Revue Romane, Bind 8 (1973) 1-2

Le verbe suraller

PAR

GUNNAR TILANDER

1. SURALLER INTRANSITIF ET NEUTRE

Le plus ancien exemple relevé de suraller se trouve dans Modus, où ce
verbe est intransitif ou neutre:

Ce qui est dist es douces bestes souraler est dist es noires bestes boissier, 39,9.

Sur boissier 'tromper, trahir', ici au sens de 'passer une voie sans en
donner connaissance au chasseur et sans crier, se rapportant au limier',
voir Wartburg, Franz, etym. Wôrterbuch, I, 301, art. bauson, bausjan.

Suraller a le même emploi chez Charles IX (1550-74):

C'est de peur de suraller selon ce que l'on luy (au chien) a monstre de jeunesse,
De la chasse du cerf, éd. Henri Chevreul, Paris, 1859, p. 86.

Littré et le Dict. général enregistrent suraller comme verbe intransitif, mais Remigereau, dans ses Recherches sur la langue de la vénerie et Vinfluence de du Fouilloux dans la littérature et la lexicographie (Publications de la Faculté des Lettres de l'Université de Strasbourg, Fascicule 142), Paris, 1963, p. 296, prétend à tort que ces deux autorités se trompent et que suraller ne peut être employé comme verbe intransitif.

Dans Littré et Remigereau comme lexicographes, Karlshamn, 1968, Cynegetica XVII, p. 101-2, j'offre de nombreux exemples de l'emploi de suraller comme verbe intransitif empruntés au grand connaisseur de la langue de la vénerie Jean de Ligniville, Les Meut tes et véneries (vers 1635) et à d'autres auteurs cynégétiques. Chez Ligniville, suraller se rapporte au limier ou aux chiens, et dans un seul exemple au chasseur (p. 102).

2. SURALLER LA BÊTE

Dans les plus anciens exemples de l'emploi transitif, suraller a comme
régime l'animal chassé:

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II dit vrai! Veez le cy aller!
La, compains, vaulcy, va avant!

Garde bien de le souraller (seur aller, ms. H, suraller IT), Jacques de
Brézé, La Chasse, Les Dits du bon chien Souillard, éd. Gunnar Tilander,
Lund, 1959, Cynegetica, VI, p. 33 (entre 1481-1490, ib., p. 26).

Il doyt prendre ses devans, et faire ses enceinctes deux ou troys fois: l'une par les grandz chemins et voyes, a fin de s'ayder de son œil; l'autre par le couvert de peur que son chien le (cerf) suraille, Jacques du Fouilloux, La Vénerie et F Adolescence, éd. Gunnar Tilander, Karlshamn, 1967, Cynegetica XVI, 29, 26 (de 1561).

Leur ayder .. en les faisant requester par les costez des voyes et chemins,
et non par le dedans car ilz y auront beaucoup plus de sentiment et ne le
(cerf) sur-alleront pas si tost qu'ilz feroyent dedans les chemins, ib., 40,39.

Aux chaleurs, et au temps des fleurs, que les herbes ont senteur, les chiens
sur-allent plus tost les bestes qu'en autre saison, ib., 40, 119.

3. SURALLER LA VOIE

Le régime suraller la bête a été remplacé cependant par suraller la voie,
qui est la construction courante du verbe :

La meute peut aussi suraller les voies du chevreuil qu'elle chasse, Traité de la
chasse aux chiens courans pour le lièvre, le chevreuil et le renard, ms. 244 de la
Bibliothèque de Chaumont, de 1777.

Un limier qui a passé par dessus de bonnes voies sans s'en rabattre, les a surallées; un veneur qui fait une route à l'œil, sur-aile les voies lorsqu'il passe sans les apercevoir, d'Yauville, Traité de vénerie, Paris, 1788, p. 79; Leconte Desgraviers, Essai de vénerie, ou VArt du valet de limier, 2e éd., Paris, 1804, p. 243-44; August Desgraviers, Le Parfait Chasseur, Paris, 1810, p. 344; [Rousselon,] Traité des chiens de chasse, Paris, vers 1835, p. 195.

Un chien qui passe sur une voie sans se rabattre sur-aile la voie, Elzéar
Blaze, Le Chasseur au chien courant, 11, Paris, 1838, p. 434.

Un limier, un chien courant suralle les voies, lorsqu'il passe dessus sans se
rabattre, Edmond le Masson, Nouvelle Vénerie normande, Avranches 1841,
p. 348.

Sur aller la voie est se laisser entraîner au delà de l'endroit où la bête a fait
un retour ou un revary, J. Lavallée, Technologie cynégétique, 1863, p. 178.

Le limier qui passe sur les voies d'un animal sans les marquer a surallé la
voie, Lage de Chaillou, Nouveau Traité des chasses à courre et à tir, Paris,
sans date (1869), 11, 442.

Un chien qui passe sur les voies sans les marquer a sur-ailé les voies,
Chasse Moderne, Larousse, 1900, p. 686.

Un chien suralle des voies quand il passe dessus sans se rabattre, Georges
Lanorville, La Chasses du sanglier, Paris, 1925, p. 293.

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4. DÉFINITIONS DE SURALLER

La plus ancienne définition de suraller se trouve dans Robert de Salnove,
La Vénerie royale, Dict. des chasseurs, Paris, 1655, p. 34 (à la fin du
volume) :

Sur-aller, c'est quand un limier ou un chien courant passe sur les voyes d'une beste, sans en rabattre, et en remonstrer à celuy qui le meine, p. 34 (à la fin du volume); Traitté de toute sorte de chasse et de pêche, Amsterdam, 1714, 11, sans pagination; L'Art de toute sorte de chasse et de pêche, Lyon, 1730, 11, 395; Amusemens de la chasse et de la pêche, 11, Amsterdam, 1743, sans pagination.

Sur-aller, c'est quand un chien passe sur les voyes sans crier, er sans donner aucune marque que la bête y a passé, Jacques Espée de Selincourt, Le Parfait Chasseur, Paris, 1683, p. 375; Massé, Dictionnaire portatif des eaux et forêts, Paris, 1766, 11, 267.

Sur aller, c'est lorsqu'un Veneur avec son chien passe sur les voyes d'un
Cerf ou d'une autre bête sans se rabattre, [Gaffet de la Briffardière,] Nouveau
Traité de vénerie, Paris, 1742, p. 215.

Sur-aller, c'est lorsque le limier passe sur les voies d'un animal, à la chasse duquel il est destiné, sans s'en rabattre; encore, lorsque les chiens de meute passent sur les voies de l'animal qu'ils ont attaqué sans en avoir de connaissance, Le Verrier de la Conterie, L'Ecole de la chasse aux chiens courons, Rouen, 1763, 11, 384-5.

Suraller, ce mot se dit d'un limier ou d'un chien courant qui passe sur la voie sans se rabattre et sans rien dire, J.-J. Baudrillart, Dictionnaire des chasses, Paris, 1834, p. 648; Léon Bertrand, Dictionnaire des forêts et des chasses, Paris, 1846, p. 404.

Cette définition se retrouve chez plusieurs auteurs, mais la fin «sans se
rabattre et sans rien dire » est remplacée par :

sans en rabattre et sans en remontrer à un chasseur J. B, Delisíe de Sales, Dictionnaire théorique et pratique de chasse et de pêche, Paris, 1769, 11, 381 ; [Fr. Lacombe,] Dictionnaire de toutes les espèces de chasses, Paris, l'an troisième C1794Ì. n. 416.

sans en rabattre et en rencontrer à celui qui le mene, Delisle de Sales, I,
182 (rencontrer est une erreur pour remontrer, qu'il emploie 11, 381, voir cidessus).

et qu'il n'en montre rien, Traité de la chasse aux chiens courans pour le
lièvre, le chevreuil et le renard, ms. 244 de la Bibliothèque de Chaumont, de
1777.

sans se rabattre ou sans crier, Lacombe, op.cit. de 1794, p. 110.

sans s'en rabattre et sans la marquer, Jourdain, Traité général des chasses à
courre et à tir, Paris, 1822, 11, 303.

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5. VOIES SURALLÉES

Pairault offre l'expression voies surallées :

Voies surallées, celles sur lesquelles les veneurs ou autres personnes ont marché
sans les apercevoir, Nouveau dictionnaire des chasses, Paris, 1885, p. 386.

6. SE SURALLER

Remigereau {op.cit., p. 296) prétend que suraller n'est jamais pronominal, contrairement à Littré et au Dici, général, qui le traduisent par 'revenir sur ses voies', sens qui selon Remigereau n'existe pas. Dans Littré et Remigereau comme lexicographes, p. 100-101, j'ai montré cependant que se suraller est fréquent dans ce sens, et j'en donne pour preuve de nombreux exemples tirés des auteurs cynégétiques (p. 101).

7. CONJUGAISON DE SURALLER

Suraller se conjugue comme un verbe régulier de la première conjugaison. De nombreux exemples de // sur alle, il a sur allé sont cités dans le chap. 3, les chiens surallent, du Fouilloux, 40, 119, les chiens le suraller ont, ib., 40,39, etc.

Parfois, suraller subit cependant l'influence du verbe simple aller :

Un limier surva quand il passe sur les voies d'un cerf sans en rabattre et en
remontrer à celui qui le mène. Delisle de Sales, Dict. de chasse et de pêche,
1769, I, 182, 11, 381; Lacombe, Dict. de toutes les espèces de chasses, Paris,
1794, p. 416; de Mersan, Manuel du chasseur, Paris, 1808, p. 355.
de peur que son chien le suraille, du Fouilloux, 29,26.

Gunnar Tilander

ULRICEHAMN