Revue Romane, Bind 8 (1973) 1-2

Joseph J. Duggan: A Concordance of the Chanson de Roland (compiled by), Ohio State University, 1969 (420 pages, 12,50 S). G. De Poerck, R. Van Deyck, R. Zwanepoel: Le Charroi de Nîmes I—II, Textes et traitement automatique, Editions Mallier, Saint-Aquilin-de-Pacy, 1970 (I: 118 pages, II: 230 pages, 52,50 Cour.).

Suzanne Hanon

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La parution, très proche dans le temps, de ces deux concordances sur des chansons de geste amène tout naturellement une réflexion parallèle, d'autant plus que la méthode de travail et les principes sous-jacents de ces deux ouvrages sont diamétralement

Qu'il nous soit tout d'abord permis d'exprimer notre enthousiasme à la parution de documents comme les concordances, qui sont de véritables mines d'or de renseignements tant pour les linguistes que pour ceux qui s'occupent de l'aspect littéraire, culturel ou historique d'un texte. De plus, et eeei malgré leur appareil parfois un peu lourd, les concordances permettent au chercheur de mettre la main sur une série exhaustive de phénomènes, en réalisant une économie de temps extrêmement précieuse.

Dans les deux cas qui nous occupent, ces concordances ont pour traits communs
d'avoir été produites sur ordinateur et de traiter chacune d'une chanson de geste.
Elles sont aussi très maniables, vu leur volume réduit ; mais la comparaison s'arrête là.

La concordance sur Roland est de type KWIC. Elle nous fournit un listage de tous les mots de la Chanson de Roland de la version d'Oxford dans l'édition qu'a donnée Raoul Mortier {les Textes de la Chanson de Roland, vol. 1, La version d'Oxford, Paris, 1940). Les mots sont classés alphabétiquement, donnés ligne par ligne, nantis d'un contexte à gauche et à droite du mot-clef (KWIC — Key-word-in-context), ainsi que du numéro du vers dans lequel figure le mot-clef. Chaque vers est entouré de barres diagonales (/). Le contexte moyen est d'environ 7 mots de chaque côté du mot-clef, c'est-à-dire que chaque entrée donne lieu à l'examen d'au moins deux vers à la fois. Les barres diagonales permettent de situer rapidement le mot dans le premier ou le deuxième hémistiche du vers, présentation qui rend posible l'étude approfondie des «formules» épiques, un des centres d'intérêt de M. Duggan (Cf. J. Duggan: Formulas in the «Couronnement de Louis», Romania, 87, 1966, 315-344, dont les listages sont obtenus de la même façon). Mentionnons que c'est une concordance«brute»,

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cordance«brute»,ce qui revient à dire qu'aucun reclassement grammatical des mots ou regroupement sous un même lemme n'a été fait, à part que les noms propres sont placés en une concordance séparée à la fin de l'ouvrage. La présentation est excellente, c'est un livre facile à manier. On peut peut-être critiquer la coupe de certains mots au début et à la fin de chaque ligne de contexte, «maladie» inhérente au système KWIC, mais qui aurait pu être évitée si le programmeur avait fait en sorte de ne donner que des mots entiers à la place d'une suite de lettres. Déjà au niveau d'un tel ouvrage, on peut se féliciter d'avoir à portée de la main tous les inventaires possibles de mots classés alphabétiquement par le début du mot-clef et parle début des mot suivants. On pourrait aussi s'imaginer comme complément une concordance inverse donnant les mots par leur finale, ce qui permettrait d'étudier les suffixes verbaux par exemple. Ajoutons enfin que cet instrument de travail constitue un intéressant supplément et même parfois un correctif au glossaire compilé «manuellement»par Foulet à la fin des Commentaires de la Chanson de Roland de Joseph Bédier (Piazza, Paris, 1921 et 1968), les références de Foulet étant souvent défectueusesainsi que ses données numériques des occurrences.

La concordance sur le Charroi est tout autre dans sa conception. Elle est précédée d'une nouvelle édition du Charroi de Nîmes, qui reproduit la leçon du ms. B. N. fr. 774 (A1) avec, pour compléter les lacunes de ce manuscrit, adjonction de vers du ms. B. N. fr. 1449 (A2), les variantes des mss. B. N. fr. 368 (A3) et Milan Bibliothèque Trivulzienne 1025 (A4) ainsi qu'un fragment inédit, le B. N. fr. n.a. 934 (a) (pour les vers 1082-1216). En tant qu'elle nous fournit une version plus fidèle à l'original (non-résolution des chiffres (//// pour quatre), des abréviations (.G. pour Guillaume)) et qu'elle indique les lacunes dans le texte et toutes les variantes des mss. du groupe A (du moins pour les 500 premiers vers), cette édition constitue un net progrès par rapport à l'édition classique du même manuscrit éditée par J. L. Perrier (CFMA, Paris, 1963)1. La concordance proprement dite est de type KWOC, c'est-à-dire que le mot-clef est hors du texte original (Keyword-out-of-context) et fonctionne comme une entrée de dictionnaire, si ce n'est qu'elle est suivie du contexte de mots et non d'une définition ou d'une traduction. Le contexte donné pour chaque mot comprend soit un hémistiche, soit un vers, tantôt plus, tantôt moins; ce qui réduit parfois le contexte à un seul mot pour les mots-clefs longs, et à 4 ou 5 mots pour les mots-clefs courts ou les mots-outils. Cette présentation est de beaucoup plus claire et distincte que celle du type K.WIC. Ici aussi les noms propres constituent une concordance à part (tome 1 pp. 83-96). Il est primordial de souligner que cette bipartition en noms propres et noms communs ne va pas sans aléas. Les manuscrits anciens n'observant pas les mêmes règles pour les majuscules et pour la coupe des mots que celles que nous connaissons de nos jours, il est nécessaire de «prééditer» le texte, c'est-à-dire de faire un choix (à coup sûr arbitraire) de ce qu'on entendra par noms propres. De Poerck et ses coauteurs comprennent par noms propres les noms de personnes, d'animaux, de lieux (géographie, groupes ethniques) et les surnoms. Par contre DeujDé (Damedeu), Deable, Montjoie sont écartés. Certains mots font partie de deux



1: II faut pourtant mentionner que nous avons aussi depuis peu une nouvelle édition: Duncan McMillan: Le Charroi de Nîmes, Chanson de geste du XIIe siècle, éditée d'après la rédaction AB avec introduction, notes et glossaire. Paris, Klincksieck,

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listes (Arroganz, Chapelle, Paumes, Pont, Port, Pré, Pui) puisqu'ils sont des éléments de noms propres mais en même temps des noms communs potentiels («des i au Pui onques ne s'arresterent» (v. 842), «par Petit Pont sont en Paris entré» (v. 28), etc.). Un coup d'œil sur la concordance de Duggan nous apprend que Dieu, Diable, Montjoie sont pour lui des noms propres. On peut donc se poser la question de la pertinence de cette présentation. Ne vaudrait-il pas mieux établir une seule concordancepour tous les mots en évitant ainsi l'arbitraire d'un choix surimposé au texte et où l'usager n'aurait qu'une seule liste à consulter? Il est vrai qu'il reste toujours l'interprétation en majuscules et minuscules à résoudre. La préédition du texte ne s'arrête d'ailleurs pas là. Les concordances KWOC prêtent du fait même de leur présentation plus claire à plus de «manipulations» d'ordre «artisanal» (pour reprendreun terme cher à Guy De Poerck). Tout d'abord les contextes offerts par l'ordinateur ont souvent été allongés «à la main» (on ne nous dit pas selon quels principes) ; de même chaque mot est doté d'une indication de classe grammaticale. Les homographes sont distingués et répartis sous différentes entrées. Un chiffre entre parenthèses indique le nombre d'occurrences de chaque mot. Cependant la lemmatisationn'est pas opérée à ce niveau, mais elle apparaît dans un répertoire morphologiqueet sémantique à la fin du volume 11. Encore une fois répétons que ces listes font souvent double emploi et forcent à compulser plusieurs fois au moins deux listes. Pourquoi aussi introduire des formes non attestées dans le texte (certains infinitifs par exemple) dans ce répertoire? Notons enfin que les auteurs nous fournissentdes tables d'assonnances et une liste des hémistiches et des vers répétés. Peut-on demander plus? On envie les étudiants de MM. De Poerck et associés qui, si on se promet de ne pas leur servir le travail «tout mâché » des éditions dites «critiques»,jouissent d'une somme d'information alléchante (cf. les déclarations de principe dans l'article de G. De Poerck et de R. Zwanepoel: Traitements automatiques de textes littéraires en ancien français. Une expérience: Le Charroi de Nîmes in Actes du Colloque «L'utilisation des ordinateurs et la Recherche en Sciences humaines, Archives et Bibliothèques de Belgique, no spécial 6, Bruxelles, 197î, 103-112).

Deux documents significatifs et dont on ne saura se passer désormais pour les
recherches sur les chansons de geste.

ODENSE