structure: Complétive/principale séquentiellement transformable

en la séquence inverse, avec l'adjonction du sujet formel de la principale

(Qu'il l'ait dit me fait plaisir: Cela me fait plaisir qu'il l'ait dit),
b. Structure : Complétive/principale séquentiellement transformable en

la séquence inverse, sans adjonction de sujet.

(Qu'il l'ait fait, peu importe; Peu importe qu'il l'ait fait).

c. Structure : Complétive/principale (monorème ou elliptique) séquentiellement
non-transformable en la séquence inverse :
(Qu'il l'ait oublié, non.)
(Qu'il soit parti, rien de mieux.)

1. Constructions directes séquentiellement transformables avec l'adjonction du sujet formel de la principale

al. Verbes

Que Philippe fût là pour le soutenir, ne le gênait en rien. (Mallet-Jons, Les
mensonges, p. 274)

Que je sois aveugle, les a plutôt rassurés (Déon, Un parfum de jasmin, p. 221)

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a2. Constructions verbales transitives

Si le monème opérateur est en construction transitive ou en une autre construction exocentrique (par exemple verbe + complément prépositionnel) la séquence complétive/principale semble particulièrement fréquente. Cet agencement de la phrase présente un avantage important: En effet, l'objet direct ou le complément prépositionnel, se plaçant obligatoirement entre le verbe et la complétive, empêchant ainsi ce que nous appellerons la position contactuelle entre monème opérateur et complétive, rendrait inévitablement très compliqué le choix des modes. La séquence complétive/principale élimine ce problème, le subjonctif étant obligatoire:

Que Jacques me dût ses seules joies atténuait mes remords. (Radiguet, Le
diable au corps, p. 101)

Qu'elle s'adressât à Tim dans un moment pareil blessa Rony. (Frère, Le
temps d'une carte postale, p. 96)

Qu'il lui parlât en route, ou qu'il lui réparât ses pneus ne suffisait plus à justifier
l'attitude de la jeune femme. (Troyat, Le vivier, p. 180)

Que les Clochemerlins prissent fantaisie de dédaigner le petit édifice et son
initiative manquait son but électoral. (Chevallier, Clochemerle, p. 116)

... : il se rappela qu'elle portait une robe si étroitement ajustée que certaines
parties de son corps se laissaient voir avec précision, et que la robe fût rouge
aggravait cette impudeur. (Green, Moïra, p. 163)

2. Verbe -j- complément prépositionnel

Que sa mère quittât le triangle l'eût déjà soulagé d'un grand poids. (Mallet-
Joris, Les mensonges, p. 56)

Qu'il ne m'ait pas accepté, moi, ne change rien à mes sentiments pour lui.
(M. de Saint-Pierre, Les écrivains, p. 163)

b. Noms

Que Bella se tînt debout auprès de l'écluse semblait une opération merveilleusement
dangereuse. (Giraudoux, Bella, p. 76)

Qu'elle fût à prendre était l'évidence même, . . . (H. de Montherlant, Les
jeunes filles, p. 213)

c. Locutions impersonnelles adjectives

Qu'il lui eût caché cette maladie lui était un peu pénible. (Daniel-Rops,
L'épée de feu, p. 429)

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Que ce grand garçon, ... , se fût dérangé pour bavarder avec elle lui paraissait
extrêmement flatteur. (Troyat, L'araigne, p. 97)

Que tu sois arrivé à persuader Philippe de vivre comme nous le faisons en ce
moment, est déjà assez inouï. (Roussin, La petite hutte, p. 83)

2. Constructions directes séquentiellement transformables sans adjonction d'un sujet formel

Cette variante formelle semble surtout de mise après un répertoire plutôt
restreint de locutions impersonnelles verbales comme : peu importe, qu'importe,
passe encore.

Ce type est intéressant par le fait que, formellement, il est le seul qui,
dans les deux structures séquentielles, actualise exactement les mêmes
composants.

Qu'elles soient de moi ou d'un autre, peu importe, dit-il. (Troyat, La tête
sur les épaules, p. 146)

Qu'elle trouvât quelque part, ici ou là, un asile, qu'importe ! (Bernanos, Sous
le soleil de Satan, p. 38)

Qu'elle l'ait trahi, passe encore! (Giraudoux, Bella, p. 211)

3. Constructions directes séquentiellement non-transformables

Selon nos exemples le français moderne connaît deux variantes de ce
schéma constructionnel :

A. La principale monorème

Si la principale ne contient qu'un seul mot, exprimant elliptiquement
l'acceptation ou le refus d'accepter l'idée de la complétive, la séquence
complétive ¡principale et la construction directe sont obligatoires :

Que le monde se trompât, soit. (H. de Montherlant, Célibataires, p. 246)
Que ce petit corps chaste et clos ait pu cacher un pareil secret, non, non .
(R. Martin du Gard, Thibault 11, p. 176)

Que le débit ne fermât pas, à cause des malles-poste, bon. (Aragon, Semaine,
p. 131)

Elle demeurait incertaine, que l'accent campagnard fût net, certes;
(J. de la Varende. Manants, p. 35)

B. La séquence complétive/principale (et construction directe) semble
également obligatoire quand la principale, formulée elliptiquement, se
termine par un élément comparatif, dépendant du pronom indéfini : rien.

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Que mon pays, ... , ne pût prendre ouvertement parti, rien de plus naturel.
(Benoit, Roi, p. 145)

Qu'elle cajolât le vieux comte pour Tavoir de notre côté, rien de mieux.
(J. Romains, Mémoires I, p. 120)

... ; que le lexique, par exemple, soit dans une large mesure un produit de
l'histoire, rien de plus évident. (Guiraud, La grammaire, p. 102)

Conclusions

Un coup d'œil rétrospectif sur les exemples analysés nous permettra,
espérons-nous, de formuler quelques tendances caractéristiques de la
séquence complétive/principale en français moderne.

1. La complétive-sujet en antéposition admet deux constructions facultatives de la principale: la construction de reprise et la construction directe. Le répertoire des éléments de reprise montre que la construction de reprise est une variante emphatique de la construction directe.

2. La complétive-objet direct ou sous régime prépositionnel exige la construction
de reprise.

3. La complétive-sujet admet les deux constructions après un verbe, un nom et une locution impersonnelle comme monème opérateur. Si le monème opérateur, par contre, est un adjectif, la complétive doit être conçue comme étant sous régime prépositionnel, et la construction de reprise est alors obligatoire.

4. Il est nécessaire de souligner la richesse du répertoire des éléments de reprise combinables avec un verbe comme monème opérateur, la modestie relative du répertoire de ceux combinables avec un nom ou une locution impersonnelle adjective, et la reprise obligatoire d'un adjectif comme monème opérateur par en.

5. La totalité des constructions de reprise permettent la transformation
séquentielle.

6. La séquence complétive/principale semble pourtant préférée, en construction
de reprise comme en construction directe, quand le monème
verbal est en construction transitive ou autrement exocentrique.

7. Les grammairiens, jusqu'ici, ont considéré comme un datum datissimum que toute séquence complétivelprincipale soit transformable en la séquence inverse principalejcomplétive. Celle-ci, à priori, est considérée comme «le phénomène naturel», celle-là comme «le cas clinique».

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Nous avons montré que le système actuel connaît des variantes de la structure complétive ¡principale séquentiellement non-transformables : c'est le cas, quand la principale postposée est construite elliptiquement, monorème ou une comparaison dépendant de rien et avec ellipse de il y a + la négation.

Helge Nordahl

Oslo

BIBLIOGRAPHIE DES TEXTES CITÉS

Aragon, L. Les cloches de Bâle, Le Livre de Poche (Denoël, 1954).

- J'abats mon jeu, Les Editeurs français réunis, 1959.

Bazin, H. Vipère au poing, Le Livre de Poche, (Grasset, 1948).

Benoit, P. Le roi lépreux, Le Livre de Poche, (Albin Michel, 1927).

Charles-Roux, E. Oublier Palerme, Le cercle du livre, 1965.

- Les filles sont libres, Flammarion, 1960.

Daniel-Rops, Mort où est ta victoire?, Le Livre de Poche, (Pion, 1934).

Giraudoux, J. Bella, Le Livre de Poche, (Grasset, 1926).

Mallet-Joris, F. Les mensonges, (Julliard, 1956).

Malraux, A. La condition, humaine, Le Livre de Poche, (Gallimard, 1946)

Montherlant, H. de, Les jeunes filles, Le Livre de Poche, (Gallimard, 1936).

Radiguet, R. Le diable au corps, Le Livre de Poche, (Grasset, 1923).

Varende, J. de la, Nez de cuir, Le Livre de Poche, (Pion, 1937)

Vercel, R. Capitaine Conan, Le Livre de Poche, (Albin Michel, 1934).