Revue Romane, Bind 8 (1973) 1-2

Dorothy Gabe Coleman : Rabelais. A Criticai Study in Prose Fiction. Cambridge University Press, 1971, 241 pp.

Ebbe Spang-Hanssen

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Comme le laisse deviner le sous-titre, voici une étude de Rabelais qui s'inspire des méthodes du 'new criticism'. Il ne s'agit pas seulement pour l'auteur d'étudier un aspect limité de l'œuvre de Rabelais, en l'espèce la technique littéraire, mais encore de prouver que c'est là l'aspect essentiel de ses romans: «Rabelais's intentions were not philosophical nor religious but literary» (p. 140). Ainsi Dorothy Gabe Coleman critique ceux qui ont voulu voir en Rabelais un penseur humaniste, un rationaliste ou encore un théologien franciscain; pour elle, Rabelais est d'abord un artiste.

Le livre contient des chapitres substantiels sur le narrateur fictif, sur l'angle sous lequel il considère ses personnages, sur le genre, sur l'art de la prose de Rabelais. La partie la plus intéressante me semble être la discussion sur le genre auquel il faut rattacher les livres de Rabelais, problème essentiel, comme on le sait, selon la théorie du 'new criticism'. Dorothy Gabe Coleman situe les quatre livres (le cinquième n'est pas étudié) dans la tradition de la satire ménippée, dont elle retrace l'histoire depuis l'Antiquité jusqu'à l'ouvrage français qui porte comme titre le nom du genre. L'œuvre rabelaisienne s'expliquerait dans une très large mesure par la tradition littéraire dans laquelle elle s'inscrit: «This frank and glorious acceptante of the physical side of life is often called a Renaissance characteristic, but it is more important to see it as a modem link with thè ancient world in Seneca and Petronius» (p. 99). Partout la même insistance sur l'aspect proprement littéraire au détriment de l'aspect historico-idéologique, qui n'est pourtant pas complètement négligé puisque l'auteur voit un rapport entre le stoïcisme de Rabelais et son détachement d'artiste.

Dorothy Gabe Coleman ne semble pas connaître le grand livre de Mikhaïl Bakhtine: Tvorchestvo François Rabelais (Moscou 1965, trad. anglaise 1968, trad. française 1970), ni les études françaises plus récentes qui s'en inspirent. I! me semble que les études de Bakhtine et de ses élèves mettent dans une lumière crue ce que la méthode de Dorothy Gabe Coleman peut avoir d'un peu court. Tout en donnant la priorité à la technique littéraire, elle est quand même obligée d'interpréter cette même technique: or, comme elle refuse de creuser les notions psychologiques et philosophiques, ses interprétations - ses jugements sur la valeur des différentes techniques - sont souvent hâtives et peu fondées. Citons comme exemple un point

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crucial de sa démonstration: l'étude du rôle du narrateur fictif démontre, de manière assez convaincante, une distance entre celui-ci et ses personnages; on est moins convaincu lorsque Dorothy Gabe Coleman en conclut que l'humour de Rabelais est surtout ironique, ou encore lorsqu'elle dit que l'humour ironique indique chez Rabelais «a sceptical and artistic detachment from life» (p. 24). Elle considère que les géants sont diminués du fait que Rabelais se sert souvent de comparaisons animalespour les décrire (p. 57). Il est pourtant clair que le rire et le monde animal ne sont pas forcément la même chose pour un homme du XVIe siècle et pour nous qui vivons dans un monde encore assez marqué par la morale victorienne; Bakhtine a montré qu'en effet, dans ces domaines, mots et gestes ont complètement changé de signification.

COPENHAGUE