Revue Romane, Bind 8 (1973) 1-2

Hans BOLL Johansen (réd.): Den moderne roman i Frankrig. Analyser og synteser. Akademisk forlag, Copenhague, 1970, 235 p.

Arne Schnack

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Une des thèses principales de ce livre en danois sur le roman moderne en France est que la composition romanesque reposant sur l'action tend à être remplacée, à partir de l'œvre de Proust, par des structures «musicales» fondées sur l'orchestrationdes thèmes. On pourrait en dire autant de ce «métatexte» où Hans 801l Johansena savamment groupé quatorze études sur divers aspects du roman moderne. Sous i'angie génétique, cette composition s'explique par le fait que les articles réunis en chapitres par 801l Johansen proviennent d'une série de conférences organisée

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par l'université populaire de Copenhague. Ainsi, le livre témoigne d'une tentative en
elle-même très méritoire d'initier le public au travail de recherche des spécialistes.

Selon la préface, cependant, la composition du livre s'explique autrement: HBJ y distingue deux possibilités offertes au critique littéraire qui veut aborder la littérature de son temps: il peut s'absorber dans le détail et risque par là de perdre de vue les grandes lignes, ou bien il peut s'efforcer d'en dresser la carte, au risque de se méprendre gravement en anticipant sur l'histoire littéraire de son époque. HBJ a essayé de naviguer entre Charybde et Scylla en insérant entre les analyses d'aspects particuliers du sujet, des vues d'ensemble d'orientation historique. Ainsi, un bref aperçu du nouveau roman par Knud Togeby sert d'introduction à six articles étudiant ce phénomène dans le détail, et le premier chapitre, écrit par HBJ luimême, traite du roman depuis Apulée jusqu'au nouveau roman, en mettant l'accent sur les changements d'ordre structural que l'on peut constater depuis les textes appelés traditionnellement le roman traditionnel, à savoir le roman de Balzac.

Etudiant successivement les grands éléments structuraux du texte narratif: le personnage, le temps, l'espace, le narrateur, HBJ montre comment ceux-ci ont changé de place dans la hiérarchie structurale, et comment l'action reposant sur la chronologie et la causalité a été remplacée par la répétition comme principe de composition. Ce résumé introductif sur l'évolution des formes romanesques révèle déjà l'originalité et le plus grand mérite de ce livre, qui en rassemblant une série d'analyses textuelles, traite du roman moderne en tant que phénomène littéraire, l'analyse esthétique du texte précédant les conclusions sur «le message» de telle ou telle œuvre, ou sur «l'attitude» de tel ou tel écrivain.

Le livre est divisé en trois parties, discrètement marquées dans la table des matières par des blancs: dans la première partie figurent des études sur Camus et sur Vian, la seconde partie est consacrée au nouveau roman (Beckett, Sarraute, Simon, Robbe-Grillet, Butor), et la dernière aux œuvres de Duras, Le Clézio et Sollers. On pourrait soutenir que, sur ce point, le livre s'approche un peu de Charybde, parce qu'il n'offre guère d'argumentation explicite en faveur de cette tentative (très discrète, il est vrai) d'anticiper sur les catégories d'un futur manuel d'histoire littéraire. Probablement c'est la volonté d'isoler «le nouveau roman» qui a déterminé cette répartition, que l'aperçu de Knud Togeby rend plausible en montrant que l'univers romanesque des œuvres rangées dans cette partie dit livre s'est établi à l'intérieur d'une conscience plus ou moins anonyme. Cette opinion n'est pas contredite par les auteurs d'analyses plus approfondies (parmi ceux-ci Togeby luimême), bien que Nils Lykke Knudsen. dont l'article sur Reckett suit immédiatement la vue d'ensemble de Togeby, commence par écarter l'œuvre de Beckett du nouveau roman. Celui qui est tant soit peu initié aux problèmes du travail scientifique ne s'étonne pourtant pas de petites contradictions de ce genre. Mais que dire de la partie traitant de Camus et de Vian? Pourquoi ces deux auteurs et pourquoi ensemble? Et quel est le dénominateur commun entre Duras, Le Clézio et Sollers? N'insistons pas. Quoi qu'il en soit, le livre offre au lecteur tant d'autres choses qu'un classement explicite des phénomènes étudiés.

Dans son article sur Camus, Morten Nojgaard choisit comme point de départ le problème formel du narrateur dans le roman à la première personne et démontre la complexité structurale et la cohérence interne de la Chute, qu'il considère comme une meilleure réussite que l'Etranger et la Peste. Par des interprétations des romans

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de Vian, Soren Kolstrup suit étape par étape la dégradation des valeurs humaines
les plus élémentaires jusqu'au nihilisme définitif de VArrache-Cœur.

Nils Lykke Knudsen décrit les formes que prend chez Beckett le monologue intérieur et analyse les thèmes principaux de ses romans. La plus grande partie de son étude est consacrée à une analyse plus approfondie du dernier des romans de Beckett, Comment c'est, qu'il considère comme un modèle caricatural de l'existence humaine dans lequel on peut isoler les éléments suivants qui forment un cercle vicieux, parce que chez Beckett l'acte de raconter implique une renaissance : naître, voyager, rencontrer, quitter, attendre, raconter. Les images dans l'œuvre de Sarraute font l'objet de l'article de Michel Olsen, qui veut montrer que le plan métaphorique a gagné en autonomie dans les derniers romans de Sarraute au détriment de la vérité psychologique. Seren Thorsoe-Jacobsen s'occupe de Claude Simon et explique d'une manière très convaincante comment la composition des romans de celui-ci se fonde sur l'expérience d'une décomposition de l'existence et la tentative d'organiser, selon d'autres principes que la chronologie et la causalité, les éléments fragmentaires de souvenirs qui restent dans une conscience. L'article de Svend Johansen sur les romans de Robbe-Grillet contient plusieurs interprétations originales. Entre autres choses, il soutient l'hypothèse que le style descriptif de la Jalousie, remarquable par le fait que le pronom haïssable ne figure jamais dans le texte, exprime ce que Sartre appelle la conscience pré-réflexive qui ne connaît pas de 'je'. Knud Togeby présente toute l'œuvre de Butor. Ce qui selon lui caractérise les textes de cet écrivain, c'est son goût pour des structures temporelles et spatiales extrêmement complexes, goût qui atteint son maximum de subtilité dans le roman Degrés. L'emploi du temps dans le nouveau roman est le sujet d'une étude de Nils Soelberg qui termine cette partie du livre. Il analyse les structures temporelles chez Butor, Simon et Robbe-Grillet en démontrant comment une expérience phénoménologique du temps entre en conflit avec la notion de chronologie.

Appuyés, comme les articles précédents, sur une documentation solide, les trois derniers chapitres, de Hanne Hastrup, Michel Olsen et Per Aage Brandt, traitent du thème fondamental de la rencontre chez Duras, de l'anti-intellectualisme et du rêve de l'enfance chez Le Clézio, et des problèmes de l'écriture chez Sollers, dont le roman Nombres est plutôt un texte mathématique qu'un roman, traditionnel ou «nouveau».

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